[40 ans de Star Wars] Les origines d'Industrial Light & Magic
Article 100% SFX du Jeudi 25 Mai 2017

Nous allons aborder une époque que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître... et les trentenaires non plus ! Bien avant Le Réveil de la Force, avant les robots géants de Transformers, les créatures marines des Pirates des Caraïbes, les dinosaures de Jurassic Park, le T-1000 de Terminator 2, le pseudopode d'Abyss, le morphing de Willow, les aventures d'Indiana Jones, l'envol d'E.T... Avant d'être à l'origine de ces grands moments du cinéma fantastique, donc, et de centaines d'autres, le célèbre studio d'effets visuels Industrial Light & Magic a été créé pour les besoins de la production de Star Wars 4 : Un Nouvel Espoir. Nous allons donc plonger dans les coulisses de ce classique du Septième Art tout en découvrant les débuts du studio fondé par George Lucas...

Par Pierre-Eric Salard



Le parcours d'Industrial Light & Magic – 'Lumière industrielle et magie', ou ILM pour les intimes – a débuté dans les honneurs, son premier film recevant l'Oscar des meilleurs effets visuels ! La création du studio est pourtant la conséquence d'une regrettable constatation : lorsque George Lucas s'est lancé dans le développement d'Un Nouvel Espoir, 20th Century Fox s'était définitivement débarrassé de son département consacré aux trucages ! Ralph Mc Quarrie, qui a dessiné les illustrations ayant convaincu les pontes de la Fox de produire le film, est rejoint par Joe Johnston (futur réalisateur de Jurassic Park 3 et Captain America), qui se concentre sur le design des vaisseaux spatiaux. «  Nous avions montré ces dessins et réussi à convaincre la Fox que nous pouvions réaliser tous les effets spéciaux du film pour moins de trois millions de dollars », explique le producteur Gary Kurtz. « Nous savions que ça allait être difficile à faire, mais nous avons acheté notre propre local et notre propre équipement pour y parvenir ». Le créateur de la saga Star Wars a donc investi dans un hangar situés à Van Nuys, près de Los Angeles, pour y rassembler une équipe d'artistes et de techniciens hétéroclites. En juin 1975, le jeune réalisateur contacte Douglas Trumbull, dont le travail sur 2001, l'odyssée de l'espaceest resté dans toutes les mémoires. Mais le spécialiste en effets visuels, qui s'attaquera bientôt aux trucages de Rencontres du troisième type, décline l'invitation – non sans lui suggérer d'approcher son assistant, John Dykstra. Ce dernier fut ainsi chargé de diriger et recruter les membres de cette « section des effets miniatures et optiques » - ce qui deviendra la première équipe d'ILM. « J'ai rassemblé plusieurs de mes amis qui avaient des capacités utiles pour réaliser des effets spéciaux, mais qui n'avaient encore jamais travaillé sur un film », se souvient John Dykstra. « Aucun d'entre eux n'était un "expert" dans le domaine des trucages ». Parmi eux, on retrouve un fabricant de sandales, un laborantin, un ouvrier qui usinait le métal... Des étudiants, artistes et ingénieurs, venant d'univers très différents, rejoignent le projet. « Les débuts d'ILM furent incroyables », ajoute le superviseur des effets visuels, et à l'époque cameraman, Dennis Murren (Jurassic Park, Super 8). « John Dykstra était l'une des seules personnes au monde qui pensait que nous pourrions y arriver. Il m'a engagé, ainsi que Richard Edlund (ndlr : Le Retour du Jedi, S.O.S. Fantômes), qui s'est occupé des prises de vues des maquettes. Durant une année et demie, nous n'étions qu'une cinquantaine. Nous essayions de mettre au point les techniques qui permettraient de transposer à l'écran les idées de George... » Ce dernier leur octroi un délai d'un an. « Pour moi, les premiers collaborateurs d'ILM étaient en réalité constitués de trois groupes distincts », poursuit Dennis Murren. « J'appartenais au plus petit, celui qui s'occupait des animations en stop-motion. Nous avions un peu d'expérience, disposions d'un budget famélique, et concentrions nos efforts sur l'éclairage et une préparation minutieuse de chaque plan. Le second groupe rassemblait de jeunes gens qui venaient tout juste de terminer leurs études. Le troisième était dirigé par John Dykstra et composé d'artistes qui avaient beaucoup appris aux côtés de Douglas Trumbull. Comparé à nous, ils pensaient presque à l'envers ! Ils commençaient par déclarer : 'tel plan serait vraiment génial !' ». Ces techniciens réfléchissaient ensuite aux moyens de concrétiser chaque idée. « S'il fallait construire une toute nouvelle caméra... et bien il le faisait ! C'était sans précédent. ILM mêlait donc des gens de la veille école, des techniciens résolument progressistes et des gosses (rires) ! Cette singulière combinaison est à l'origine des mythes que sont devenus le studio et Star Wars »



