Entretien exclusif avec Scott Stokdyk, superviseur principal des effets visuels du MONDE FANTASTIQUE D’OZ - Troisième partie
Article Cinéma du Mercredi 03 Avril 2013
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
Robert Stromberg a dessiné des arbres sinistres pour la forêt hantée. Avez-vous animé ces arbres ? Avez-vous créé d’autres éléments effrayants pour ce décor ?
Eh bien en fait, toute la séquence de la forêt hantée avec les arbres effrayants que nous avions modélisés et préparés pour être animés a finalement été coupée du film !
C’est intéressant à savoir, car nous aurons peut-être l’occasion de la voir dans les suppléments des éditions DVD & Blu Ray du film…
Je dois dire que j’ignore si cela fait partie des plans des producteurs… Si jamais nous avons la chance que ce film marche bien et qu’une suite soit validée, cela pourrait aussi être l’occasion d’utiliser le travail qui avait été fait sur la forêt hantée dans ce second volet. Qui sait ?..
Le décor du cimetière et des ruines nappées de brouillard a dû être amusant à concevoir…
Oui. Là encore, Robert a conçu des éléments de décor avec des formes très originales, parmi lesquelles il était intéressant de faire évoluer les nappes de brouillard. Ce genre d’environnement rend très bien à l’image, même si techniquement, il ne fait pas partie des plus complexes à produire.
Vous avez probablement dû passer beaucoup plus de temps à mettre au point la simulation des bulles géantes dans lesquelles Glinda et ses hôtes se déplacent en volant au-dessus de la contrée des Quadlings. Les spirales de couleurs irisées qui se forment sur la surface d’une bulle de savon sont très complexes, et probablement difficiles à reproduire et à animer…
Les bulles ont été très intéressantes à créer en 3D parce que tout le monde a eu l’occasion d’en observer au cours de sa vie, et de voir comment les couleurs bougent et évoluent en formant des motifs complexes sur leur surface. Notre équipe chargée de la recherche et du développement a eu déjà l’occasion de travailler sur des simulations et des rendus de surfaces très fines, similaires à celles des bulles de savon. Elle a mis au point de superbes rendus de surfaces irisées, avec des décompositions très subtiles du spectre des couleurs.
Quelle a été votre approche du traitement des images de synthèse du château de Glinda et du village qui l’entoure ?
Le château de Glinda est réalisé dans le style Art Nouveau, avec beaucoup de courbes et de formes organiques fines inspirées du monde végétal, par opposition au traitement Art Déco de la cité d’émeraude, dont les structures sont géométriques et imposantes. Robert Stromberg a voulu illustrer ainsi les différences de personnalités entre Glinda et Evanora, qui dirige la cité d’émeraude de manière autoritaire. Dans l’univers de Glinda, il y a des tons pastels et des lignes douces. Beaucoup de dessins du château et du village vus à une certaine distance ont été réalisés par Jonathan Bach. L’équipe de Robert a construit ensuite la grande cour centrale, en montrant comment la route de briques jaunes aboutit dans cette cour en se mêlangeant en spirale avec ses pavés gris, qui sont légèrement iridescents. Le décor construit sur le plateau a été combiné avec des vues panoramiques des paysages que nous avons créées, et les plans larges du château ont été réalisés à partir des modélisations préparées par les équipes de prévisualisation, puis détaillées et texturées. Chacune des trois sorcières que l’on voit dans le film a un thème graphique et une gamme de couleurs personnalisées. Dans le cas de Glinda, Robert a joué sur l’iridescence, et sur une palette arc-en-ciel assez large. On retrouve cette caractéristique dans l’aspect des bulles qu’elle utilise pour se déplacer, mais aussi sur les tourelles et les pointes de son château, sur les cristaux de sa baguette magique, et sur ses vêtements.
Parlons à présent de la création des compagnons d’Oz / Oscar Diggs pendant son aventure. La poupée de porcelaine China girl et le petit singe Finley semblent être des personnages très attachants. Comment avez-vous utilisé les performances filmées dans les décors avec la vraie poupée de China Girl animée sur le plateau et les acteurs jouant ces deux personnages, la jeune Joey King et Zack Braff ?
