Entretien exclusif avec Conor O’Sullivan, superviseur des prothèses de PROMETHEUS
Article Cinéma du Lundi 08 Octobre 2012

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PROMETHEUS est désormais disponible en DVD & Blu-Ray, et à l’occasion de cette sortie, nous vous proposons de nouveaux entretiens exclusifs avec les artistes qui ont créé les remarquables effets spéciaux du film. ESI ne saurait trop vous recommander d’acheter l’édition la plus complète du film, en 4 disques (BR, BR 3-D, DVD et BR de bonus), car le Blu-Ray consacré aux bonus est tout simplement exceptionnel (7 heures de visionnage !) et justifie à lui seul cet achat. Vous pourrez y voir notamment le remarquable travail de Conor O’Sullivan, qui nous a accordé une longue interview…



Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Tout d’abord, félicitations pour vos créations récentes, Conor ! Vous êtes un formidable maquilleur. Nous avons été particulièrement impressionnés par la nouvelle méthode que vous avez développée pour appliquer des prothèses en silicone, et que vous avez employée pour créer le maquillage du joker sur le regretté Heath Ledger dans THE DARK KNIGHT. Pouvez-vous nous expliquer comment ce procédé fonctionne et nous dire aussi si vous l’avez employé sur PROMETHEUS ?

Le processus consiste à fabriquer une prothèse en silicone en la laissant dans son moule souple, qui est également réalisé en silicone. Le moule maintient bien la prothèse, et après que nous ayons appliqué de la colle sur la prothèse, et aussi sur la peau du comédien, nous prenons le moule dans lequel se trouve encore la prothèse, et nous appuyons l’ensemble sur la partie du corps de l’acteur où la prothèse doit être placée. Quand nous retirons le moule, la prothèse reste collée sur la peau de l’acteur, et les raccords sont si fins qu’il n’y a pratiquement aucune retouche à faire. Sur un maquillage comme celui du Joker, cela nous avait fait gagner un temps fou, car le processus entier durait 30 minutes au lieu de 2 heures. Les prothèses posées ainsi peuvent aussi être colorées à l’avance. Quand nous les fabriquons, nous pouvons appliquer une fine couche de silicone dans le moule, puis vaporiser la couleur à l’aérographe sur cette première couche, et verser le reste d’épaisseur de silicone. La teinte est ainsi « prise en sandwich » dans la matière, et il n’y a plus que des couleurs complémentaires à appliquer quant la prothèse est collée sur la peau de l’acteur.

Ce procédé très ingénieux semble n’avoir que des avantages…

Il y a quand même des inconvénients. Notamment le fait que l’on ne puisse pas implanter des poils à l’avance sur la prothèse, puisqu’elle ne sort pas de son moule avant d’avoir été collée sur le visage du comédien. Dans ces cas-là, nous démoulons la prothèse, nous implantons les poils, et nous collons la prothèse de manière traditionnelle. Mais pour en revenir à notre procédé d’application rapide, nous avons constaté que nous pouvions obtenir ainsi des raccords extrêmement délicats, de grande qualité. Nous avons pu fabriquer aussi des prothèses extrêmement fines et très souples qui n’auraient pas supporté une manipulation s’il avait fallu les appliquer de la manière standard, car elles auraient eu tendance à se replier et à se coller sur elles-mêmes. Dans le cas de PROMETHEUS, nous avons utilisé ce procédé sur les personnages principaux, les ingénieurs. Nous avons pu vérifier que les prothèses posées ainsi tiennent beaucoup mieux, sont bien plus solides et sont mieux appliquées. Elles ne se détachent pas, et les raccords sont bien plus discrets. Mais il arrive aussi que cette méthode ne convienne pas et qu’elle ne permette pas de gagner du temps. Nous revenons alors au processus de pose habituel. Dans le cas des ingénieurs, ces personnages sont un mélange de prothèses-transfert et de prothèses traditionnelles. Mais nous avons aussi développé notre propre méthode de fabrication des prothèses qui nous permet d’obtenir des résultats beaucoup plus fiables et de meilleure qualité.

