[40 ans] La naissance du chestburster : Anatomie d'une scène culte d'Alien, le huitième passager
Article Cinéma du Dimanche 26 Mai 2019

A l'occasion des 40 ans d'Alien, le huitième passager,, nous vous proposons de (re)découvrir le processus de création de l'iconique Chestburster...

Quatre décennies après la sortie d'Alien, le huitième passager, l'« accouchement » du Chestburster est toujours considéré comme l'un des événements les plus terrifiants du cinéma fantastique. « Si nous n'avions pas réussi cette séquence, nous aurions aussi bien pu oublier le reste du film », déclarait Ridley Scott en 1979. Coup de projecteur sur la gestation de cette scène devenue culte...


Par Pierre-Eric Salard

Le « Chestburster » – dont le nom signifie littéralement « éclateur de poitrine » – représente l'avant-dernière étape du cycle de reproduction des xénomorphes. Cette créature mêle son ADN à celui de son hôte, reprenant ainsi plusieurs de ses caractéristiques morphologiques. Une fois sa douloureuse gestation terminée, il ne lui reste plus qu'à muer pour devenir le tueur le plus féroce de la galaxie. « Lorsque j'ai travaillé avec Stanley Kubrick, j'ai compris que toutes les créatures devaient avoir un nom afin qu'on puisse les identifier », raconte le producteur associé Ivor Powell (2001, l'odyssée de l'espace, Blade Runner). « Nous avons donc très rapidement inventé les termes de Facehugger et Chestburster ». Pourtant, lorsque le regretté Dan O'bannon écrit la première version du script, au milieu des années 1970, le scénariste se heurte à un problème de taille : il ne réussit pas à imaginer de quelle manière le xénomorphe s'introduit à l'intérieur du Nostromo...

L'origine du mal

Il est hors de question que la créature embarque dans un quelconque véhicule - un concept aussi peu original qu'excitant ! Les spectateurs doivent être pris par surprise. Selon les sources, le Chestburster possède deux origines distinctes. Ron Shusett raconte qu'il s'est réveillé au beau milieu d'une nuit avec une idée pour le moins mémorable. « J'ai appelé Dan pour lui dire que l'alien devrait s'accoupler avec l'un des astronautes », explique le co-scénariste. Dan O'bannon s'avoue circonspect. « J'ai expliqué à Dan que cette chose pourrait s'accrocher au visage de la victime, introduire un tube dans sa gorge, injecter sa semence... et, plus tard, le produit de cette union jaillirait de son estomac ! Dan m'a répondu qu'il s'agissait de l'idée la plus incroyable qu'il avait jamais entendu ». Dan O'bannon, qui était déjà fasciné par le cycle biologique des parasites, n'est en outre pas étranger aux troubles digestifs. Il souffrait en effet d'une maladie inflammatoire chronique, la maladie de Crohn, qui affecte diverses parties du tube digestif et provoque de sévères douleurs abdominales. L'autre origine du concept du Chestburster ne contredit pas forcément l'histoire de Ron Shusett. Selon l'illustrateur Chris Foss et l'artiste suisse H.R. Giger, Dan O'bannon fut transporté d'urgence à l’hôpital, lors d'un séjour à Paris, suite à une intoxication alimentaire. Là encore, l'incroyable douleur abdominale lui donne l'impression qu'une créature séjourne dans son corps. « Il souhaitait tellement que la douleur s'estompe qu'il imagina qu'elle pourrait partir en transperçant son estomac », précise H.R. Giger. Cet épisode est dont intégré dans le premier script d'Alien. La métaphore sexuelle plaît à Dan O'bannon. « Je voulais que les spectateurs soient mal à l'aise », expliquait-il « Pas les femmes, mais les hommes ! La victime d'un viol oral est bel et bien un homme ! » Entre le parasitisme et un véritable cauchemar sexuel, le xénomorphe trouve ainsi le véhicule idéal pour embarquer à bord du Nostromo. Et la séquence du Chestburster – qui se déroule à la page 51 du script alors intitulé Starbeast – est, à elle seule, à l'origine de la décision des producteurs Walter Hill et David Giler de soutenir le projet et de le proposer aux dirigeants des studios 20th Century Fox. Malgré leur réécriture du scénario, ils conservent cette scène qui promet déjà de marquer durablement les spectateurs. Mais encore faut-il que l'impact soit aussi fort à l'écran que dans les pages du script...

