[Star Wars Day] Dans les coulisses de L'Empire contre-attaque #1 – Industrial Light & Magic et la planète Hoth
Article Cinéma du Lundi 04 Mai 2020

En mai 1980, soit trois ans après Un Nouvel Espoir, L'Empire contre-attaque sort au cinéma. Bien plus complexe et ambitieux que son prédécesseur, ce cinquième volet de la saga Star Wars reste encore, quarante ans plus tard (dans quelques jours !), le préféré d'une majorité des fans. Mais au delà de ses qualités narratives et cinématographiques, ce film a également bénéficié d'incroyables trucages conçus par les artistes d'un (alors) jeune studio d'effets spéciaux, Industrial Light & Magic (ILM). Partons à la découverte de l'envers du décor et des techniques des magiciens du Septième Art...

Par Pierre-Eric Salard



Lorsque George Lucas commence à écrire le synopsis du second chapitre de sa saga, il n'hésite pas à imaginer des séquences alors inédites au cinéma. Si Un Nouvel Espoir dévoilait de superbes combats spatiaux, L'Empire contre-attaque proposera une poursuite dans un champs d'astéroïdes, une bataille épique à la surface d'une planète glacée et une cité volant littéralement au-dessus des nuages ! Le cinéaste comprend d'emblée qu'il a mis la barre bien plus haut que pour l'Episode IV ; mais il compte sur les talents des artistes de sa société, Industrial Light & Magic, pour concevoir des effets spéciaux à la hauteur de son imagination... Rappelons que George Lucas a créé ILM en 1976 à Los Angeles pour concevoir en interne les trucages d'Un Nouvel Espoir. Après avoir recruté de jeunes artistes, il leur a laissé un an pour inventer les nouvelles techniques qui permettraient de retranscrire sa vision. Hors seuls une poignée de plans voient le jour ! « J'avais obtenu le soutien des dirigeants du studio 20th Century Fox », se souvient George Lucas. « Mais quand ILM eut besoin d'une rallonge budgétaire, ce fut un instant critique ! Heureusement, nous avons pu finir les trucages du film à temps... » Et avec quel panache ! Il faut dire qu'on ne réinvente pas la magie du cinéma en un jour. Et la dernière année de post-production d'Un Nouvel Espoir accoucha de séquences qui clouèrent les spectateurs sur leur siège ! Ceux qui étaient présents s'en souviennent encore... Plus tard, lorsque l'expérience du premier Star Wars fut derrière lui, George Lucas, enrichi par ce succès, pouvait se permettre de financer et concevoir le second volet de façon indépendante. Grâce à un célèbre coup de poker qui lui permit d'obtenir les droits de sa saga, il finança lui-même L'Empire contre-attaque à travers sa société de production, Lucasfilm. Et son studio d'effets spéciaux, Industrial Light & Magic, se vit logiquement confier la création des trucages du film. Il s'agissait d'une première à Hollywood : jamais un cinéaste n'avait eu un tel contrôle sur son œuvre. George Lucas devait rendre des comptes à la Fox lors de la production de l'épisode précédent ; il était désormais maître de sa destinée. Si le développement de L'Empire contre-attaque a englouti la fortune du cinéaste, ce dernier s'en sortira avec les honneurs... et les recettes qui vont avec ! Même s'il fut à deux doigts d'être obligé de revendre les droits de sa franchise à la Fox pour financer les derniers mois de post-production du film, le budget initial de 15 millions de dollars doublant au cours de la production... Mais il s'agit d'une autre histoire !

