Entretien exclusif avec Joe Johnston, réalisateur de CAPTAIN AMERICA : THE FIRST AVENGER - Troisième partie
Article Cinéma du Samedi 17 Septembre 2011

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Il y a une vingtaine d’années, vous aviez réalisé THE ROCKETEER, qui se déroulait déjà dans cette période de la fin des années 30, début des années 40. Qu’est-ce qui vous fascine dans cette époque, et qui vous a donné envie d’y revenir ?

Je ne peux pas dire que je recherche particulièrement des sujets qui se déroulent à cette époque, mais j’ai eu effectivement la chance d’être impliqué dans des films où j’ai pu utiliser les merveilleux designs des années 30 à 40, que j’aime tout particulièrement. J’ai l’impression que les gens accordaient alors beaucoup plus d’importance à l’aspect des choses, au design. Tout cela se reflétait dans l’esthétique des voitures, des avions, des vêtements, du mobilier. Tout semblait plus élégant, plus confortable, plus accueillant. On avait le sentiment de voir des œuvres d’artistes, plutôt que des compromis fonctionnels validés par des comités de marketing.

Est-ce que cela s’applique aussi au costume de Captain America que l’on voit dans le film ?

Oui, même si ce n’est pas un artiste des années 40 qui l’a dessiné ! (rires) Mais il a un côté fonctionnel et esthétique qui correspond bien à cette époque.

Etiez-vous un fan de comics pendant votre enfance ?

Oui, mais quand j’étais enfant, je lisais des BDs très différentes de celles de Captain America. J’ai presque honte de le confesser, mais je lisais les aventures humoristiques de LA PETITE LULU ! (rires)

Pourriez-vous nous parler de l’histoire d’amour du film ?

CAPTAIN AMERICA est un film d’action et d’aventure avec une histoire d’amour, et une touche de Science Fiction. Au cours du récit, nous suivons l’évolution des sentiments qui lient Steve Rogers et Peggy Carter, que joue Hayley Atwell. Il y a une belle alchimie qui se développe entre ces deux personnages pendant le film.

Revenons à Chris Evans. Après vous avoir donné son accord, pendant combien de temps s’est-il préparé physiquement pour jouer ce rôle ?

Chris s’est entraîné de manière intense pendant dix à douze semaines pour se muscler. Dans la scène du labo, quant il apparaît métamorphosé en athlète, c’est vraiment lui que l’on voit, il n’y a pas de trucage 3D. En revanche, nous avons dû gommer cette musculature pour lui permettre de jouer le Steve chétif qui apparaît au début du film. Nous avons utilisé plusieurs techniques pour parvenir à ce résultat. Nous avons tourné certaines scènes avec une doublure corps qui mesure un peu moins de 1m70 et pèse une cinquantaine de kilos, et nous avons greffé la tête de Chris sur le corps de la doublure. Dans les plans larges, nous avons retravaillé l’image de Chris en 2D et 3D pour diminuer sa taille, et réduire les volumes de ses muscles jusqu’à les effacer. C’est un studio de Los Angeles qui s’est chargé de ces effets, et il a fait un travail remarquable. Quand Chris a vu ces scènes, il m’a dit « Eh bien maintenant, je sais à quoi je ressemblerais si je devenais accro à l’héroïne ! » (rires)

S’est-il entraîné aussi pour être en mesure de faire certaines cascades ?

Oui, et aussi pour être capable d’utiliser des armes sans risquer de se blesser ou de blesser un autre acteur. Nous avons installé un véritable camp d’entraînement militaire en Angleterre, où nous avons tourné le film. Chris et tous les acteurs qui jouaient dans les scènes de combats – qu’il s’agisse des soldats de l’Hydra ou des membres du groupe des « Invaders » - ont suivi cet entraînement physique, les cours de manipulation d’armes et les exercices de tir. Personnellement, je n’ai rien fait de tout cela ! (rires)

Vous disiez tout à l’heure que Chris Evans hésitait à accepter ce rôle en raison de certaines craintes… Lesquelles ?

