Dossier AVATAR - Exclusif : La création de la caméra qui révolutionne le relief
Article 3-D Relief du Lundi 15 Mars 2010

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Entretien avec Vince Pace, co-inventeur avec James Cameron de la caméra Fusion 3-D, & directeur de la photographie 3-D d’Avatar

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment avez-vous débuté ?

Mon père a construit les coffrets d’étanchéité des caméras qui ont servi à tourner les prises de vues sous-marines du film Les grands fonds (réalisé par Peter Yates en 1977, NDLR). Etant spécialisé dans ce domaine, il connaissait beaucoup de réalisateurs. J’ai suivi ses traces en construisant moi-même mes équipements étanches, avec les machines de l’atelier paternel. J’ai toujours été passionné par les prises de vues sous-marines, et le premier film sur lequel j’ai eu l’occasion de travailler a été Abyss, de James Cameron.

Comment votre passion pour la 3-D Relief a-t’elle commencé ?

En 1996, j’ai eu le sentiment d’avoir fait le tour de toutes les techniques que l’on pouvait employer pour filmer sous l’eau. Le dernier domaine dans lequel on pouvait faire des progrès était la création de caméras numériques plus petites et plus pratiques à utiliser que les caméras 35mm. Comme vous l’imaginez, changer un chargeur de pellicule sous l’eau au bout de 4 ou 5 prises n’est pas pratique, tandis qu’une caméra vidéo peut être utilisée bien plus longtemps, sans que l’on doive s’interrompre. Cette évolution vers le numérique m’a amené à étudier de nombreux modèles de caméras et à réaliser des modifications et des améliorations de ces appareils. James Cameron savait que j’avais fait des travaux en ce sens, et il m’a contacté pour me demander de tester le dernier modèle de caméra HD de Sony. A ce moment-là, je ne savais pas encore qu’il avait une autre idée derrière la tête. C’est pendant que nous voyagions pour utiliser ce prototype de Sony pour la première fois qu’il m’a décrit sa vision de la caméra idéale, son « Saint Graal » de la prise de vues, qui pourrait filmer simultanément en 2D et en 3-D Relief, et qui n’entraverait en aucune manière son travail de mise en scène. J’ai été immédiatement fasciné par l’originalité de cette approche. C’est ainsi que je me suis mis à travailler sur la 3-D Relief.

Aimiez-vous déjà la 3-D quand vous étiez enfant ? Quels étaient vos films en relief favoris ?

J’aimais bien la 3-D Relief, mais je l’avais surtout expérimentée dans le contexte des attractions des parcs à thème. Je dois avouer que je n’avais jamais eu l’occasion de voir des films en relief en salles, qu’il s’agisse des vieux classiques tournés avec le procédé anaglyphe ou des films plus récents qui employaient la polarisation. Je trouvais que les effets 3-D employés dans les attractions convenaient bien à ce marché, mais je ne m’attendais absolument pas à travailler un jour sur la reproduction de la perception humaine du relief, en très haute résolution.

Mais quand vous avez entrepris cette démarche, avez-vous tenté de voir les classiques du cinéma en relief ? Si tel est le cas, lesquels avez-vous préférés ?

Pour être franc, je n’en préfère aucun, pour une raison très simple : je trouve que cette utilisation-là du relief est totalement faussée. Ce que nous parvenons à créer aujourd’hui dans le domaine de la 3-D est à l’opposé des effets grossiers et artificiels de ces films-là. Je comprends qu’on puisse les trouver amusants, mais notre démarche est radicalement différente. Le premier prototype de caméra que nous avons construit, Jim et moi, s’appelait « reality camera system » ou RCS. En 2001, nous avons tourné un test de prises de vues très simple, en filmant des gens assis autour d’une table dans le hall de l’immeuble où se trouvent les bureaux de Lightstorm Entertainment, la société de James Cameron.  Ces prises de vues étaient réalisées en direct et les images en relief projetées dans la salle de projection de Jim. Un petit détail m’a frappé en voyant ces images : grâce à la 3-D haute définition, on voyait distinctement les poils se dresser sur les avant-bras de ces personnes, car il faisait assez froid dans ce hall !  C’était saisissant, car on se mettait presque à ressentir le froid de la pièce, en voyant ces gens avoir la chair de poule ! C’est ce jour-là que j’ai commencé à comprendre les possibilités immenses que la 3-D Relief pouvaient offrir à un réalisateur en termes de narration. Aucun des vieux films en relief que j’ai vus ne pouvait générer des choses aussi subtiles. Tout un horizon nouveau s’est ouvert à moi ce jour-là.

