Exclusif : Dans les coulisses du Choc des Titans - Troisième partie
Article Cinéma du Jeudi 25 Fevrier 2010

Retrouvez la première partie de ce dossier


Dans cette troisième partie de notre visite exclusive du tournage du Choc des Titans, nous allons rencontrer les artisans talentueux qui créent les accessoires spéciaux et les armes de cette grande aventure épique, réalisée par Louis Leterrier.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

C’est en juin 2009 que nous nous sommes rendus dans les studios anglais de Shepperton et Leavesden pour assister au tournage du Choc des Titans, l’un des films les plus attendus de 2010, qui annonce le retour des aventures mythologiques sur le grand écran. Dans la première partie du récit de notre visite, nous nous sommes entretenus avec les producteur Kevin De La Noy et Basil Iwanyk. Aujourd’hui, nous allons à la découverte des différents ateliers des studios Leavesden où sont créés les éléments du monde des Titans. La première étape de cette visite nous conduit jusqu’à l’énorme entrepôt du département des accessoires, où nous rencontrons le décorateur ensemblier Jamie Wilkinson, qui règne sur un stock de milliers d’objets. Autour de nous se trouvent des tentes, des boucliers, des chars grecs et des urnes remplies de fausses pièces d’or…



Entretien avec Jamie Wilkinson, décorateur ensemblier

Que préparez-vous pour ce film ?

Beaucoup de choses. Nous allons fabriquer une centaine de cabanes que l’on verra à l’arrière plan d’une scène qui se déroule dans un quartier misérable, une sorte de « bidonville de l’antiquité », si vous voulez. Cela représentera la partie basse de la cité d’Argos que dirige le roi Acrisius, l’endroit où les pauvres se réfugient. Nous allons installer ce décor sur l’un des terrains extérieurs des studios de Leavesden. Les éléments en métal corrodé que vous voyez autour de nous vont servir à décorer la barque de Charon, le passeur de la rivière Styx, que l’on verra quand Persée et ses hommes se rendront dans les enfers. Nous avons également créé des ornements pour les chameaux des Djiins. Dans le film, les Djiins sont des gens du désert, un peuple nomade mystérieux, dont on sait peu de choses. Nous avons donc essayé de donner un aspect particulier à leurs accessoires, pour suggérer qu’ils les ont trouvés en se rendant sur différents continents. Ce grand bâton de marche est destiné au Cheik Suleiman, qui est le chef de cette tribu. Ils utilisent aussi des lances et diverses armes.

Les Djiins sont de toute évidence des personnages surnaturels…

Oui. Ils étaient humains à l’origine, mais après avoir été gravement blessés au cours d’innombrables batailles, ils ont eu recours à la magie pour  « réparer » leurs corps avec des morceaux de bois. Quand l’histoire du Choc des titans débute, ils sont arrivés à un stade avancé de leur métamorphose, et sont presque entièrement constitués de bois. A les voir, on a l’impression qu’ils existent depuis des millénaires. Certains d’entre eux sont encore faits de chair, mais leur chef est entièrement transformé en un être de bois. Ils ont la réputation d’être une tribu maléfique, mais nous allons découvrir au cours de l’histoire que ce n’est qu’un aspect de la rumeur qui les entoure. En réalité, ils valent bien mieux que cela.

Ces personnages vont-ils être créés en 3D ?

Non. Ils sont incarnés par des acteurs. Le responsable des effets spéciaux de maquillage, Conor O’Sullivan, a créé des prothèses très sophistiquées pour ces personnages des Djiins, ainsi que pour Calibos et les sorcières Stygiennes. Le Cheik Suleiman , le chef des Djiins, est incarné par Ian White, qui mesure 2 mètres 13. Croyez-moi, quand Ian porte son maquillage intégral sur le visage et sur le corps, et arrive revêtu de son costume et de son turban, vous vous figez net et vous restez bouche bée en le voyant. Son aspect est très impressionnant. Le Cheik Suleiman ne se déplace jamais sans son « entourage » de Djiins. Mais il décide de se joindre au groupe de Persée et de ses hommes, et de les accompagner jusqu’au bout de leur voyage. Et c’est d’ailleurs au cours de cette scène qu’il les aide à prendre le contrôle des scorpions géants.

Est-ce que la production a engagé des acteurs qui avaient l’habitude de porter des prothèses pour jouer les rôles des Djiins ?

