[Flashback] Entretien exclusif avec Richard Stammers, superviseur des effets visuels de PROMETHEUS
Article Cinéma du Mercredi 22 Fevrier 2017

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau



Richard, quelles ont été les premières indications de Ridley Scott concernant l’aspect qu’il voulait donner aux effets visuels de PROMETHEUS ? Voulait-il tourner d’emblée autant d’effets « en direct » que cela était possible ?

Effectivement. Ridley aime pouvoir disposer de choses tangibles pendant le tournage. Il n’a jamais été un grand adepte des écrans verts et préfère utiliser des effets en direct sur lesquels il peut intervenir lui-même. Il m’a confirmé tout cela quand j’ai visité fin 2010 le bureau de la direction artistique du projet dans lequel Arthur Max et sa petite équipe d’illustrateurs étaient en train de travailler. Quand j’ai découvert ces premiers dessins conceptuels, il m’est apparu de manière très claire que l’intention de Ridley était de faire construire des décors très grands et très détaillés, et des accessoires sophistiqués. Il y avait aussi des représentations d’éléments que l’on ne pourrait pas construire « en vrai », mais à ce moment de la préparation du film, nous avons déjà établi que beaucoup de choses seraient filmées en direct.

Ridley Scott avait-il déjà décidé aussi d’avoir recours au maquillage, à l’animatronique et à l’animation de marionnettes à tiges pour représenter les créatures, et de ne pas employer des images de synthèse ?

La démarche était la même, qu’il s’agisse des décors, des accessoires ou des personnages. Ridley voulait avoir quelque chose de tangible devant la caméra. Dans certains cas, nous tournions ce qui avait été fabriqué, puis nous le remplacions en 3D, dans d’autres, les effets en direct étaient conservés tels quels, et en ce qui concerne les décors, même s’ils étaient très grands, nous les avons prolongés numériquement dans certains plans. Nous avions quand même recours aux fonds verts quand nous étions confrontés aux limites physiques de la taille des terrains du studio où nous tournions les plans extérieurs de la surface du planétoïde, car il fallait prolonger très largement les perspectives de ces décors. Les fonds verts ont servi à incruster les paysages filmées lors de nos voyages à l’étranger.

Pendant le tournage d’ALIEN, Ridley Scott a filmé lui-même toutes les scènes avec les vaisseaux miniatures, qu’il s’agisse des évolutions du Nostromo dans l’espace ou de l’atterrissage de la navette sur le planétoïde. S’est-il également beaucoup impliqué dans la création des effets visuels de PROMETHEUS ? Pouvez-vous nous donner des exemples de ses suggestions, ses idées ?

Volontiers. Il y a un bon exemple à citer pour vous expliquer sa démarche. Nous n’avons pas utilisé de maquettes dans ce film, même si nous avions débattu de cette possibilité au départ. Ridley avait des idées très précises de l’aspect qu’il voulait donner à la surface du planétoïde. Il se référait notamment à des paysages qu’il avait eu l’occasion de voir dans des articles et des documentaires ou de visiter lui-même par le passé. L’endroit où le vaisseau Prometheus se pose a été en grande partie conçu par Ridley, et il est basé sur des environnements bien réels que nous sommes allés filmer plus tard. Mais au début, nous n’étions pas sûrs que nous aurions la possibilité de le faire, et nous avons donc préparé des paysages provisoires en 3D, en amalgamant des images trouvées sur Google ou prises par des satellites. Nous avons recréé tout cela en employant le logiciel Maya et nous avons demandé à Ridley de venir dans les locaux du studio MPC - Motion Picture Company - afin de voir cette première approche. Nous avons pu ajuster avec lui l’échelle des montagnes, l’apparence de la plaine et de l’endroit précis où le vaisseau pourrait atterrir, ainsi que l’aspect de certains des éléments du paysage. Ensuite, nous avons placé des caméras virtuelles dans ces décors 3D provisoires, afin que Ridley puisse déjà choisir l’endroit où il voudrait s’installer pour tourner, et ses principaux angles de prises de vues. Cette simulation nous a permis de préparer le tournage des vrais paysages en extérieurs, grâce à l’implication de Ridley, qui est venu plusieurs fois pour nous permettre d’affiner ces images. Et ces environnements 3D ont été également employés plus tard, pendant la prévisualisation des plans. Ridley tenait à ce que l’échelle des montagnes soit spectaculaire. C’était ainsi qu’il visualisait cette gigantesque vallée du planétoïde. Le paysage réel qui l’avait inspiré est situé en Jordanie, et s’appelle le Wadi Rum. L’équipe des effets visuels s’est rendue là-bas pour tourner des prises de vues aériennes, ainsi que des plans destinés à être modifiés puis ajoutés en fond d’image dans certaines scènes.