Nouveaux locaux, nouveau réalisateur

Peu après la sortie d'Un Nouvel Espoir, George Lucas décide de déménager Industrial Light & Magic, dont le développement est exponentiel. « George s'occupait de tout quand ILM se trouvait à Los Angeles », explique Phil Tippett (RoboCop, Jurassic Park), qui avait animé les créatures holographiques du « jeu d'échecs » du premier épisode. « Il rencontrait les gens avant de les engager, et suivait toute la conception et la réalisation des effets spéciaux. Ensuite, j'ai fait partie des quinze personnes qui ont déménagé de Los Angeles pour organiser le travail dans les nouveaux locaux de San Rafael dans le comté de Marin County, près de San Francisco. George avait 35 ans et il ne voulait pas reproduire les structures bureaucratiques des grands studios. » Si John Dykstra, l'inventeur de la Dykstraflex (une caméra révolutionnaire pilotée par ordinateur), et quelques autres restent à Los Angeles - dans les anciens locaux de Van Nuys - pour fonder la société Apogee (la série Battlestar Galactica 1978), de grands noms d'ILM partent pour San Fransisco, dont Denis Murren, Richard Edlund, Ken Ralston, Steve Gawley, Paul Huston, Joe Johnston et Lorne Peterson. Ces artistes débutent la pré-production du film alors que les nouveaux locaux sont encore en construction... Contre toute-attente, George Lucas décide de ne pas réaliser le second chapitre de sa saga. « George ne tenait pas particulièrement au rôle de réalisateur », explique John Knoll, superviseur des effets visuels de la dernière trilogie en date. « Il décida de superviser le film et sa révolution des effets spéciaux en qualité de producteur exécutif. Il voulait aussi pouvoir s'occuper d'autres projets, comme Les Aventuriers de l'Arche Perdue (1981), tout en travaillant sur l'Episode V. Aussi la réalisation fut elle confiée à Irvin Kershner ». Le producteur Gary Kurtz, quant à lui, s'avouait ravi qu'ILM soit devenu une véritable structure organisée, dont le noyau était constitué par des vétérans du premier film. « Irwin Kershner, notre réalisateur, travaillait de manière très étroite avec les acteurs », confie Gary Kurtz. « Il se fichait pas mal des effets spéciaux et me laissait m’en occuper. L’histoire est beaucoup plus sombre que dans le premier épisode et les personnages bien plus crédibles. Je ne voulais pas que le film repose sur les effets spéciaux. Et je me souviens aussi que nous avons décidé très vite d’inverser certains clichés. J’avais suggéré très tôt que le film débute par une énorme bataille - alors que ce genre de séquence est habituellement placée à la fin -, que nos héros la perdent, qu’ils soient obligés de s’enfuir, et que l’histoire commence seulement après ! Ces éléments, et l’apparition de Yoda, ce personnage étrange et pourtant crédible, ont contribué au succès du film ». Alors qu'Irvin Kershner se concentre sur le contenu dramatique du film, George Lucas supervise donc la partie technique, soit les centaines de plans à effets spéciaux. « George m'a dit 'ne t'inquiètes pas du fait que tu n'y connais rien en effets spéciaux' », se souvient le réalisateur. « 'Je veux que tu te concentres sur les prises de vue réelles. Laisse les garçons se débrouiller, ils trouveront bien un moyen pour concrétiser nos idées ! C'est une sorte de défi pour eux. Et nous créerons des scènes qui n'ont jamais été vues, je te le garantis'. Voilà ce qu'il m'a dit (rires). Je ne me suis donc pas auto-censuré. J'ai arrêté de me demander comment nous montrerions une armée se battre dans la neige contre des géants de métal (rires) ! Il fallait juste que respecte le storyboard que nous avions conçu. C'était notre bible ! Si je déviais de ce qui était prévu, il fallait que j'appelle George. Il était toujours fourré chez ILM (rires) ! Je lui disais que tel vaisseau ne viendrait finalement pas de la droite, mais de la gauche. Je le prévenais très en avance pour que les techniciens n'aient pas à construire des choses dont nous n'aurions finalement pas besoin. Nous restions en contact, mais George m'a laissé réaliser 'mon' film... »

