La création de l’univers d’Outlander
Article Cinéma du Dimanche 05 Avril 2009

Ce film d’aventures épique, qui oppose un clan de Vikings à une créature extraterrestre, sort directement en DVD alors qu’il aurait largement mérité une diffusion en salles... Effets-speciaux.info vous invite à en découvrir les coulisses.

Par Pascal Pinteau

C’est au début des années 90 que le réalisateur Howard McCain découvre le poème épique anglais Beowulf et se prend de passion pour ce récit. Alors étudiant de l’école de cinéma de l’université de New York, il rêve de le transposer sur le grand écran. Mais McCain tient à représenter les vikings en s’en tenant à la stricte réalité historique, et voit mal comment faire cohabiter cette vision avec les agissements d’une créature issue de la sorcellerie comme le monstrueux Grendel. A cette époque, dix ans avant la sortie du Seigneur des Anneaux, l’heroic-fantasy ne fait pas encore recette. Les films se cantonnent pour la plupart à des genres précis : les reconstitutions historiques évoquent l’Histoire et les films Fantastiques et de Science-Fiction la pure imagination de leurs auteurs. McCain songe alors à intégrer de la science-fiction à son approche historique : en ajoutant une présence extra-terrestre à son embryon d’histoire, tout devenait plus convaincant. Cette solution apparaît lors de sa rencontre de McCain avec le scénariste Dirk Blackman. «Nous nous sommes dits « Et si une créature extra-terrestre avait atterri sur Terre au temps des Vikings ? » Nous pensons que si la légende de Beowulf était fondée sur la moindre petite parcelle de vérité, ce serait là l’explication la plus plausible, la seule source possible du mythe. » explique McCain. Ravis par cette trouvaille, les deux scénaristes avancent vite et aboutissent à un premier jet du script. Ils basent la trame de leur récit sur les liens entre Rothgar (incarné par John Hurt) et Gunnar (Ron Perlman). Gunnar est chef d’un hameau vassal du village d’Herot, gouverné par le roi Halga. Appelé pour participer à un dangereux raid contre une tribu ennemie, Gunnar refuse, laissant le roi Halga se défendre avec des effectifs bien trop réduits. Quand Halga meurt au combat, son fils Wulfric tient Gunnar pour responsable et réclame vengeance, mais son oncle Rothgar, désormais régent du trône, plaide pour une solution pacifique. C’est à ce moment précis que le vaisseau spatial de Kainan (Jim Caveziel), s’écrase sur terre en libérant la créature qui s’était cachée à son bord : le Moorwen. Alors que Kainan est capturé par les hommes de Rothgar, le monstre fait ses premières victimes parmi les habitants du village de Gunnar, qui pense que ces crimes sont dus à son rival et à ses hommes. S’ensuit alors une querelle qui menace de se dégénérer en véritable guerre de clan, alors que le danger venu d’ailleurs se rapproche d’eux…



La genèse du film

McCain et Blackman demandent à Patrick Tatopoulos d’imaginer un premier concept du Moorwen, pour les aider à vendre leur script. Ils confient ensuite le scénario et les esquisses de Tatopoulos à la productrice exécutive Karen Loop, qui le fait lire à John Schimmel, président de la production au sein de la société Ascendant Pictures. Schimmel et son associé Chris Roberts, immédiatement séduits par cette histoire originale et par l’aspect du monstre, s’engagent à produire le film. Ils sont si enthousiastes qu’ils décident de lancer immédiatement les travaux de conception graphique, avant même d’avoir entamé le montage financier qui permettra d’initier la production d’Outlander ! C’est là une démarche rarissime dans le milieu du cinéma. John Schimmel contacte Barrie Osbourne, l’un des producteurs du Seigneur des Anneaux et de Matrix, qui lui recommande de faire appel au directeur artistique Dan Hannah. Schimmel engage Hannah et lui demande de travailler en collaboration avec les studios graphiques Ninth Ray, fondés en 2005 par Ian McCaig. Talentueux illustrateur, Ian McCaig a créé Darth Maul pour le compte de George Lucas, puis a eu envie de fonder un studio au sein duquel viendraient travailler des artistes conceptuels de haut niveau, ayant collaboré à des films comme les trois premiers épisodes de Star Wars, Spider-man 2 ou Hulk. «A ma connaissance, on n’avait encore jamais engagé une telle équipe de conception artistique pour un projet qui ne disposait pas encore de la moindre source de financement. » précise Schimmel « Cela a entraîné des dépenses importantes pour une petite compagnie comme la nôtre. Le reste du film allait devoir être préparé avec un petit budget, mais entre Patrick Tatopoulos, le studio graphique Ninth Ray et Dan Hannah, nous savions que nous disposions de la meilleure équipe artistique possible pour imaginer l’aspect du film ». Pendant douze semaines de travail menées à un rythme intense, les studios Ninth Ray produisent alors les storyboards, les dessins des décors, conçoivent les costumes, les accessoires et les éléments animatroniques d’Outlander. « Les créations de Ninth Ray ont toutes été d’une beauté stupéfiante » se souvient McCain « J’en étais souvent ébahi. On pouvait voir le film prendre vie, et le visualiser facilement. Les artistes du studio avaient placé la barre très haut et leurs illustrations étaient si belles qu’elles nous ont beaucoup aidé à trouver le financement du film et à convaincre des acteurs du niveau de Jim Caveziel, John Hurt et Ron Perlman de se joindre à cette folle aventure. »

