[Flashback] AVATAR : Entretien exclusif avec Rick Carter, chef décorateur
Article Cinéma du Jeudi 15 Septembre 2022

Afin de célébrer la ressortie d'Avatar sur les écrans de cinéma mercredi prochain, à trois mois de l'arrivée de la très attendue suite réalisée par James Cameron, nous vous proposons de redécouvrir cet entretien que Rick Carter nous avait accordés en 2009...

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Né à Los Angeles, Rick Carter étudie à Berkeley à la fin des années soixante. Après avoir été assistant décorateur sur En route pour la gloire de Hal Ashby et Le Syndrome chinois de James Bridges, il entame une carrière qui sera toujours placée sous le signe du Fantastique et de la SF. Il devient directeur artistique sur Les Aventures de Buckaroo Banzaï de W. D. Richter et Les Goonies de Richard Donner, produit par Steven Spielberg. Carter avait déjà entamé son association avec Spielberg et le studio Amblin en créant les décors des 42 épisodes de la série Histoires fantastiques (Amazing stories), qui furent réalisés par Robert Zemeckis, Martin Scorsese, Clint Eastwood, Peter Hyams, et Spielberg lui-même. Par la suite, Rick Carter signera pour Spielberg les décors de Jurassic Park, Le Monde perdu,  Amistad (tous trois cités à l'Art Directors Guild Award), A.I. Intelligence Artificielle, La Guerre des mondes et Munich. Carter est aussi l’un des fidèles collaborateurs de Robert Zemeckis, pour lequel il a conçu les environnements de Retour vers le futur 2 et 3, La Mort vous va si bien, Forrest Gump, Apparences, Seul au monde et Le Pôle express. Avatar marque sa première collaboration avec James Cameron. Il s’est entretenu longuement avec ESI pour évoquer sa participation au plus grand succès du cinéma de Science Fiction de tous les temps.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment et quand le projet Avatar a t’il débuté pour vous, et combien de temps avez-vous travaillé en tout sur le film ?

J’ai commencé en juin 2005, et je crois que j’ai travaillé pendant un peu moins de deux ans.

Quelles indications James Cameron vous a t’il donné à propos du travail qui avait été fait auparavant par votre collègue Martin Laing ? Souhaitait-il garder certains concepts et designs précédents, ou vous a t’il proposé de repartir entièrement sur de nouvelles bases, et de lui présenter autant d’idées nouvelles que vous le souhaitiez ?

Au moment où je suis arrivé, Robert Stromberg travaillait encore sur le film. Nous sommes d’ailleurs crédités tous les deux en tant que décorateurs d’Avatar. Rob a conçu les effets visuels et l’aspect des environnements de la planète Pandora. Quand j’ai commencé à travailler sur le film, je me suis appuyé sur les illustrations que Rob avait réalisées, et j’ai collaboré directement avec lui sur cette partie du film, sur tous les paysages et les éléments naturels. Le reste, je l’ai conçu en reprenant tout depuis le début. En ce qui concerne le travail de Martin, je crois savoir, sans en être complètement sûr, qu’il est surtout intervenu sur la préparation de Battle Angel Alita, et beaucoup moins sur Avatar. Quand Jim a décidé de se lancer dans la réalisation d’Avatar plutôt que dans celle de Battle Angel,  Rob était déjà en train de travailler sur les jungles de Pandora, mais d’après ce que l’on m’a montré, très peu de choses avaient été faites sur les environnements plus traditionnels, comme la forteresse des humains. De même, il n’existait presque rien sur le laboratoire où sont situés les scanners à résonance magnétique, et les équipements où l’on établit le lien qui permet de transférer l’esprit d’un humain dans le corps d’un avatar Na’vi capable de respirer l’air de Pandora. Du coup, j’ai pu travailler sur des bases nouvelles sur tous les décors qui avaient un caractère scientifique. Comme Jim a exercé lui aussi le métier de directeur artistique, il avait beaucoup de choses à suggérer de son côté…

James Cameron avait-il dessiné lui-même quelques unes de ses idées de décors ? Vous arrivait-il de discuter en réalisant des esquisses tous les deux ?