L'art de la préparation

Le storyboard devint rapidement un outil indispensable pour tous les membres de la production. « Nous avons dessiné le moindre plan du film », précise le co-superviseur des effets visuels de L'Empire contra-attaque, Brian Johnson (Alien, Cosmos 1999). « Mais le storyboard n'était pas figé. Il a été régulièrement modifié, du début à la fin du développement ! » Mais si le document s'est avéré d'une aide inestimable, il a été précédé par les recherches artistiques dessinées par Ralph McQuarrie. Rappelons que les esquisses de ce dernier avaient permis de vendre le scénario du premier volet aux dirigeants de la Fox... « Quand j'ai rejoint la production, George Lucas m'a montré les dessins conceptuels de Ralph McQuarrie », se souvient Bruce Nicholson, le superviseur du compositing. « C'est tout ce que nous avions, au départ. Les principales scènes du film y prenaient déjà vie. Tout ce que Ralph a dessiné s'est retrouvé dans le film, à quelques détails près. Deux ans plus tard, quand vous regardiez les décors, sur les plateaux, vous vous aperceviez qu'ils étaient énormément inspirés par ces premières esquisses ! George voulait tout simplement retrouver ces visions dans le long-métrage. Ralph a profondément influencé la direction artistique du film. Avant même que nous commencions à travailler, nous savions à quoi ressembleraient les décors. Ces dessins étaient brillants ! » Entre le storyboard et les recherches artistiques de Ralph McQuarrie, les magiciens d'ILM avaient à leur disposition de formidables documents de travail. Mais cela ne garantissait pas la cohérence visuelle d'un projet dont le développement s'éparpillait à travers le monde. « C'était un projet complexe », précise Dennis Murren (Jurassic Park), le directeur de la photographie des effets spéciaux. « Nous devions à la fois installer nos locaux près de San Fransisco et créer les trucages alors que le tournage se déroulait parallèlement en Europe ! Nous avons organisé un certain nombre de réunions préliminaires avec le directeur de la photographie du film, Peter Suschitzky, pour synchroniser nos travaux. Il fallait faire très attention à la cohérence visuelle du long-métrage, y compris au niveau de l'éclairage et de la photographie. Nous prenions donc des notes, chacun de notre côté, pour pouvoir ensuite mélanger nos plans truqués avec les prises de vues qu'il a éclairé... » Au final, les artistes d'ILM travailleront près de deux ans sur le film ! « En l'espace de 18 mois, nous nous sommes installés dans nos nouveaux locaux et nous avons développé de nouveaux équipements et de nouvelles procédures », ajoute Bruce Nicholson. « C'est le temps qu'il nous a fallu pour concevoir un système permettant de produire les effets spéciaux que George Lucas avait en tête ». Pas moins de 415 plans seront ainsi composités par le département optique en moins d'un an... avec la réussite que l'on connait ! Mais penchons-nous à présent sur les différentes techniques utilisées par ILM pour créer le premier acte de L'Empire contre-attaque...

