Dossier AVATAR - Exclusif : Entretien avec Jon Landau, producteur – Troisième partie
Article Cinéma du Dimanche 07 Mars 2010

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Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quel a été l’aspect le plus difficile de la production du film ? Garder une vision d’ensemble sur les millions de pièces du puzzle qui constitue Avatar ?

Je crois que la partie la plus difficile a été de préparer les gens à la durée de la production du film. Dans le milieu du cinéma, les gens ne sont pas habitués à ce que cela dure aussi longtemps. Dans la plupart des cas, on les engage pour cinq ou six mois, ou au mieux pour une année complète, lorsqu’il s’agit d’un gros projet. Mais nous savions d’emblée qu’Avatar allait être un projet dont la production s’étalerait sur quatre ans. Il nous a fallu expliquer aux gens quel était notre plan, comment nous avions décidé de travailler, et les garanties que nous allions leur donner pour leur assurer un emploi tout au long de ces quatre années. La raison pour laquelle je vous parle de cela, c’est parce que c’est vraiment l’un des aspects les plus inhabituels d’Avatar, par rapport à la manière dont les autres films sont produits. Bien sûr, pendant un tel projet, notamment parce que pratiquement tout ce que l’on fait est expérimental et inédit, on ne peut éviter certains problèmes. Comme Jim a coutume de le dire « Nous résoudrons notre tout dernier problème  le jour même où nous livrerons la copie du film achevé ! » Nous savions que les problèmes allaient surgir, mais nous avons préparé les gens de notre équipe à les affronter, et à s’organiser pour trouver des moyens de les résoudre. Au fil du temps, les gens de notre équipe ont appris à se connaître et à travailler ensemble. Les gens communiquaient bien les uns avec les autres, ce qui permettait d’être encore plus efficace quand il fallait trouver des solutions.

En dehors de Weta, combien d’autres studios d’effets visuels dans le monde avez-vous engagés pour intervenir sur des plans truqués ?

Je ne pourrais pas vous les indiquer tous, mais il y en a plusieurs. De mémoire, je peux vous citer Framestore CFC en Angleterre, qui réalise des scènes avec les engins volants terriens, et BUF Compagnie en France, qui travaille sur les effets de tunnels que l’on voit quand l’esprit de Jake est connecté à son avatar. Mais Joe Letteri, notre superviseur des effets visuels, pourra vous préciser tout cela mieux que moi.

Selon vous, qui connaissez très bien James Cameron, pourquoi est-il un cinéaste aussi exceptionnel ? Quelles sont les qualités particulières qui font de lui un auteur et un réalisateur aussi doué ?

Je crois que Jim s’intéresse d’abord aux gens. Quand il crée quelque chose, il ne le fait pas égoïstement, pour lui : il crée pour le public. Et il garde bien cela en tête, quoi qu’il fasse ensuite pour concrétiser ce projet. Jim est aussi un artiste très doué dans de nombreux domaines. Il possède un sens de l’impact visuel des images qui est assez exceptionnel. Il comprend qu’une image peut vraiment exprimer autant de choses qu’un texte d’un millier de mots. Chaque image de ses films lui permet de raconter une histoire qui soutient et vient enrichir l’intrigue dramatique qu’il est en train de présenter au public. Je crois que parvenir à faire ces deux choses en même temps, concevoir des images d’une telle force, et raconter aussi bien une histoire, est un don exceptionnel, que peu de réalisateurs possèdent à ce point. Je crois que c’est ce que Jim fait mieux que quiconque. Il est aussi l’un des rares réalisateurs qui ne perd jamais de vue le cœur de la cible qu’il vise, même après des années de cheminement pour faire aboutir un projet. Il garde ce point central de la cible en tête pendant tout le processus de production. Quand je travaillais au sein de la Fox, parmi les cadres dirigeants du studio, j’ai eu l’occasion de rencontrer et de voir travailler beaucoup de réalisateurs. Bien souvent, pendant qu’ils développaient leurs films, une influence extérieure les faisait changer de point de vue, et je les ai vus alors dévier du chemin qu’ils s’étaient tracés au départ. C’est très dangereux, car une fois que vous êtes sortis de la route, vous pouvez encore aller dans d’autres directions et vous perdre complètement. Généralement, dès que vous sortez du chemin, vous ne pouvez plus y revenir. Jim a cette capacité incroyable de ne jamais se laisser influencer, de ne jamais dévier en cours de route. Et c’est ce qui donne cette intégrité exceptionnelle à ses films. Je crois que les spectateurs le sentent bien. Ils comprennent que c’est bien à 100% la vision de James Cameron qu’il viennent voir au cinéma. Et non pas un compromis.

