La grande aventure des studios Pixar
Article Animation du Mercredi 30 Juillet 2008

Par Pascal Pinteau

En une quinzaine d’années, Pixar s’est imposé comme le studio N°1 en matière d’animation 3D, enchaînant les succès, et dominant le box-office mondial. Comment cette équipe exceptionnelle a-t’elle vu le jour ? Ce flashback va vous permettre de le découvrir...

La genèse de Pixar, selon Lucas


Aussi surprenant que cela paraisse, c’est George Lucas, le créateur de Star Wars, qui a fondé Pixar. Au début des années 80, le réalisateur comprend avant tout le monde, et bien avant les grands studios, que l’avenir du cinéma sera entièrement numérique, de la prise de vue jusqu’à la projection des films en salles. Il rêve de créer les trucages des prochains épisodes de Star Wars en images de synthèse hyperréalistes, et envisage aussi d’incruster des acteurs dans des décors virtuels. Lucas aurait aimé suivre des études d’architecture, et l’idée de concevoir des villes et des univers sans limites dans un ordinateur le fascine. Mais à l’époque, les rendus 3D sont encore terriblement schématiques. On contourne la difficulté en animant des formes mécaniques simples, ou des objets géométriques brillants : sphères, cônes, cubes, etc… C’est la grande époque de ce que l’on appellera les « Flying logos », autrement dit, les logos 3D des chaînes de télévision, que ces dernières aiment à faire virevolter dans leurs génériques. Plutôt que de faire appel à des sociétés qui produisent de la 3D banale, Lucas sollicite les chercheurs de pointe. Il recrute le Dr Ed Catmull, qui dirige le laboratoire d'infographie de l'Institut de technologie de New York, et lui demande de concevoir des ordinateurs et des logiciels exclusivement dédiés à la production d'images. A l’époque, c’est une approche révolutionnaire, car on a l’habitude de détourner des calculateurs surpuissants, utilisés dans des centrales nucléaires ou des usines, pour produire des images de synthèse haut de gamme dans des délais raisonnables. L'équipe de Catmull compte déjà l’animateur John Lasseter et le réalisateur William Reeves, qui est plus particulièrement chargé du développement des logiciels d'animation. Le petit groupe fait ses premières armes sur des séquences 3D d’effets spéciaux qui sont finalisées en collaboration avec ILM, le studio de trucages de Lucas. "L'effet Genesis" de Star Trek 2 : La Colère de Khan (1982), où une lune morte se transforme en une planète recouverte de montagnes et d'océans, puis les plans holographiques de l'Étoile de la Mort du Retour du Jedi (1983) et le chevalier de verre qui bondit d'un vitrail dans Le Secret de la pyramide (1985) feront partie des interventions marquantes de Pixar. Pendant cette période, Lasseter, Catmull et Reeves définissent les bases de l’animation des personnages 3D, et réalisent des expériences visuelles passionnantes. Lucas produit le court métrage expérimental The Adventures of André and Wally B (1984), première réalisation de John Lasseter, qui met en scène deux personnages cartoonesques : une abeille et un humain.



Même si l’aspect des protagonistes est extrêmement simple, les mouvements sont déjà fluides et dynamiques. La démonstration est probante : le cartoon 3D fonctionne. Mais à condition d’y mettre le prix, car cette technique encore expérimentale coûte très cher. Pensant toujours aux futurs effets spéciaux de Star Wars, Lucas fait modéliser un vaisseau X-Wings en espérant que le résultat sera aussi réaliste qu’un gros plan sur une maquette, mais il est terriblement déçu. Persuadé que les images de synthèse ne seront ni fiables ni rentables avant une quinzaine d’années, Lucas commet alors ce qui sera – de son propre aveu – la plus grosse erreur de toute sa carrière : il vend Pixar à Steve Jobs, le fondateur d'Apple, en 1986. Une page de l’histoire de Pixar est définitivement tournée.