Des décors glacés

Lorsque le film débute, les spectateurs découvrent Hoth, une planète inhabitée - ou presque, puisque l'Alliance Rebelle y a installé sa base secrète. Il faut dire que Hoth n'est pas le plus accueillant des mondes ! L'orbite de la planète traversant régulièrement un champ d'astéroïdes, elle se retrouve constamment bombardée par des météorites. Lorsque la nuit tombe, aucun être vivant ne peut résister au froid mortel et au blizzard des étendues enneigées et glacées - à part peut-être un certain Luke Skywalker ! En journée, quelques créatures indigènes peuvent cependant survivre à l'extérieur, comme les monstrueux wampas et les montures des soldats Rebelles, les tauntauns. Mais dans la réalité, les extérieurs furent tournés début 1979 sur le glacier de Finse, en Norvège, à 1800 mètres de hauteur. L'équipe de production a dû affronter des températures bien inférieures à zéro ! « Par temps clair, ce glacier nous a offert l'horizon infini nécessaire aux scènes se déroulant sur Hoth », explique le producteur Robert Watts. La transformation de ce paysage norvégien en planète lointaine s'est faite à l'aide de matte paintings (peintures sur verre), de prises de vue réelles et d'environnements intégralement créées par les artistes d'ILM. Par exemple, les plans dévoilant l'entrée de la base Echo et l'imposant générateur de bouclier des Rebelles furent complétées par des matte paintings. Les intérieurs de la base secrète furent bien entendu construits dans les studios Elstree, à Londres. Malheureusement, le plateau qui devait abriter le hangar prit feu pendant le tournage de Shining, en janvier 1979. Renommé « plateau Star Wars », il fut reconstruit de manière à s'accommoder au mieux aux dimensions du Faucon Millenium. En 1976, George Lucas ne savait pas si le premier film rencontrerait le succès... et encore moins s'il pourrait bénéficier d'une suite ! Seule une moitié du vaisseau de Han Solo avait été construite. Or on s'en était débarrassé une fois que le tournage fut terminé. On reconstruisit donc le vaisseau... en entier ! Construite au Pays de Galles, cette réplique grandeur nature fut divisée en seize sections pour être remontée aux studios Elstree. Il devait être filmé sous de nombreux angles distincts et, surtout, apparaître dans trois lieux différents du film : dans le hangar de la base Echo, à l'intérieur de la « Space Slug » (alias « la limace de l'espace »), ainsi que sur la plate-forme d'atterrissage de la Cité des Nuages de Bespin ! Et c'est là que la magie du cinéma opère : le vaisseau n'a jamais bougé ! Les décors de ces trois lieux, eux, ont été successivement construits autour de la réplique du Faucon Millenium ! Avouons que cette astuce logistique simplifie considérablement le travail des décorateurs, qui n'ont pas à démonter et remonter plusieurs fois le vaisseau... Mais ce n'est pas la seule astuce utilisée lors du tournage des intérieurs de la base Echo. Pour agrandir visuellement le hangar, on habilla des enfants en pilotes de l'Alliance Rebelle... et on les plaça à l'arrière-plan ! Ces petits figurants créaient ainsi une illusion de vastes espaces en forçant la perspective. On répartit également un certain nombre de véhicules grandeur nature, les fameux snowspeeders, à travers le décor pour donner l'impression que les forces de l'Alliance étaient très nombreuses. Le plafond fut ultérieurement agrandi à l'aide d'un matte painting. A l'occasion d'un bref plan, nous pouvons également apercevoir un second hangar, plus grand, qui abrite les imposants vaisseaux de transport de l'Alliance Rebelle (similaires à celui qui fuit dans l'espace lors de la bataille contre les quadripodes impériaux). Ce hangar ne fut jamais construit : il s'agissait d'un matte painting sur lequel furent intégrés trois figurant habillés en soldats Rebelles. Il s'agissait du directeur artistique des effets spéciaux Joe Johnston (futur réalisateur de Jurassic Park 3 et The Wolfman), de Ralph McQuarrie et du matte painter Mike Pangrazio ! N'oublions pas que la saga Star Wars regorge de clins d'oeils, dont les fans sont friands ! Pour l'anecdote, les couloirs de la base Echo sont construits à partir d'une structure en bois et en plastique. Au risque de décevoir les amateurs : non, ils n'ont pas été creusés au laser à travers la glace ! Enfin, un autre décor a été construit en studio : l'antre du Wampa, la créature qui attaque puis enlève Luke Skywalker dans l'idée d'en faire son repas. C'était alors l'été en Angleterre, et si la température du plateau était douce pendant le tournage, aucun dispositif n'était prévu pour refroidir les décors. On peut ainsi constater qu'il n'y a jamais de buée devant la bouche de Mark Hamill, contrairement aux séquences tournées en Norvège ! Mais qui a le temps de s'apercevoir de cette erreur de cohérence quand le Jedi est sur le point de se faire dévorer par un monstre ! Ce dernier était en réalité une marionnette créée par Jon Berg. Le temps d'un plan d'une seconde, sa tête était animée à la main par Phil Tippett. Mais à part ce bref gros plan, on ne voit en réalité jamais le visage de la créature ! Jusqu'en 1997 et l'Edition Speciale de L'Empire contre-attaque, puisque George Lucas en profita pour tourner de nouveaux plans. Mais nous y reviendrons ultérieurement...

