Entretien exclusif avec le réalisateur Nimrod Antal à l’occasion de la sortie DVD & Blu-Ray de PREDATORS - Troisième partie
Article Cinéma du Lundi 22 Novembre 2010
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
L’affrontement final entre Schwarzenegger et le Predator dans l’opus original se déroulait presque sans dialogues. Est-ce dans le même esprit que vous avez conçu les scènes sans paroles de Predators ?
Oui, il y en a même beaucoup…La plupart des moments les plus forts du film se passent de dialogues. La scène qui me vient immédiatement à l’esprit est celle pendant laquelle Hanzo, le tueur Yakuza, est confronté à l’un des predators…dans un silence de mort !
Pouvez-vous nous en dire plus sur les raisons qui vous ont amené à vous passer de dialogues ?
Grâce à la culture que j’ai acquise à Budapest, et à tous les grands films européens que j’ai pu voir, j’ai compris que bien souvent, le silence est d’or ! Les films américains ont tendance à être saturés de dialogues. Assis dans son fauteuil de cinéma, on a l’impression d’être noyé sous les flots de bla-bla inutiles. Je sais qu’il y a une tradition américaine qui consistait à écrire de longs échanges de répliques rapides pendant les années 30 à 60. C’était plaisant à l’époque, parce que les spectateurs appréciaient ces conventions un peu théâtrales. Mais à partir des années 70, beaucoup de cinéastes ont préféré employer des dialogues plus réalistes, et laisser aussi le silence s’installer dans la construction dramatique d’une scène. Cette tendance réaliste touche aussi le cinéma de genre, comme la Science-Fiction, qui se veut de plus en plus réaliste elle aussi. Je crois qu’il faut toujours choisir la solution la plus élégante. L’adage « Less is more » (Qu’on pourrait traduire par « La sobriété apporte plus que l’outrance », NDLR) est très pertinent. En tant que réalisateur, je suis fasciné par tout ce que l’on peut exprimer simplement avec des images, sans un mot. Pour moi, les compositions visuelles et les cadrages sont plus efficaces qu’une voix off dans un film. Si vous pouvez vous passer de voix off ou de dialogue pour raconter la même chose, c’est toujours mieux de procéder ainsi. Si je peux faire passer une information par une image, par un mouvement de caméra ou par le jeu d’un acteur sans qu’un seul mot soit prononcé, je choisis toujours cette option-là.
Etait-ce difficile de rendre un groupe de tueurs attachant ? Quels sont les aspects de leurs personnalités que vous avez mis en valeur pour leur permettre de se « racheter » un peu ?
Ce qui m’intéressait dans cette situation, c’est que dans les films de référence, auxquels le public va penser immédiatement en allant voir Predators, qu’il s’agisse d’Aliens ou du premier Predator, les humains qui affrontent les extraterrestres forment déjà une équipe soudée, un groupe dans lequel chacun joue un rôle précis. Ils fonctionnent comme une machine bien rôdée. Le sentiment qui est exprimé est donc « C’est NOUS contre CES CHOSES. » Dans Predators, le concept initial du script était plutôt « tout le monde se bat contre tout le monde » ! Mais l’histoire a évolué depuis, et ces personnages de tueurs, de soldats, de prisonniers entament ensemble un voyage qui va les amener à collaborer les uns avec les autres, parce qu’ils comprennent qu’ils sont perdus d’avance s’ils ne s’entr’aident pas. C’est la seule façon de survivre à cette situation cauchemardesque. Je crois que c’est l’un des aspects les plus intéressants et les plus amusants de ce film. Il y a non seulement des affrontements logiques entre les proies et les chasseurs, mais aussi entre les proies ! Les humains sont tellement à cran que certains finissent par se battre… Vous demandiez ce qui leur permet de se racheter : ce sont leurs actions. La manière dont ils agissent pendant les moments critiques. Certains des personnages les plus égoïstes et les plus narcissiques sont ceux qui accomplissent les actes les plus courageux et les plus désintéressés. Ces tueurs se rendent compte que leur sacrifice est ce qui va permettre au groupe de réussir à atteindre l’étape suivante de la bataille… Je dois dire que je ne crois pas à l’approche « Tout noir ou tout blanc » du caractère d’un personnage. En revanche, si vous commencez à vous attacher à quelqu’un qui est clairement présenté comme un méchant, alors cela signifie que le script va dans la bonne direction. Plus un protagoniste d’un film est complexe, plus il est surprenant, et meilleure est la narration.
A quel point la « nouvelle tribu » de predators est-elle différente du clan du predator « classique » qui apparaît dans le film ?
Un membre de la tribu du predator qui meurt à la fin du premier épisode avec Arnold est présent dans notre histoire. On retrouve donc l’apparence du predator original dans notre film. Les différences physiques avec les nouveaux predators se situent surtout au niveau de la tête, qui a une forme beaucoup plus allongée.