Je crois qu’il craignait d’être catalogué comme « acteur jouant dans des films de superhéros ». J’ai cru comprendre que l’expérience qu’il a vécue en jouant dans d’autres films de superhéros (Principalement  LES 4 FANTASTIQUES ET LE SURFER D’ARGENT , NDLR) n’a pas été aussi bonne que celle-ci. Il m’a dit qu’il avait énormément apprécié le tournage, et après avoir vu le film hier soir, il m’a envoyé un texto au milieu de la nuit dans lequel il me disait qu’il l’avait aimé.

Quel était son message exact ?

« Merci d’avoir fait quelque chose dont je peux être fier ».

Beau compliment ! Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Tommy Lee Jones et Stanley Tucci, et aussi de la raison pour laquelle vous avez choisi Dominic Cooper pour jouer le rôle d’Howard Stark ?

Tommy Lee Jones a la réputation d’avoir un caractère difficile, d’être un type grincheux et assez désagréable. Je peux vous assurer que cette description que l’on entend souvent ne pourrait pas être plus éloignée de la vérité. Une fois que l’on a dissipé ce malentendu, il est l’homme le plus gentil que l’on puisse imaginer. Nous nous sommes bien amusés pendant le tournage. Stanley Tucci, par contre, est vraiment un homme horrible. (Joe Johnston se met à sourire) Non, non, je plaisante… Stanley a été formidable lui aussi ! D’ailleurs tous les acteurs du film se sont bien entendus et l’atmosphère sur le plateau était excellente. Tous les comédiens avaient adoré le script et tenaient à donner le meilleur d’eux-mêmes. J’avais remarqué Dominic Cooper dans la comédie musicale MAMMA MIA, et j’avais envie de travailler avec lui depuis ce moment-là. Le grand avantage, quand on prépare un film des studios Marvel, c’est que beaucoup d’acteurs ont envie de venir travailler avec vous ! (rires) Nous n’avons même pas à les payer, c’est fantastique ! (rires)

Vous avez participé au sein d’ILM à la révolution des effets visuels qui a suivi la sortie de STAR WARS, et vous avez employé beaucoup de trucages dans vos films, dans THE ROCKETEER, CHERIE, J’AI RETRECI LES GOSSES, JURASSIC PARK 3 et maintenant, CAPTAIN AMERICA. Comment jugez-vous l’évolution des effets visuels au cinéma ? Y a t’il encore des choses qui restent impossibles à faire ?

Je crois pouvoir dire qu’aujourd’hui, il n’y a plus rien que l’on ne puisse faire. Si vous pouvez visualiser un plan dans votre esprit, vous pouvez le représenter à l’image. Ce qui reste difficile, comme je suis personnellement incapable de travailler sur un ordinateur pour créer des effets 3D, c’est d’expliquer ce que je veux obtenir à un technicien infographiste, en espérant qu’il soit aussi un bon artiste. C’est la partie la plus difficile de mon travail.

Pourquoi ?

Parce que quelqu’un qui travaille au clavier sur un ordinateur pense les choses dans des termes différents. Ces techniciens-là ne sont pas forcément des réalisateurs ou des artistes dans l’âme. Dans certains cas, ce sont simplement des techniciens très doués. Et il peut arriver qu’ils aient des difficultés à comprendre ce que je souhaite voir à l’image.

Quels ont été les effets visuels les plus complexes de CAPTAIN AMERICA ?

Eh bien au moment où nous parlons, nous avons terminé à peu près à la moitié des plans truqués. Je dirais que l’un des plus complexes à concevoir et à réaliser a été de rapetisser Chris Evans et de changer sa carrure pour le rendre chétif. La grande difficulté, ce n’était pas seulement de changer ses proportions corporelles : il fallait aussi s’assurer qu’il ait bien le même aspect de plan en plan, alors que nous utilisions des techniques différentes. C’est cela qui a été le plus délicat à régler. Il fallait que tout soit raccord : l’angle de prise de vue, les éclairages, etc… S’il y avait eu la moindre différence d’aspect entre la doublure corps et le vrai visage de Chris, qui a été retouché numériquement, le public s’en rendrait compte immédiatement. En ce moment même, nous veillons à ce qu’il y ait une continuité parfaite de plan en plan, afin que les spectateurs aient l’impression de voir toujours le même garçon malingre.

