Entretien exclusif avec Wally Pfister, directeur de la photographie de THE DARK KNIGHT RISES - Seconde partie
Article Cinéma du Jeudi 12 Juillet 2012

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quels sont les équipements que vous avez utilisés pour obtenir les vues aériennes ? Avez-vous utilisé par exemple la Spyder Cam, qui avance sur des câbles tendus entre des immeubles, pour filmer les scènes d’émeutes dans les rues, avec les prisonniers libérés par Bane ?

Non, nous avons simplement utilisé une grue téléscopique de la marque Condor, que l’on surnomme « cherry picker » (cueilleur de cerises !) en Angleterre, et avec laquelle on peut élever une caméra montée sur un trépied et un opérateur jusqu’à 30 mètres de hauteur. C’est un dispositif tout à fait basique, mais il fonctionne très bien. Nous avons voulu aller au plus simple et donner l’aspect le plus naturel possible à ces images. Notre but, c’est vraiment que le spectateur ne soit pas gêné par des mouvements de caméras gratuits ou inutilement sophistiqués. Plus il oublie la technique et se laisse porter par le récit, plus nous sommes contents.

Quelles sont les scènes de THE DARK KNIGHT RISES dont vous êtes le plus satisfait, en tant que directeur de la photo ?

J’aime particulièrement les séquences qui se déroulent dans l’antre de Bane, qui est cachée dans les égouts. Il s’agit d’un décor gigantesque, dans lequel règne une atmosphère vraiment inquiétante. Nous avions des frissons dès que nous nous trouvions dedans. J’ai eu le sentiment d’avoir trouvé de nouvelles idées, et d’avoir réussi à jouer de manière créative avec les surexpositions apportées par les quelques rayons de lumière naturelle qui percent les ténèbres. Sachant que le studio nous laissait toute liberté dans le traitement visuel du film, je me suis lancé sans crainte dans une approche atypique de ce type d’images, et j’ai pu ainsi explorer de nouveaux rendus pendant la séquence du grand combat entre Batman et Bane, dans le repaire de ce dernier. C’est certainement la conception visuelle dont je suis le plus satisfait dans THE DARK KNIGHT RISES, car elle me semble très originale.

Y a t’il d’autres séquences que vous aimez particulièrement ?

Oui, les scènes de poursuite entre le « Bat » et les tumblers, où l’on voit l’avion se faufiler dans les rues en survol à très basse altitude, pour tirer sur les véhicules ennemis. C’est une séquence d’action que Chris a préparé et mis en scène de manière extrêmement minutieuse, et tout a été tourné exactement comme prévu, dans trois villes différentes, et au final, cette scène forme un ensemble à la fois homogène et très spectaculaire. Je suis ravi de la manière dont ces moments de pure action fonctionnent à l’écran, comme des séquences de pur « cinéma Pop-Corn » où les spectateurs en prennent plein les yeux. Même si ce n’est pas le moment du film où le travail de la lumière est le plus pointu et le plus « maîtrisable », puisque tout a été tourné en extérieurs, c’est l’un des morceaux de bravoure du film qui a nécessité énormément d’expertise technique. Toute l’équipe a travaillé dur pour qu’on ne puisse pas déceler les trucages qui ont été employés. Nous sommes tous fiers d’avoir réussi à relever autant de défis techniques.

Justement, quelles étaient les difficultés particulières à résoudre pour filmer le « Bat » pendant les scènes où il poursuit les tumblers ?

Oh, c’était d’abord un tour de force de la part de Chris Corbould, notre superviseur des effets spéciaux. C’est lui qui a construit tous les véhicules de la trilogie depuis BATMAN BEGINS : la Batmobile, la moto Batpod, et à présent le Batplane, dont Christopher Nolan a imaginé de raccourcir le nom, pour ne plus garder que celui de « Bat », de chauve-souris. Je trouve que c’est une belle idée. Chris Corbould et son équipe ont construit un véhicule qui est une sorte de plateforme roulante qui peut rouler jusqu’à 80 KMH. Cette plateforme est équipée d’un bras hydraulique qui peut soulever le modèle grandeur nature du « Bat » qui est monté dessus, dans lequel se trouve une doublure cascade de Christian Bale, en costume de Batman. C’est bien sûr un pilote de précision qui conduit la plateforme. Pendant qu’elle roule, Chris et son équipe peuvent faire monter et descendre le « Bat » sur une amplitude de 4 mètres, mais aussi l’incliner sur les côtés et le faire pivoter sur lui-même, exactement comme si l’avion manoeuvrait en utilisant des réacteurs. C’était étonnant à voir fonctionner. Chris Corbould est un type brillant, qui serait capable de rivaliser avec les meilleurs ingénieurs. Il connaît tous les trucs qui permettent de faire fonctionner un effet mécanique à l’écran. C’est un point extrêmement important pour Chris Nolan.