Une histoire de monture

Souvenez-vous : la base secrète de l'Alliance Rebelle est découverte par un droïde sonde impérial, qui finit pulvérisé par Han Solo. Pour créer le design du robot, le maquettiste Paul Huston s'est inspiré d'un dessin de Jean « Moebius » Giraud. Une réplique grandeur nature, de près de trois mètres de haut, est construite en Angleterre avant d'être envoyée sur le tournage, en Norvège. Posée sur un rail de travelling, elle servira pour des plans rapprochés. Pour les plans larges, une miniature, dont les extensions sont animées image par image, est filmée en motion control devant un fond bleu. « Alors que la technique du stop-motion a été utilisée uniquement dans la création de la scène du jeu d'échecs d'Un Nouvel Espoir, plusieurs séquences de L'Empire contre-attaque nécessitaient son utilisation... de façon pour le moins intensive ! », explique le co-superviseur des effets visuels de L'Empire contre-attaque, Brian Johnson. « Cette fois-ci, nous avions à animer plusieurs créatures et véhicules, dont le tauntaun monté par Luke Skywalker et les quadripodes impériaux. Pour une seconde à l'écran, vous devez animer le personnage 24 fois et faire autant de photographies, que vous projetterez les unes à la suite des autres. Pour créer l'illusion du mouvement, l'animateur déplace légèrement la maquette, filme une image, déplace à nouveau la maquette, prend une autre image, et ainsi de suite. L'ennui avec cette technique, c'est que le résultat semble saccadé. Or le cerveau comprend instinctivement qu'il s'agit d'un trucage. Même un néophyte sent que quelque chose ne tourne pas rond, même s'il ne sait pas pourquoi. Au sein de chacune des 24 images (par seconde), la miniature reste statique. C'est cela qui vend la mèche ! Mais nous avons réussi à surmonter ce problème... » Heureusement, la solution ne se trouvait pas dans l'idée consistant à déguiser un acteur en Tauntaun, comme on l'avait proposé lors des premières étapes de pré-production ! « Nous avons fixé la figurine articulée du tauntaun sur un travelling motorisé et contrôlé par ordinateur », explique Phil Tippett. « Nous animions d'abord le personnage, et le système le déplaçait d'un millimètre pendant que l'obturateur de la caméra restait ouvert. Nous obtenions un effet de flou qui fluidifiait le déplacement latéral et atténuait les saccades dues à l'animation image par image... » Les moules originaux permettent aux membres du département des miniatures de dupliquer le modèle s'il est abimé ou déformé au cours du processus. La miniature est placée sur une table dissimulée entre un matte painting sur verre au premier plan, et un matte painting accroché au mur à l'arrière-plan. Ces superbes paysages enneigés ont été dessinés par Mike Pangrazio. « C'est à la fois pour des raisons techniques et esthétiques que l'on décida de travailler avec des environnements entièrement créés par ILM plutôt qu'avec des éléments composites intégrés dans des séquences filmées de live-action», précise John Knoll. « Il n'est pas difficile de compositer un fond bleu optique sur un fond plus sombre. Mais Hoth était une planète de neige ! Il aurait donc fallu entourer entourer les objets composités d'un bord clair ou foncé. On préféra donc coincer une maquette entre deux matte paintings et filmer tout en même temps, ce qui permit d'éviter un fastidieux processus de compositing ! Sur le plan esthétique, la décision de créer des environnements « entiers » permettait aux artistes et aux techniciens de contrôler les différents éléments constituant un plan. L'éclairage, le contraste, la couleur et la composition devenaient des outils, plutôt que des contraintes. Cette approche et ses variantes furent utilisées pour la plupart des plans du Tauntaun et des quadripodes impériaux. Dans certains cas, on fut obligé de compositer les miniatures sur des plans tournés en Norvège. Mais ce fut très rare ». Pour les besoins d'un plan du tauntaun vu du ciel, le mouvement de caméra, exécuté à partir d'un hélicoptère, fut soigneusement coordonné avec l'animation image par image de la miniature courant sur la neige...



