Exclusif : Les secrets du tournage en relief d’Avatar - Seconde partie
Article 3-D Relief du Lundi 22 Mars 2010

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Seconde partie de notre entretien avec Vince Pace, co-inventeur avec James Cameron de la caméra Fusion 3-D, & directeur de la photographie 3-D d’Avatar

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

C’est en suivant les traces de son père, spécialiste des prises de vues sous-marines, que Vince Pace a appris à fabriquer lui-même ses équipements de prise de vue. Il débute dans le cinéma en travaillant sur Abyss (1986) de James Cameron et entame ainsi une collaboration qui se prolongera sur Titanic (1997), sur la co-invention de la caméra 3-D RCS et sur les documentaires Expedition Bismarck (2002), Ghosts of the abyss (2003) et Aliens of the deep (2005), filmés avec cet appareil. Le duo Cameron-Pace a également inventé la caméra 3-D Fusion, qui a servi à préparer les tests de Battle Angel Alita et à filmer les prises de vues réelles d’Avatar.

Combien de temps James Cameron et vous avez-vous travaillé sur le développement de la caméra Fusion ? Combien de prototypes avez-vous construits avant de mettre au point celui qui a servi au début du tournage d’Avatar ?

Eh bien, nous avons d’abord beaucoup utilisé la caméra RCS, qui était la première caméra relief équipée d’objectifs qui convergeaient sur les objets, comme le font nos yeux. La RCS a servi à filmer les documentaires de Jim, puis le film de Robert Rodriguez Spy Kids 3-D. Je dois dire que j’étais un peu surpris que Jim ne l’aie pas encore utilisé pour tourner lui-même un film, mais nous étions encore dans une phase de développement de cet appareil. Nous nous sommes réunis, Jim et moi, pour faire le point sur toutes les améliorations qu’il faudrait apporter à la caméra avant qu’il se lance sur son nouveau long métrage. Il fallait que les moteurs qui déplacent les objectifs soient plus rapides, plus silencieux, que l’on puisse changer la distance interoculaire et que nous améliorions aussi le logiciel de pilotage. Il était temps de passer à la création de la caméra Fusion pour permettre à Jim de réaliser son nouveau projet. Et c’est ce que nous avons fait. Au début, je me disais qu’il allait peut-être vouloir garder cette nouvelle technologie pour lui, ce qui aurait été tout à fait compréhensible, puisqu’il en est le co-inventeur. Pourquoi ne serait-il pas le premier à en bénéficier ? Quand la préparation du film Voyage au centre de la terre a commencé, nous avions prévu de leur louer nos caméras RCS. Mais en discutant avec Eric Brevig,  le réalisateur, qui avait été le directeur de la photographie des effets visuels d’Abyss, Jim a pris la décision d’accélérer le développement de la Fusion pour que nous soyons en mesure de la lui confier. Je dois dire que j’ai été un peu surpris par cette décision, car je pensais qu’il voudrait garder la primeur de l’utilisation de la Fusion pour Avatar, mais il n’en a rien été. Il a permis à un autre réalisateur de s’en servir avant lui. Cela illustre bien la démarche de Jim, car son objectif est de participer à l’amélioration globale de l’offre de divertissement qui est faite au public.

Depuis cette première utilisation de la Fusion sur Voyage au centre de la terre jusqu’aux dernières scènes tournées cette année encore pour Avatar, combien de nouvelles versions de la caméra avez-vous fabriquées ?

J’aurais bien du mal à vous le dire ! (rires)  Aujourd’hui encore, alors que nous parlons, je travaille sur de nouvelles améliorations ! Nous tenons compte de toutes les suggestions que nous font les directeurs de la photo et les réalisateurs qui utilisent l’appareil. L’équipe qui travaille sur la Fusion est composée d’ingénieurs spécialisés en mécanique, en électronique, en optique, ainsi que de créateurs de logiciels. Et à chaque fois que l’on nous fait une remarque intéressante, nous nous réunissons en nous disant « Qu’est-ce que l’on peut faire pour arriver à ce résultat ? » La plateforme sur laquelle sont montés les objectifs est la plus performante du marché. C’est vraiment un mélange parfait de mathématiques et de créativité.