Oui, ce sont en effet des acteurs qui portent souvent des maquillages et des costumes spéciaux. Certains d’entre eux ont joué les rôles des personnages de Teletubbies, la célèbre émission anglaise pour les petits enfants. Les sorcières stygiennes, par exemple, sont incarnées par trois hommes, parce qu’ils possèdent l’expérience et la force physique nécessaire pour porter ces costumes très élaborés et ces prothèses. D’ailleurs l’œil géant qui se trouve sur cette table à côté de nous est justement celui des sorcières. C’est lui qui leur permet de voir. (Jaimie Wilkinson nous montre deux versions similaires de l’œil surdimentionné, qui a le volume d’une grosse orange). Dans la première version du film, il s’agissait juste d’une boule de cristal, tandis que dans celle-ci, l’œil est organique, comme vous pouvez vous en rendre compte. Bien entendu, quand nous le filmons, nous le recouvrons de vaseline et de méthylcellulose, afin de lui donner un aspect luisant et dégoulinant assez repoussant. Comme vous pouvez le voir, l’un des deux est souple et réalisé en silicone tandis que l’autre, qui est beaucoup plus détaillé, est moulé en résine époxy.

L’œil souple joue le rôle de « doublure cascade » ?

Exactement. Il est incassable et d’ailleurs, on le jette assez souvent au cours d’une scène en particulier. Nous avons filmé celui en résine sur fond vert, pour pouvoir le substituer à l’œil en silicone dans certains plans, si c’était nécessaire. Celui en résine supporte les gros plans, ce qui n’est pas le cas de l’autre. Un peu plus loin, vous pouvez voir les faux poissons que nous avons fabriqués pour une scène où l’on voit Persée les attraper. Il a fallu fabriquer ces poissons factices parce que la scène était tournée en décors extérieurs, au soleil, et vous pouvez imaginez sans peine à quelle vitesse de vrais poissons auraient commencé à se décomposer dans un tel environnement. Un peu plus loin, vous pouvez voir le cercueil de Danaé. C’est enfermée la-dedans qu’on la jette à la mer. Le cercueil a été conçu et dessiné par le département artistique et fait lui aussi en deux versions. Il y a une version simplifiée en résine et fibres de verre, qui est filmée de loin, tandis que des acteurs portent le cercueil et le hissent à bord d’un bateau, et le cercueil principal, qui est très richement détaillé et peint.

Est-ce que ce bébé qu’on aperçoit dans ce couffin est le jeune Persée ?  Il est très réaliste…

Oui, il s’agit bien de Persée. Nous avons décidé de le commander sur un site spécialisé dans la création de bébés hyperréalistes, mais quand il est arrivé, nous avons eu la surprise de voir qu’ils s’étaient trompés et qu’ils nous avaient envoyé une fille ! Il a donc fallu que nous procédions à certaines modifications pour que ce soit crédible ! Je ne crois pas qu’on verra le bébé tout nu dans le film, mais je ne pouvais pas laisser les choses ainsi ! (rires)

Avez-vous réutilisé des accessoires venant d’autres films ?

Oui. Nous avons eu la possibilité de récupérer des accessoires d’une autre production de la Warner, Troie, qui avaient été stockés dans des containers à Londres, et que l’on nous a fait parvenir. Le chariot que vous voyez ici est le chariot du héros de Troie. Nous avons également recyclé des peaux de cuir de ce film. Mais je dois préciser que chacun des accessoires que nous avons récupérés a été modifié par notre équipe pour correspondre précisément aux besoins du Choc des titans et au style visuel déterminé par le chef décorateur Martin Laing. Nous réutilisons et modifions ainsi des uniformes de soldats, des boucliers, des lances, des épées. Mais les boucliers ont été repeints et ornés de nouveaux motifs. Nous avons aussi fabriqué de nouvelles épées en caoutchouc pour les acteurs qui jouent les soldats pendant les scènes de combat.

La qualité des détails du cercueil de Danaé est étonnante. Cela laisse songeur de voir la quantité de travail que vous avez investi dans cet accessoire, que l’on ne verra probablement que quelques secondes à l’image…

C’est vrai, mais même s’il disparaît en un clin d’œil, quand vous verrez le film, vous aurez malgré tout le temps de vous rendre compte que c’est un cercueil très richement ornementé. Un objet fabriqué avec grand soin. Cela prouve que même si le roi Acrisius a ordonné que Danae soit punie parce qu’elle l’a trompé, et jetée à la mer, il a toujours du respect pour elle et la traite selon son rang. En l’occurrence, je trouve que c’est un détail assez poignant, et je crois que le public le verra et le remarquera. C’est notre travail de nous assurer que nos accessoires jouent leur rôle et contribuent ainsi à la narration de l’histoire.