Jim n’a pas dessiné des éléments de décors destinés aux scènes en prises de vues réelles. Il a préféré dessiner des personnages et des créatures. En ce qui concernait les décors, il était très ouvert à toutes les idées que nous pouvions lui proposer. J’ai assemblé un formidable groupe d’artistes pour travailler à mes côtés. Tout ces designers nous a aidés à créer des concepts de décors qui sont non seulement crédibles quand nous montrons des environnements scientifiques, mais qui expriment aussi la spiritualité du peuple Na’vi, dans les scènes où l’on découvre leur mode de vie. On pourrait dire que tous les décors du film, qu’ils représentent des lieux de haute technologie ou des habitats naturels, sont en fait des environnements qui sont des supports de vie. Et le thème que nous abordons ainsi, en arrière-plan du récit, c’est « Qu’est-ce qui nous permet de vivre ? » Réfléchir à ce problème permet de se rendre compte de tous les liens qui existent depuis toujours entre la planète, ses arbres et ses habitants. La cohérence de l’écosystème de Pandora est encore plus frappante à la nuit tombée, quand tout devient bioluminescent. C’est d’ailleurs quelque chose que Jim a pu voir de ses propres yeux dans la réalité, au fond de l’océan. Cette bioluminescence qu’il a pu observer, il l’a transposée dans le film sur les plantes, les animaux et les Na’vi pour souligner qu’ils sont tous unis au sein de la même entité vivante qu’est Pandora. Je crois qu’il veut nous inciter à réfléchir en utilisant un phénomène qui existe sur la terre pour décrire un monde extraterrestre dans lequel tout est intimement lié. C’est un des messages de ce film, qui est conçu comme une immersion totale dans un autre univers, grâce au récit, grâce à la manière dont les images sont tournées, et grâce à la 3-D Relief.

Quels sont les principaux environnements que vous avez créés ?

Il y a d’abord les environnements naturels de Pandora, c’est à dire les forêts humides, les montagnes flottantes, l’arbre de vie dans lequel habitent les Na’vis et le puits des âmes, bref tous les éléments naturels dont Rob avait déjà conçu l’aspect général. Ce travail était directement lié aux prises de vues tournées en capture de performance, car les Na’vis, ces décors et ces accessoires étaient générés en 3D temps réel grâce au procédé Simulcam. Quand nous avions travaillé sur Le Pôle Express, nous nous pouvions rien voir pendant l’enregistrement des captures de mouvements. Pour réaliser Avatar, Jim voulait être capable de diriger les acteurs sur le plateau, tout en cadrant les images 3D dans l’objectif de sa caméra. Le système lui permettait aussi de régler les sources d’éclairages virtuels, et de changer l’échelle des déplacements de sa caméra. Il lui suffisait de dire « Multipliez-moi par trois ! » pour passer de la taille d’un caméraman à celle d’une grue dans l’espace virtuel, ce qui lui permettait de faire des mouvements d’une amplitude trois fois plus importante. Il pouvait aussi dire « Multipliez-moi par 12 », et réaliser des vues qui semblaient être prises depuis un avion ou un hélicoptère. Voilà ce que nous avons fait pour les décors naturels qui étaient combinés avec les scènes tournées en capture de performance.

Les décors plus traditionnels, qui représentaient les décors scientifiques et militaires, ont été construits à Wellington, en Nouvelle-Zélande…

Oui. Il s’agissait de décors classiques, de grande taille, qui étaient complétés non seulement par des extensions digitales et des écrans verts, mais aussi par le procédé Simulcam, dont nous venons de parler. Le Simulcam a été particulièrement utile pour tourner les scènes où Jake se réveille dans le corps de son avatar. La scène a été tournée simultanément sur deux plateaux : celui avec le décor réel et celui sur lequel se trouvait Sam et l’autre acteur jouant un avatar Na’vi. Et Jim pouvait voir en temps réel le mélange des deux sources images, la prise de vue réelle et les personnages générés en 3D.