Vous avez fabriqué aussi plusieurs modèles de Fusion : sur l’un des deux les corps des deux caméras sont situés côte à côte, tandis que sur l’autre le corps d’une caméra est en position horizontale, tandis que l’autre est en position verticale…

Oui, ce sont bien les deux grands types de caméra Fusion que nous employons. Mais ce ne sont pas les seuls : nous disposons aussi d’un modèle équipé d’objectifs grand angulaire, d’une version miniaturisée, de modèles équipés de prismes, etc. Nous nous sommes constitué un équipement aussi varié que celui des cinéastes qui travaillent en 35mm et en 2D. Plutôt que de concevoir juste un équipement, Jim et moi considérons que nous avons mis en place une nouvelle manière d’appréhender la 3-D. Le public qui va voir Avatar  va également découvrir aussi comment Jim conçoit le relief…

Avez-vous été surpris par les réactions de certains spectateurs, lorsqu’ils ont découvert le relief obtenu avec votre caméra ?

Oui. De toutes les réactions, il y en une qui m’a particulièrement frappée. Pendant la mise au point de la caméra RCS, j’ai participé à toutes les expéditions maritimes de Jim. Et il m’arrivait de parler avec mes parents de ces expéditions, pendant les repas familiaux du dimanche. Et puis un jour, je les ai invités à assister à la projection 3-D de Ghosts of the Abyss. Après la séance, ma mère m’a tiré par le bras, et m’a dit « Ton père et moi nous venons de parler de ce que nous avons vu, et nous ne voulons plus que tu participes à une autre de ces expéditions ! » (rires) Grâce à la projection en 3-D, ils avaient ressenti l’impression de claustrophobie que l’on éprouve quand la porte du sous-marin se referme…et le sentiment de danger ! Aujourd’hui, les spectateurs découvrent quelque chose d’unique. La puissance de la vision de Jim les avait déjà subjugués dans Titanic, mais ce qu’il a conçu pour Avatar, combiné à la perception de cette aventure en relief, est un spectacle que l’on ne peut pas imaginer avant de l’avoir vu de ses propres yeux. Les spectateurs sont transportés dans un autre monde, et sont guidés par Jim.

Vous disiez un peu plus tôt que votre caméra imite le comportement des yeux humains. Mais recopier les caractéristiques organiques des yeux est très difficile. Les moteurs qui font bouger les objectifs sont-ils aussi rapides que des yeux ?

C’était un des problèmes que nous avions avec les caméras RCS : les moteurs n’étaient pas assez rapides. Ceux des caméras Fusion le sont beaucoup plus. Nous avons utilisé une technique qui nous a permis de démultiplier les points d’arrêt des servomoteurs. Au lieu de pouvoir positionner les moteurs sur 360 points de rotation, on parvient à obtenir 3600 points d’arrêt, ce qui augmente considérablement le degré de précision de la position des objectifs. Nous avons aussi mis en place des asservissements qui amortissent le départ et l’arrêt des mouvements pour éviter les effets d’inertie dus à la masse des objectifs. Et le complément de ce système, c’est la mise en scène de Jim, qui guide le regard des spectateurs, et désigne le point d’intérêt de chaque plan.

Avez-vous construit vos propres moteurs ?

Nous avons fait nos propres modifications pour obtenir ce degré de résolution de mouvement. Nous avons obtenu ce résultat en intervenant à  la fois sur la mécanique et sur le développement de nouveaux logiciels. Et le système mis en place fonctionne remarquablement bien.

Vous arrive t’il encore de vous émerveiller du rendu de la 3-D Relief ?

Oui, souvent. J’ai eu la chance de voir de mes propres yeux les épaves du Titanic et du Bismarck, à près de 5000 mètres sous la surface, au travers d’un petit hublot de 10cm de large. Mais quand je vois les images 3-D de ces épaves, filmées avec la caméra RCS, et projetées sur un grand écran, j’ai encore plus l’impression d’y être !

Avez-vous travaillé sur le tournage des séquences-tests de Battle Angel Alita, avant que James Cameron ne décide de tourner Avatar ?

Oui, j’ai participé à toutes les étapes de ce processus. Nous avons travaillé pendant assez longtemps sur Battle Angel, et je dois dire que j’étais assez impatient de travailler sur ce film, car il était conçu pour être tourné majoritairement en prises de vues réelles, à l’inverse d’Avatar. Mais j’étais là aussi le jour où Jim a changé ses plans. Je me souviens qu’il m’a dit « Assieds-toi, car il faut que je te parle de quelque chose. » (rires)

Comment avez-vous réagi en apprenant qu’il allait tourner Avatar en premier ?

