Dossier Avatar : Entretien exclusif avec Sigourney Weaver (le Docteur Grace Augustine)
Article Cinéma du Lundi 29 Mars 2010

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S’il est une actrice qui évoque immédiatement la Science Fiction, c’est bien Sigourney Weaver, héroïne d’un classique instantané du genre, Alien le huitième passager, réalisé en 1979 par Ridley Scott. Contre toute attente, la suite de ce chef d’œuvre en fut un autre, Aliens (1986), écrit et mis en scène par un James Cameron qui réussit à transformer Ellen Ripley en icône féminine de la SF. Les deux suites furent terriblement décevantes, mais Sigourney Weaver a su s’adapter aux mauvais traitements scénaristiques infligés à Ripley en tirant à chaque fois son épingle du jeu. Les amateurs de fantastique ont le plaisir de la voir dans SOS Fantômes 1 et 2, et dans la formidable parodie Galaxy Quest. Toujours à la recherche de projets atypiques, Sigourney Weaver est apparue dans Ice Storm d’Ang Lee, le thriller Copycat,  l’émouvant Gorilles dans la brume consacrée à la vie de Dian Fossey, protectrice des gorilles des montagnes qui sacrifia sa vie pour lutter contre les braconniers, et tout récemment dans l’amusant Be Kind Rewind  de Michel Gondry. C’est avec un immense plaisir que l’avons retrouvée dans le film événement de James Cameron, dont elle nous a raconté le tournage avec un enthousiasme communicatif.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quand nous avons rencontré Zoe Saldana, elle nous a expliqué qu’Ellen Ripley était une de ses héroïnes favorites pendant son enfance. Avez-vous incarné Ripley en pensant qu’elle pourrait devenir non seulement une icône de la Science Fiction, mais aussi un personnage qui serait une source d’inspiration pour les jeunes filles ?

Zoe est très gentille de dire cela. Mais croyez-moi, ce qu’elle accomplit dans Avatar va surpasser tout ce que les autres héroïnes de films d’action ont fait avant elle. Neytiri est plus résistante que la plupart des hommes, elle se sert mieux de son arc et de ses flèches que n’importe qui, vole de manière encore plus audacieuse sur sa monture, bref c’est l’héroïne absolue telle que l’a imaginée James Cameron ! Et Zoe l’incarne merveilleusement. Ripley est différente, parce que ce sont les événements qui l’entraînent à se comporter de manière héroïque, pas sa nature profonde. Ce qui m’a intéressé dans le personnage de Ripley, c’est que j’ai eu l’occasion de jouer ce rôle à l’époque où les femmes accédaient enfin à des métiers traditionnellement réservés aux hommes, et à des postes importants dans l’armée. J’ai eu le sentiment d’avoir de la chance de jouer un tel rôle, celui d’une femme qui n’est pas une victime, qui ne reste pas sans défense. Ripley sait prendre ses responsabilités, et ne s’effondre pas devant la première difficulté venue. Et apparemment, ça a été un choc pour certaines personnes de voir un personnage féminin agir ainsi ! Aujourd’hui, les jeunes filles peuvent voir de nouvelles héroïnes agir dans le monde réel pour changer les choses. Je pense notamment à Michelle Obama, Hillary Clinton, et aux autres femmes qui exercent de hautes responsabilités dans le monde. Olympia Snowe, qui a voté pour la mise en place du système de sécurité sociale aux Etats-Unis, contre l’avis du parti républicain auquel elle appartient, a elle aussi agi de manière héroïque. Les femmes savent vraiment changer les choses – ce qui ne veut pas dire que les hommes ne le font pas ! – et faire preuve de courage dans des circonstances difficiles.



Ripley est aussi une jolie femme, et dans les films d’horreur, ce sont souvent elles qui meurent les premières ! En renversant ce cliché, Ridley Scott et les scénaristes ont contribué à rendre Alien encore plus surprenant…

Je pense que je n’étais pas mal, mais mon apparence physique ne comptait pas vraiment. Personne ne se préoccupait de soigner les tenues que je portais, ni ne m’incitait à porter des vêtements ajustés pour paraître plus attractive. Je considérais que Ripley devait être juste « un des gars de l’équipe », indépendamment de son sexe, et c’est ce qui me plaisait beaucoup. De cette manière, Ripley représentait tout le monde : tous les hommes et toutes les femmes. Elle symbolisait aussi ce que l’humanité peut accomplir face au danger en ne se perdant pas dans des conflits stériles, en allant à l’essentiel. J’ai toujours considéré qu’Alien est un film existentiel, contemplatif, au rythme très lent, et j’ai du mal à classer dans le registre des films d’action. Aliens, en revanche, est clairement un film d’action. Il fallait que je conduise des engins, que je manipule le « Power Loader » (l’exosquelette géant, NDLR), que j’utilise un lance-flamme, des armes. Jim aime bien les armes, comme vous le savez ! (rires)

Alien et Aliens ont été des films marquants, tout comme SOS Fantômes, et Avatar. Comment avez-vous réussi à participer à autant de films qui vont rester dans l’histoire du cinéma ?