Il possède apparemment aussi le don de convaincre ses interlocuteurs de la justesse de sa vision, quel que soit l’ampleur du  budget nécessaire pour la matérialiser sur le grand écran !

Absolument. Quand Jim raconte un projet, il est d’une clarté exemplaire. Il possède un don quasi-surnaturel de vous faire partager son enthousiasme pour ce qu’il a envie de faire. Il vous dit, « Bon, ce sera un processus de production qui durera quatre ans, mais voilà le film que je veux faire et voilà pourquoi j’ai envie de le faire. » Jim n’est pas obsédé par l’aspect technique des choses. Ce qui compte le plus pour lui, c’est l’histoire qu’il veut raconter et les émotions qui s’en dégagent. Il pense d’abord à la manière dont le public va s’impliquer en découvrant ce récit. Pendant la période de conception du projet, il pense à ce qu’il a envie de raconter et à ce que cela doit susciter chez les spectateurs. C’est ainsi qu’il se fixe ses objectifs narratifs. Au cours de certaines conversations que j’ai avec Jim, il m’arrive de lui suggérer des idées. Quand Jim me répond qu’il ne peut pas en tenir compte, c’est toujours pleinement justifié par le fait que le public ne comprendra pas forcément cette idée-là. Le jugement de Jim est quasi-infaillible, tant il a une vision précise du film terminé dans sa tête.

A quelles occasions vous a-t’il surpris par ses idées et ses décisions, pendant la production d’Avatar? Pouvez-vous nous en donner des exemples ?

Jim a tendance à vous surprendre presque chaque jour. Il a la capacité d’être complètement attentif à tout ce qui se passe sur un plateau, et de discerner ainsi les moments magiques que personne d’autre n’aurait vu, à part lui. Quelquefois, vous n’arrivez même pas à comprendre ce qu’il est en train de faire pendant qu’il le tourne. Ce n’est qu’une fois que vous visionnez les rushes sur grand écran que vous vous frappez le front en vous disant « Ah, maintenant je comprends ce qu’il faisait ! ». La, c’est évident. Je crois que l’un des moments de ce genre qu’il a su créer est celui dont vous parliez un peu plus tôt : cette scène où Jake se « réveille » dans le corps de son avatar Na’vi, se lève, se cogne contre la vitre qui le sépare de la salle d’observation du laboratoire, et dit « C’est formidable ». C’est un tout petit moment, qui n’était pas prévu dans le script, mais que Jim a su ménager. Mais il nous a fallu trouver les moyens techniques de le filmer pour qu’il paraisse totalement spontané. Jim nous a dit « Malgré que le personnage ne soit pas physiquement présent dans ce décor,  Il faut que nous trouvions les moyens pour que je puisse voir cette scène pendant que je la tournerai. » Nous avons donc mis au point un processus que nous avons baptisé « Simulcam ». Jim pouvait diriger la scène en regardant dans le viseur de la caméra, et comme nous pouvions repérer et caler les déplacements de la vraie caméra dans le décor réel avec les perspectives 3D de l’environnement du personnage de Na’vi, qui était incarné « en direct» par Sam Worthington, Jim pouvait voir dans son viseur une version basse résolution de cette performance « en direct» intégrée dans le vrai décor, et la filmer de manière spontanée.