La création des quadripodes

Les spectateurs se souviennent plus particulièrement de la planète Hoth grâce à l'inoubliable bataille entre les snowspeeders volants des rebelles et les terribles quadripodes impériaux. Originellement, il était prévu de maquiller des tanks norvégiens et de les filmer sur place, à Finse. « Les premières esquisses montraient d'énormes chars d'assaut équipés de nombreuses roues », précise Phil Tippett. « Mais le résultat n'aurait pas été à la hauteur ». Le directeur artistique des effets spéciaux, Joe Johnston, finit par s'inspirer d'un dessin du designer Syd Mead (Blade Runner, Tron) pour imaginer le monstre à quatre pattes que nous connaissons tous. « George Lucas et Gary Kurtz savaient que les étendues enneigées accueilleraient une bataille, et qu'il y aurait des véhicules volants blindés, les snowspeeders », confie Joe Johnston. « Mais ils n'ont pas vraiment décidé quel type de véhicules l'Empire utiliserait pour son assaut. Au départ, nous avons effectivement pensé redécorer de véritables tanks de l'armée norvégienne afin de leur donner un look extraterrestre. J'ai fait plusieurs esquisses en partant du design de ces tanks. Puis je suis tombé sur une brochure datant du début des années 1960 qui parlait des métaux qui seront utilisés dans le futur. Et l'une des illustrations, signée par Syd Mead, montrait un véhicule se déplaçant à quatre pattes ! Ce design inédit m'a immédiatement séduit...George m'a ensuite dit que les véhicules de l'Empire devraient ressembler à de gros robots. Cette approche anthropomorphique serait plus effrayante ! Nous avons donc ajouté une tête au véhicule, ainsi que des formes évoquant de grands yeux et une mâchoire... » Comme le scénario décrivait la séquence de manière très succincte, Joe Johnston imagina l'intégralité de la chorégraphie des véhicules et l'ajouta au storyboard. « Les quadripodes sont inspirés par les engins du roman La Guerre des Mondes de H.G. Wells, où les Martiens utilisent de gigantesques araignées de métal », ajoute George Lucas. « Nous essayions de trouver un moyen de rendre notre bataille originale, en nous passant des habituels tanks et du matériel militaire contemporain. Le gabarit des quadripodes a permis de faire voler les snowspeeders entre leurs pattes, ce qui rendait la bataille plus dynamique. Et comme j'étais ennuyé par l'absence de scène spectaculaire à la fin du film... Il fallait absolument trouver une bonne idée (rires) ! » Reste alors à trouver quelles techniques pourraient donner vie à ces monstres de métal... « Quelqu'un a fini par proposer d'utiliser un système de marionnettes », se souvient l'animateur Jon Berg. « Oui, mais comment allions-nous construire ces machines et, surtout, comment allions-nous les faire marcher ? Cela nous semblait être un défi insurmontable... » Mais la technique de la stop-motion finit par s'imposer d'elle-même. « Nous avons un temps pensé à motoriser les modèles réduits », précise Dennis Murren. « Mais ce n'aurait pas été une bonne solution ». Phil Tippett et le technicien Tom St. Amand passent trois semaines à chercher comment les quadripodes pourraient marcher. « Comme ces 'créatures' était mécaniques, sans personnalités, nous voulions créer un cycle de marche que nous pourrions réutiliser à l'infini », précise Phil Tippett. Jon Berg propose alors de s'inspirer de la démarche d'un éléphant. « J'ai fait remarquer que cette chose ressemblait à un pachyderme », explique l'animateur. « Nous sommes allés rendre visite à Mardji, l'éléphant qui avait été maquillé en bantha dans Un Nouvel Espoir. Nous avons filmé ses allées et venues afin que nous puissions avoir une idée des mouvements d'un animal de cette taille ». Le designer Joe Hohnston, quant à lui, ne reconnaît guère dans le quadripode un éventuel cousin de Mardji. « Pour moi, ce véhicule se déplace comme un chat ! J'ai une chatte, et elle marche de la même façon : les jambes raides et la tête baissée. Il n'y a rien de particulièrement félin dans l'apparence du quadripode, mais entre tous les animaux, cela me rappelle davantage un chat (rires) ». Le storyboard complet de cette ambitieuse séquence est complété en pas moins de six mois. Son rôle est crucial : prévoir la nature du moindre plan ! Faire succéder l'animation image par image, les prises de vues réelles et les effets spéciaux représente un véritable travail d'orfèvre ! « Le résultat final doit être parfait car la moindre erreur peut détruite l'illusion pour toute la scène », assène le superviseur des effets spéciaux Richard Edlund. Quinze mois de travail ne seront pas de trop pour relever avec brio ce défi...



