Exclusif : Visite du tournage de LA PLANETE DES SINGES, LES ORIGINES - Entretien avec Andy Serkis & Terry Notary, seconde partie
Article Cinéma du Vendredi 12 Aout 2011

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Rencontre avec les stars de cette préquelle très attendue de LA PLANETE DES SINGES, placée sous le signe du réalisme et de la réflexion sur la destruction de la nature par l’homme…



Entretien avec Andy Serkis & Terry Notary


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Vous avez tous les deux une grande expérience du tournage en Mocap. Comment la partagez-vous avec des acteurs qui se prêtent à cet exercice pour la première fois ? Comment les formez-vous ?

Terry Notary : Quand un acteur arrive pour la première fois sur le plateau de Mocap et nous voit répéter, Andy et moi, il voit à quel point nous nous impliquons totalement dans nos performances et se rend compte de ce que cela représente. A la base, ce qui nous faisons là est assez proche d’un travail de marionnettiste qui se projette complètement dans son personnage pour lui insuffler la vie. Une fois qu’un acteur qui n’a pas l’habitude de la Mocap comprend cette démarche, et se sent en confiance dans cet environnement de travail, il en oublie les contraintes, et s’investit totalement dans son interprétation.

Andy Serkis : Je pense que votre question concernait aussi les acteurs qui jouent les rôles des humains aux côtés de ceux qui incarnent les singes…

Effectivement.

Andy Serkis : Eh bien pour eux aussi, ce nouveau procédé de tournage est infiniment supérieur à ce que l’on pouvait leur proposer avant : à présent, ils ont un vrai partenaire en face d’eux, et non plus une silhouette en carton découpé ou une balle de tennis au bout d’un bâton. Bien sûr, au début, c’est un peu étonnant de jouer à côté d’un type en tenue de Mocap qui incarne un chimpanzé, mais pas plus que s’il s’agissait d’un acteur portant un costume de singe. Ils s’y font très vite, et entre comédiens, on arrive rapidement à se concentrer sur le jeu, sur la situation que vivent nos personnages, et à trouver la vérité de la scène. La technique n’est plus un obstacle : il n’y a plus que des acteurs qui jouent une scène ensemble.

L’intrigue de ce premier épisode porte à croire que l’on va retrouver votre personnage de Caesar dans une suite, après qu’il ait été l’instigateur de la révolte des singes, et soit parvenu à ses fins…

Andy Serkis : Nous avons évoqué la possibilité d’une suite si ce film marche bien, mais nous n’avons pas parlé directement de la destinée de Caesar lui-même, ni des détails du prochain chapitre de l’histoire, même si la conclusion de celui-ci se prête à une suite. Il y a de toutes évidences un « chaînon manquant » entre ce film et la situation de LA PLANETE DES SINGES, avec l’inversion des rôles entre les humains et les singes. Je m’attends à ce que le studio se consacre à imaginer cette jonction dans un second temps, si LA PLANETE DES SINGES, LES ORIGINES est bien accueilli.

Est-ce que les acteurs qui jouent les chimpanzés, les orang outangs et les gorilles sont traités différemment des autres pendant le tournage ?

Andy Serkis : On a tendance à nous surnommer « les singes », et nous avons droit à beaucoup de plaisanteries sur le thème des bananes. (rires) C’est vrai que l’on nous traite différemment parce que nous portons ces tenues de Mocap. Dans ce documentaire dont je vous parlais, on expliquait que pendant le tournage du film original, les acteurs maquillés en chimpanzés restaient entre eux, et qu’il se formait aussi spontanément des groupes d’orangs outangs et de gorilles ! Nous avons pu constater presque le même phénomène ici. Tous les acteurs en costumes de Mocap se rassemblent et nous formons un petit groupe très uni, avec nos tenues grises.

Quelles sont les idées erronées que l’on a généralement en ce qui concerne les mouvements des singes ?

Terry Notary : Au départ, les acteurs qui répètent un rôle de singe ont tendance à en faire trop, pour ressembler à l’image convenue qu’ils se font de ces animaux. Nous devons les inviter à observer les images de vrais singes, afin de se rendre compte que leurs comportements sont variés et souvent bien moins démonstratifs que ce que l’on croit. Un singe que l’on filme dans la nature reste immobile la plupart du temps, et observe ce qu’il y a autour de lui. Quand je forme un acteur, je lui demande d’intérioriser les sentiments de l’animal, et de les restituer en se basant sur ce que je lui apprends du langage corporel d’un chimpanzé, d’un orang outang ou d’un gorille. Le tout est de bien s’imprégner de la situation et de s’imaginer comment l’animal que l’on incarne pourrait réagir, et comment ses émotions se retranscriraient en gestes et en attitudes. Un chimpanzé, par exemple, peut tout à fait rester calme pendant qu’il observe une situation qui change, puis « exploser » tout d’un coup en ayant peur ou en se mettant en colère. Le défi de ce genre de rôle, c’est d’apprendre à être présent, dans la peau de l’animal, en agissant avec le plus de vérité possible. Il faut simplement essayer d’être, et surtout pas vouloir paraître en surjouant. Pour survivre dans la nature, un singe doit être vigilant et regarder attentivement ce qui se passe dans son environnement. S’il ne se tient pas tranquille, il ne pourra pas voir un prédateur approcher de lui. Les singes sont des animaux émotifs, hypersensibles, qui détectent beaucoup de choses, et il faut garder tout cela en tête quand on en joue un.