Pouvez-vous expliquer comment vous avez imaginé le déroulement des principales séquences d’actions du film, les scènes les plus complexes ?

L’avantage, quand on réalise un film à gros budget comme celui-ci, c’est que l’on peut engager des gens de grand talent pour vous aider à concevoir des séquences comme celles-ci. Nous avons travaillé avec des équipes formidables quand nous tournions en Angleterre : les superviseurs des combats, les cascadeurs, les spécialistes des effets de câbles qui pouvaient faire voler nos acteurs, tous ces gens-là ont été très précieux. Cependant, je crois que les scènes d’action et les effets visuels ne sont que des outils mis à la disposition du réalisateur : il faut d’abord et avant tout qu’ils soient mis au service de l’histoire. Personnellement, je n’aime pas que les gens qui viennent juste de voir un film disent « Les effets visuels étaient super » parce que cela signifie que l’histoire a été enterrée sous les trucages. Je préfère que les spectateurs parlent du film en lui-même, en ayant été transportés ailleurs grâce à son histoire… Je n’ai pas du tout répondu à votre question, n’est-ce pas ? (rires)

Non, pas du tout ! Mais reprenons ce que vous venez de dire : comment créez-vous des scènes d’action tout en racontant l’histoire du film ?

Ce processus de conception des séquences d’action se déroule pendant plusieurs mois. Je note d’abord mes idées, on les dessine sous la forme de storyboards, puis j’en discute avec les superviseurs des cascades afin de déterminer ce qui est faisable en prises de vues réelles. Après avoir noté leurs remarques et leurs suggestions, on modifie le storyboard, puis lorsqu’il est validé, la séquence est écrite complètement et intégrée au script. C’est ainsi que la scène évolue jusqu’à ce qu’elle raconte parfaitement cette partie-là de l’histoire.

Pouvez-vous nous parler de Crâne Rouge et de l’interprétation de Hugo Weaving ?

La chose la plus importante pour moi, à propos de la manière dont Hugo interprète Crâne Rouge, c’est que je tenais que l’on puisse le voir jouer sous ce maquillage. Les fans connaissent tous l’aspect de Crâne Rouge, et comme vous avez pu vous en rendre compte dans le plan de la bande-annonce où on l’entrevoit, nous lui avons donné le même visage que dans les bandes dessinées, tout en préservant un peu les traits de Hugo Weaving. Quant il joue, la moindre de ses expressions transparaît grâce aux prothèses qui ont été conçues et fabriquées par le maquilleur anglais David White. Il a sculpté le design du personnage de telle manière que le maquillage n’entrave pas les mimiques de Hugo. Il ne fallait surtout pas que nous nous retrouvions avec un masque épais dont la seule partie mobile aurait été le regard de l’acteur. Il fallait que l’on puisse lire toutes les émotions sur le visage de Crâne Rouge, et que ce personnage soit extrêmement expressif. Par la suite, il a fallu que nous faisions disparaître le nez de Hugo, puisque Crâne Rouge en est dépourvu. Nous l’avons donc peint en noir pendant le tournage, puis l’équipe des effets visuels s’est chargé de l’effacer image par image, en complétant en 3D la partie gommée, et c’est ce qui a permis d’achever cette étonnante métamorphose. Une fois que son nez a disparu, le personnage est devenu saisissant. On peut toujours deviner que c’est Hugo qui incarne Crâne Rouge, mais son aspect est vraiment effrayant.

Diriez-vous que Crâne Rouge est le méchant absolu ?

Oh oui, c’est le pire de tous ! Et peut-être le reverrons-nous dans le futur…

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.