Le tournage commence…

Mais cette démarche audacieuse comporte aussi des risques. Initialement estimé à 80 millions de dollars, le budget du film est réduit à 33, à la suite du désistement brutal d’un des partenaires financiers. Pour utiliser au mieux ce budget serré, la production décide d’aller tourner au Canada, dans la région d’Halifax. C’est là que le décorateur David Hackl et la costumière Debra Hanson donnent vie aux designs du Studio Ninth Ray. Bien décidé à obtenir le résultat le plus réaliste possible, le décorateur va jusqu’à engager sa propre équipe de bûcherons pour couper dans la forêt environnante les arbres qui servent à construire le village fortifié de Herot sur le site de Nine Mile River. Selon les plans établis par Ninth Ray, Herot est entouré par des remparts circulaires de 200 mètres de longueur, constitués de troncs d’arbres de 5 mètres de hauteur. A l’intérieur , près des épaisses portes d’accès, se trouvent deux tours de garde de 12 mètres. Le village en lui-même est composé de quatorze édifices : des maisons d’habitation, la hutte et l’atelier du forgeron, une église primitive, des étables et une tannerie de cuir qui entourent la pièce maîtresse des lieux, le bâtiment de Shield Hall (la halle des boucliers), dans lequel siège le maître des lieux, Rothgar. Mesurant 17 mètres jusqu’à sa plus haute gargouille ( 22 mètres si l’on compte les tours qui furent ajoutées en 3D pendant la post-production), Shield Hall est une superbe création architecturale couronnée par les majestueuses branches feuillues qui s’échappent de son sommet, comme si la création de l’homme rejoignait dans un même élan celle de la nature. Ce magnifique design synthétise en un seul bâtiment les caractéristiques les plus frappantes des premières églises et palais de Norvège et du Danemark. « Nous avons essayé de lui donner toute la grandeur de l’âme et de l’existence des vikings » confie David Hackl. Le décor intérieur de Shield Hall, reconstitué en studio, est l’un des plus grands du film : il mesure 37 mètres de long sur 24 de large, et sa partie centrale est ornée par le tronc d’un chêne de 11 mètres. Dans la tradition nordique, le chêne était sacré car il était dédié à Odin, le dieu guerrier des vikings. Les colonnes de bois et les pilastres de Shield Hall ont été sculptés à la main afin d’être décorés de motifs inspirés par la nature, souvent utilisés dans cette région, il y a 1500 ans de cela. Les peintures murales, elles, décrivent les chasses et les batailles menées par le clan de Rothgar, ainsi que les créatures mythologiques de leurs traditions ancestrales. Mais ce que les spectateurs ne verront pas dans le film, c’est la boîte de métal trônant au-dessus du milieu de la salle, qui dissimule les éléments d’un circuit de rails ovale. Lorsqu’il était déployé et mis en place au-dessus des décors, cet équipement a permis de suspendre Jim Caveziel et Jack Huston a des câbles afin de tourner la scène pendant laquelle Kainan relève le défi de Wulfric qui consiste à faire le tour de la salle en courant sur des boucliers tendus à bout de bras par les Vikings ! Cet effet spécial réalisé devant les caméras est l’œuvre du superviseur des cascades Steve Lucescu.