La magie du cinéma

L'animation des modèles de quadripodes miniatures, construits par Jon Berg et Tom St Amand, reposait sur des mécanismes complexes. « Jon Berg a collaboré avec Joe Johnston pour mettre au point les pièces mécaniques des armatures des quadripodes », se souvient Phil Tippett. « Les quadripodes étaient de grandes maquettes plutôt lourdes... Les mouvements de la tête et des jambes se transmettaient aux rouages et aux pistons disposés sur la carcasse de l'engin ». Ainsi, lorsque une « patte » était déplacée, des animations dites « secondaires » se font par elles-même, sans que les animateurs n'aient à s'en soucier. « J'ai pensé que ces petits détails accompagnant les mouvement de l'engin permettraient d'asseoir l'illusion qu'il s'agit d'une mécanique particulièrement complexe (rires) », explique Jon Berg. A l'instar des tauntauns, les quadripodes impériaux furent généralement filmés dans un environnement spécifiquement créé par ILM afin d'éviter les problèmes de compositing (dus à l'existence d'un premier plan clair sur un arrière-plan clair). Dans la plupart des cas, les quadripodes étaient placés debout devant un large matte painting, sur une table couverte de bicarbonate de soude pour simuler la neige. « Mike Pangrazio, un fantastique matte painter, a créé plusieurs des gigantesques toiles de fond photoréalistes représentant les paysages enneigés de la planète Hoth », précise le responsable du département des miniatures Lorne Perterson. Près de quinze matte paintings seront utilisés au cours de la séquence. Les modèles réduits des quadripodes étaient ensuite animés grâce à la technique de la stop-motion. Avec 24 images différentes pour une seconde d'action à l'écran, il faut déplacer la maquette manuellement 120 fois pour obtenir un plan de cinq secondes ! « Les quadripodes se trouvaient au centre du décor neigeux », précise Phil Tippett. « Nous ne pouvions donc pas les approcher : le bicarbonate de soude qui figurait la neige gardait la moindre trace ! Nous avions donc aménagé des plate-formes suspendues et des trappes juste à côté de chaque véhicule. Il fallait se glisser sous la table supportant le décor, sortir par la trappe, manipuler la miniature, refermer la trappe... Dennis Murren photographiait une image et nous recommencions le processus à zéro ! Il fallait gérer des déplacements infimes pour obtenir des mouvements lents. On avait du mal à les mesurer avec une jauge, qui est un instrument que Willis O'Brien (King Kong 1933) a utilisé dès les années 1920. A l'origine, une jauge de surface est un instrument employé par les ouvriers qui usinent le métal. Elle ressemble à un crayon posé sur un piédestal articulé. Imaginons que vous soyez en train d'animer un personnage. Vous posez la pointe de la jauge au bout du nez du personnage pour établir un point de repère dans l'espace. Ensuite, vous retirez l'instrument et vous animez le personnage. Vous reposez la jauge au même endroit, et vous mesurez précisément le déplacement de la tête du personnage. La jauge permet d'amortir les mouvements, en diminuant progressivement l'amplitude de chaque phase de l'animation du personnage. Elle permet aussi d'éviter certaines saccades ; en animant un œil, on peut sans le vouloir faire bouger une tête en bas, puis en haut à l'image suivante, ce qui produit un tremblement visible à l'image. Plus le corps de personnage est long et complexe, plus on utilise de jauges. On utilisait beaucoup cet outil avant qu'apparaisse le vidéo monitoring qui permet de visionner image par image ce qu'on vient d'animer ». Pour L'Empire contre-attaque, un moniteur vidéo permet de vérifier le cadrage. « Mais finalement, l'aspect le plus difficile de ce travail était le déplacement des pattes des quadripodes », confie Phil Tippett. « Il ne fallait surtout pas toucher la fausse neige. Or même notre respiration la faisait bouger ! » Une astuce permet de ne pas avoir à recommencer une animation