Dossier AVATAR - Exclusif : Entretien avec Jon Landau, producteur
Article Cinéma du Lundi 22 Fevrier 2010

Retrouvez tous nos dossiers consacrés à Avatar !


Né en 1960 à New York, Jon Landau a d’abord exercé la profession de directeur de production, avant de devenir co-producteur de deux films Disney , Chérie, j’ai rétréci les gosses (Joe Johnson – 1989) et Dick Tracy (Warren Beatty – 1990). Il intègre ensuite la direction de la Fox, où il s’occupe de nombreux films, dont True Lies (1994) de James Cameron, avec lequel il s’entend si bien qu’il rejoint sa société de production Lightstorm Entertainment.  Ils produisent ensemble Titanic (1997), le plus grand succès de tous les temps (Jusqu’à Avatar !) , Solaris (Steven Soderbergh – 2002) et développent ensuite Battle Angel Alita (qui est toujours en phase préparatoire), puis Avatar. Chaleureux et volubile, Jon Landau a accordé un très long entretien à ESI pour évoquer en détail les origines du projet le plus ambitieux jamais entrepris par son ami et partenaire James Cameron…

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Avatar est un film tellement hors normes que j’ai énormément de questions à vous poser…

Je m’en doute ! Vous savez, pour nous aussi, ce projet a été hors normes. Nous avons constamment essayé des choses, improvisé, trouvé des solutions qui nous ont surpris nous-mêmes… Même si vous utilisez des technologies extrêmement sophistiquées, il est quelquefois bon de revenir aux choses les plus simples pour atteindre le but que vous vous êtes fixé. Il est essentiel de garder en tête les techniques élémentaires du cinéma, le savoir-faire basique, pour réussir un plan. Souvent, plutôt que de concevoir quelque chose en 3D avec les logiciels dont nous disposions, il était plus simple et plus efficace de demander à l’un de nos artistes de le dessiner à la main ! Je comprends donc parfaitement que vous soyez intrigué par la manière dont nous avons procédé pour réaliser le film.

Avant de parler en détail d’Avatar, j’aimerais revenir une quinzaine d’années en arrière. Vous avez collaboré avec James Cameron sur Titanic, qui comme Avatar, a été très difficile à produire et à réaliser. Quels sont les moments de plus grande tension et les meilleurs souvenirs que vous gardez en mémoire lorsque vous songez à Titanic ?

Je crois que la période la plus intense du tournage a été le milieu de la production. Je vais vous raconter une histoire pour vous expliquer ce qui s’est passé. Comme vous le savez sans doute, nous avons construit un studio sur la côté mexicaine, à Baja, pour tourner Titanic. Je n’arrivais pas à faire en sorte que Jim trouve le temps de venir voir le terrain que nous avions trouvé. Je me souviens avoir dessiné sur une serviette en papier le schéma du studio que nous allions construire ! Nous avons effectué toutes les recherches que nous pensions devoir faire sur le site : de quelle direction venait le vent, quelle était l’orientation par rapport au soleil aux différents moments de la journée, les moyennes des températures extérieures tout au long de l’années, les routes et les aéroports les plus proches, etc. Ensuite, nous avons lancé la construction du studio. Quand tout a été prêt, et que les décors ont été construits, nous sommes arrivés sur place. Cela se passait au mois d’octobre. Nous avons tourné les scènes de naufrage qui se déroulent pendant la nuit, dans le bassin qui avait été construit au studio, au bord de la mer. Et à ce moment-là, nous avons vu une énorme nappe de brouillard arriver et tout envahir ! On ne pouvait plus rien voir, et il a fallu cesser de filmer. Nous avons parlé aux gens du coin, et ils nous ont dit « Oh, le brouillard arrive ici chaque année en octobre, et ça dure quatre mois ! » Nous nous sommes regardés les uns les autres, et tout ce que nous avons pu dire, c’est « Oh mon dieu !… ». Nous avions simplement oublié de vérifier s’il y avait du brouillard !

Vous avez dû connaître un moment de panique terrible ! Le sort du film était en jeu !

Oui, c’était un horrible cauchemar ! Heureusement,  nous n’avons été retardés que par quelques nuits de brouillard, mais le reste du temps, le ciel était dégagé. Mais je dois dire que je garderai toujours un souvenir atroce du moment où ces personnes m’ont dit que le brouillard allait stagner là pendant quatre mois. C’était épouvantable ! (rires) En ce qui concerne les bons souvenirs, l’un des moments les plus agréables n’a pas forcément été le succès que nous avons eu en remportant autant d’Oscars, comme les gens ont tendance à l’imaginer. La nuit des Oscars a été le point culminant de notre travail, dans le registre professionnel. Mais à un niveau personnel et émotionnel, nous avons véritablement pris conscience de l’impact que Titanic avait eu quand nous nous sommes rendus en Angleterre, à l’occasion de la première du film. C’était la première fois que nous pouvions montrer le film terminé au public. Si l’on fait des films, c’est justement pour arriver à ce moment-là, le moment où on peut enfin les montrer au public. On ne fait pas des films pour soi-même, mais pour les autres. Ça a d’ailleurs été notre motivation aussi quand nous avons organisé la « journée Avatar » dans le monde entier, afin de partager enfin des images du film avec le public, après quatre ans de travail sur ce projet. Jim ne fait des films que pour cette seule et unique raison : pour divertir les gens qui sont assis dans leurs sièges, dans les salles de cinéma. Et ce jour-là, nous avons tous eu le merveilleux sentiment d’être récompensés de nos efforts en voyant les réactions enthousiastes du public.