J’ai eu de la chance. Simplement de la chance.

De toutes les grandes actrices, vous êtes celle que l’on a vue le plus souvent dans l’espace, rencontrer les créatures les plus diverses, et voyager dans les vaisseaux les plus intelligents, comme celui de Wall-E (Sigourney Weaver était la voix de l’ordinateur dans cette production Pixar, NDLR). Est-ce que cela correspond à vos goûts, ou aux hasards de votre métier ?

Nous les acteurs, nous passons d’un job à l’autre, et c’est à vous, les journalistes, d’interpréter cela et d’y voir ou non une signification. C’est d’abord la qualité d’un projet qui m’attire, plus que son genre. Quand Jim m’a demandé de participer à Avatar, je n’ai pas été surprise, parce que nous avons eu une excellente relation de travail sur Aliens. J’ai été ravie parce qu’incarner le personnage de Grace était un défi intéressant à relever. Mais reconnaissons-le, on a beaucoup de chance quand on se retrouve dans un film révolutionnaire comme celui-ci. Quand nous tournions Alien, nous étions tous enthousiasmés par ce que nous faisions. Nous adorions le design de l’univers du film, les décors, et la manière dont Ridley filmait les scènes, passant de prises de vues classiques à des plans viscéraux, tournés caméra à la main. Nous pensions que nous avions participé à un excellent film à petit budget, puisqu’il n’avait coûté que 14 millions de dollars, mais nous étions très loin d’imaginer qu’il changerait le cinéma de Science Fiction à tout jamais. C’est vraiment grâce à Ridley que nous sommes arrivés à ce résultat. A Ridley et à Giger.



James Cameron avait détesté que les personnages qu’il avait créés et fait vivre dans Aliens aient été tués dans le troisième volet…

Oui, je sais. C’était horrible, n’est-ce pas ?

…Avez-vous jamais, James Cameron et vous, évoqué la possibilité d’un Aliens 2, quitte à ce que ce soit un « reboot » de la saga, qui ne tienne pas compte des épisodes 3 et 4 ? Je ne peux même pas vous dire à quel point nous adorerions voir Aliens 2 !

Je sais !.. Je me souviens qu’au moment où j’ai appris que Fincher allait tuer ces personnages auxquels Jim tenait tellement, je me suis sentie très mal à l’aise… Je savais que Jim aurait voulu qu’ils participent à la suite de l’histoire. Mais je crois qu’une des raisons qui ont permis à la franchise Alien de durer, c’est que chacun des épisodes a été confié à un réalisateur différent, avec une vision qui ne ressemblait pas à celle du précédent. Je me rappelle que Fincher m’avait dit « Je ne veux pas qu’Alien 3 soit « les aventures de la famille des robinsons suisses dans l’espace» ! Il n’avait pas tout à fait tort, même si son point de vue était diamétralement opposé à celui de Jim. Il a fait le film qu’il avait imaginé, et que crois que cet épisode possède ses qualités propres. Mais je sais que pour Jim, ça a été très dur de voir ses personnages mourir à l’écran…

Ce serait pourtant formidable d’imaginer une version alternative de la suite, dans laquelle Ripley et Newt devenue adulte élimineraient ensemble des hordes d’aliens !

Vous savez que Ridley prépare une préquelle d’Alien. Peut-être y aura t’il un héroïne dans le style de Newt dans cette histoire-là ? Je ne sais pas quelle sera l’histoire de ce film, mais je souhaite qu’elle nous entraîne sur la planète d’origine des aliens, pour que nous puissions la découvrir enfin. J’aurais souhaité que ce soit le thème d’Alien 4, mais il a été décidé que l’enjeu de l’histoire serait que les aliens risquent de contaminer la terre. Ce qui était, à mon avis, une terrible erreur de script. En tous cas, je souhaite tout le meilleur à Ridley pour la préquelle qu’il entreprend.

Comment avez-vous réagi en lisant le script d’Avatar? Vous êtes-vous demandée comment un tel film pourrait voir le jour ?