Je crois qu’il sera plus simple que je vous explique d’abord comment nous avons travaillé sur China Girl avant de passer à Finley, car les deux approches étaient très différentes l’une de l’autre. Quand nous avons commencé à réfléchir à la meilleure manière de donner vie à cette poupée de porcelaine, Sam Raimi a eu l’occasion de rencontrer le marionnettiste Phillip Huber, qui est un des maîtres de cette forme d’expression artistique. Cela fait plus de 40 ans que Philip explore l’art d’animer des marionnettes de toutes sortes : marionnettes à main, à fil, à tiges, etc. Au cinéma, on a pu voir son travail notamment dans le film Dans la peau de John Malkovich. Phillip a construit sa version de China Girl sous la forme d’une marionnette à fil, qu’il animait pendant le tournage, en portant un justaucorps bleu afin que nous puissions l’effacer aisément par la suite. Ses performances aux côtés de James Franco étaient filmées ainsi. La présence de la vraie marionnette sur le plateau aidait James à diriger son regard dans la bonne direction, et surtout, cela lui permettait de réagir à ce qu’elle faisait. Quand il devait la porter, nous lui donnions une autre effigie du personnage, afin d’éviter d’emmêler les fils de la marionnette principale. Philip manipulait sa marionnette par le biais de 20 fils, qui donnaient une grande liberté de mouvements corporels à China Girl, à l’exception des doigts des mains, qui étaient figés. Les expressions faciales, elles, étaient limitées aux mouvements des paupières, qui pouvaient s’ouvrir et se fermer, mais les yeux et la bouche étaient fixes. Philip est parvenu à animer sa marionnette de manière très nuancée grâce à son art, et nous avons pu filmer ainsi de belles performances. Elles nous ont beaucoup inspirés quand nous nous sommes préparés à animer China Girl en 3D. Notre superviseur de l’animation, Troy Saliba, a été particulièrement impressionné par l’impact émotionnel qui se dégageait des performances de Philip, en dépit du fait que le visage de la marionnette était fixe. Le travail de Philip a été une référence majeure pour nous, à l’instar de celle d’un comédien. La première étape de notre intervention sur China Girl a consisté à effacer la vraie marionnette des images, et à lui substituer notre modèle 3D. Il faut que je précise que Joey King, l’actrice de 14 ans qui prête sa voix à China Girl, se trouvait dans une cabine insonorisée à côté du plateau, et qu’elle avait devant elle un moniteur vidéo qui lui permettait de voir ce qui était cadré par la caméra principale. De cette manière, elle pouvait jouer presque comme si elle se trouvait à côté de James Franco, et le suivre dans ses improvisations. De son côté, James avait un écouteur sans fil dans l’oreille et entendait ainsi ce que disait Joey. Ils dialoguaient par ce biais pendant que James jouait face à la marionnette à fil de Philip. Nous avons obtenu de superbes performances de James et de Joey grâce à cette méthode. Tout se passait de manière naturelle, quelles que soient les variations autour de la scène que tentaient James ou Sam Raimi. Cette scène a été montée avec l’animation de la marionnette à fil et avec la voix de Joey, et nos animateurs pouvaient également voir en insert vidéo le visage de Joey, filmée dans sa cabine insonorisée pendant qu’elle jouait China Girl. Ils voyaient et entendaient ainsi l’intégralité des performances filmées et enregistrées pendant le tournage : l’animation de la marionnette et ses interactions physiques avec James, la voix et les expressions faciales de Joey, et le jeu de James Franco. Auparavant, Troy Saliba avait visionné la scène en compagnie de Sam Raimi et lui avait demandé précisément ce qu’il voulait que nous puisions dans les performances de Philip et de Joey, et ce qu’il fallait que nous ajoutions pour peaufiner les interactions physiques entre China Girl et James. L’animation finale de China Girl est le résultat du mélange de toutes ces contributions artistiques.
Vous disiez que vous avez employé une méthode différente pour donner vie à Finley, le petit singe ailé…
Oui. Au cours de ces dernières années, nous avons vu de belles performances dans des scènes jouées par de vrais acteurs faisant face à des personnages numériques. Et à chaque fois, la méthode employée pour parvenir à cela tenait au fait qu’un comédien était présent sur le plateau pour jouer le rôle du personnage qui allait être finalisé en 3D. Rien ne peut remplacer l’interaction directe entre deux acteurs filmés face à face. Nous avions employé ce procédé pour la première fois en 2000 pendant le tournage de L’HOMME SANS OMBRE, en faisant jouer les scènes sur le plateau à Kevin Bacon, puis en le remplaçant par son clone 3D qui était extrêmement détaillé, et que nous pouvions rendre invisible « couche par couche », puisque l’intérieur de son corps – muscles, veines, tendons os, etc - avait été minutieusement reconstitué. Mais la différence dans le cas de Finley, c’est sa taille. Finley est un singe de 90cm, qui marche, vole et plane. Nous ne pouvions pas demander à l’acteur qui l’incarne, Zach Braff, de ramper sur le sol en maintenant ses yeux à une hauteur de 90cm, tout en jouant normalement ! Dans certains cas, Zach pouvait placer sa tête à la bonne hauteur, mais uniquement quand Finley était sensé être assis sur une barrière ou debout sur un petit talus. Zach était toujours partant pour se placer là où c’était nécessaire, même s’il lui fallait se contorsionner ou se mettre dans des postures très inconfortables. Il fait partie de ces acteurs entièrement dévoués à leur art, qui ne reculent devant rien pour vous offrir la meilleure performance possible. Mais cela ne résolvait pas tous les problèmes inhérents à la différence de taille entre Finley et Zack. La solution que nous avons trouvée est passé par la mise au point d’un système que l’équipe a baptisé « Puppetcam ». Il consistait à installer Zack dans une cabine insonorisée et équipée d’un moniteur et d’une caméra braquée sur son visage, comme celle de Joey. Sur le plateau, un marionnettiste habillé en bleu déplaçait un petit moniteur LCD et une mini caméra montés sur un bâton qui avait exactement la taille de Finley, 90cm. Sur le petit moniteur, James voyait le visage de Zach, et il entendait sa voix grâce à son oreillette. Et dans la cabine, grâce à la mini caméra, Zach voyait James avec le point de vue subjectif de Finley. Ce système est en quelque sorte notre version high-tech du bâton avec une balle de tennis dont on se sert pour aider les acteurs à regarder à la bonne hauteur quand ils sont sensés se trouver à côté d’un personnage 3D. Grâce au marionnettiste qui déplaçait le bâton, nous pouvions obtenir une interaction presque idéale entre James et la future image 3D de Finley, par le biais de la vidéo conférence avec Zach.