Il y a deux atmosphères très distinctes dans le film : celle qui entoure les humains, et celle du monde des Na’vis…

Oui, c’est un peu comme les deux hémisphères du cerveau. L’hémisphère gauche, comme les humains, est celui qui est le plus agressif, qui veut tout ordonner, tout changer et tout manipuler, tandis que le droit, comme les Na’vis, est plus tolérant, plus en phase avec son environnement. On pourrait presque dire que l’un est plus masculin, et l’autre plus féminin.

Quelles ont été vos sources d’inspiration pour créer les décors du vaisseau mère qui reste en stationnement orbital au-dessus de Pandora, et pour concevoir les navettes qui s’en détachent pour se poser sur la planète ?

Nous nous sommes directement inspirés des équipements des plateformes de forages pétroliers, installées au beau milieu de l’océan. Ce sont des supports de vie totalement autonomes, qui sont construits dans des environnements extrêmement hostiles. Nous avons visité une de ces plateformes, qui est située à 12 kilomètres au large du golfe de Mexico. C’est l’une des plus modernes en fonctionnement. Nous nous sommes rendu compte que tous les éléments qui la composent sont préfabriqués, afin d’être assemblés rapidement lorsque ces pièces sont acheminées sur le site. C’est très intéressant de voir comment chaque partie, chaque accessoire des quartiers d’habitation est conçue pour être très simple et parfaitement efficace. Ce que ce voyage nous a permis de remarquer, c’est que l’on peut voir l’architecture globale de la plateforme se répercuter dans les structures de chacun des éléments qui la composent. De même, toutes les canalisations, les tuyaux d’aération, les fils électriques et les connexions téléphoniques et informatiques ne sont pas cachés. Ils sont clairement apparents. Dans un environnement normal, sur la terre ferme, on dissimule tout cela dans des cloisons. Nous avons donc adapté ce que nous avons vu sur cette plateforme dans les environnements de Hell’s gate. L’idée est à la fois que tout ce qui a été apporté là est vital, solide, et conçu pour durer, et aussi que tout est apparent pour faciliter la maintenance, comme sur un de ces écorchés d’anatomie où l’on voit les os, les muscles et les veines.

Quelles sont les machines et les appareils que vous avez dû concevoir pour les scènes où l’on montre comment l’esprit de Jake est transféré dans son avatar Na’vi ? James Cameron vous a t’il donné des instructions spécifiques sur ces appareils ?

Ces appareils font partie de ce que l’on appelle l’unité de « Lien ». Ce sont des machines qui ressemblent à des scanners à résonance magnétique, que l’on utilise pour examiner le cerveau de la personne, et pour repérer et mesurer toutes les activités qui ont lieu dans les différentes parties des deux lobes. Nous avons créé des écrans qui montrent cela dans ces scènes. Pour être honnête, les détails de la procédure de transfert de l’esprit de Jake dans son avatar ne sont pas décrits de manière spécifique dans le film. Jim s’est basé sur les recherches actuelles qui permettent de commander certaines actions d’une machine simplement par la pensée, en réalisant des mesures très précises de l’activité de certaines parties du cerveau. Il a imaginé ce que ces techniques pourraient donner dans 125 ans, puisque c’est l’époque à laquelle se déroule Avatar. Je ne sais pas si vous le savez, mais le mot avatar vient du nom d’un dieu hindou qui venait se promener sur terre sous la forme d’un humain. Dans le film, les humains se retrouvent dans la position de dieux qui peuvent eux aussi prendre possession d’un corps, et l’animer, et ressentir tout ce qu’il ressent. Dans le script, Jim ne rentre pas dans les détails technique, il se contente d’indiquer de quelles parties du cerveau on se sert pour animer un avatar quand l’esprit d’un humain est projeté dans cette enveloppe de chair.

Dans le film, on n’explique pas pourquoi la procédure de « transfert d’esprit » ne peut fonctionner qu’avec la personne dont l’ADN a été utilisé pour fabriquer l’hybride Na’vi/humain qu’elle va « piloter »…

Non, en effet. Je crois que ce que Jim voulait suggérer, c’est que l’ADN de la personne qui est présent dans l’avatar agit comme une sorte de « mot de passe » ou de code secret qui permet d’activer cet avatar-là et pas un autre. On peut l’interpréter à la fois comme une mesure de sécurité, et comme un des éléments qui rend le « lien » possible.