Compte tenu des remarques que vous avez faites sur les deux AVP, on comprend pourquoi vous n’avez pas intégré de références aux créatures d’Alien dans Predators…
Nous voulions vraiment nous tenir à bonne distance de ces deux derniers films. Cela étant dit, je trouve que la première suite, Predator 2, qui se déroule à New York, avec Danny Glover, est un film assez réussi. C’est justement dans cet épisode-là que l’on voit un crâne d’alien dans la salle des trophées du vaisseau des predators…
Quelles ont été les séquences les plus difficiles à réaliser et pourquoi ?
Bien que cela n’ait jamais été mon intention originale, dans trois des quatre films que j’ai réalisés, je me retrouve toujours à travailler avec de grands groupes d’acteurs. C’est assez difficile, car vous devez vous assurer que « tous les musiciens de l’orchestre jouent en harmonie », pour ainsi dire. Il faut que tout le monde respecte les indications qui ont été données sans chercher à tirer son épingle du jeu. C’est compliqué d’atteindre ce but, surtout quand vous ne disposez que d’un délai de tournage limité, et que vous avez beaucoup de choses à filmer chaque jour. Il faut vraiment que les acteurs vous fassent entièrement confiance, qu’ils soient sûrs de vos choix de mise en scène. Il peut arriver qu’ils vous fassent des suggestions que vous ne trouvez pas judicieuses, ou même que vous n’ayez pas le temps matériel de vous arrêter pour avoir ce type de conversation avec eux… C’est toujours compliqué à gérer quand il faut filmer beaucoup de plans chaque jour. De plus, les environnements dans lesquels nous nous trouvions n’étaient pas ceux qui offraient le plus grand confort de travail. Nous nous sommes retrouvés dans les jungles d’Hawaï, les déserts du Texas, sous des pluies torrentielles…Sans oublier les scènes nocturnes, tournées par un froid glacial ! Je crois qu’il s’agissait des températures les plus basses enregistrées au Texas depuis une dizaine d’années ! (rires) Travailler dans des conditions climatiques aussi extrêmes affecte toujours l’humeur de l’équipe technique et des comédiens. En tant que réalisateur, vous devez constamment leur remonter le moral, les encourager, et leur injecter tout votre enthousiasme. Je leur rappelais aussi très souvent que nous étions en train de tourner un film sincèrement conçu pour faire plaisir aux fans de Predator. Tout le monde en était conscient et avait envie de se surpasser pour les satisfaire.
Vous souvenez-vous d’une journée de tournage particulièrement difficile, et d’une autre, merveilleusement agréable ?
Je me souviens d’un moment où la pluie était tellement abondante que la seule solution a consisté à arrêter de tourner pour le reste de la journée. Sur le coup, épuisés comme nous l’étions tous, c’était une pure extase ! (rires) Le chaos total, nous le vivions chaque jour ! Tout simplement parce que chaque décision que vous prenez à n’importe quel moment est la décision la plus importante au monde à ce moment précis. Et tout repose sur vos épaules ! Le simple fait de vouloir faire le meilleur travail possible vous met sur le grill.
Quelles sont les scènes dont vous êtes le plus fier ?
Je n’ai pas encore le recul nécessaire pour vous répondre… Il faudrait que je revoie le film dans quelques années pour être plus impartial. Aujourd’hui, j’aurais encore tendance à vous dire que je les aime toutes ! (rires) Et que j’ai été ravi que les fans réservent un bon accueil au film. J’espère que ceux qui le découvriront en DVD et Blu-Ray l’aimeront autant.
Avec le recul, quel a été le plus grand défi à relever pour créer ce film ?
D’un point de vue personnel, c’était de venir à bout du travail prévu chaque jour. Je savais que le studio ne me donnerait pas plus de temps ni plus d’argent, donc je n’avais pas d’autre choix que d’atteindre mes objectifs. C’était l’aspect le plus dur de ma tâche. Mais j’étais entouré par une équipe technique fantastique, et par des acteurs exceptionnels.
Est-ce que Robert Rodriguez a tenté d’obtenir un budget plus important ?
Comme toujours, le studio avait lancé le projet sur la base d’un budget préétabli. Je sais que Robert a fait des contre-propositions et que la négociation a duré un bon moment. Mais à un point donné, nous avons su que nous avions un budget précis qu’il n’était pas question de dépasser. Robert savait que ce serait un tournage assez dur. Il y a des jours où je n’ai pas pu finir tout ce qui était prévu, et d’autres où j’ai compensé en filmant plus de scènes… Nous étions toujours conscients de notre obligation de respecter les délais et le budget prévu. Et pour citer Robert, notre attitude a consisté à « ne pas ouvrir les vannes financières pour tout et n’importe quoi ». Nous connaissions nos objectifs, et nous étions déterminés à les atteindre coûte que coûte. Il n’était pas question de trouver des excuses pour justifier des retards ou des dépassements budgétaires.
De combien de jours de tournage avez-vous disposé ?
50, ce qui n’est pas beaucoup compte tenu de tout ce que nous avions à filmer…
Y a t’il eu des moments où Robert Rodriguez et vous n’étiez pas d’accord sur la manière de tourner une scène ? Et dans ces cas-là, comment régliez-vous ces différences d’opinion ?