Nous quittons Jaimie Wilkinson pour nous rendre dans l’atelier mitoyen, qui est rempli d’épées de toutes sortes, de boucliers et de lances. Il s’agit de l’antre de Nick Komornicky, le maître du département des armes. Heureusement pour nous, il est apparemment de bonne humeur et nous accueille avec un grand sourire…

Entretien avec Nick Komornicky, concepteur d’armes

Comment avez-vous entamé votre carrière de concepteur d’armes de cinéma ?

Pour vous raconter brièvement une longue histoire, disons que j’ai demandé à un de mes amis qui créait des effets spéciaux s’il avait du travail à me confier. Il m’a dit « Non, je n’ai rien pour toi, mais tu peux appeler de ma part un copain qui fabrique de grandes épées pour un film. » J’ai rencontré ce monsieur, qui m’a aussitôt proposé de fabriquer des boucliers pendant deux semaines. Le film en question était Gladiator, et douze ans plus tard, je fabrique toujours des armes avec autant de plaisir !

Pourriez-vous nous décrire le travail que vous effectuez sur Le choc des titans ?

Bien sûr. Je considère que j’ai le meilleur job du film ! On me laisse faire ce que tout le monde aime, c’est à dire jouer avec des épées, des boucliers et des lances toute la journée ! (rires) Au début de ce projet, nous avons reçu un script et quelques dessins conceptuels d’armes, puis nous avons poussé le design de ces armes et nous les avons fabriquées. Nous avons eu quelques idées nouvelles que nous avons montrées au réalisateur, Louis Leterrier, et quand il les a approuvées, nous sommes partis de cette base pour produire ce que vous verrez dans le film. Je crois que nous avons fabriqué entre 15 et 16 000 armes pour Le Choc des Titans. Etant donné qu’il s’agit d’une production Warner, nous avons eu la possibilité de récupérer des éléments qui avaient été utilisés dans des productions précédentes, comme Troie, mais en fin de compte, ils ne représentent que 10% des armes que vous verrez.

Quel travail préparatoire avez-vous entrepris avant de créer les armes du film ?

Nous avons fait beaucoup de recherches pour nous familiariser avec les armes de cette époque. C’est ainsi que nous avons appris que les épées de l’antiquité grecque étaient beaucoup plus courtes que celles des siècles suivants, en raison de leur poids. Une épée grecque mesurait en moyenne une quarantaine de centimètres. Nous avons d’abord réalisé quelques épées de ce format,  mais comme elles semblaient vraiment trop courtes à l’image, lors des premiers tests, nous avons dû en fabriquer d’autres, et les allonger davantage. Mais le problème, quand on les moule en laiton, comme l’épée de Persée qui se trouve ici, c’est que leur poids est tel qu’elles sont très difficiles à manier. Tenez, soupesez-là ! (Nick Komornicky nous tend l’épée de Persée, et nous manquons de la laisser tomber, surpris par sa lourdeur. Elle doit peser entre 10 et 15 kg ! Effectivement, on imagine mal un acteur batailler avec une telle arme…) C’est horriblement lourd, n’est-ce pas ? Bien sûr, c’est toujours utile de disposer de vraies épées en métal, ne serait-ce que pour permettre aux acteurs de savoir quel est leur vrai poids. Cela leur permet de s’en souvenir, et de ne pas agiter trop vite leurs copies d’épées en caoutchouc, quant ils s’en servent dans les scènes de combat !

L’arme qui se trouve à côté de vous ressemble à une machette géante…A quel personnage est-elle destinée ?

On ne s’en sert pas énormément dans le film. Elle fait partie de l’attirail des frères turcs, deux gars que Persée et ses hommes rencontrent pendant leur voyage. (L’un des deux frères est interprété par Mouloud Achour, l’un des chroniqueurs de l’émission de Michel Denisot Le grand journal, diffusée tous les soirs de la semaine sur Canal Plus. NDLR). Les deux turcs lui disent « Nous allons venir avec toi, car nous sommes de vaillants guerriers. Nous sommes prêts à nous battre contre n’importe qui ! » Comme ce sont des personnages hauts en couleurs et plutôt amusants, nous avons conçu des armes particulières pour eux. Non pas ridicules, mais étranges, et « exagérées ». C’est la raison pour laquelle l’un des frères manie la hache géante tandis que l’autre se bat avec cette grande chose qui ressemble à un marteau. Ils utilisent ces armes lorsqu’ils doivent affronter les scorpions géants.

