HOTEL TRANSYLVANIA : Entretien exclusif avec le réalisateur Genndy Tartakowski. Quand un génie des séries animées passe au cinéma - Quatrième partie
Article Animation du Lundi 18 Mars 2013

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Qu’est-ce qui est le plus difficile quand on tente de créer des décors intéressants pour une comédie réalisée en animation ? Trouver les petits détails savoureux qui amuseront les spectateurs observateurs ?

Nous traitons les décors comme des éléments secondaires, mais importants. Ils servent à créer l’ambiance et l’environnement propice aux gags. Ils sont d’abord conçus en fonction de la position des personnages dans le cadre, puis des mouvements de caméra dictés par la mise en scène. Il peut arriver aussi que le décor soit un gag en lui-même. Dans la plupart des cas, le comique surgit du contraste entre deux éléments qui n’ont rien à voir : quelque chose de rapide opposé à quelque chose de lent, un personnage très bavard confronté à un personnage mutique, une personne toute petite qui se retrouve à côté d’un colosse, etc. Nous avons essayé d’appliquer la même recette aux décors, même si nous avons conçu relativement peu de gags directement liés aux arrière-plans. Nous essayons de nous focaliser sur les personnages, leur émotions et leurs motivations.

Quels ont été les problèmes principaux que vous avez dû prévoir puis éviter pendant la production de ce film ? Trouver le bon équilibre entre l’humour et l’émotion ? Garder le bon rythme tout au long du film ?

Je crois que l’équilibre entre les sentiments et les gags s’est créé tout seul, naturellement, pendant la narration visuelle du récit, parce que tous les bons éléments étaient déjà en place. Ce qui a été plus difficile et plus long, en revanche, c’est la nouvelle formation au cartoon extrême qu’il a fallu donner aux animateurs afin de leur faire oublier ce qu’ils avaient appris dans l’animation classique. Au début, ils avaient du mal à utiliser l’ordinateur pour créer des poses extrêmes comme celles des cartoons. Heureusement, plusieurs animateurs ont compris d’emblée ce que je voulais, et se sont mis au travail, ce qui a permis de créer une nouvelle dynamique de groupe. Mais il est arrivé aussi que certains animateurs 3D se « bloquent » complètement et me disent « Je ne crois pas que l’on puisse faire ce que vous demandez en 3D ». Dans ces cas-là, il m’est arrivé de dessiner des animations 2D très basiques pour leur montrer exactement ce que je voulais obtenir et leur prouver que cela marcherait aussi bien en 3D. J’ai réussi à les convaincre et c’est ainsi que toute l’équipe a pu travailler dans le même sens au bout d’un moment. Tout le monde avait compris quelle était l’énergie graphique que je voulais insuffler au film. C’était capital pour moi.

Avez-vous puni les animateurs 3D récalcitrants en les obligeant à regarder 100 fois les cartoons de BEEP BEEP ET LE COYOTE réalisés par Chuck Jones ?

(rires) Nous ne somme pas allés jusque là, mais nous avons quand même organisé des projections des classiques du cartoon. Pas seulement pour leur montrer les moments ou les yeux du Vil Coyote sortent de leurs orbites et deviennent énormes quand il voit ce qui le menace, mais surtout pour bien assimiler la gestion du timing comique d’un cartoon et la lisibilité des attitudes des personnages. Je dois dire que l’équipe a très bien réagi. Ce n’était pas une punition, mais un cadeau ! (rires)

Quelles sont les scènes qui vous ont semblé être les plus difficiles à réaliser et pourquoi ?

Je dirais qu’il s’agit des moments du script où il y avait encore des intentions qui n’étaient pas totalement clarifiées. Généralement, quand je travaille sur un storyboard, je lis la scène du script, je ferme les yeux, et je peux la voir projetée sur l’écran de cinéma que j’ai à l’intérieur de ma tête. Après, je sais exactement comme cadrer et retranscrire ce que j’ai visualisé. En revanche, si ce n’est pas limpide sur le papier, s’il y a plusieurs interprétations possibles, ces ambiguïtés nuise à l’efficacité de la réalisation. Heureusement, j’étais entouré par une équipe formidable, qui m’a aidé à surmonter ces petites difficultés, et à choisir des options qui ont bien fonctionné.

Il arrive quelquefois qu’un bon gag décrit dans un script soit difficile à représenter de manière immédiatement « lisible » à l’écran. Pouvez-vous parler de cet aspect de votre travail ?