Ce qui est étrange dans ce que vous nous expliquez, c’est que le Wadi Rum est un désert de sable, où ont d’ailleurs été tournées plusieurs scènes célèbres de LAWRENCE D’ARABIE, et non pas un désert de cendres volcaniques noires, correspondant aux images du planétoïde que nous avons pu voir dans les bandes-annonces et les extraits du film que Ridley Scott nous a présentés…

Vous avez tout à fait raison. Les panoramas du planétoïde qui figurent dans le film sont le fruit du mélange de plusieurs paysages. Le tournage en Jordanie nous a permis d’obtenir les prises de vues des flancs de la vallée et des montagnes, et nous avons ajouté à cela d’autres éléments, et notamment des sols couverts de cendres volcaniques filmés en Islande.

Vous êtes-vous rendu personnellement en Islande ?

Oui.

Avez-vous filmé là-bas de nombreux « échantillons visuels » des rochers, textures, et surfaces de sols que vous avez trouvés ?

Oui. Nous avons filmé et photographié énormément d’éléments réels en haute définition pour nous constituer une banque d’images extrêmement riche. Nous avons aussi enregistré des points de vues à 360° pour pouvoir réaliser des mouvements de caméra dans tous les sens dans un panorama entièrement virtuel. Et dans un second temps, nous avons intégré certains designs mis au point par Ridley et Arthur Max dans les paysages 3D composites que nous avons créés.

Quelles ont été les difficultés liées à la création du vaisseau Prometheus et des scènes où on le voit voyager dans l’espace ?

Nous avons également réalisé de nombreuses prévisualisations de ces séquences-là. Le Prometheus a été créé de A à Z par le département artistique, et sa conception était déjà très avancée avant même que je ne commence à travailler sur le film. La seule chose qui n’était pas définitive quand nous avons entamé la préparation de ces plans, c’était la mise en couleurs du vaisseau. Ridley était encore en train de faire des recherches en appliquant différents motifs et différentes teintes sur les rendus quasi-définitifs du Prometheus. Une fois que les couleurs ont été établies, MPC a créé la modélisation finale de l’astronef à partir des éléments 3D et 2D qui leur ont été fournis par le département artistique. Le Prometheus est un vaisseau de très grande taille, extrêmement détaillé, et sa modélisation a demandé énormément de travail. Il représente certainement l’une des tâches les plus complexes que MPC ait eu à accomplir en termes de textures. Nous savions depuis le départ qu’il serait montré le plus souvent en plan large mais que certaines parties du vaisseau apparaîtraient dans des plans serrés. Nous avons donc détaillé davantage ces portions spécifiques du Prometheus. Cependant, au fur et à mesure que le projet avançait, comme Ridley avait besoin de plus en plus de gros plans du vaisseau, il a fallu ajouter des détails extrêmement fins un peu partout.

Il semblerait que l’animation du vaisseau ait été elle aussi assez complexe, étant donné que les 4 réacteurs pivotent pour s’orienter vers le bas pendant l’atterrissage et que des pieds se déploient à leur base…

En effet, le modèle 3D du vaisseau a été pourvu d’articulations virtuelles afin d’être animé pendant cette phase de l’atterrissage où l’on voit 4 pieds hydrauliques se déployer de la base de chacun des réacteurs, afin d’amortir le poids du Prometheus quand il touche le sol. Il y a aussi des sortes d’ailes équipées de deux réacteurs de chaque côté, qui ont été animées elles aussi. Cette structure n’est pas extraordinairement complexe, mais il fallait l’articuler suffisamment pour que nous soyons en mesure de simuler de manière convaincante le déplacement de l’énorme masse du vaisseau.

Comment avez-vous inséré les acteurs dans les superbes plans où on les voit au travers de l’énorme baie vitrée du cockpit ?

Arthur Max avait fait construire un très grand décor du poste de commande du vaisseau que nous pouvions filmer de l’intérieur comme de l’extérieur. Il était équipé des structures extérieures du châssis des baies vitrées, dans lesquelles nous avons inséré des panneaux transparents 3D. La taille de ces hublots géants était telle que les structures n’auraient pas pu supporter le poids de véritables plaques de verre ou de plexiglass. De plus, nous aurions eu de terribles problèmes de reflets, pratiquement ingérables.