Puisque nous parlons des scorpions, d’où vient ce bouclier ? Est-il sensé être fait à partir d’un morceau de scorpion géant ?

Il s’agit du bouclier principal du film, celui que Persée utilise. Il s’en sert pour combattre Medusa, la gorgone. Comme vous l’avez deviné, il est bien fait à partir d’un morceau de la carapace d’un scorpion géant, et l’intérieur est recouvert d’une surface d’aluminium poli, qui reflète bien la lumière, mais qui ne reflète pas ce qui l’entoure comme le ferait un miroir. C’est donc l’équipe des effets visuels qui va se charger d’ajouter les reflets à l’intérieur du bouclier, au moment propice, quand Persée l’utilisera pour voir tout en se protégeant des effets du regard pétrifiant de Medusa. (Nick Komornicky se penche derrière un établi et attrape un arc extraordinaire, sculpté pour ressembler au corps d’un cobra géant.) Et ceci, comme vous l’avez certainement deviné, est l’arc de la gorgone !

Son design est magnifique ! Quel superbe travail !

Merci ! Cet exemplaire de l’arc est en fait une version prototype, mais elle est très proche de celle qui a été utilisée. Nous avons sculpté une tête de cobra, et l’avons placée en haut de l’arc. Le ventre du serpent constitue la partie centrale, et comme vous pouvez le voir, nous avons créé des textures d’écailles à l’arrière. L’arc a été scanné en 3D par l’équipe des effets visuels, et quand vous le découvrirez dans le film, il sera « vivant ». Nous avons aussi fabriqué des flèches spiralées très longues pour Medusa, parce qu’elles paraissent encore plus effrayantes ainsi.

Et les armes qui sont disposées ici ? Sont-elles celles des Djiins ?

Oui, ce sont les armes qu’utilisent le Cheik Suleiman et son peuple. Nous ne pouvions pas utiliser de métal pour les fabriquer, car cette tribu vit en pleine nature, dans le désert. Il fallait donc en tenir compte, et les créer à partir de morceaux d’ivoire - factice - et de bois. Nous avons également fabriqué l’épée de Cheik Suleiman, qui est un énorme cimeterre. Ce personnage mesure plus de 2 mètres 10, et quand il arrive en faisant tournoyer ce cimeterre, vous n’avez pas envie de rester sur place ! En dehors des moments de combats, il range cette épée dans son dos.

De toutes les armes que vous avez fabriquées pour le film, quelle est celle que vous préférez ?

C’est difficile à dire…Il y a en a tellement que j’aime beaucoup !..Je choisirais peut-être l’épée de Persée, qui est un cadeau que lui fait Apollon. C’est un objet magique qui a l’aspect d’un bâton, mais dès que Persée le touche, il se transforme en cette épée-là, que nous avons moulée en bronze.

Comment gérez-vous au jour le jour l’utilisation de toutes les armes que vous avez fabriquées ?

J’ai constitué un petit journal de bord informatique qui référence toutes les armes. C’est ce qui nous permet de savoir ce que nous avons fabriqué, et pour quel acteur, et le nombre d’exemplaires qui a été créé, et le nombre de duplicata en caoutchouc destinés aux scènes de combats. De cette manière, nous savons précisément où se trouve chaque arme, à qui elle a été confiée, et où et quand nous l’avons utilisée.

Quelle est l’histoire de cette étrange épée, dont la lame partiellement fondue est fendue en deux ?

Il s’agit de l’épée de Calibos. A l’origine, Calibos était le roi Acrisius, qui provoque la colère des dieux quand il ordonne que son épouse Danae soit tuée. Quant il lève son épée, la foudre s’abat sur lui, et Acrisius est transformé en Calibos. Il subit une mutation dont vous verrez les étapes de la métamorphose dans l’atelier de maquillage. Nous avons également fabriqué une épée pour Zeus, car il porte une armure de guerre quand il apparaît dans le film. Nous l’avons moulée dans une fonderie. A chaque fois que nous fabriquons un prototype nous-mêmes, nous le moulons afin d’être en mesure de le dupliquer en faisant des tirages en différentes matières. Dans le cas de l’épée de Zeus, en plus de celle moulée en métal, nous avons fabriqué une réplique en résine et fibre de verre, remplie avec une mousse d’uréthane. Quand on voit l’original et la copie à l’image, elles semblent parfaitement identiques.

Nous quittons le département des armes sains et saufs. Prochaine étape de notre découverte des ateliers du Choc des titans par ici !

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