Aviez-vous collaboré avec James Cameron sur l’excellente attraction en relief Terminator 2  3-D, quelques années plus tôt ?

Non, je n’y ai pas participé. Mais cette expérience a permis à Jim d’apporter son expertise quand nous avons commencé à réfléchir à notre prototype. Il est certain que c’est le tournage de cette attraction qui a éveillé son intérêt pour la 3-D Relief. La technologie qu’il avait employée à l’époque – des caméras relief 70mm – était très encombrante, et ne correspondait pas à sa vision de ce que l’on pourrait faire avec le relief dans le futur. D’où la démarche qu’il a entreprise par la suite, et qui nous a mené au test réalisé en 2001. Si vous y songez, à l’époque, le seul réseau fixe de distribution de films en relief était celui des salles Imax. Il n’y en avait aucun autre ! Quand nous travaillions sur ce prototype, Jim et moi, nous pensions que la version 3-D des films que nous avions en projet ne représenterait qu’une toute petite partie de leur exploitation en salles, par rapport aux versions 2D. Ce n’est qu’avec les initiatives de Josh Greer et la mise en place de son système de projection numérique Real D dans des salles dédiées de multiplexes que les choses ont finalement évolué au cours de ces dernières années. Mais à l’époque de ces premières expériences, nous pensions que cet équipement nous servirait surtout à tourner en 2D, tout en nous permettant d’obtenir parallèlement une version 3-D Relief qui serait exploitée dans les salles Imax.

C’est donc cette caméra RCS que James Cameron a employé pour tourner  ses documentaires Expedition Bismarck, Ghosts of the abyss et Aliens of the deep…

Oui, effectivement. J’ai fait partie de toutes ces expéditions. C’étaient des aventures formidables.

Est-ce que c’est l’expérience acquise pendant ces trois tournages qui vous a permis de tourner Avatar en relief ?

Oui, sans aucun doute. Même si j’aimerais bien vous dire que Jim et moi étions déjà des experts en 3-D Relief il y a dix ans, ce ne serait pas vrai. Jim avait de l’expérience dans ce domaine, grâce à l’attraction Terminator 2 3-D que vous avez évoquée, et je connaissais les bases du système, mais c’est à peu près tout ce que nous savions. Au départ, Jim n’avait pas l’intention de construire son propre matériel. Il disait « Voyons déjà quels sont les équipements disponibles, utilisons-les et voyons comment on peut les améliorer. » Je jouais le rôle de consultant technique quand nous avons entamé cette démarche. Après avoir examiné tout le matériel qui existait alors, nous nous sommes vite rendu compte qu’il n’allait pas permettre à Jim de réaliser tout ce qu’il voulait faire. Il fallait tout reprendre à zéro. L’autre problème dont nous avons pris conscience à l’époque, c’était l’abondance de soi-disant « Règles de la 3-D Relief » qu’il fallait respecter. Il y avait des tas d’experts autoproclamés qui affirmaient « Ne faites pas ceci, faites cela ! ». Certains disaient « Il faut tourner avec les deux objectifs en position parallèle », d’autres « Vous pouvez faire converger les objectifs, mais seulement jusqu’à ce point-là et pas au-delà. » Quand il écoutait tous ces discours contradictoires, Jim avait le sentiment que beaucoup de gens monologuaient sans écouter vraiment ce qu’il leur disait. Aucune des prises de vues 3-D Relief que nous montraient ces « experts » ne correspondait à sa vision d’un relief totalement naturel.

Au final, quel pourcentage de ce que vous disaient ces experts s’est-il avéré faux ?