Nous n’avons jamais eu des points de vue radicalement différents. Dans 90% des cas, l’un arrivait à convaincre l’autre. Mais quand nous n’étions pas tout à fait d’accord sur la mise en scène d’une séquence, Robert me disait très gentiment « Tourne-là comme tu le souhaites, mais fais-moi plaisir et filme au moins une fois ma version de la scène. On verra ensuite au montage ce qui fonctionnera le mieux. » Cela n’a jamais été une question d’ego : nous avons toujours choisi, le plus objectivement possible, ce qui était le mieux pour le film. Je crois être capable d’admettre très facilement qu’une idée est meilleure qu’une autre, même si elle ne vient pas de moi. Et Robert fonctionne lui aussi comme cela.
Etait-ce dur de garder votre énergie intacte, jour après jour, même après 15 heures de tournage ?
C’est vers la fin du tournage que cela a été le plus dur. Là, j’avoue que mes batteries étaient un peu à plat, et que je devais faire plus d’efforts pour encourager l’équipe et les acteurs. Mais bon…les longues journées ne sont pas l’apanage des réalisateurs de cinéma. Quel que soit le métier que vous exercez, il faut que vous puisiez en vous des réserves d’énergie insoupçonnées pour venir à bout de journées de travail très longues… Heureusement, à chaque fois que je me sentais épuisé et découragé, il y avait toujours une petite voix dans ma tête qui me disait « Tu as eu la chance que l’on te confie la réalisation d’un film de la série Predator, tu n’as pas le droit de te planter ! » (rires)
Est-ce que Robert Rodriguez et les dirigeants de la Fox vous ont soutenu et encouragé ?
Oui, tout à fait ! D’ailleurs, cela me rappelle le jour où j’ai cru que j’allais être viré ! (rires)
Vraiment ? Racontez-nous ! Que s’est-il passé ?!
Je me trouvais dans la jungle à Hawaï, en train de préparer une des scènes les plus compliquées du film et de régler des milliers de choses, quand mon assistant est venu me voir pour me dire « Il y a un type qui a essayé de te joindre, et qui a demandé que tu le rappelles. » Je lui demande de qui il s’agit, et il me tend un petit bout de papier sur lequel il avait griffoné un nom : Tom Rothman. J’ai senti mes jambes vaciller, car au cas où vous ne le sauriez pas, il s’agit du grand patron de la Fox ! J’ai dit à mon assistant « J’ai besoin d’un téléphone, tout de suite !! » J’étais devenu livide, persuadé que mon compte était bon, et que le patron du studio avait détesté les premières scènes qu’il avait vu. Cela se passait au bout de deux à trois semaines de tournage, et c’est généralement à ce moment-là que les dirigeants d’un studio décident de vous renvoyer ! C’est ce que l’on m’avait raconté, en tous cas… (rires) Je rappelle donc le big boss en lui disant « Monsieur Rothman, je suis navré de ne pas avoir pu vous rappeler plus tôt… » et il m’interrompt, agacé, en me disant : « Ne m’appelez pas Monsieur ! C’est mon père que l’on appelle Monsieur Rothman ! Moi c’est Tom ! » (rires) Je reste sans voix, ne sachant que répondre, et il poursuit sur le même ton ferme, en disant : « Je ne sais pas ce que vous foutez dans cette jungle, mais c’est du bon boulot ! Continuez comme ça !! » (rires) Il m’a juste laissé le temps de dire « Oui Monsieur, bien Monsieur », et il a raccroché ! » (rires) Je suis revenu sur le plateau, rassuré, mais encore sous le choc…
Quelles étaient les difficultés inhérentes au tournage dans les jungles d’Hawaï ?
Voyons voir… Nous nous retrouvions souvent embourbés jusqu’aux genoux dans des excréments de cochons sauvages…tout en étant harcelés par les moustiques ! (rires) Je vous laisse imaginer ce qu’a enduré Louis Ozawa Changchien, qui joue pieds nus le rôle de Hanzo, le Yakuza, parce que son personnage ne veut pas abîmer ses chaussures de luxe ! Louis et moi pratiquons tous les deux le Kendo, ce qui nous a rapprochés. Il tient l’un des rôles les plus difficiles du film, car son personnage parle très peu. Nous avons essayé de revenir ensemble aux méthodes des classiques du cinéma, pour exprimer ses sentiments par le biais de mouvements de caméra ou de composition de l’image. Il a une présence incroyable dans le film, vous verrez. Mais au Texas aussi, le tournage était difficile pour lui, en raison du froid. Je vais vous en donner un exemple concret : Louis s’est retrouvé à une heure du matin sur le plateau, pieds nus, par une température de 2 degrés. On devait vaporiser de l’eau et de la glycérine sur son visage et son corps pour simuler sa transpiration, tandis qu’un ventilateur projetait de l’air glacé sur lui. Et le tournage de cette scène-là a duré 10 heures, sans interruption…C’était aussi cela, l’aventure de Predators !