La dinde de l'espace

Dès son arrivée sur le projet, Ridley Scott comprend que le design du Chestburster compte énormément pour la réussite de la scène. Le réalisateur incite l'artiste suisse HR. Giger à s'inspirer de l’œuvre du peintre expressionniste britannique Francis Bacon. Le triptyque Trois études de figures au pied d'une crucifixion, peint en 1944, est plus particulièrement examiné. Plusieurs éléments de ce tableau sont transposés dans le design de la créature. « Ces trois longs cous se terminant sur des dents provoquent une sensation de malaise », expliquait Ridley Scott. « Il n'y pas de tête ; il n'y a qu'une bouche. Cet aspect primal m'intéressait ». Il souhaite ainsi retrouver l'idée de l'interminable cou denté de ces trois figures. « C'était logique », ajoute H.R. Giger. « Notre créature devait se frayer un chemin hors de la poitrine de son hôte. Seuls les dents comptaient ». Roger Dicken, chargé de la fabrication de la marionnette, ne se montre pas emballé par le design établi par HR. Giger. « On aurait dit une dinde », avoue-t-il. Sans compter qu'il aurait été impossible qu'une si imposante créature puisse se loger discrètement dans le thorax d'un être humain ! Ce qui n'empêche pas l'artiste de réaliser une copie conforme du design. Dans son atelier, à une heure en voiture des studios Shepperton situés près de Londres, Roger Dicken sculpte pendant trois semaines une première version du Chestburster en plasticine, une pâte à modeler. « L'ennui, c'est que ce qui semblait génial sur le papier... ne l'était finalement pas du tout ! », se souvient Ridley Scott. La marionnette, animée à la main par Roger Dicken pour un essai, provoque l'hilarité générale. « L'effet était comique », poursuit le cinéaste. « Le monstre ressemblait à une dinde démente ! Or je voulais que l'on puisse comprendre l'évolution biologique de l'alien ». Le design du Chestburster se rapproche ainsi de celui du xénomorphe. « Ils ont finalement opté pour une forme de ver-de-terre, sans pattes », se souvient H.R. Giger. « Et la créature s'est vu adjoindre le crâne et la queue de l'alien adulte ». Le design final est cependant bien trop petit pour que Roger Dicken puisse introduire sa main dans la réplique en taille réelle. Une tige métallique incurvée, munie d'une poignée et d'un ressort, est ajoutée afin qu'il puisse contrôler les mouvements de la marionnettes par-dessous le plan de travail. Un câble, lié au ressort, lui permet d'animer la section supérieure du monstre – et ainsi faire saillir la mâchoire. A l'intérieur de la poitrine, une petite poche permet de simuler la respiration. Enfin, un tube, dont l'extrémité est fixée dans la bouche, est raccordé à une bouteille de liquide. En pressant cette dernière, la salive est expulsée dans la petite mâchoire. « Tout cela était d'un fonctionnement très simple », confie Roger Dicken. « La véritable difficulté fut d'installer tout ce système dans une étroite saucisse ! » La créature est prête, le tournage d'une scène culte va pouvoir débuter...