La création du Moorwen

S’il est relativement aisé d’intégrer un monstre à un script, parvenir à imaginer une créature vraiment originale, qui ne donne pas l’impression d’avoir été vue et revue cent fois au cinéma, est un défi particulièrement rude à relever, que ce soit à un niveau conceptuel comme à un niveau financier. Avant de donner leur script à Ascendant Pictures en 2003, McCain et Blackman avaient déjà fait appel à Patrick Tatopoulos pour créer le Moorwen. Le nom de la créature a été inspiré aux auteurs par les célèbres Morlocks, le peuple cannibale réfugié dans de profondes cavernes qu’avait imaginé H.G. Wells dans son roman La Machine à explorer le Temps, paru en 1895. « Depuis que H.R. Giger a créé le monstre d’Alien, tous les créateurs de monstres de cinéma ont subi cette influence et s’en sont plus ou moins inspiré dans leurs designs. » déclare McCain « Les monstres sont devenus des machines à tuer de forme phallique et une partie du récit est généralement consacré à expliquer la morphologie de ces créatures, leur fonctionnement biologique, ce qu’elles font, et comment elles se métamorphosent. Elles sont toutes plus ou moins des machines à tuer, dépourvues de tout autre but. Ce n’est pas le cas du Moorwen. Même s’il bénéficie d’un aspect fascinant, ce n’est pas pour cette seule raison qu’il est intéressant. En découvrant l’histoire d’Outlander, vous apprenez des choses à son sujet, vous pouvez presque comprendre sa manière d’agir et éprouver de l’empathie pour lui, comme lorsque vous regardez King Kong ou le monstre de Frankenstein incarné par Boris Karloff. Donner naissance à une nouvelle race de créatures était un défi complexe, car il fallait que le Moorwen puisse s’adapter sans problème à l’environnement naturel des Vikings, de la même manière que les concepts biomécaniques de H.R. Giger s’intégraient parfaitement à l’univers de conduites et de câbles électriques d’un vaisseau spatial ». Pour satisfaire pleinement McCain, le Moorwen devait être un animal à l’origine clairement extra-terrestre, mais suffisamment proche des légendes et des mythes Vikings pour que ces derniers puissent avoir envie de le représenter sur le sommet des mâts de leurs drakkars. « Nous avons contacté plusieurs artistes pour leur demander de faire un test » poursuit l’auteur-réalisateur « mais quand nous avons rencontré Patrick, il a immédiatement apporté une personnalité et une sensualité inédite à cette démarche. » « J’ai pensé qu’il fallait d’abord ancrer cette créature dans la réalité du monde des Vikings avant de commencer quoi que ce soit » explique Patrick Tatopoulos. « C’était la bonne manière d’aborder ce travail, à mon sens. J’ai donc cherché des documentations sur les dessins, les tapisseries et les sculptures Vikings qui représentaient des dragons. » Par le passé, il était fréquent que les créatures extraterrestres des films aient un aspect anthropomorphique, soit deux bras et deux jambes et une posture verticale. Une tradition dite des « men in suits » (des hommes portant un costume) qui débuta dans les années 50 et que Tatopoulos était bien décidé à ne pas respecter : « J’ai pour habitude de m’inspirer d’animaux réels quand j’imagine une créature fantastique. J’ai conçu le Moorwen comme un mélange de taureau et de gorille. Cet animal est capable de courir très vite, de nager et de grimper à des arbres, et de faire tout cela bien plus vite qu’un être humain parce qu’il se déplace sur quatre pattes. Par contre, quand il frappe une proie, il le fait en se tenant sur deux pattes. La personnalité de la créature s’exprime au travers de ses postures, de son langage corporel qui nous permet de comprendre quelles sont ses émotions, mais la chorégraphie de ses mouvements dicte aussi ses proportions. Pour donner plus d’allure à un animal, l’une de mes approches favorites consiste a affiner ses articulations. Le Moorwen est une créature qui doit exprimer une grande force. Pour ce faire, je lui ai donné des épaules et un torse larges et puissants, des hanches étroites et un cou très épais. C’est le « langage » que j’aime utiliser dans mes concepts artistiques : créer quelque chose qui soit à la fois sexy, impressionnant et très effrayant. » Presque dix années se sont écoulées entre le tout premier croquis du Moorwen signé par Tatopoulos et son aboutissement graphique, lorsque la préproduction d’Outlander a été initiée. « L’approche est restée globalement la même, mais il y a eu malgré tout un changement important entre le concept originel d’il y a dix ans et le design définitif du Moorwen : pour lui permettre de tourner plus facilement la tête nous avons allongé son cou. »