J’ai remarqué que l’avatar de Jake avait 5 doigts tandis que les véritables Na’vis, natifs de Pandora, en avaient seulement 4…

C’est parce que l’avatar de Jake est en partie humain et en partie Na’vi , parce que c’est un hybride. D’ailleurs, si vous observez les visages des avatars, on reconnaît clairement les traits des acteurs qui les incarnent, tandis que les Na’vis natifs de Pandora n’ont pas de ressemblance directe avec les acteurs qui jouent ces rôles. Le design des natifs de Pandora est un peu différent, justement pour refléter ce fait.

Il y a un rapport assez étonnant entre cet aspect de l’histoire et la technique qui a permis de créer le film. Dans la fiction comme dans la réalité, on crée des avatars !

Oui, c’est un des aspects du film que je trouve le plus frappant, en tant que designer. Ce lien évident entre le fond et la forme, entre le message du film et les techniques qui ont été développées pour qu’il existe. Si je prends l’exemple de Jurassic Park, sur lequel j’avais également travaillé, c’était là aussi une innovation marquante,  la première fois que l’on créait des animaux hyperréalistes en images de synthèse. Comme dans le film, où l’on clone des dinosaures sans en mesurer toutes les conséquences, en franchissant cette étape des techniques numériques, on a ouvert une nouvelle porte sans savoir où elle allait nous mener. Aujourd’hui, en soulevant le couvercle de cette boîte de Pandore, à laquelle le nom de la planète fait allusion, qui sait où ces techniques vont nous entraîner ? Comment va t’on s’en servir ? Et que fera t’on le jour où l’on sera incapable de faire la différence entre un personnage humain 3D animé en capture de performance et les prises de vues réelles d’un acteur, ou d’un anonyme filmé dans la rue ?  Pourra t’on encore croire à l’authenticité des images que l’on nous montrera pendant le journal télévisé ? Ou des images ramenées des champs de bataille ? Pour revenir à Avatar, ce qui sera frappant pour les spectateurs, c’est qu’à la fin de l’histoire, ils ressentiront plus d’empathie envers les créatures digitales du film qu’envers les acteurs de chair et d’os qui incarnent les troupes terriennes. C’est assez fascinant si l’on y songe. Les spectateurs vont « changer de camp » en quelque sorte…

C’était déjà frappant dans le plan de la première bande-annonce, quand on voyait l’avatar de Jake dire « It’s great ! ». On ressentait immédiatement de la sympathie pour le personnage, qui semblait vivant.

L’histoire est un support parfait pour que les spectateurs éprouvent cela. Et ces émotions atteignent un point culminant quand l’histoire d’amour entre Jake et Neytiri se développe. Le spectateur sait consciemment que ce qu’il voit sur l’écran, ce sont deux personnages qui n’existent pas, des images de synthèse animées, mais émotionnellement, il croit qu’ils existent. Pour moi, en tant que designer, c’est une étape incroyable. Le médium du cinéma aujourd’hui, est capable de créer tout, des personnages aux décors, et de vous convaincre de leur réalité…

Dans quel état le corps de Jake se trouve t’il quand son esprit est transféré dans son avatar ? Est-il dans un sommeil profond, dans une sorte de coma ?

Cela ressemble plus à la phase du sommeil que l’on appelle « phase Alpha », c’est à dire un état de relaxation intense, mais qui lui permet de conserver tous ses moyens intellectuels, et de pouvoir agir et réfléchir normalement. Il n’est pas coupé du monde, comme s’il était plongé dans un coma. Mais disons que la conscience de Jake perçoit davantage ce que ressent le corps de l’avatar que les sensations qui proviennent de son propre corps. C’est d’autant plus frappant pour lui qu’il n’a plus épourvé de sensations dans ce jambes depuis qu’il est hémiplégique.

Découvrez à présent la suite de cet entretien !


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