Volontiers, car vous abordez là l’un des problèmes les plus importants d’un film d’animation humoristique, auquel j’essaie d’apporter des solutions personnelles depuis le début de ma carrière. Dans les séries animées et dans beaucoup de longs métrages d’animation, la plupart des gags sont des répliques comiques imaginées par les scénaristes, parce que ce sont des gens qui manipulent des mots et non pas des crayons. Je considère que c’est insuffisant, et qu’il est indispensable de prévoir beaucoup de gags purement visuels dans un film d’animation. J’ai donc poussé les scénaristes à revoir leur copie en leur disant « Il y a assez de dialogues comme cela. Essayer d’imaginer des scènes comiques dans lesquelles les personnages ne disent pas un seul mot ! » Nous également essayé de remplacer certaines phrases de dialogues par des images qui contenaient les mêmes informations. Cette démarche a été validée par la première projection-test du film : nous avons constaté que les jeunes spectateurs riaient seulement en voyant les gags visuels, tandis que les répliques comiques les laissaient indifférents ou ne leur arrachaient qu’un maigre sourire. Il y a une grosse différence entre un éclat de rire et un petit sourire furtif… Pour la défense des scénaristes, je dois dire qu’il est extrêmement difficile de décrire un gag visuel : il vaut mieux en faire un dessin pour que tout le monde comprenne et juge son impact comique. Mais nous avons amélioré les choses tout au long du processus d’écriture... Comme nous sommes partis d’un premier jet de script qui avait été écrit par des gens qui ne viennent pas du monde de l’animation, notre première réaction aurait pu être de supprimer certains gags sympathiques, mais que l’on ne pouvait pas transposer tels quels sous forme de dessins. Cependant nous avons fait l’effort de nous dire : « Ce gag a un bon potentiel. Comment pouvons-nous l’adapter et le transformer pour qu’il fonctionne visuellement ? »

Il est vrai que dans la plupart des films d’animation que l’on voit des derniers temps, et même dans ceux qui sont réussis, il y a beaucoup trop de dialogues, parce que les scénaristes ne raisonnent pas en termes d’images. Ils continuent à écrire comme ils le feraient pour des acteurs de chair et d’os.

Effectivement. Il y a beaucoup trop de dialogues ! (rires) Cela dit, je crois que nous avons traité l’animation d’HOTEL TRANSYLVANIA de telle manière qu’il y a énormément de choses drôles à voir, même pendant que l’on écoute les dialogues. Mais j’espère bien que dans mon prochain film, il y aura moitié moins de dialogues !

Quels sont les problèmes créatifs inattendus auxquels vous avez été confronté ?

Eh bien, auparavant, quand je dessinais un décor en 2D dans des séries animées, je le concevais surtout comme un fond plat sur lequel les personnages devaient bien se détacher. En travaillant en 3D, il a a fallu que je change complètement mon approche de la conception des décors, car mes personnages se retrouvaient pour la première fois dans un environnement en volume avec 4 murs et des meubles. Cela m’a contraint à trouver de nouvelles astuces de cadrages et de mise en scène pour obtenir tous les effets créatifs que j’avais en tête. Je ne voulais surtout pas être enfermé dans ces 4 murs, dans un espace en trois dimensions réaliste et raisonnable, car mon but était de présenter au public un vrai cartoon avec de nombreux moments délirants. C’était l’un des défis à relever en transposant l’esprit cartoon dans l’univers virtuel. J’ai notamment eu recours à des mouvements de caméra extrêmement rapides, alors qu’on me disait « On ne peut pas faire un panoramique aussi vif ! » Je répondais « Mais qu’est-ce que vous dites ? Il suffit de programmer l’ordinateur pour qu’il s’adapte à cette vitesse ! » Là encore, il fallait lutter contre la mentalité « prises de vues réelles / animation classique » pour entraîner toute l’équipe dans le monde du cartoon dont les lois sont totalement différentes. Il a fallu leur faire comprendre que nous faisions « une caricature de film », et non pas une version animée d’un long métrage avec des acteurs. Mais encore une fois, au bout d’un moment, toute l’équipe a compris ce que je demandais, et tout s’est bien passé. Les gens qui étaient un peu réfractaires ont même été heureux d’avoir eu l’occasion de changer de point de vue et de découvrir de nouvelles manières de faire.

Avez-vous été directement impliqué dans la gestion des effets de 3-D Relief ?

Oui. Chaque matin, après voir approuvé ou demandé des modifications des plans 2D en cours d’animation, nous passions en revue les plans qui avaient été produits en relief, afin de vérifier si tout allait bien. Une fois que nous avions bien établi le style de la mise en scène et du film en général, tout s’est bien passé.

Y aura-t-il une suite si HOTEL TRANSYLVANIA remporte le succès escompté ?

Les studios ont tendance à vouloir transformer en licence les films qui fonctionnent bien au boxoffice, donc j’imagine ce que sera le cas si les scores sont bons. Mais je n’en ai pas parlé avec le studio.