Avez-vous développé un mélange particulier de silicones ?

Non, pas vraiment. Nous utilisons les mêmes matériaux que nos collègues : des prothèses en silicones de Platsil, « encapsulées » dans une fine couche de produit qui s’appelle New Baldies, et avec lequel on fabrique habituellement des faux crânes. Il s’agit d’un plastique liquide à base de polyuréthane. De nos jours, on ne l’utilise plus pour créer des faux crânes, car d’autres produits sont plus performants, mais en revanche, le New Baldies fonctionne à la perfection pour créer une enveloppe autour de la prothèse en silicone, et des raccords extrêmement fins qui se fondent dans la texture de la peau, ou que l’on fait fondre pour les estomper. Dans la première partie du film, on peut voir un ingénieur qui se déshabille complètement. Pour réaliser cette scène, il a fallu que nous appliquions des prothèses faciales et une musculature parfaite sur tout le corps de l’acteur. Chaque pièce de maquillage a été posée avec beaucoup de précaution. Pour créer ce personnage, c’est l’utilisation de la méthode de transfert qui convenait le mieux, et de loin. Elle permettait d’obtenir les résultats les plus rapides et les plus réalistes, même s’il nous a fallu huit heures pour poser toutes les prothèses du personnage, qui était maquillé de la tête aux pieds !

Quand nous avions visité vos ateliers pendant le tournage du CHOC DES TITANS, nous avions été surpris de voir que le maquillage de Calibos était un mélange de pièces en mousse de latex et en silicone…

Oui, on peut très bien mélanger les deux matériaux en fonction du résultat que l’on recherche. Si vous fabriquez une prothèse très épaisse, vous avez tout intérêt à la tirer en mousse de latex, car c’est une matière très légère, composée en grande partie de micro bulles d’air. Le silicone, en revanche est une matière compacte qui est beaucoup plus lourde. Cependant, la mousse de latex est opaque, tandis que le silicone est translucide. Chaque matière a ses avantages et ses inconvénients. Pour bien mélanger prothèses en silicone et prothèses en mousse de latex, il faut employer des peintres qui vont appliquer différentes teintes à l’aérographe, en plusieurs passages, et qui vont créer des effets de transparences en trompe l’œil sur la mousse de latex opaque, par exemple en donnant l’impression que l’on peut voir les veines au travers de la peau, ou que l’on devine des os saillants sous certaines parties très fines du derme, vers les articulations. L’acteur qui joue « l’ingénieur sacrificiel » que l’on voit presque nu au début du film, portait à peu près 20 kilos de prothèses en silicone sur la tête et le corps.

C’était un maquillage extrêmement lourd !

Oui, mais il s’agissait d’un jeune comédien très sportif et en très bonne forme physique. Si nous avions pu bénéficier de plus de deux journées de tournage pour filmer cette scène avec ce personnage, nous aurions pu mettre au point des techniques pour alléger un peu ces prothèses, en créant certaines parties des pièces en mousse de latex, mais cela ne s’est pas passé ainsi…

Pouvez-vous expliquer pourquoi ce personnage est appelé « l’ingénieur sacrificiel » ?

On le découvre au début du film… Les ingénieurs créent la vie sur d’autres planètes. Ils sont capables de créer toutes sortes de formes de vies. La première séquence du film se déroule sur un monde stérile, probablement la terre dans un très lointain passé, et un ingénieur utilise son propre corps pour faire émerger de nouvelles formes de vie et ensemencer notre planète. Le corps de « l’ingénieur sacrificiel » se dissout dans lorsqu’il tombe dans une chute d’eau et son ADN modifié qui se répand permet d’ensemencer la planète et de donner ainsi naissance aux premières formes de vies primitives qui à leur tour vont évoluer jusqu’à produire les êtres humains, nous.