Andy Serkis : Il y a cependant plusieurs types de comportements dans le film : Caesar a été élevé comme un enfant, et est doté d’une intelligence quasi humaine, ayant bénéficié des conséquences d’une expérience menée par James Franco dans le but de lutter contre le développement de la maladie d’Alzheimer. Certains singes ont fait l’objet d’expériences de laboratoire très cruelles, tandis que d’autres ont été capturés dans la nature et enfermés dans une ménagerie où ils végètent. Chacun de ces groupes d’animaux a développé un comportement particulier que l’on décrit en détail dans le film. On voit les caractéristiques de chacun de ces singes d’origines diverses, et l’on découvre la manière dont ils vont tous s’unir pour se rebeller.

Avez-vous joué des rôles de singes différents ?

Andy Serkis : Oui, je n’ai pas joué que celui de Caesar. En Mocap, on peut devenir un autre personnage en changeant de tenue, comme un acteur classique qui prend un autre aspect en changeant de maquillage et de costume. La semaine dernière, nous avons passé trois jours, Terry et moi, à créer toute une série de personnages secondaires de singes que l’on verra en arrière plan pendant certaines scènes, ou dans certains plans furtifs. Pour revenir aux idées erronées que l’on peut se faire sur les mouvements des singes ou sur l’expérience de KING KONG, ce que nous faisons là, c’est surtout créer des personnalités différentes.

Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement dans le personnage de Caesar ?

Andy Serkis : C’est un personnage formidable, complexe, attachant, à la destinée émouvante. Ce qui lui arrive est tellement étonnant et choquant que l’on ne peut que lui souhaiter de s’en sortir et de parvenir à ses fins.

Vous avez dû apprendre à parler le langage des signes.

Andy Serkis : Oui. C’est un mode de communication que beaucoup de chercheurs ont utilisé pour dialoguer avec les singes.

Pourriez-vous décrire en détail l’équipement technique qui vous entoure quand vous tournez une scène dans un décor réel ?

Terry Notary : Volontiers. Il y a des caméras vidéo infrarouges équipées de LEDs infrarouges qui sont dissimulées un peu partout au-dessus et dans les angles morts des décors. Ces caméras-là servent uniquement à capturer les mouvements. Nous sommes filmés avec des caméras 35mm, et il y a aussi toute une série de caméras qui nous filment en vidéo HD pour servir de référence aux animateurs de Weta pendant la post production du film. Tout ce que nous faisons est enregistré sous la forme de données informatiques qui permettent d’obtenir les mouvements bruts des personnages 3D, sur lesquels les animateurs interviennent pour compléter les informations manquantes ou pour accentuer quelque chose que le système n’aura pas enregistré parfaitement. C’est pour cette raison que les images vidéo de référence sont si importantes, car on peut les consulter à tout moment pour restituer notre interprétation originale. L’une des choses qui a fait le succès de la saga de LA PLANETE DES SINGES, c’est cette représentation « à l’envers » de notre monde, avec des animaux dominants, traitant cruellement les humains réduit au rang d’esclaves. Notre job en tant qu’acteurs est d’insuffler tellement de vie et de sympathie dans nos personnages d’animaux que vous finirez par prendre parti pour les singes et que vous souhaiterez qu’ils parviennent à dominer les humains ! (rires)

Andy Serkis : C’est cette situation qui rend la trajectoire de Caesar si intéressante. On le voit évoluer de l’innocence à la prise de conscience que le monde des humains n’est pas si positif et joyeux qu’il l’imaginait. Il passe d’un environnement familial humain et d’une chambre aménagée exactement comme celle d’un enfant à une étape où il est rejeté, abandonné, et se retrouve dans l’univers d’une ménagerie froide et aussi cruelle qu’une prison. C’est un choc terrible, auquel tout le monde peut s’identifier, car cela évoque beaucoup d’institutions dans lesquelles on enferme des humains… Même si l’on peut penser que tous les spectateurs n’approuveront pas les agissements de Caesar, ils comprendront très bien ses motivations et les raisons de sa colère.