…Parce qu’il tient à limiter l’utilisation des effets numériques…

Oui. Il en emploie vraiment le moins possible. C’est pour cela que Chris Corbould et lui ont imaginé de fixer le « Bat » sur un support roulant ou de le soutenir par une tige émergeant de l’arrière d’un camion. Ensuite, on efface numériquement le support roulant ou le camion, et ce qui reste dans l’image, ce sont uniquement des vrais éléments : le vrai « Bat », les vraies rues et les vrais tumblers ! De cette manière, 90% du plan était prêt d’emblée quand Chris le livrait à l’équipe des effets visuels. La plupart des réalisateurs de blockbusters de la même ampleur auraient accepté que ces plans du « Bat » soient réalisés avec un Batplane réalisé à 100% en images de synthèse. Mais pas Nolan ! Il a tenu à son camion et à son support motorisé ! (rires) Et il a forcé ainsi les équipes des effets visuels à se caler aux prises de vues réelles. Ainsi, tout est ancré dans la réalité. Je crois que le résultat final est infiniment plus impressionnant à cause de cette méthode et de ce choix artistique.

Entièrement d’accord ! Nous avons vu beaucoup trop d’effets 3D au cinéma ces derniers temps.

C’est aussi mon avis. Je crois que les gens utilisent la 3D comme une béquille, quand ils ne se donnent pas vraiment la peine de chercher comment tourner un effet en direct. Cela prend du temps, et il faut faire des efforts pour trouver des solutions originales et les tester, mais le résultat est toujours payant. Et l’autre problème de la 3D, c’est qu’elle est extrêmement coûteuse. Je suis en train de préparer mon premier film en tant que réalisateur en ce moment, et je suis sidéré par le montant des devis estimatifs que m’envoient les studios d’effets visuels. A chaque fois que j’en reçois un, je suis choqué !

La société de production de Chris Nolan et Emma Thomas, son épouse, vient d’annoncer officiellement qu’ils allaient produire votre film. Ce doit être une grande joie pour vous…

Oui. Je suis très heureux d’avoir réussi à les convaincre de le produire. Je ne peux rien vous révéler de l’histoire, car Chris a placé son « voile du secret » sur le projet, mais je suis ravi d’avoir trouvé ce script il y a quelques mois de cela. Je l’ai réécrit un peu, puis je suis allé voir Chris et Emma en leur disant que j’avais envie de passer à la réalisation à cette étape de ma carrière, et que ce projet me semblait être l’occasion idéale de « sauter le pas ». Ils ont eu la grande gentillesse de lire le script, et comme Chris me rappelait souvent à propos du projet pour me dire « Tu sais, après y avoir réfléchi, je me disais que tu devrais essayer de faire ceci, et aussi cela… », au bout d’un moment, je lui ai demandé s’il pourrait avoir envie de le produire. Au début Chris et Emma hésitaient et disaient « On ne sait pas, parce qu’on ne produit plus les films d’autres réalisateurs depuis déjà longtemps » , mais à force de leur envoyer de nouvelles versions réécrites du scénario, j’ai réussi à les convaincre. Ils m’ont fait l’honneur d’accepter d’en être les producteurs exécutifs. Un tel soutien est une aide immense pour le projet d’un réalisateur débutant. Avec la réputation de Chris et d’Emma dans le milieu cinématographique, je peux vous assurer que si je laisse un message téléphonique à quelqu’un, il me répond très très vite ! (rires)

Eh bien bonne chance pour votre projet, Wally. Il semble bien parti et je vous dis à bientôt pour en parler plus en détail !

Merci beaucoup Pascal. C’était une conversation très agréable, et je serai ravi de vous parler de ce projet quand ce sera possible.

Une autre partie de cet entretien exclusif sera publiée dans les prochaines semaines sur ESI ! Nous rappelons que toute reproduction de cet article, même partielle, sans nous en avoir fait d’abord la demande, est strictement interdite. Toute citation autorisée par Effets-speciaux.info doit être accompagnée d’un lien vers notre site.

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