Racontez-nous le processus de création du personnage…

Volontiers. Compte tenu de la stature souhaitée pour l’ingénieur principal, j’ai participé au casting pour choisir l’acteur qui aurait le meilleur physique et la meilleure capacité de jouer. Une fois l’acteur moulé de la tête aux pieds, nous avons créé les autres ingénieurs que l’on voit dans le film, dont certains sont plus âgés. Il y en a quatre en tout, qui portent beaucoup de prothèses. Cela a représenté une énorme quantité de travail. Ces scènes ont été tournées en Islande.

Pouvez-vous nous dire comment vous avez trouvé le bon aspect pour représenter les « space jockeys » en vie, sur la base du design original du cadavre conçu par Giger ?

C’est Neville Page qui a été chargé d’établir l’aspect des ingénieurs. En fait, ce que l’on appelle un « space jockey », c’est l’apparence qu’ont ces êtres quand ils portent leurs combinaisons spatiales, et qu’ils s’installent sur la chaise du module de commande afin de piloter leur vaisseau. C’est ce costume que nous avons vu dans le film original, et non pas leur véritable apparence, car la combinaison se referme autour d’eux comme une sorte de cocon.

Ce que l’on prenait pour un crâne dans le film original est en fait un casque…

Oui. Et le reste est une combinaison spatiale qui s’ouvre pour révéler le corps parfait de cet humanoïde géant. Les ingénieurs sont sensés mesurer un peu plus de 3 mètres de haut, et ressembler à des sculptures de Michel Ange, comme son célèbre « David ».

Ils sont très proches des humains, tout en ayant des particularités…

Oui, ils ont l’apparence d’êtres humains, à l’exception de leur très grande taille. Ils n’ont pas de cheveux ni de poils, et ressemblent à des statues de marbre. Ridley voulait que l’apparence de leur peau soit proche de l’albâtre, c’est à dire une peau si claire qu’elle est en presque translucide, et que l’on peut voir les veines au travers. Au cours de notre première réunion, j’ai dit à Ridley que je n’étais pas sûr que nous soyons en mesure de produire exactement l’aspect qu’il souhaitait. Ridley n’avait que deux options en tête : soit créer des personnages en images de synthèse, soit utiliser des acteurs portant des prothèses. Je crois que ce qui a fait pencher la balance en notre faveur, c’est le fait que nous ayons développé cette nouvelle technique d’application de prothèses en silicone. Même si la pose du maquillage complet de l’ingénieur nu a duré huit heures, le résultat final était absolument parfait. Ridley était ravi du résultat et nous a dit qu’il avait largement dépassé ses espérances.

Les prothèses translucides de l’ingénieur nu ont donc été réalisées en silicone, tandis que sa combinaison biomécanique opaque a été fabriquée en mousse de latex ?

Oui. L’ingénieur principal du film porte une combinaison biomécanique que nous avons surnommé « la combinaison précieuse », et qui était réalisée en mousse de latex, sur laquelle nous avons appliqué des éléments en silicone. La tenue a été recouverte ensuite d’une couche de silicone, puis entièrement repeinte. Nous avons employé une procédure assez complexe pour créer ce costume. Etant donné que nous appliquons nos prothèses en silicones en les laissant dans leurs moules en silicone, il faut produire des copies de moules pour appliquer de nombreuses prothèses. Pour faire cela, nous avons produit un moulage du moule, et un moulage de la sculpture en plâtre de Paris. Nous nous sommes rendus compte qu’en travaillant directement la surface interne du moule négatif – par exemple en créant des sillons ou en utilisant des petites meules montées sur des perceuses miniatures – nous pouvions produire des détails beaucoup plus fins. Nous avons utilisé cette méthode de manière intensive pour créer des textures que nous aurions eu du mal à produire de la même manière en les sculptant. En creusant ainsi la matière dans le moule négatif, nous sommes parvenus à obtenir des détails très proches des illustrations de Gutalin. Nous avons fait ensuite des tirages positifs en latex de ces moules retravaillés, afin de pouvoir les dupliquer en nouveaux moules négatifs. Tout cela a été un processus très long, mais le résultat final le justifiait pleinement.

La suite de cet entretien sera publiée prochainement sur ESI !

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