Changement de cap

En businessman pragmatique, Jobs écoute d’abord ce que ses nouveaux partenaires ont a à lui dire. Si l’époque Lucas leur laisse de bons souvenirs, la recherche de l’hyperréalisme, elle, les ennuie profondément. Lasseter et Catmull sont convaincus que c’est la voie du Cartoon 3D, encore vierge, qui est la bonne. Jobs trouve rapidement les fonds qui vont permettre à Pixar de s’épanouir dans le dessin animé en images de synthèse. Il produit alors le court métrage Luxo junior, l'histoire d'une grande lampe de bureau et d'une petite lampe qui s'amuse avec une balle. La relation parent-enfant et l'humour de la situation sont merveilleusement exprimés par les objets auxquels Lasseter donne vie. En un seul film – mais quel film ! - il s’impose d’emblée comme un des nouveaux géants de l’animation.



L’accueil réservé à Luxo junior est triomphal. Le film est récompensé par 20 prix dans le monde, et la petite lampe devient le logo de Pixar : c’est elle que l’on voit bondir au début de chaque production du studio. Les courts métrages se succèdent, plus audacieux et plus sophistiqués à chaque fois. Dans Red's Dream (1987), un monocycle abandonné au fond d'un magasin de vélos rêve de s’échapper et de présenter un grand numéro. Le jouet de fer blanc de Tin Toy (1988) est poursuivi par un bébé de chair et d’os remarquablement animé, une prouesse aussitôt récompensée par un Oscar. En 1989, Pixar présente sa première réalisation en relief : Knickknack, l’aventure d’un petit bonhomme de neige qui essaye de s’échapper de sa boule en plastique pour rejoindre la pin-up qui orne un cendrier.



Une fois de plus, le sens de l'humour de Lasseter fait mouche. La griffe Pixar, désormais connue de tous, excite la convoitise des grands studios Hollywoodiens. Conscient que l’animation 3D est une piste qu’il ne faut pas négliger, Disney établit des contacts avec Pixar. Lasseter, qui a fait ses armes chez Mickey, et qui a eu la révélation du potentiel des images de synthèse en voyant Tron, est évidemment ravi de cette situation.

L’association avec Mickey

Le PDG de Disney, Michael Eisner, propose alors une association à Steve Jobs : un contrat de développement de cinq longs métrages, qui assure une complète indépendance à Pixar tout en lui permettant de profiter du réseau de distribution et de la notoriété de Disney. C’est une offre à ne pas laisser passer pour un studio qui débute : Jobs accepte. En 1994, Toy Story devient ainsi le premier long métrage entièrement réalisé en images de synthèse et reçoit un Oscar spécial.



Les succès s’enchaînent : le court métrage Geri's Game, dont le héros est un vieillard très expressif, remporte lui aussi un Oscar en 1997. L'année suivante, 1001 pattes confirme que Pixar a raison de ne développer que des histoires originales, et non des adaptations de légendes ou de romans déjà connus, comme Disney a eu trop souvent tendance à le faire par le passé. Toy Story 2, que Michael Eisner destine au départ à une sortie directe en vidéo, ce qui énerve Jobs et Lasseter au plus haut point, est finalement distribué en salles en 1999 grâce à l'insistance de Tom Hanks, qui prête sa voix au cow-boy Woody. Ce film, qui constitue la première trace officielle des tensions entre Eisner et Jobs, sera un triomphe, tout comme Monstres & Cie (2001) et Le Monde de Nemo (2003, Oscar du meilleur film d'animation), auquel le PDG de Disney prédisait une carrière…abyssale ! Pixar accueille aussi des talents venus de l’extérieur comme Brad Bird, qui a réalisé de nombreux épisodes des Simpsons et le superbe dessin animé de long métrage Le Géant de fer (1999). Lasseter lui propose de développer son projet fétiche, une parodie de l’univers des super-héros, au sein de Pixar. Résultat : Oscarisé à son tour, Les Indestructibles sera l’un des triomphes de 2004, totalisant 629,2 millions de dollars de recettes, tous pays confondus.