C’était un moyen astucieux de miniaturiser Zach Braff !
Exactement. Et il suffisait de déplacer le bâton pour nous permettre de simuler les moments où Finley vole, bondit, sautille ou marche, tout en obtenant toujours le bon alignement de regard de James.
Quel est le nom des petites créatures volantes aux grands yeux noirs et aux dents de piranha ? Que font-elles et dans quelle région d’Oz vivent-elles ?
Elles s’appellent « les fées de la rivière ». On les découvre juste après que Oz/ Oscar Diggs se soit échoué avec son ballon sur les berges d’une rivière, peu avant de rencontrer Theodora. Ces petites bestioles viennent le tourmenter, tirer sur ses habits, et l’embêter, mais cela constitue leur unique apparition dans le film.
Quelles ont été les difficultés spécifiques liées à la création des autres créatures fantastiques d’Oz ? Pouvez-vous nous dire quelques mots à ce sujet sur les « snapdragons », les poissons volants et les chevaux de bois ?
Tous les designs de ces créatures sont basés sur les dessins de Michael Kutsche, ce fantastique créateur de personnages qui avait déjà collaboré avec Robert Stromberg sur ALICE AU PAYS DES MERVEILLES de Tim Burton. Robert avait beaucoup aimé son travail, et lui a demandé de participer au MONDE FANTASTIQUE D’OZ. Quand Sam Raimi a vu ses dessins des personnages, il a trouvé que le talent de Michael allait au-delà des créatures, et il lui a proposé de concevoir aussi les costumes des acteurs. Michael est donc crédité à la fois en tant que concepteur de personnages et en tant que co-chef costumier, avec Gary Jones. Michael a si bien compris l’esthétique d’Oz telle que l’a définie Robert Stromberg que Sam a estimé qu’il était naturel qu’il crée toute la gamme des personnages du film, des humains aux créatures. De notre côté, notre rôle à consisté à donner une présence physique aux créatures dessinées par Michael, principalement en choisissant les textures et les rendus qui allaient leur permettre de s’intégrer parfaitement dans les décors et les environnements d’Oz. Les créatures que vous citiez, comme la plupart des autres, d’ailleurs, sont des transpositions 3D très fidèles des splendides dessins de Michael.
Les hordes de babouins volants sont très impressionnantes. Comment avez-vous créé tous ces singes ailés en colère ? Est-ce que les trois principaux babouins qui interagissent avec certains acteurs ont été incarnés sur le plateau par des cascadeurs en tenue verte suspendus à des câbles ?
D’emblée, nous étions conscients que les singes volants faisaient partie du vocabulaire narratif et visuel incontournable d’Oz, comme le premier livre de la saga originale l’a établi. Dans l’histoire de L. Frank Baum, il n’y a qu’un seul peuple de singes, tandis que dans notre film, il y en a deux : celui des singes gentils auquel appartient Finley, et celui des babouins maléfiques. Nous avons fait beaucoup d’efforts pour que leurs designs soient extrêmement différents. Finley est petit, léger, vif, agile, et ses ailes qui ressemblent à celles d’un petit oiseau font des mouvements elliptiques. Les babouins, eux, sont plus grands, plus massifs, plus musclés et ont donc besoin d’ailes bien plus larges pour pouvoir s’envoler. Nous leur avons donné des ailes de chauve-souris et une gestuelle de grands oiseaux prédateurs, forts, mais moyennement agiles pendant leurs évolutions aériennes. Les babouins principaux, vus au premier plan, ont été animés individuellement, tandis que ceux qui forment le reste de la nuée ont été dotés d’intelligences artificielles et de plusieurs séries de cycles d’animations via le logiciel Massive, afin de simuler des comportements de groupe.