[Flashback] Entretien exclusif avec Ridley Scott : Le créateur de l’univers d’ALIEN nous parle des coulisses de PROMETHEUS ! – Première partie
Article Cinéma du Vendredi 21 Septembre 2018

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Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Les images du film sont d’une beauté stupéfiante. Les nouvelles caméras numériques et les effets 3D actuels sont-ils des outils qui vous sont très utiles pour créer ces magnifiques plans ?

Oh oui, bien sûr. Je connais bien les caméras 35mm et numériques, les différents types d’objectifs, les techniques d’éclairage… Au début de ma carrière, j’ai gagné beaucoup d’argent en concevant l’éclairage de nombreux spots publicitaires. Et ensuite, quand je suis passé à la réalisation de mon premier long métrage, LES DUELLISTES, on m’a reproché que les images soient « trop belles » ! Quand j’ai entendu ces critiques, j’ai eu envie de dire « Mais allez donc vous faire voir ! » Les gens disaient « Il a utilisé trop de filtres » alors que je n’en avais pas utilisé un seul ! La vérité, c’est qu’il avait plu sans interruption tout au long du tournage, 58 jours de suite ! Et quand il pleut ainsi, la lumière naturelle devient superbe, car le plafond nuageux diffuse l’éclairage solaire, comme si l’on avait tendu un énorme voile de soie blanche. J’ai toujours « fonctionné » de manière visuelle. Il a fallu que je combatte cette inclinaison visuelle pour ne pas entraver la narration du film, et le développement de l’histoire. C’est pour cette raison que j’ai compris qu’il fallait que je m’attaque vite à l’histoire de BLADE RUNNER, en m’asseyant avec les auteurs et en travaillant tous les jours avec eux, pour être en mesure de créer le film. BLADE RUNNER est le film le plus personnel que j’aie jamais réalisé. J’ai travaillé avec Hampton Fancher pendant 7 mois. Et bizarrement, c’était la seule façon de procéder pour réussir à adapter le roman original de Philip K. Dick. Hampton devait écrire le script, et chaque matin, en le retrouvant, je lui disais « tu sais, depuis hier, j’ai eu cette nouvelle idée… » Hampton s’exclamait « Oh non, pitié ! On ne va pas encore modifier ce qu’on a fait ! » (rires) Mais c’était inévitable, tant le thème que nous explorions était complexe et fascinant. Si vous imaginez un monde dans lequel on a mis au point une méthode qui permet de répliquer des êtres de manière biologique, sans qu’ils soient tout à fait humains, il est évident que toute l’intrigue ne pouvait pas se passer dans des décors intérieurs, comme c’était le cas dans la première version de l’adaptation du roman qu’avait écrite Hampton. Je savais qu’il fallait absolument que l’on aille voir ce qui se passait au dehors, parce qu’il était indispensable que je décrive le monde qui avait engendré cette technologie. BLADE RUNNER a évolué ainsi… Nous sommes partis d’un film initialement conçu comme un huis clos, où presque tout se déroulait dans un appartement, pour aboutir à cette fresque futuriste. Ce processus m’a demandé beaucoup d’engagement personnel. C’est un peu comme si j’étais devenu le frère siamois d’Hampton ! Et d’ailleurs, je pense que c’est Hampton qui va écrire le prochain BLADE RUNNER, que je commence à développer en ce moment…

Quel est le budget de PROMETHEUS, si vous pouvez nous en parler ?

Je ne peux pas citer de chiffre précis, mais il s’agit à peu près du tiers du budget de la plupart des blockbusters qui sont sortis cette année. Environ un quart du budget d’AVATAR (Donc environ 50 à 75 millions de dollars. NDLR.) Nous nous sommes vraiment très bien débrouillés avec le budget qui nous a été confié. J’ai crié « Moteur ! Action ! » pour la première fois sur le tournage de PROMETHEUS il y a un an jour pour jour. Il s’agissait de la scène dans laquelle Michael Fassbender se promène dans les couloirs du vaisseau et vérifie tout, comme s’il était une femme de chambre. Il passe même son doigt sur les meubles pour vérifier s’il y a de la poussière ! (rires) Nous n’avions que 82 jours pour tourner PROMETHEUS, ce qui est peu pour un film de ce genre, mais nous avons travaillé vite et bien. J’ai tant d’expérience que je sais exactement ce que je veux. On ne perd pas de temps ainsi. Cette certitude ne peut venir que de ce que vous avez fait vous-même par le passé. Il faut l’avoir déjà vécu.

Que pouvez-vous nous dire sur la civilisation des « ingénieurs » ?

Comme cela devient la partie centrale de l’histoire de PROMETHEUS, je ne vous en dirai strictement rien ! (rires)

Il y a souvent des personnages de femmes fortes dans vos films. Il y a Ripley dans Alien, bien sûr, mais aussi les héroïnes de THELMA ET LOUISE, les réplicantes de BLADE RUNNER... D’où cela vient-il ?