Quel est votre prochain projet ?

Je développe deux choses : un concept d’action et d’humour que j’ai écrit, et une nouvelle adaptation des aventures de Popeye le marin.

Popeye est un personnage formidable. Il était temps qu’il fasse son comeback !

(rires) Oui, c’est aussi mon avis. J’ai choisi Popeye, car comme nous le disions auparavant, j’ai vraiment envie de revenir aux gags purement visuels. C’est d’ailleurs ainsi que j’ai présenté le projet au studio. Je leur ai dit : « Si je m’occupe de Popeye, c’est pour raconter ces histoires presque uniquement avec des images, en réduisant les dialogues au minimum ! » (rires) Le studio a adhéré à cette vision et j’espère donc pouvoir pousser très loin les scènes d’action et les gags.

Quelle est l’époque des cartoons de Popeye que vous préférez ? Celle des productions des studios Fleischer dans les années 30, ou celle des studios Paramount, dans les années 50 ?

Sans hésitation, celle des Studios Fleischer. L’animation était géniale, et les gags délirants. Je les avais beaucoup aimés quand j’étais gosse, et je les ai redécouverts car tous les Popeye en noir et blanc ont été réédités en DVD récemment aux USA. En revoyant certains cartoons que j’avais vu à cette époque-là, cela a réveillé des souvenirs d’enfance incroyablement précis. Je me suis revu dans le canapé de mes parents, en train de les regarder pendant que la neige tombait sur Chicago…Et indépendamment de cela, ils sont impressionnants par leur liberté de ton et par leur drôlerie. Il y a par exemple une scène où Popeye et Bluto sont obligés de danser ensemble, et ils n’arrêtent pas de se bagarrer tout en dansant ! (rires) A cette époque où l’animation était encore un procédé tout jeune, on essayait toujours de rendre les mouvements des personnages amusants. Par la suite, on est allé davantage vers le réalisme, ce que je trouve dommage. J’espère retourner à ces sources du cartoon.

Les frères Fleischer avaient aussi utilisé des innovations remarquables dans leurs courts-métrages de Popeye : avez-vous vu les cartoons où les celluloïds transparents sur lesquels étaient peints les personnages étaient placés à la verticale, devant des décors réalisés sous forme de maquettes ?

Oui, l’effet produit était magique. Particulièrement dans POPEYE RENCONTRE SINBAD LE MARIN, qui avait été tourné en couleurs.

Aimeriez-vous mélanger ainsi personnages 2D et décors 3D dans votre nouvelle version de Popeye ?

Pourquoi pas… Les films dont vous parlez font aussi partie de ceux que je préfère, et j’espère trouver des moyens de donner cet aspect tridimensionnel sans avoir forcément recours à l’ordinateur.

Pensez-vous avoir tourné définitivement la page des séries d’animation ?

Eh bien comme il m’a fallu plus de 7 ans d’efforts pour arriver à réaliser un long-métrage de cinéma, je vais essayer de m’accrocher et de rester là un petit moment ! (rires) Mais je dois dire que j’aimerai toujours les bonnes séries d’animation. C’est l’un des rares domaines dans lesquels on peut bénéficier d’une liberté quasi-totale, et j’ai eu la chance d’en faire l’expérience à plusieurs reprises. Si l’opportunité se présente de lancer un nouveau projet de télévision qui me passionne, je ne dirai certainement pas non.

Aimeriez-vous transposer SAMOURAI JACK au cinéma ? C’est une série-culte.

Oui. J’ai travaillé sur cette idée depuis un moment, et le projet est passé entre les mains de plusieurs producteurs. Nous avons une bonne idée d’histoire pour le film, qui constitue à la fois un début et une fin de la saga du personnage. Cela bouclerait la boucle avec la série, car j’ai vraiment envie de lui donner une conclusion satisfaisante.

Voudriez-vous réaliser un film en prises de vues réelles dans le futur, à l’instar de Brad Bird ou d’Andrew Stanton ? Si tel est le cas, vers quels genres de projets vous orienteriez-vous ?

Absolument, si l’opportunité se présente. A la demande de Jon Favreau, j’ai eu l’occasion de travailler sur les storyboards des plusieurs séquences d’action pour IRON MAN 2 et cela m’a beaucoup plu. Cependant je sais depuis toujours que l’animation est le mode d’expression que je préfère. Si on me propose un film qui mélange action et comédie, et si c’est un sujet avec lequel je me sens à l’aise, je tenterai l’expérience. Mais pour l’instant, j’ai déjà imaginé tant d’histoires que je voudrais à présenter au public par le biais de l’animation que je ne me sens pas prêt à faire déjà le grand saut.

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.