James Cameron utilise le genre de la Science-Fiction comme John Ford utilisait les Westerns. Quelle que soit l’ampleur épique de l’aventure, il ne néglige jamais l’humanité de ses personnages, et ils ont toujours une chance de se racheter de leurs fautes…

Tout à fait. Je trouve que votre analogie entre le travail de Jim et celui de John Ford sur les Westerns est extrêmement intéressante, et très juste. J’ajouterai aussi que les Westerns de John Ford ne concernent pas uniquement les personnages de l’histoire, mais ce sont aussi des commentaires sur le monde dans lequel il vivait, à l’époque où il tournait ces films.

John Ford a notamment abordé les problèmes du racisme et de l’absurdité des motifs qui ont poussé les USA à s’engager dans certaines guerres…

Oui. John Ford et Jim créent des personnages forts et attachants, mais ils nous parlent aussi du monde contemporain, en nous incitant à réfléchir à ce qui se passe, à ce que nous faisons, et à la manière dont nous menons nos vies. C’était déjà vrai dans Aliens, qui était à la base un film d’horreur, mais qui a valu à Sigourney Weaver une nomination à l’Oscar. Au-delà du film d’action et de l’aventure haletante de Science-Fiction, c’est surtout un récit sur le thème de la maternité, de la responsabilité que l’on éprouve en tant que parent. Dans True Lies, Jim évoquait tout ce que l’on doit faire pour qu’un mariage dure dans le temps, tout ce qu’un couple de personnes qui travaillent doit surmonter pour que leurs relations évoluent bien au fil des années, et que les liens familiaux restent solides. Titanic nous montrait les conséquences catastrophiques de l’orgueil des hommes, quand ils misent tout sur la technologie, sans faire preuve du plus élémentaire bon sens. Aujourd’hui, par le biais d’Avatar, Jim aborde beaucoup de sujets qui concernent notre époque. Un des objectifs que nous nous fixons toujours, quand nous faisons un film, c’est de veiller à trouver des thèmes qui débordent largement du genre du film lui-même. Pour moi, le thème, c’est l’émotion que vous gardez en mémoire quand vous sortez de la projection d’un film. Généralement, les détails de l’intrigue, vous les laissez derrière vous, dans la salle de cinéma. Si vous traitez de multiples thèmes, qui concernent directement les gens, vous mettez de votre côté tous les atouts pour réussir votre projet.

Bien qu’Avatar soit un film de presque trois heures, vous avez été amenés à retirer certaines scènes de la version cinéma du film. Pouvez-vous nous parler des scènes qui ont été coupées ?

Tourner un film est un processus qui évolue sans cesse. Les acteurs vous livrent quelquefois bien plus d’émotions et d’informations dans une simple scène que ce que vous aviez prévu initialement. Et quand cela se produit, vous vous grattez la tête, et vous vous dites « Eh bien, je crois que je n’ai plus besoin de tourner cette autre scène, car ce que je voulais dire avec dix lignes de dialogue, mon acteur principal vient de l’exprimer par un seul regard ! » Quand un film prend forme peu à peu, il est important de se demander ce qu’il faut conserver et ce qui devient superflu. Il y avait un moment dans Titanic où Jack et Rose se trouvaient dans les ponts inférieurs du bateau, tandis que le garde du corps, Lovejoy, les poursuivait. Il y avait initialement toute une scène de combat qui se déroulait à ce moment-là, dans les ponts inférieurs partiellement submergés. Jack attaquait Lovejoy, qui se défendait, et ainsi de suite. Quand nous avons visionné un premier montage du film, cette scène était très efficace en tant que telle, mais nous nous sommes rendu compte que nous n’avions pas besoin d’intégrer ce moment-là dans notre récit. Vous vous rendez constamment compte de ce genre de choses quand vous tournez un film.

Pardon d’insister, mais pouvez-vous nous donner un exemple précis de scène qui a été coupée de la version finale d’Avatar ?