Personnellement, je dirais que presque tout était faux, ou en tous cas ne permettait pas de recréer une vraie perception du relief. La plupart de ces gens s’appuyaient sur des formules mathématiques pour mettre en place leurs prises de vues, et ce faisant, ne résolvaient qu’une partie du problème. L’objectif le plus complexe, c’était de réussir à imiter la sensation humaine, organique, du relief. Mais ils n’y parvenaient pas avec leurs méthodes. Dès le départ, Jim a eu une idée géniale : il a voulu que notre future caméra soit capable de faire tout ce qu’un créateur de prises de vues en relief pourrait vouloir faire, c’est à dire un outil qui puisse filmer avec les objectifs en parallèle, en convergence, et avec des distances interoculaires que l’on puisse changer sans problème. Cette caméra devait être un outil de créativité relief multifonctions. C’est ainsi que la caméra RCS a été créée, pour être un appareil capable de prendre en compte une infinité de variables, et de réaliser les prises de vues de cette manière. Il a fallu mettre au point les technologies et les logiciels capables d’exécuter ces tâches, et de piloter les moteurs qui faisaient bouger les objectifs, et servaient à la mise au point automatique. A cette époque, les deux fonctions – convergence et mise au point – n’étaient pas liées. On les contrôlait indépendamment. Mais nous nous sommes rendu compte qu’il était plus naturel de les faire fonctionner ensemble. C’était le mode que Jim préférait pour coller au plus près à la vision humaine. Quand nous avons commencé à faire cela, des oiseaux de mauvais augure nous ont dit « Avec ce système, vous allez créer des déformations de l’image : les côtés vont se dilater ou se rétracter brutalement. » Une fois de plus, ils ont eu tort ! (rires) A cette époque, personne ne liait la convergence à la mise au point, et nous étions sévèrement critiqués. On pouvait lire dans des articles que la seule façon d’obtenir un bon relief était de tourner avec des objectifs placés en parallèle. Aujourd’hui pratiquement tout le monde dit que c’est notre méthode qui est la bonne…

Ces critiques qui vous étaient adressées paraissent d’autant plus étranges que l’on connaissait déjà les défauts de ce relief « brut » obtenu avec les objectifs parallèles : les yeux des spectateurs étaient obligés de converger à tour de rôle sur les différents niveaux de profondeur de l’image relief, et cet exercice artificiel provoquait vite une fatigue oculaire…

C’est vrai. Mais vous savez, il y a peu de temps encore, quand nous présentions nos projets, certaines personnes prétendaient aussi qu’il serait impossible de regarder un film en 3-D Relief pendant deux heures ! L’un de leurs arguments consistait à dire que les films Imax 3-D ne dépassent pas une quarantaine de minutes. Mais ils confondaient tout : c’est le format 70mm latéral des énormes images Imax qui est à l’origine de cette durée : la bobine d’un film Imax est si grosse et si lourde qu’aller au-delà de 40 minutes posait des problèmes techniques de manipulation des copies…Cela n’avait rien à voir avec la perception du relief. Nous avons dû combattre énormément d’idées fausses pendant la conception de la caméra RCS, puis de la caméra Fusion…

L’autre énorme avantage de votre technologie 3-D numérique, c’est qu’elle vous permet de tout voir en temps réel, contrairement aux prises de vues relief sur pellicule…

Oui, c’était l’autre point capital de cette démarche. Jim n’avait pas l’intention de travailler « à l’aveuglette ». Pendant un tournage numérique, si vous n’aimez pas ce que vous venez de faire, vous recommencez immédiatement. Si vous aimez le résultat, alors vous pouvez aller tout de suite plus loin dans cette direction. C’est ce que nous avons pu faire dès 2001, quand le premier prototype de caméra RCS a été mis au point.

Qui de vous ou de James Cameron a eu le premier l’idée que les deux objectifs de la caméra devraient converger vers l’objet « regardé », tout comme le font nos yeux ?