Je n’ai pas douté que Jim parviendrait à obtenir les moyens de le tourner, mais la question que je me suis posée, c’était « Mais comment va t’il faire ?! ». Je me demandais comment il allait créer un monde avec des montagnes flottantes, avec toutes ces bêtes étonnantes, et cette race humanoïde complètement différente de nous. Le projet était tellement ambitieux, tellement riche d’idées, de détails, que je l’ai relu trois fois de suite après que Jim m’ait confie le rôle, pour bien m’en imprégner.

Le personnage que vous incarnez, le Docteur Grace Augustine, est une scientifique. Est-elle pour autant la voix de la raison dans le film ?

Pas exactement, car elle se trouve dans une position assez compromettante. Afin de prolonger la durée de l’utilisation du programme « avatar » et de financer ses travaux de botanique, elle a accepté l’argent de la compagnie minière RDA. Je crois que jusqu’au moment de l’arrivée de Jake, Grace vit dans l’attente du grand moment où elle pourra poursuivre ses recherches sur Pandora. Elle attend avec impatience de se retrouver dans la peau de son avatar, pour explorer la jungle et y prélever de précieux échantillons de plantes, tout en espérant secrètement que les Na’vi entreront en contact avec elle. Mais quand nous la voyons agir dans l’univers de la base, elle semble très compromise. Je crois que la présence de Jake lui permet de prendre du recul, et de remettre en perspective sa notion du bien et du mal. Il va l’inciter à s’impliquer personnellement dans les événements qu’elle s’est trop longtemps bornée à observer en témoin passif. Elle se rend compte qu’elle peut faire plus que de se contenter de dire ce qu’il faudrait faire, et elle prend position. En fait, elle ne peut pas renoncer à rester sur Pandora. Ce monde est devenu sa famille, et le projet de toute une vie. Bien sûr, si on compare Grace au Colonel Quartich, elle représente le bien, mais cette comparaison-là ne signifie pas grand’chose ! (rires)

Comment James Cameron vous a t’il décrit le personnage de Grace ?

Il m’a dit qu’à l’origine, ce personnage devait être un homme…

C’est intéressant, car le rôle de Ripley avait été également conçu pour un homme, à  l’origine…

Oui, c’est exact, vous avez raison de le rappeler. Ripley était également un homme dans le scénario original d’Alien. Mais en lisant le script d’Avatar, j’ai vraiment pensé qu’il était tout à fait judicieux que le personnage de Grace soit une femme. Elle me rappelle tant de femmes que j’ai connues en grandissant, qui ne se sont jamais mariées pour se dévouer à une certaine cause, ou a des études très poussées, et qui sont devenues les mentors de beaucoup de gens. Même si ces femmes exigeaient beaucoup de choses de vous, vous travailliez encore plus pour les satisfaire parce que vous étiez pleine d’admiration et d’affection pour elles. Je trouve également Grace très drôle. Elle est toujours prête à vous lancer une plaisanterie cinglante.



Comment réagit-elle en rencontrant Jake ?

Oh, elle le déteste immédiatement, parce que c’est un ancien marine. J’ai beaucoup aimé son aptitude à détester certaines choses. On pourrait dire que c’est une dure à cuire, mais sous sa carapace, il y a une personne tellement passionnée par la botanique qu’elle a sacrifié sa vie à ses études. Quand elle a enfin le moyen de se rendre sur Pandora, et d’explorer cet environnement qui la fascine, elle se trouve enfin une famille au cours de son aventure.

Grace est-elle déstabilisée d’avoir accepté l’argent de la compagnie minière pour continuer à mener ses travaux ?

Oui, je crois que c’est un paradoxe déchirant pour elle. Ce n’est pas une question d’argent, en fait. Ce qui la chagrine, c’est que pour avoir la possibilité d’aller sur Pandora et d’étudier les jungles de cette planète, cette lune, elle doit collaborer avec la société qui est en train de détruire cet environnement exceptionnel. Elle sait très bien pour qui elle travaille. Je me suis longtemps demandé quelle était sa motivation. N’aurait-elle pas dû donner sa démission et rentrer chez elle ? En réalité, je crois qu’elle ne peut plus étudier la botanique sur terre, parce qu’à cette époque future, les plantes ont pratiquement disparu. Son rêve, c’est de résoudre le mystère du fonctionnement de l’écosystème de Pandora, qui est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Pour elle, ce que l’on peut découvrir des secrets de la nature sur Pandora est encore plus précieux que le minerai extrait par la société RDA. C’est effectivement une situation très délicate pour elle, et je crois qu’elle en éprouve un profond malaise.

Découvrez à présent la seconde partie de cet entretien


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