Jim avait imaginé un événement qui s’était déroulé sur Pandora, avant que l’histoire du film ne commence. Le personnage de Sigourney Weaver, Grace, avait fondé une école sur Pandora, et elle y enseignait à des jeunes élèves qui étaient des Na’vis. C’est la raison pour laquelle les Na’vis savent parler anglais. Mais un événement tragique s’est déroulé par la suite. La sœur de Neytiri, qui venait à l’école, a tenté d’empêcher la société terrienne RDA de créer une mine sur la planète, dans un site très important pour les Na’vis. Les soldats au service de la société l’ont prise en flagrant délit de sabotage et l’ont poursuivie jusqu’à l’école, où l’altercation a dégénéré en fusillade. La sœur de Neytiri a été tuée là, et depuis ce jour, les Na’vis ne sont plus jamais revenus dans cette école. Nous avions prévu une scène qui se déroulait dans l’école abandonnée, où l’on voyait ce décor en ruine, sans expliquer ce qui s’était déroulé là. Nous ne l’expliquions que plus tard. Quand nous avons visionné une première ébauche d’Avatar, il nous a semblé que cet élément de l’histoire n’était pas nécessaire dans le film. Mais cette idée sera peut-être utilisée ailleurs, dans l’adaptation en jeu vidéo, ou dans l’adaptation littéraire du scénario de Jim. Mais nous avons jugé qu’elle ne s’intégrait pas bien, ainsi placée au centre du film.

Avez-vous l’intention de diffuser en salles une version longue d’Avatar ? Si tel est le cas, quelle en serait la durée ?

Je ne crois pas qu’il y aura une version longue d’Avatar au cinéma. Ce que nous allons montrer en salles sera la version définitive du film, qui  satisfait pleinement Jim. Je crois que nous ne montrerons ces scènes coupées que dans le DVD et le Blu-Ray , en tant que matériel supplémentaire. Mais nous nous voulons pas briser la continuité narrative de la version finalisée par Jim, juste pour présenter une version longue au public un peu plus tard. 

James Cameron va-t’il enregistrer un commentaire pour la sortie DVD et Blu-Ray du film ?

Oui, Jim va probablement enregistrer un commentaire, mais je ne veux pas trop révéler que ce que nous avons prévu pour la sortie en DVD et Blu-Ray d’Avatar, car nous avons l’intention de réserver beaucoup de surprises au public. Ce que je peux vous dire dès maintenant, c’est que nous proposerons plus d’une version du DVD et du Blu-Ray, et que le contenu en sera très riche.

Que pouvez-vous nous dire de la nouvelle version du Voyage Fantastique , l’un des grands classiques de la SF produit par la Fox, que vous allez revisiter avec James Cameron ?

Je peux vous confirmer que nous avons bien l’intention de produire ce projet au sein de Lightstorm. A nouveau, nous allons essayer d’intégrer à cette histoire un récit dramatique très prenant, et des thèmes qui seront des métaphores concernant notre époque. Nous développons le film en ce moment même avec Tarsem, le réalisateur de The Cell et The Fall. Comme vous le savez sans doute, Tarsem possède un sens visuel assez exceptionnel. Nous sommes actuellement en pleine phase de réécriture du scénario du Voyage Fantastique. Nous avons fait une présentation du projet au studio, en leur montrant les concepts visuels que nous avons imaginés, et tout le monde a été très impressionné par cela. Le projet est donc très bien parti.

Savez-vous si James Cameron a déjà mis de côté des idées pour une suite d’Avatar, voire même s’il a imaginé une trilogie autour des aventures de Jake et Neytiri ?

Evidemment, c’est le public qui décidera s’il a envie de voir une suite ou pas. Le monde que Jim a créé est assez riche et assez vaste pour que bien d’autres aventures puissent s’y dérouler. Jim a évidemment songé à d’autres idées d’histoires, qu’il serait ravi de raconter aux spectateurs s’ils aiment Avatar, et s’ils nous disent qu’ils ont envie de retourner sur Pandora. Dans ce cas, nous pourrons envisager un, voire même deux autres épisodes.

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