Oh, pour moi, l’essentiel était que Jim fasse ce qu’il avait envie de faire. Je l’ai souvent vu en action, et je sais que quelle que soit la difficulté du projet en question, Jim parviendra à le réaliser. J’ai peut-être pensé pendant un quart de seconde « Oh, Jim n’aura sans doute pas autant besoin de ma participation sur ce projet-là », mais je savais aussi que toute collaboration à un projet de James Cameron est toujours exceptionnelle, quoi qu’il arrive !

D’après les bruits qui ont couru, il semblerait que les tests que vous avez réalisés sur Battle Angel Alita étaient des scènes de combat avec l’héroïne, qui est une femme-cyborg…

En fait, nous avons tourné toute une série de tests en prises de vues réelles, afin de déterminer quelles étaient les vitesses de déplacement et les mouvements qui ressortiraient le mieux devant la caméra, pendant les scènes d’action. Nous avons cherché à voir comment manipuler les notions de vitesse et de relief. Je me suis vraiment concentré sur les défis particuliers que représentaient ces prises de vue, en intervenant sur la direction de la photographie. Peu après, nous avons commencé à faire des tests sur Avatar, avec les différents acteurs.

Pendant le tournage d’Avatar, vous avez exercé les fonctions de directeur de la photographie de la seconde équipe, c’est bien cela ?

J’ai été directeur de la photographie de la première et de la seconde équipe, pendant la partie du tournage qui a eu lieu à Los Angeles. Nous travaillions alors avec le procédé Simulcam, et quand j’ai eu l’occasion de l’utiliser pour la première fois, et de voir la simulation en synthèse et en relief des personnages et des décors, en temps réel, j’ai vraiment eu l’impression de devenir le personnage dont je filmais le point de vue. Il s’agissait d’un plan où Neytiri pointe le bout de sa lance vers Jake, qui est allongé sur le sol. Je me suis donc allongé avec la caméra sur le sol, dans la position de Jake, et je voyais Neytiri devant moi, ainsi que le bout du genou de Jake, en bas de l’écran. Comme j’avais l’impression que c’était mon genou à moi, je l’ai baissé, mais le genou dans l’image n’a pas bougé, puisque c’était celui de Jake, enregistré lors d’une précédente capture de performance ! Voilà le degré d’immersion que l’on atteint quand on tourne avec ce procédé ! On entre réellement dans la peau du personnage !

Quel a été le défi le plus dur à relever pendant le tournage en relief d’Avatar ?

Arriver à créer un relief si naturel qu’il en devient « transparent », et que le spectateurs le ressentent sans le remarquer. Jim n’est pas un réalisateur qui est facile à contenter, même quand il tourne en 2D. Et beaucoup d’autres réalisateurs auraient choisi un sujet beaucoup plus simple pendant la première utilisation d’un matériel aussi expérimental. Mais pas lui !

Avez-eu beaucoup de surprises pendant le tournage ?

Quelques unes. Je me souviens notamment que les déplacements des objectifs motorisés de notre caméra avaient tendance à déséquilibrer les mouvements de la steadycam, qui penchait un peu sur le côté. Du coup, pour éviter que le plan ne s’incline un peu en fin de parcours, l’opérateur devait saisir le support de la steadycam et le tenir fermement, et cela devenait un plan filmé caméra à la main, et non plus stabilisé. Pour résoudre le problème, nous avons mis au point un mécanisme de contrepoids qui compensait les déplacements de masses. Dès que les objectifs bougeaient en haut du système, le contrepoids faisait le mouvement inverse au bas de l’appareil.

Vous parliez tout à l’heure de l’exigence de James Cameron. Est-ce difficile de travailler avec lui au jour le jour ?

Non, car si vous maîtrisez bien votre spécialité, et si vous répondez à ses demandes, tout se passe bien. Mais il faut que vous soyez au moins aussi fort que lui dans ce domaine-là. Si vous êtes moins pointu que lui, il va faire votre travail à votre place pour aller plus vite, et vous ne resterez pas longtemps dans l’équipe ! (rires)

Quels sont les plans qui ont été les plus difficiles à tourner en 3-D ?