Je crois nous avons tous les deux pensé dès le départ qu’imiter le fonctionnement de la vision humaine était la meilleure manière de se débarrasser des formules mathématiques et des « règles » bancales d’autrefois. On pourrait dire que le pont qui mène de la théorie mathématique à la pure créativité est la transparence, c’est à dire le moment où il n’existe plus d’interférence technique entre votre utilisation d’un outil et votre idée d’artistique. Une des phrases que Jim répétait souvent était « Tous nos efforts ne visent qu’un seul but : que notre technique devienne invisible. » Jim a un talent incroyable pour mêler un style narratif unique et des compositions visuelles qui vous laissent bouche bée. A la fin d’une longue journée de tournage, quand tout le monde est à bout de force, prêt à s’écrouler, il a toujours les sens en éveil, et il est capable de réaliser à ce moment-là un plan absolument fabuleux, que personne d’autre que lui n’aurait pu visualiser dans ce contexte. C’est viscéral chez lui. Inné. Et il a déployé la même passion et la même énergie quant il s’est fixé pour objectif de parvenir à répliquer la perception humaine du relief. Quand Jim emmène les spectateurs avec lui, il leur fait faire un voyage. La caméra, elle, ne peut pas « voir » cela toute seule, il faut qu’on la manipule pour obtenir ce résultat, tandis qu’un être humain n’a qu’à ouvrir les yeux et regarder.

Comment définiriez-vous votre vision de la 3-D moderne ?

Bien souvent, quand je parle de 3-D, je dis que le relief agit comme un « accélérateur » de l’image, pas comme un catalyseur. Prenons l’exemple de ce célèbre plan de Lawrence d’Arabie, dans lequel on découvre le panorama du désert et cette toute petite silhouette qui émerge de l’horizon pour se rapprocher de nous. Certaines personnes disent « Oh, en 3-D, on aurait pu « allonger » les perspectives pour donner le sentiment que le personnage est encore plus lointain. » Ce n’est pas faux, mais en fait, si ce plan n’avait pas été si bien conçu et si bien mis en scène en 2D, il serait impossible de « l’amplifier » en relief. Autrement dit, si vous ne concevez pas un plan efficace, qui raconte bien votre histoire dès le départ, la 3-D à elle seule ne rendra pas le plan intéressant. Si je vous dis cela, c’est parce que certaines personnes prennent le relief pour une sorte de recette magique qui va rendre un film passionnant. Mais ce n’est évidemment pas comme cela que les choses fonctionnent : la 3-D est destinée à amplifier votre expérience d’un bon film bien conçu.

Revenons à la caméra Fusion : contrairement à la méthode du relief d’autrefois, et des prises de vues avec des objectifs en position parallèle, votre caméra imite les mouvements des yeux…

Oui. J’ai coutume de dire que par rapport au relief traditionnel, quand on tourne avec la Fusion, c’est elle qui fait tout le travail, à la place des yeux des spectateurs. Pour bien comprendre l’impact de cet avantage, je vais prendre un exemple. Imaginez qu’au début de cet entretien, je vous aie demandé de soulever une barre d’haltères sur laquelle on n’aurait placé aucun poids. Vous m’auriez dit « C’est facile ! Où voulez-vous en venir ? » Mais au bout de cinq minutes, en restant comme ça les bras en l’air, vous auriez commencé à ressentir des crampes, et à présent vous seriez en train de hurler pour que l’on vous laisse poser la barre à terre ! Il y a un facteur d’accumulation de l’effort qui rend cette position intolérable au bout d’un moment. Et c’était exactement pareil quand on regardait pendant 1h30 de la 3-D tournée avec les vieilles méthodes, avec les objectifs placés en parallèle : on sollicitait si longtemps les muscles des yeux, en leur demandant de faire quelque chose d’inhabituel que cela provoquait une gêne. Quand quelqu’un regarde de la 3-D, qu’elle soit bonne ou mauvaise, il ne ressentira pas de gêne pendant les trois premières minutes. Mais ce ne sera plus pareil au bout de 20 minutes. Le spectateur qui subit les effets d’une mauvaise 3-D aura mal aux yeux, et n’aura plus envie de renouveler l’expérience. Heureusement, depuis quatre ou cinq ans, les bonnes méthodes ont remporté la bataille et maintenant, les spectateurs peuvent se rendre dans les salles en toute confiance, et apprécier les films en relief sans crainte. Notre système est devenu le standard en matière de prises de vues 3-D Relief. J’ajouterais que non seulement on peut voir confortablement un film de plus de deux heures trente comme Avatar, mais que pendant la préparation et la retransmission des manifestations sportives que mes équipes filment en relief, nous regardons tous des écrans 3-D pendant 7, 9 ou 12 heures ! Et cela ne provoque aucune gêne.

Découvrez à présent la seconde partie de cet entretien


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