Probablement du fait que ma mère mesurait 1m60 – même si elle prétendait mesurer 1m70 – et qu’elle a passé une bonne partie de notre enfance à nous botter les fesses, mon frère Tony et moi ! (rires)

Est-ce que la suite de PROMETHEUS pourrait être le “second round” du combat entre les extraterrestres surnommés les “ingénieurs”, que nous découvrons dans ce film, et les humains ?

Oui, cela se pourrait. C’est une des choses que nous pourrions explorer, tout en prenant garde de ne pas nous répéter, et en évitant d’aller dans une direction qui risque d’être un peu ridicule. Il faut que cela reste maîtrisé. Mais je suis maintenant connu pour m’impliquer dans des projets qui effraient un peu les gens ou qui les déroutent. C’est déjà ce qui s’était passé quand j’avais décidé de consacrer un film à la destinée d’un général romain…J’avais proposé le rôle principal de GLADIATOR à deux énormes stars, qui l’ont refusé immédiatement en me disant « Vous vous moquez de moi ? Vous croyez que j’accepterais de me balader en sandales et en jupette ? » (rires) C’est ainsi que Russell Crowe a hérité du rôle, et a été parfait dedans. Et ensuite, le succès de GLADIATOR a généré tout un nouvel univers cinématographique autour du péplum : il y a eu 300, TROIE, LE CHOC DES TITANS et sa suite, la série télévisée SPARTACUS, etc. C’est typique de l’attitude d’Hollywood. Personne ne veut prendre de risques, mais quand un succès éclate, on le copie. Pour ma part, j’aime prendre des risques. Qu’il s’agisse d’un film historique ou d’une aventure de Science-Fiction.

Quelle a été la scène de PROMETHEUS la plus complexe à tourner ?

Elle concerne un personnage que nous n’avons pas montré dans les bandes annonces ! Cela concerne à la fois ce personnage, la manière dont il meurt, et les conséquences que cela entraîne... Et sa mort implique quelque chose qui a été crée biologiquement et génétiquement par David 8, l’androïde de l’équipage. Mais j’en ai déjà trop dit ! Je m’arrête là, parce que les conséquences en cascades des événements qui suivent sont vraiment très intéressantes, et ce serait dommage de vous les révéler avant que vous ayez découvert le film.

Noomi Rapace nous a parlé de la difficulté de tourner cette scène dans laquelle elle se retrouve à moitié nue dans un couloir, confrontée à une situation terrible. Elle nous disait que c’est l’une des scènes les plus dures qu’elle ait eu à jouer, en dehors de la séquence du viol dans MILLENIUM…

J’ai trouvé que MILLENIUM était un excellent film, et qu’elle était formidable dedans. Je l’ai regardé trois fois avant de me demander « Mais qui est cette petite punk qui joue le rôle principal ? » J’ai adoré l’univers du film, les différences entre notre mentalité et celle des scandinaves, leur manière de se vêtir, les paysages naturels et urbains, etc. Tout cela était austère et très intéressant. Plus je regardais ce film, plus je me disais que cette fille était fantastique dans ce rôle. Et peu de temps après - deux ou trois semaines, je crois – j’ai appris qu’elle passait par Hollywood, et j’ai demandé à la rencontrer. Quant elle est arrivée dans nos bureaux, j’ai été surpris de découvrir cette ravissante jeune femme habillée en Chanel, alors que je m’attendais à voir venir cette jeune punk au look gothique, avec des piercings un peu partout ! J’ai réalisé en la rencontrant qu’elle était encore plus talentueuse que je le croyais, car elle avait réussi à me persuader que le personnage du film était sa vraie personnalité.

C’est à ce moment-là que vous avez compris que vous teniez votre nouvelle Ripley ?

Absolument. Je suis quelqu’un d’instinctif, et là, Boom ! J’étais sûr et certain que c’était elle et personne d’autre qui devait jouer Elizabeth Shaw.

Comment le studio a t’il réagi, étant donné que MILLENIUM n’avait pas eu une grande carrière aux USA ?

Ils m’ont dit « Mais qui est cette fille ? Nous n’en avons jamais entendu parler ! ». Je leur ai répliqué « MILLENIUM a rapporté 200 millions de dollars en Europe et vous ne l’avez pas vu ? Excusez-moi, mais je crois que vous auriez dû le voir ! Cela fait partie de votre job ! » J’essaie de voir des films de tous les pays, parce que j’aime le cinéma, mais aussi pour y puiser des sources d’inspiration. Il y a énormément de nouveaux talents qui viennent de Scandinavie depuis quelques temps.

La suite de cet entretien paraîtra prochainement sur ESI.

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