Aucun d’entre eux en particulier, à vrai dire. Mais étant donné que nous tournions en relief, il fallait que nous soyons toujours attentifs à la manière de cadrer et d’éclairer l’espace en trois dimensions qui se trouvait devant la caméra. Il fallait bien réfléchir à la manière dont nous allions amener les spectateurs « à l’intérieur» de ce plan. L’essentiel est d’éliminer les distractions inutiles dans l’image, tout ce qui peut parasiter votre perception de l’action principale. Dans le même ordre d’idée, nous nous sommes rendu compte que pendant les scènes d’action, nous pouvions filmer des choses qui bougent vite et faire des mouvements de caméra rapides, mais que nous devions réduire d’autant l’amplitude du relief, pour nous assurer qu’il n’y ait pas un « trop plein » d’informations données aux spectateurs. A l’inverse, nous pouvions amplifier le relief dans les scènes plus lentes.

C’est ce qui nous a frappé quand nous avons vu la scène de l’attaque du Thanator : elle est très rapide, et pourtant, quand on la découvre en relief, on distingue tout clairement et sans aucune gêne. La séquence fonctionne remarquablement bien.

Merci. Jim a tiré les leçons de ce que nous avons appris pendant dix ans. Vous remarquerez que dans cette scène, même si le montage et l’action sont rapides, les mouvements de caméra sont lents. C’est ce qui permet aux spectateurs de tout percevoir clairement en relief. Et je dirais aussi que cette manière de procéder – alterner les scènes d’action rapides et les scènes contemplatives - permet aussi de créer des moments de répit, plus tranquille, que les spectateurs apprécient.

A présent que votre travail sur Avatar est terminé, êtes-vous déjà en train de vous préparer à travailler sur Battle Angel Alita ? Est-ce que ce sera votre projet suivant ?

Ayant la chance de faire partie du cercle restreint des collaborateurs de Jim, tout ce que j’espère, c’est qu’il prendra le temps de souffler et d’apprécier le moment d’émotion qu’il va ressentir quand l’aboutissement de son travail qu’est Avatar sera enfin présenté au public du monde entier. Est-ce que j’aurais envie de travailler sur Battle Angel ? Oui, certainement, si le projet se présente, mais pour l’instant, comme tous les collaborateurs de Jim, j’ai le sentiment que ce que nous venons d’accomplir nous satisfait pleinement. Je crois que personne n’avait anticipé l’expérience qu’est Avatar

Avez-vous l’intention de développer une camera 3-D Relief de très haute résolution, dont les images seraient l’équivalent du format Imax actuel ?  Est-ce l’un de vos prochains buts ?

Personnellement, l’un des projets qui me tient le plus à cœur est une série de documentaires en relief consacré à la nature et au monde animal. J’ai envie que de plus en plus d’enfants s’intéressent aux métiers scientifiques liés à la préservation de l’environnement, et je pense que des documentaires 3-D qui vous placent au cœur de l’action sont des moyens formidables pour faire naître des vocations. Pour revenir à la première partie de votre question, j’aimerais effectivement participer à la transition du format de type Imax vers le numérique, en mettant au point une caméra qui permette des présentations de films 3-D Relief sur écrans géants.

Le format Omnimax ou Imax Dome comme on l’appelle à présent, est particulièrement appréciable, car il permet de remplir complètement le champ de vision, et l’impression est encore renforcée quand on voit des présentations en relief. Le procédé Showscan inventé par Douglas Trumbull, et sa vitesse de projection de 60 images par seconde, créait quant à lui un sentiment de plus grand réalisme de la restitution des mouvements. Pensez-vous que dans les années à venir, on pourra combiner toutes ces caractéristiques grâce au numérique pour créer ce que l’on pourrait appeler « l’expérience 3-D ultime » ?

Je pense que cela sera possible dans 4 à 5 ans, et que tous les éléments techniques sont déjà réunis pour que des prototypes soient réalisés dans ce sens. Vous avez raison de parler de la forme de l’écran et de l’augmentation de la vitesse de prise d’image par seconde, il faut absolument aller dans ces directions-là. On commence déjà à voir des caméras capables d’aller au-delà de la résolution 2K/4K. Je crois que dans le futur, on parviendra à créer des images de la même finesse que celles que perçoivent nos yeux, qui rempliront aussi notre champ de vision, et qui restitueront les mouvements tels que nous les percevons dans la vie. Je suis certain que cette démarche aboutira. Ce ne sera pas facile à faire, bien sûr, mais c’est faisable dès aujourd’hui !

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