Avatar version longue : Dans les coulisses de Weta Digital, cinquième partie - Rencontre exclusive avec Joe Letteri
Article Cinéma du Mercredi 12 Octobre 2022
A l'occasion de la ressortie d'Avatar au cinéma, et en attendant l'arrivée d'Avatar: La Voie de l'eau en décembre, nous vous proposons de redécouvrir ce dossier exclusif!
Nous nous sommes rendus récemment de l’autre côté de la planète, à Wellington, en Nouvelle-Zélande, pour rencontrer l’équipe de Weta Digital qui venait d’achever les nouvelles séquences de la version longue d’Avatar sous la direction de James Cameron, du producteur Jon Landau et du superviseur des effets visuels Joe Letteri.
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
Après s’être entretenu avec nous, Jon Landau nous entraîne sur le plateau de capture de performance, dans lequel nous attendent déjà des figurants en costume ponctués de marqueurs. Nous y voyons le système fonctionner, ainsi que la fameuse simulcam qui permet de « filmer » et de cadrer les actions des acteurs enregistrées en direct, tout en voyant les effigies des Na’vi et le décor de la future scène (en l’occurrence celui de l’école abandonnée que l’on découvre dans la version longue du film) dans le viseur en temps réel. Nous assistons ensuite à une démonstration du logiciel d’animation des personnages, en compagnie d’une animatrice qui actionne les expressions faciales de Jake, frappantes de réalisme. Weta Digital a développé un logiciel spécial pour texturer et colorer les personnages, comme cette artiste nous en fait la démonstration. Différentes textures de peau et de rides peuvent être combinées, ainsi que plusieurs couches de teintes différentes, pour arriver à un résultat étonnant de subtilité. L’étape suivante de la visite est le « data center », l’ensemble d’immeubles en bois qui abrite les ordinateurs de Weta Digital. Tous les processeurs ayant tendance à chauffer, il a fallu construire une unité d’air conditionné colossale – tout un bâtiment ! - pour abaisser la température de l’ensemble des salles, qui s’étendent sur une surface de plus de 3000 mètres carrés. Ce sont des lames BL2x220c fabriquées par Hewlett Packard qui sont regroupées par groupes de 32 unités dans quatre énormes châssis. Ce qui constitue un ensemble de 40 000 processeurs et 104 teraoctets de RAM. Sur ces lames sont inscrites et lues des données qui peuvent être ensuite transmises via un réseau de fibres optiques dans les disques de stockage BluArc et NetApp qui disposent d’une mémoire combinée de 3 petaoctets. Après avoir traversé ces installations qui semblent sorties d’un thriller de SF, nous avons rendez-vous avec Joe Letteri, qui a veillé sur les effets de cette version longue d’Avatar, tout en travaillant aussi sur les Aventures de Tintin avec Peter Jackson et Steven Spielberg. Rappelons que Letteri avait déjà reçu trois Oscars ( pour Les deux tours, Le retour du roi, et King Kong) avant d’être justement récompensé une quatrième fois pour les prouesses accomplies sur Avatar.
Entretien avec Joe Letteri, Superviseur des effets visuels d’Avatar et de la version longue du film
Quel souvenir gardez-vous de la première réunion de travail au sujet d’Avatar?
Je me souviens que Jon Landau était venu nous voir ici à Weta pendant que nous étions en train de finir les effets de King Kong. Il nous a donné le « scriptment » que Jim avait écrit, bien avant qu’il existe un script complet de l’histoire. Ce projet paraissait fantastique. Rien de ce qu’il décrivait ne semblait impossible à faire, mais nous avons compris qu’il faudrait travailler vraiment très dur pour parvenir à réaliser tout cela. Et il était évident que c’était un projet sur lequel nous avions tous envie de nous investir. D’ailleurs, le comité de direction de Weta a fait le choix ultérieur de refuser certains très gros films américains qui nous étaient proposés, afin d’avoir le temps de s’investir pleinement sur Avatar.
Quelles étaient les plus grandes difficultés posées par la création des nouvelles scènes de cette version longue du film ?