Un réel effroi

A l'origine, Kane devait être interprété par Jon Finch (Kingdom of Heaven)... avant que l'acteur ne s'évanouisse lors de son premier jour de tournage ! « Son teint avait viré au jaune », se souvient Ridley Scott. « Il était diabétique et n'avait pas pris son insuline. Le soir-même, j'ai contacté John Hurt. Il avait été mon premier choix ». Le comédien britannique avait originellement refusé ce rôle car il était engagé, alors, sur un autre projet. Le Chestburster change ainsi d'hôte à la dernière minute ! Dès le lendemain matin, l'acteur anglais tourne sa première scène : le réveil de Kane. Mais ce sont les derniers instants du personnage qui nous intéressent ici. Le jour du tournage de la scène du Chestburster, les acteurs, contrairement à la légende, savent quel genre de terrifiant événement les attend. Selon le scénario, « la créature s'expulse de la poitrine de Kane ». Quelques jours plus tôt, Veronica Cartwright, qui incarne la pilote Lambert, est invitée à visiter le département des créatures du film, supervisé par Roger Dicken. Elle y remarque le petit monstre aux dents acérés, sans pour autant deviner de quelle manière il sera mis en scène. Alors que le acteurs ont rendez-vous à huit heures du matin, John Hurt est arrivé aux Shepperton Studios quatre heures plus tôt. Soit le temps nécessaire à la préparation de son « accouchement », comme il se plaît à le dire lui-même. L'acteur est en réalité installé sous la table de la salle à manger du Nostromo. « John était assis dans un transat », se souvient le directeur artistique Roger Christian. « Seuls sa tête et ses bras émergeaient entre la vaisselle et les aliments ; le reste du corps, sur la table, était factice. A l'heure du déjeuner, nous avons dû lui fournir des cigarettes. Je le revois, une cigarette dans une main, un vin blanc sec dans l'autre ! » Sous le maillot du personnage, un réservoir d'air comprimé pourra éjecter une importante quantité de sang artificiel. Mais cela, les membres de la distribution ne le savent pas ! « Si un acteur joue l'effroi, vous n'obtenez pas le résultat escompté, la peur animale », expique Ridley Scott. Lorsqu'ils débarquent sur le plateau, les comédiens remarquent cependant les nombreuses bâches en plastique protégeant les caméras et l'équipe technique... mais aussi une épouvantable odeur ! Un camion venait en effet de livrer des abats frais – dont des intestins de porcs, de moutons et de vaches ! Ridley Scott les avait méticuleusement installé dans les entrailles de la fausse poitrine. La chaleur des projecteurs aura tôt de les cuire à petit feu ! « Nous savions ce qui allait se passer », se souvient Veronica Cartwright. « Nous connaissions nos emplacements. Quatre caméras enregistraient nos réactions... qui furent viscérales ! Personne n'avait anticipé l'horreur de la scène ». Lors de la première prise, les acteurs se penchent, curieux, sur John Hurt, dont le T-shirt se teint de rouge et s'érige... et c'est tout ! Le Chestburster rate son entrée. Pour la seconde prise, on fragilise le tissu. « De nouveau, nous commençons à nous pencher en avant et, tout d'un coup... il apparaît ! », poursuit l'actrice. « Aucun de nous ne s'attendait à un tel déluge. On m'avait dit qu'un peu de sang jaillirait sur moi, pas que ma tête serait aspergée par un long jet ! Nos réactions étaient sincères ; nous ne jouions plus ! » La comédienne n'est pas l'unique membre du casting à perdre pied. « En assistant à l'agonie de John, j'avais oublié que nous tournions un film », avoue Sigourney Weaver. Pour chaque prise, plusieurs litres d'hémoglobine artificielle sont pompées. Le Chestburster jaillit grâce à un coup de main -littéral - de Roger Dicken, dissimulé sous la table. Il y anime les mouvements et la mâchoire... avant de projeter la créature pour un plan de coupe ! Entre les prises, il faut tout nettoyer et remettre en place les accessoires. Les acteurs, eux, vont se laver ; on leur confie des vêtements identiques à ceux qui ont été précédemment ensanglantés. « Veronica était proche de l'hystérie », expliquait Dan O'bannon. « Deux personnes l'ont aidé à sortir du plateau. Quand elle est revenue, vingt minutes plus tard, on aurait dit qu'il ne s'était rien passé. Sauf qu'elle n'avait pas l'air d'avoir la forme ! » Enfin, l'alien s'enfuit de la manière la plus simple qui soit. « Je voulais qu'il bouge avec une grande violence », précise Ridley Scott. « Nous avons simplement utilisé un système de rails, comme pour un petit train électrique, qui a été installé entre les débris ». Pour l'anecdote, le cri du Chestburster résulte de la déformation et du mixage de trois sons distincts : ceux d'une vipère, d'un cochon et les pleurs d'un bébé. A l'instar des spectateurs, les membres de la production ne sont pas sortis indemnes de cette terrifiante journée. Qu'importe : la séquence restera gravée dans les mémoires. John Hurt renouera même avec le parasite dans La folle histoire de l'espace !



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