Je ne sais pas si vous le savez, mais à Belfast, où le Titanic a été construit, on vend des tee-shirts avec le dessin du paquebot, sur lesquels on peut lire « Il était en parfait état quand il est parti d’ici ».

 (rires) C’est très drôle ! Il faudrait absolument que j’en trouve un ! Et que j’en fasse faire un autre avec l’affiche du film, sur lequel on inscrirait « Le film était en parfait état quand il est enfin sorti dans les salles ! » (rires)

A quel point l’attitude des dirigeants des studios a-t’elle changé quand Titanic a cessé d’être une production ambitieuse au budget amplement dépassé pour devenir le plus grand succès de tous les temps au boxoffice mondial ?

Vous savez, je crois que pendant toute la production de Titanic, les dirigeants du studio comme Peter Churnan n’ont jamais perdu de vue le but final, c’est à dire l’aboutissement du film. Je n’ai jamais vu personne se sentir aussi responsable du budget d’un film que ne l’est James Cameron. Mais Jim sait aussi que la responsabilité financière ultime qui lui incombe, c’est que le film plaise au public et soit de ce fait un succès financier. Il y a bien sûr des choses que nous avons dû changer en cours de route, à cause des dépassements de budget. Jim accepte de faire des compromis pour réaliser des économies pendant la production d’un film, mais seulement si ces changements ne se font pas au détriment de la qualité du film. Le studio a souvent fait des suggestions au sujet du film, et Jim les écoutait attentivement. A chaque fois qu’il estimait que ces suggestions étaient valides et ne compromettraient pas la qualité du film,  il en tenait compte. Chaque personne tient un rôle différent pendant la production d’un film, et chacun interagit avec les autres pour aller dans le bon sens. J’ai eu l’occasion de connaître ainsi Jim, quand j’ai travaillé avec lui sur True Lies. Mais à cette époque, les choses étaient différentes, car j’étais assis de l’autre côté de la table, parmi les dirigeants de la Fox. J’avais alors la charge de suivre la production de True Lies. Notre relation a été suffisamment solide et satisfaisante pour durer pendant et après la production de Titanic,  et nos relations avec la Fox assez bonnes pour que nous continuions à travailler jusqu’à aujourd’hui !

Après le triomphe de Titanic en 1997, j’ai eu le plaisir de visiter les locaux de Digital Domain, et j’avais eu l’occasion de parler avec le représentant du studio des premiers tests 3D d’Avatar qui étaient réalisés à ce moment-là. Etiez-vous déjà impliqué dans le projet à cette époque ?

J’ai été impliqué dans le projet Avatar pratiquement dès le début, d’une manière ou d’une autre. Nous savions cependant, depuis ce moment-là jusqu’au jour où la production du film a vraiment débuté, que les outils dont nous avions besoin pour raconter cette histoire comme elle le méritait n’existaient pas encore. L’un des aspects les plus excitants du film a été la création d’un nouveau monde, celui de la planète Pandora. C’est quelque chose que l’on n’a plus fait depuis longtemps au cinéma. Mais ce n’était pas la conception artistique extrêmement détaillée de cet univers qui était la plus compliquée à réaliser : le vrai défi, c’était de placer au centre de cet environnement des personnages extraterrestres qui soient attachants et passionnants, et dont le public puisse ressentir les émotions. Et c’est pour atteindre ce but-là que nous avons dû attendre le bon moment pour lancer la production du film.

Pouvez-vous nous parler de la genèse du projet et nous dire en quoi consistaient ces premiers tests ? Et nous préciser aussi à quel moment vous avez commencé à travailler concrètement sur Avatar ?

Tout a commencé quand Jim a écrit ce qu’il appelle un « scriptment ». il ne s’agit pas d’un script complètement développé. Cela ressemblait plutôt à une nouvelle, dans laquelle certaines scènes étaient dialoguées. Je crois me souvenir que cette version comptait 102 pages. C’était un mélange de descriptions et de dialogues, mais je me souviens que cela permettait de comprendre parfaitement ce que Jim avait dans la tête, et quelle était sa vision du projet. Peu après, Jim est allé voir l’équipe de Digital Domain et lui a dit : « Allez, attelons-nous à ce projet ! » Et pour résumer les choses, les gens de Digital Domain ont lu ce qui Jim avait écrit et lui ont dit qu’il était complètement cinglé de vouloir faire un tel film ! Ils n’avaient pas encore les moyens techniques de réaliser des personnages hyperréalistes en 3D. Ils ont malgré tout réalisé des tests préliminaires, juste pour voir ce que cela pourrait donner. Je dois dire qu’ils ont fait beaucoup d’efforts pour aller dans une direction intéressante, mais technologiquement, ce n’était pas encore la bonne époque pour que le projet puisse aboutir. La technologie 3D n’était pas encore assez performante.