La plus difficile de toutes est la séquence de la chasse du troupeau de sturmbeasts, et ce pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’elle met en scène de très nombreux Na’vi, que l’on voit sur leurs montures, mais aussi volant au-dessus du troupeau, et ensuite parce que les animaux courent au milieu d’une rivière, puis dans la boue. Nous n’avions pas eu à animer une scène avec autant de simulations différentes, et autant de personnages et de créatures dans la version cinéma d’Avatar . L’animation de tous ce qui se passe durant cette scène est également très complexe, et doit avoir un fort impact dramatique. Il y a beaucoup d’interactions à gérer, entre les Na’vi et leurs animaux, entre les sturmbeasts affolés, qui se bousculent et renversent les plantes et les arbres sur leur chemin, entre les sturmbeasts mortellement touchés par les flèches des Na’vi et le sol boueux, etc. Dans une scène comme celle-là, toutes les créatures sont animées par les animateurs, sans recourir à la capture de performance. Même si nous avons placé les acteurs sur des supports en mouvement qui avaient la forme de leurs reptiles volants, il est difficile pour un comédien de donner vraiment le sentiment qu’il est en train de voler sur le dos d’une bête. Les animateurs ont dû reprendre une grande partie de ces mouvements-là pour les rendre crédibles.
Avez-vous disposé d’un peu plus de temps pour créer les nouvelles scènes que pendant la production du film ?
Oui, nous avons bénéficié d’un peu plus de temps, entre deux et trois mois, tout en étant liés à des contraintes de budget et des délais de réalisation serrés. Mais nous avons pu utiliser une équipe bien plus réduite que celle qui a travaillé sur le film.
Est-ce que le succès extraordinaire d’Avatar a poussé James Cameron à ajouter après coup des scènes qui n’avaient pas été tournées ni préparées avant ?
Non, il n’a utilisé que les scènes qui avaient été préparées en capture de mouvement, mais avec le recul, il a effectué quelques changements mineurs dans certaines d’entre elles. Des petits détails uniquement.
Quelle a été l’inspiration de la nouvelle séquence du début du film, où l’on voit Jake sur terre, dans des paysages urbains qui font un peu penser à ceux de Blade Runner ?
Ce plan a été traité comme Jim l’imaginait au départ. Il voulait montrer un univers dans lequel l’urbanisme serait devenu fou, dans lequel il n’y aurait plus de place pour le moindre espace vert. Bien évidemment, la pollution atteint des niveaux alarmants, et c’est pour cela que de nombreux personnages que l’on voit dans ces images portent des masques respiratoires.
Dans la version plus longue de 8 minutes qui a été présentée en salles il y a quelques mois figurait déjà une scène qui est un peu plus explicite sexuellement entre Jake et Neytiri, mais qui reste cependant très symbolique. Autant les personnages sont décrits de manière réaliste en ce qui concerne leurs yeux, leurs cheveux, leur peau, autant leurs attributs sexuels ne sont guère plus développés que ceux de Barbie et de Ken…Avez-vous un commentaire à faire sur ce point ?
Je suis sûr que le studio a dû faire valoir d’excellentes raisons pour ne pas aller plus loin dans ce domaine, mais je dois vous dire que de notre côté, nous sommes confrontés à un aspect très concret, qui est celui de la modélisation 3D des personnages, et de moindres détails de leur anatomie. Et il faut bien avouer que personne dans notre équipe n’avait vraiment envie de s’investir dans cet aspect des détails corporels des Na’vi ! (rires) Nous avons donc demandé à Jim s’il ne voyait pas d’inconvénient à ce que l’on ne modélise pas cette partie des corps des personnages et il nous a dit « Bien sûr, pas de problème. » C’est la raison pour laquelle je serais bien incapable de vous expliquer comment les Na’vi se reproduisent, mais peut-être l’apprendrons-nous dans les prochains films ! (rires)
Vous avez aussi été confronté au problème de cacher la nudité partielle de Neytiri…
En fait, nous avons convenu très tôt de ne pas cacher sa poitrine en utilisant une pièce de vêtement. Nous avions fait des essais, mais cela ne fonctionnait pas, c’était étrange et on ne comprenait pas comment cette sorte de soutien-gorge pouvait tenir sans ruban adhésif. Jim nous a dit « Dans les tribus proches de la nature, les femmes ne portent pratiquement jamais de soutien-gorge. Utilisons plutôt un collier, et cela suffira. »
La suite de notre entretien avec Joe Letteri sera publiée prochainement sur ESI…