Le clash avec Eisner

Mais alors que John Lasseter termine Cars, les relations entre Pixar et Disney se sont dégradées. Steve Jobs a annoncé que les discussions sur la reconduction de leur association n’avaient pu aboutir avec Michael Eisner, qui quittera son poste dans quelques mois. Les deux sujets qui fâchent sont le partage des bénéfices – Pixar ne touche que 60 % des profits, une fois la part de Mickey et le coût de la distribution prélevés - et la propriété des films. Tous les films produits pendant le contrat en cours appartiennent à 50 % à Disney, qui les a financés à moitié. Avant de renouveler le contrat avec Disney, Jobs voudrait récupérer la propriété intégrale de tous les films produits, de Toy Story à Cars : sept titres qui valent de l’or et dont le conseil d’administration de Disney accepterait mal de se défaire. Selon certaines rumeurs, Michael Eisner aurait été prêt à céder la propriété de Cars à Pixar si le contrat était prolongé sur trois films. Il aurait même accepté que le partage des profits évolue en faveur de Pixar, avec une répartition 70/30 pour le film n° 8, 80/20 pour le film n° 9 et 90/10 pour le film n° 10. Pixar aurait donc reçu d’emblée la majorité des parts en échange de quelques faveurs : distribution vidéo de ces titres attribuée à Buena Vista Home Video, première diffusion télé sur les chaînes Disney et déclinaison des films en attractions dans les parcs à thèmes Disney. Jobs a platement décliné l’offre, pensant à juste titre qu’il serait en position de force après la sortie des Indestructibles et pourrait faire passer la pilule la plus difficile à avaler : finançant seul ses prochains films, Pixar ne rétribuerait plus Disney qu’en tant que distributeur en lui attribuant 3 à 5 % des profits selon le succès des films ! Agacé au plus haut point par ces exigences, Eisner a aussitôt mis en chantier un Toy Story 3 qui sera produit entièrement par Disney, sans la participation de Pixar ! Mais les erreurs accumulées par le patron de Mickey (commercialisation à outrance, baisse de qualité des attractions des parcs à thème, investissements discutables, etc…) ont finalement eu raison de lui. Après la démission d’un Roy Disney excédé du conseil d’administration – il se déclarait excédé de voir l’image de Disney ternie par le mercantilisme à tout va - , Eisner n’a pu surmonter la motion de défiance votée par les actionnaires.

Le règne de Bob Iger et un deal mémorable

Son successeur, Bob Iger, prend ses fonctions de PDG en septembre 2005, après avoir annoncé qu’il allait tenter de renouer les liens avec Pixar. Après sa nomination, le premier message de félicitations qu’il ait reçu venait de Steve Jobs, ce qui laissait déjà présager que les relations Pixar/Disney allaient s’améliorer nettement dès la fin 2005. Et le 25 janvier 2006, une incroyable nouvelle devient officielle : après de nombreux rebondissements , la Walt Disney Company rachète finalement Pixar pour 7,4 milliards de dollars d'actions, ce qui fait de Steve Jobs, patron du studio, le plus gros actionnaire de Disney avec 7% des parts. Il est désormais le 14ème membre du conseil éxecutif de Disney, ce qui doit assurer à Pixar, dont le PDG Ed Catmull dirige le studio commun créé par cette fusion, toute la liberté artistique qui est à la base de cet accord. John Lasseter supervise désormais non seulement les projets de Pixar, mais aussi tous ceux de Disney, le studio auquel il doit sa vocation ! Il devient aussi le superviseur créatif de Walt Disney Imagineering, le département de création des attractions des parcs Disney du monde entier. C’est une fabuleuse nouvelle pour tous les fans d’animation et de parcs à thème. Les premiers gestes de Lasseter seront à la mesure des espoirs que sa nomination a fait naître : il relance l’animation dessinée à la main chez Disney, apporte des conseils éclairés aux productions animées en cours et génère une mini-révolution au sein de WDI, victime d’un déclin regrettable depuis une bonne quinzaine d’années. Ce grand courant d’air frais devrait être bénéfique à Disney, trop longtemps dirigé par des « executives » experts du marketing cynique, dénués du moindre flair artistique. Le Toy Story 3 perfidement mis en chantier par la précédente équipe a été abandonné, et un communiqué officiel a précisé ultérieurement que cette suite serait produite avec la participation des créateurs originaux de la saga. Le chapitre 2006 de la saga Pixar est donc l’un des plus passionnants de cette histoire et ouvre des perspectives particulièrement alléchantes...



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