Bioluminescence

L’une des caractéristiques les plus frappantes du Moorwen est sa bioluminescence. Les producteurs du film considèrent ce point particulier comme l’une des approches originales de la « révélation », ce moment très particulier d’un film au cours duquel on voit le monstre pour la première fois. « La bioluminescence est vraiment « la marque de fabrique » du Moorwen : vous sentez confusément sa présence, mais quand vous le voyez luire dans l’obscurité, cela signifie qu’il est déjà trop tard ! » explique Chris Roberts. « Si les films habituels ne reposent que sur les acteurs, un film de genre comme le nôtre repose en partie sur le monstre. Dans le cas de celui d’Outlander, ce personnage vaut plus que la somme de toutes les parties créées numériquement qui le composent. C’est un être intelligent, rusé, et dont les antécédents avec notre héros, Kainan, justifient qu’il veuille exercer une revanche. Nous l’avons traité comme une vedette à part entière, comme un des premiers rôles. Le Moorwen est d’ailleurs l’élément le plus coûteux de l’ensemble de notre budget, mais il est fascinant à voir aussi bien sous la forme de concepts dessinés que sous la forme d’éléments en volume. » Sa queue, une griffe et plusieurs versions de la tête ont été sculptées, et ensuite, les équipes du studio Spin lui ont donné vie en images de synthèse. Le superviseur des effets visuels David Kuklish a été chargé de suivre la création du Moorwen grâce aux dernières techniques numériques. « Quand la post-production a été préparée, nous avions estimé le nombre de plans d’effets visuels à 450. » précise Kuklish. « En fin de compte, nous en avons réalisé plus de 600 parce que le Moorwen est une créature beaucoup plus complexe à représenter que la plupart des monstres. C’est un animal quadrupède qui possède une longue queue préhensible prolongée par des tentacules dont il se sert comme d’un outil. Cet élément à lui seul génère une seconde « couche » d’animation très fine, qui vient s’ajouter à l’animation de la tête et du corps. La grande originalité du monstre, c’est sa bioluminescence, qui est en fait un système complexe d’illumination des différentes parties de son corps plutôt que de simples sources de lumière très localisées. Nous avons conçu cela en nous inspirant des superbes formes de communication par bioluminescence qu’emploient les créatures des très grands fonds marins, plongés dans l’obscurité. Dans les abysses, on peut voir d’innombrables déclinaisons de ce phénomène : des milliers de formes de vie l’utilisent. Sur la planète des Moorwen, toutes les espèces communiquent grâce à la bioluminescence. C’est un élément que Howard tenait absolument à mettre en avant, ce qui a été fait dans les storyboards, puis affiné encore au moment du tournage de ces scènes, et enfin en post-production. Les spectateurs croiront peut-être qu’ils sont en train de voir des vers luisants quand ils assisteront aux première apparitions du Moorwen. Ce sont des détails toujours délicats à régler au départ. » A la conclusion du récit, afin de boucler la boucle élégamment, McCain et Blackman imaginent que l’affrontement entre Kainan, les guerriers Vikings et le Moorwen donne naissance aux prémices de la légende de Beowulf, celle-là même qui inspira les cinéastes il y a plus de douze ans ! Gageons que les spectateurs qui découvriront Outlander en DVD leur seront reconnaissants d’avoir été si persévérants, car cette aventure est une des meilleures surprises que l’on ait jamais pu avoir en visionnant une production sortie directement en vidéo ! Effets-speciaux.info vous recommande chaudement de partir à la découvert de cet univers.

[Retrouvez la première partie de notre dossier consacré à OUTLANDER - un événement en DVD et Blu-Ray]


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