dans le cas où un faux mouvement de l'animateur fait malencontreusement bouger le modèle réduit. « Nous ajoutions, lors du compositing, un tir de laser qui frappait de plein fouet le véhicule, ou quelque chose dans le genre », explique Ken Ralston. « De cette manière, l'erreur devient partie intégrante de la chorégraphie de la séquence ! Cela nous permettait de ne pas perdre de temps ! » Pour montrer l'enroulement des câbles des snowspeeders autour des pattes d'un quadripode, le superviseur de la rotoscopie Peter Kuran anime une corde 2D (comme dans un dessin-animé !), qui est intégrée au sein des plans. Lorsque le monstre d'acier s'écroule, Jon Berg entoure les pattes avec un ruban élastique avant d'animer la chute. L'impact final est réalisé par Richard Edlund à l'aide d'un modèle réduit aux dimensions plus larges. A l'occasion d'un autre plan, les Rebelles découvrent à l'horizon cinq quadripodes impériaux. Si les trois premiers sont bel et bien des miniatures, les deux véhicules situés à l'arrière-plan ne sont... que des découpes dans des photographies Polaroids retouchées de quadripodes ! Ces deux images étaient déplacées sur un rail à une vitesse extrêmement lente. « Nous pouvions retoucher une photo en vingt minutes, ou prendre quatre jours pour construire un modèle réduit », explique Dennis Muren. « La décision n'a pas été difficile à prendre (rires) ». Les plans des cockpits des snowspeeders sont filmés sur une plate-forme équipée de chambres à air, devant un fond bleu. La lumière « solaire » est montée sur un rail qui formait un demi-cercle autour du vaisseau. L'éclairage pouvait ainsi glisser d'un bout à l'autre du rail, créant des ombres mouvantes et renforçant l'impression d'être en vol. Des images composites sont ensuite intégrées à la place de fond bleu. Les lasers, explosions et fumées sont ajoutées lors du compositing. « Créer cette bataille s'est avéré être particulièrement difficile », rappelle Ken Ralston, qui filmait les trucages. « Nous devions animer les quadripodes, puis combiner leurs plans avec ceux montrant les acrobaties des snowspeeders. Le travail de compositing était complexe, dans cet environnement blanc et brillant. Or nous ne disposions que de vieilles tireuses optiques... Personne n'avait jamais essayé de montrer ce genre de bataille au cinéma ! » Enfin, pour la scène où le snowspeeder accidenté de Luke Skywalker se fait broyer par un quadripode, une épave grandeur nature est envoyée à Finse. L'accident en lui-même fut filmé à ILM à l'aide d'une maquette de soixante centimètres de long, dont le métal était particulièrement fin. « Nous n'avions pas le droit à l'erreur », se souvient Richard Edlund. « Cette miniature avait nécessité énormément de travail. Si nous avions manqué notre coup, les modélistes n'auraient pas été très heureux (rires) ! » Au final, ces deux années de développement accouchent d'une séquence inédite au cinéma. Et les artistes d'Industrial Light & Magic ne gardent pas un mauvais souvenir de cette expérience. « Nous formions une petite équipe soudée », se rappelle Phil Tippett. « Nos séquences truquées étaient développées par un labo de Washington et n'arrivaient à San Francisco qu'entre midi et seize heures. Nous ne recommencions à travailler qu'après les avoir vue, et nous rentrions chez nous vers trois ou quatre heures du matin ! Nous travaillions six ou sept jours sur sept sans nous plaindre, parce que nous avions la chance d'intervenir sur des films à gros budgets, vus par des millions de personnes ». Si la Bataille de Hoth a permis de révolutionner d'anciennes techniques d'effets spéciaux, les deux derniers actes du film ne manquent pas, eux non plus, de morceaux de bravoure ! Du champ d'astéroïdes à l'animation de Yoda en passant par la superbe Cité des Nuages, ILM a redoublé d'efforts pour offrir aux fans de la saga des images défiant l'imagination...

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