Réinventer l'espace

Plutôt que de leur expliquer en détail ce qu'il désire en matière de combats spéciaux, George Lucas assemble des storyboards, des scènes extraites d'autres films et une copie en 16 mm d'une séquence de combats aériens montée à partir de documentaires consacrés à la Seconde Guerre Mondiale - qu'il avait précédemment vus à la télévision. « Tout cela était monté avec précision », se souvient Dennis Murren. « Nous avons suivi ce montage à la lettre, à quelques exceptions près. Mais quand j'ai lu le scénario, je me suis dit qu'il serait impossible de respecter les délais ! Il a fallu non seulement former une équipe, mais également se procurer l'équipement et apprendre à s'en servir... George souhaitait que les combats spatiaux soient fluides, ce qui ne s'était encore jamais vu au cinéma ». Lentement mais sûrement, John Dykstra met ainsi au point une caméra de « Motion Control », fixée sur un travelling et une grue motorisés - et surnommée Dykstraflex. Cela faisait des années qu'il rêvait de se lancer dans un tel projet. Tous les axes qui permettent de déplacer l’appareil sont contrôlés par ordinateur, ainsi que les moteurs qui gèrent le déplacement de la pellicule.. « Il y avait eu d'autres tentatives de ce genre quelques années plus tôt », précise John Dykstra. « Nous avons repris ce concept, et nous l'avons modifié pour le rendre plus pratique, afin de pouvoir tourner des centaines de plans. Notre objectif était de résoudre un à un les problèmes soulevés par cette technique ». En enregistrant les mouvements à raison d'un axe à la fois et en les reproduisant à l'identique, obtenir des chorégraphies complexes devenait possible. « Nous avons donc dû réaliser de nombreux tests », ajoute Dennis Murren. « Il a fallu apprendre à programmer un ordinateur afin que la caméra tourne autour des maquettes que nous venions de construire. Cela nous a pris des mois ! » Ce système alors révolutionnaire peut répéter au dixième de millimètre près les mêmes mouvements, ce qui permet de filmer en plusieurs passages les évolutions des vaisseaux spatiaux. « Tout repose sur la planification minutieuse de chacun des éléments », explique Richard Edlund. « On commence par effectuer des tests en noir et blanc de chaque élément, que l'on peut développer en un quart d'heure. On les superpose ensuite sur une visionneuse et on vérifie si les trajectoires sont correctes. Après, on filme en couleurs... » Grâce à l'utilisation de tireuses optiques (des projecteurs sophistiqués liés par des objectifs à une caméra) et d'un fastidieux processus d'incrustations, les différents plans tournés par la Dykstraflex sont composés optiquement. Une tireuse optique combine sur un plan composite (sur un seul négatif) les différents éléments filmés séparément. Suite à ce processus extrêmement fastidieux, le fond bleu cède la place à un fond étoilé... et à une multitudes de vaisseaux spatiaux !



Au bord du précipice

Mais tout n'est pas rose au pays de Dark Vador. « Il faut se rendre compte que nous avons passé plus d'un an à perfectionner l'équipement », explique John Dykstra. En outre, l'ambiance décontractée qui règne dans le hangar de Van Nuys ne rassure pas les responsables de la 20th Century Fox qui viennent rendre visite à la jeune équipe, qui ne respecte pas d'horaires fixes. Or la chaleur étouffante de l'été les pousse souvent à travailler la nuit ; les puissants projecteurs nécessaires pour filmer les miniatures font pourtant monter la température jusqu'à 50 degrés ! « Les représentants de la Fox étaient terrifiés par l'idée que nous nous savions absolument pas ce que nous faisions ! », poursuit John Dykstra. « Lorsqu'ils arrivaient au milieu de la journée, certains d'entre nous se trouvaient dans une petite piscine remplie d'eau froide que nous avions fabriquée. Or on ne pouvait montrer encore aucune image, alors que nous dépensions beaucoup d'argent ». De fortes tensions apparaissent à mesure que la date de sortie du film approche. En 1976, lorsque George Lucas retourne en Californie après un tournage en Tunisie et Angleterre pour le moins houleux et harassant, il s'aperçoit que seule une poignée de plans truqués – sur plus de 350 ! - a été mise en boite, alors que la moitié du budget de deux millions de dollars consacré aux effets spéciaux est d'ores et déjà englouti ! Le pire des scénarios est en train de se réaliser, et à moins d'un an de la sortie du film, le projet fonce droit dans le mur. Le réalisateur est tellement consterné que sa santé en pâtit, et il passe un court séjour à l'hôpital. « Quand nous sommes revenus à Los Angeles, nous avons découvert de nombreux tests intéressants, mais pas un seul plan utilisable », se souvient Gary Kurtz. Un directeur de la production délégué aux trucages est alors engagé. « George Mather devait veiller à ce que les plans soient livrés en temps et en heure ». Les techniciens sont ensuite répartis en deux équipes, une de jour et une de nuit, et George Lucas décide de superviser lui-même les opérations, deux jours par semaine. « J'avais obtenu le soutien des dirigeants du studio », mentionne le réalisateur. « Mais quand ILM eut besoin d'une rallonge budgétaire, ce fut un instant critique ! » Après une interminable phase de « recherche et développement », les membres d'ILM finissent par trouver leurs marques et par enchaîner les plans de qualité. « Les derniers sont bien plus réussis que les premiers », avoue Dennis Murren. « Il faut dire que nous avons beaucoup tâtonné. Nous ne disposions pas de beaucoup de temps pour créer des outils et techniques inédits ! Et nous ne sommes pas passés loin de la catastrophe industrielle (rires). Ce n'est qu'en découvrant les premiers plans truqués que nous nous sommes dits : nous pouvons le faire ! » La prochaine partie de ce dossier reviendra donc sur la création des scènes les plus mémorables de ce film culte, de la cantina à l'attaque de l'Etoile Noire en passant par la création des maquettes, maquillages et autres sabre-lasers. Ainsi ILM laissera une première empreinte sur le Septième Art.

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