Vous avez certainement dû faire un tracking des mouvements de caméra sur le cockpit du poste de commande construit en studio afin de les reproduire quand vous avez inséré le cockpit réel dans le vaisseau 3D…

Oui. Nous avions placé des repères dans le décor pour faire ce tracking, mais comme l’espace autour du cockpit était limité dans le studio, nous ne pouvions pas effectuer certains mouvements jusqu’au bout sans nous heurter contre les parois du plateau. Dans ces cas-là, il fallait faire une transition invisible au cours du mouvement entre le cockpit réel inséré dans le vaisseau 3D et un vaisseau 100% 3D permettant de finir le plan.

Avez-vous eu envie de recréer ce plan mémorable d’ALIEN, où l’on voit le pied du train d’atterrissage de la navette enfoncer un énorme rocher dans le sol, ce qui permet tout de suite d’imaginer le poids colossal de ce vaisseau ?

Non. Mais quand on pense aux techniques dont disposait Ridley en 1978 pour filmer ces maquettes, on imagine bien qu’il était confronté à certaines limites. Il y avait des choses qu’il ne pouvait pas faire, et qui lui sont accessibles aujourd’hui grâce aux effets numériques. Bien que nous ayons construit des parties du train d’atterrissage et des pieds du vaisseau grandeur nature afin de tourner certaines scènes, nous n’avons pas recréé ce plan dont vous parlez.

A ce propos, les plans de l’atterrissage du Prometheus sur le planétoïde sont magnifiques…

Merci !

…ils sont à la fois parfaitement crédibles, très beaux, et expriment à merveille toute la puissance déployée par les réacteurs de cet engin spatial pour lui permettre de se poser en douceur.

C’était le défi qu’il nous fallait relever. En prévisualisation, ce plan paraissait relativement simple à faire, mais nous savions qu’il faudrait réussir à lui donner une échelle crédible, afin que l’on sente la masse énorme du vaisseau et la puissance qui se dégage des réacteurs pour amortir sa descente vers la surface. Etant donné que Ridley connaît très bien les hélicoptères américains Black Hawk, qu’il a mis en scène dans son film BLACK HAWK DOWN, il nous avait donné cette référence pour nous guider dans l’animation de l’atterrissage du Prometheus. Nous nous sommes également inspirés des jets anglais Harrier à décollage et atterrissage vertical. Le plus difficile a été de trouver le bon équilibre entre une animation dynamique et intéressante et le réalisme d’une telle situation, car dans la réalité, si un engin aussi colossal que le Promethus atterrissait ainsi, ses déplacements seraient extrêmement lents. La solution a consisté à choisir les bons angles de prises de vues et la bonne vitesse, puis à animer de manière intéressante la fumée des réacteurs et la poussière soulevée au sol.

Vous a t’on demandé de faire en sorte que le paysage du planétoïde ressemble à celui vu dans ALIEN en 1979 ? Dans le film original, les rochers avaient par endroits des formes organiques…

Je ne crois pas que c’était forcément nécessaire. L’idée principale que Ridley voulait exprimer, c’est que ce paysage devait sembler totalement inhospitalier, et être dominé par de hautes montagnes rappelant celles du premier ALIEN.

Comment avez-vous recréé le vaisseau étranger du film original ? La maquette fabriquée à l’époque existe t’elle toujours ? Si oui, l’avez-vous scannée en 3D ?

Comme vous, j’ai demandé d’emblée si cette maquette existait toujours ! Je n’ai pas eu besoin de mener cette enquête jusqu’au bout, même s’il me semble qu’il doit effectivement se trouver quelque part dans une collection privée, car Ridley voulait être en mesure de s’approcher beaucoup plus du vaisseau étranger qu’il n’avait pu le faire dans le premier ALIEN. La maquette originale avait une bonne allure dans les plans larges qui étaient nécessaires, puis c’étaient de vrais décors grandeur nature qui étaient employés dans les plans où l’on voyait les astronautes entrer dans le vaisseau, le tout étant peu éclairé, afin d’évoquer une ambiance nocturne. Cette maquette produisait l’effet escompté dans ce contexte-là, mais dans le cas de PROMETHEUS, nous avions besoin de voir beaucoup plus de détails, car tout se déroule en plein jour. Le vaisseau étranger devait pouvoir être montré de très près, et pour être franc, le design que nous avons fini par employer n’est pas tout à fait identique à celui de la scène de 1979. Ridley a voulu en améliorer l’aspect afin de lui donner l’allure d’un vaisseau encore en état de marche.

La suite de cet entretien paraîtra prochainement sur ESI.

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