Aviez-vous essayé d’utiliser de la capture de mouvements, déjà à cette époque ?

Nous n’appelions pas encore cela de la capture de mouvements. Même à cette époque, l’idée était déjà de partir de la performance des acteurs pour animer les personnages 3D. Mais il a fallu que nous nous rendions à l’évidence en voyant ces premiers tests : avec les techniques 3D de la fin des années 90, il n’était pas possible d’obtenir des personnages réalistes qui paraissent vraiment vivants, et qui soient capables d’émouvoir les spectateurs. Il fallait bien en tirer les conséquences et renoncer à le faire aboutir à ce moment-là. Mais après cela, nous avons gardé le projet en tête pendant longtemps. Je me souviens même que nous avions déjeuné, Jim et moi, en compagnie du PDG de la Fox, Tom Rothman et du vice-président Jim Gianopulos, et que Jim leur avait dit à cette occasion « Vous savez, un jour, j’aimerais faire aboutir Avatar ». Ce déjeuner a eu lieu en 1998, et je me souviens que Tom Rothman et Jim Gianopulos lui avaient dit « Tu pourras compter sur nous quand le moment sera venu. » Et ils ont tenu parole en 2005. Nous étions alors sur le point de nous lancer sur le projet Battle Angel Alita, et je crois bien que c’est moi l’imbécile qui a dit à James « Eh Jim, on pourrait peut-être pousser les choses un peu plus loin, et revenir à Avatar? » (rires) Nous avons étudié cela en compagnie de beaucoup de gens très talentueux, et nous nous sommes rendu compte à ce moment-là que nous pouvions effectivement envisager de relancer Avatar.

James Cameron a-t’il envisagé ne serait-ce qu’un moment de créer les Na’vi en employant des effets spéciaux de maquillage, en tant que « plan B », quand les techniques 3D n’étaient pas encore au point ?  Aviez-vous parlé de cette option avec Stan Winston ?

Non, nous n’avons jamais envisagé cette option. Tout simplement parce que le design des créatures que Jim avait en tête depuis toujours est trop différent de ce que l’on pourrait obtenir avec des prothèses. Comme vous l’avez vu, les Na’vi sont très grands et très minces, et leurs proportions très différentes de celles d’un être humain. Quand on applique des prothèses sur un acteur, on ajoute des volumes. On procède par addition, mais on ne peut pas retirer quoi que ce soit. On ne peut pas rendre les yeux ou la bouche plus grands avec des prothèses. Mais nous avons tout de même travaillé avec Stan Winston, et c’est son équipe qui nous a aidé à établir les designs des personnages. On retrouve donc leur talent et leur savoir-faire unique dans le film. Mais l’option prothèses ou effets animatroniques n’a jamais été envisagée pour les Na’vi. C’était aussi très important pour Jim, puisque nous faisions le pari de créer ces personnages en 3D, afin de préserver la performance des acteurs. Pourquoi employer des acteurs formidables si l’on n’utilise pas pleinement l’expression de leur art. Telle que nous l’avons envisagé, l’emploi des images de synthèse est vraiment la transposition des techniques de prothèses grâce à la technologie de capture de performance du 21ème siècle. Les comédiens n’ont plus besoin de s’asseoir dans un fauteuil pendant quatre heures pour incarner un personnage fantastique. Ils peuvent être métamorphosés radicalement en 3D, sans que cela ne contraigne leurs performances d’acteurs. Et d’ailleurs, quant ils voient le résultat, ils sont frappés de reconnaître leurs mimiques, leurs manières de parler et de bouger. Je me souviens que quand nous avons montré à Sam Worthington la scène où Jake se réveille, une fois son esprit transféré dans le corps de l’avatar, Sam s’est mis à pouffer tant il était surpris. Il nous a dit : « C’est incroyable, parce que c’est moi, tout en n’étant pas moi ! Mais c’est moi quand même ! Les lèvres, les yeux, c’est complètement moi !!» La réaction qu’il a eue a été formidable.

Quand j’ai vu le plan de la bande-annonce où Jake, dont l’esprit est transféré dans le corps de son avatar Na’vi, dit « That’s great ! », j’ai été sidéré par la qualité et le naturel de cette animation, et immédiatement convaincu que la réussite du film était assurée. C’était une évidence…

Merci. Je suis ravi que vous ayez pensé cela.

Découvrez à présent la suite de cet entretien


Retrouvez tous nos dossiers consacrés à Avatar !


[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.