Terry Notary : Oui, et c’est la même chose pour tous les personnages de singes du film. Ils ne sont pas présentés comme des animaux lambda. C’est ce qui m’a frappé à la lecture du script : chaque singe est un individu unique qui a son propre passé, son propre caractère. Certains ont été torturés pendant des années dans des labos, d’autres sont d’anciens animaux de cirque… Richard Ridings, par exemple, interprète Buck, un gorille au dos argenté tellement malheureux qu’il vit cloîtré dans une petite cage de la ménagerie et refuse d’en sortir. Les singes ont chacun une personnalité différente, et c’est justement cela qui rend si intéressant le moment où ils unissent leurs forces pour former une équipe dirigée par Caesar, qui a bénéficié des manipulations génétiques effectuée sur sa mère quand elle était enceinte de lui. Parce qu’il a acquis ainsi cette intelligence quasi-humaine, Caesar est un singe qui réfléchit. De ce fait même, il perd son innocence d’animal. Et le paradoxe, c’est que plus il agit en utilisant ces capacités mentales exceptionnelles, plus il se met à agir d’une manière aussi déterminée et cruelle qu’un homme. J’ai trouvé que c’était un commentaire fascinant sur notre manière, à nous les humains, d’agir sur la nature.

Avez-vous étudié les documentaires sur les singes auxquels on a appris le langage des signes, et analysé la manière dont ils expriment leurs émotions par ce langage humain ?

Terry Notary : Oui, et nous en avons tenu compte pour interpréter les singes du film. Cela fait maintenant une trentaine d’années que l’on fait des expériences sur des chimpanzés qui vivent en captivité, dans des sanctuaires bien conçus, afin qu’ils mènent une existence relativement agréable. Si certains s’en sortent mieux que d’autres, la plupart souffrent quand même de ne plus vivre en liberté, même si leur prison est assez luxueuse. Ils souffrent presque tous de problèmes mentaux. Ce serait bien naïf de croire que des animaux captifs peuvent s’épanouir, et passer leur temps à jouer et à s’amuser.

En dehors de la recalibration de vos tenues pour pouvoir bien enregistrer vos mouvements, à quoi d’autre vous sert la salle de Mocap dans laquelle nous vous avons vus ?

Terry Notary : Elle est très importante, car c’est là que nous nous entraînons et que nous pouvons voir ce que nos postures donnent sur les personnages de singes 3D, en temps réel. C’est capital pour voir ce qui va ou ne va pas et le mémoriser, car nous ne voyons pas le résultat de nos performances transposé sur les personnages quand nous tournons dans les vrais décors. Pour tourner la séquence pendant laquelle les singes se déploient sur le pont du Golden Gate de San Francisco, il a fallu créer l’aire de Mocap la plus grande du monde, sur le décor du pont qui avait été construit en extérieur. Dans un tel lieu, et même dans les couloirs du laboratoire que vous avez vus, il était impossible de placer des moniteurs et les systèmes de traitement des données qui permettent de créer les images des singes 3D en temps réel. Installer le système de capture des mouvements et les caméras infrarouges était déjà bien assez complexe comme cela.

Comment travaillez-vous avec les techniciens sur la calibration des tenues de Mocap et le rendu de votre personnage en 3D ?

Andy Serkis : Eh bien, la première chose que nous faisons le matin après avoir enfilé notre tenue, c’est de venir ici pour vérifier qu’elle est bien calée. Il suffirait qu’une manche soit un peu vrillée, par exemple, pour que les points de repères soient décalés et les gestes enregistrés faussés de ce fait. Après avoir vérifié la position de la tenue, on vérifie que les points de repère fixés sur le costume – des demi sphères qui reflètent vers les caméras la lumière émise par les LEDs infrarouges - n’ont pas bougé non plus. Si certains repères ont bougé, on les détache et on le replace correctement sur leur support velcro. Une fois ces vérifications faites, on se place au milieu du « volume » sur le plateau de Mocap, en se tenant bien droit, les bras déployés pour former une silhouette en « T ». C’est à ce moment-là que le technicien recalibre les données captées sur le costume avec la silhouette 3D schématique du personnage de singe. On peut aussi lui demander de cambrer un peu plus le personnage 3D par rapport à notre posture naturelle, ou de faire d’autres ajustements qui nous aident à donner une posture différente à ce singe-là. Une fois que c’est fait, nous bougeons sur le plateau en prenant des attitudes simiesques, afin de vérifier si tout se passe bien, et si nos gestes sont bien captés et répercutés sur les personnages par le système. Nous en profitons aussi pour répéter certains gestes, certains moments d’une scène, en voyant ce que cela donne à l’écran. Une fois que c’est fait, nous sommes prêts à aller sur le plateau de tournage, et à jouer dans les décors, en nous basant sur notre mémoire corporelle de la gestuelle testée auparavant dans « le volume ». Il n’y a plus qu’a dire « Moteur et action ! ».

Retrouver également nos précédents entretiens avec Andy Serkis à propos de Coeur d'encre et des Aventures de Tintin, ainsi que notre dossier « Du Mocap à la Performance capture - La petite histoire des personnages 3D ».

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