Frankenweenie : Métamorphosé et réanimé image par image, le minifilm culte de Tim Burton devient un long métrage monstrueusement réussi !
Article Animation du Vendredi 05 Avril 2013

[Retrouvez notre entretien avec le directeur de la photographie de Frankenweenie, Peter Sorg]


Par Pascal Pinteau



La longue résurrection d’un projet

Réussite exemplaire, le Frankenweenie que nous redécouvrons aujourd’hui à l’occasion de sa sortie en DVD et Blu Ray est l’aboutissement d’un concept mûri depuis plus de 25 ans par Tim Burton.


La longue saga de Frankenweenie commence à la fin des années 70 en Californie… Après avoir appris l’animation au sein de la prestigieuse école des beaux arts de CalArts (California Institute of the Arts) aux côtés de futurs grands noms tels qu’Henry Selick, John Lasseter, Brad Bird et John Musker, Tim Burton, alors âgé d’une vingtaine d’années, obtient une bourse des studios Disney, où il est engagé en tant qu’animateur au début des années 80. Son talent et sa vision très originale y sont remarqués, et après avoir fait sagement ses armes sur le long métrage de dessin animé Rox et Rouky (1981), très éloigné de sa sensibilité décalée, on lui donne l’opportunité de développer des projets personnels. Le premier d’entre eux est un coup de maître, un court métrage d’animation « gothique » de 6 minutes intitulé Vincent (1982), vibrant hommage à la star des films d’horreur qui fascine Burton depuis son enfance : Vincent Price. L’acteur de 71 ans, touché par la ferveur sincère de cet admirateur, accepte de sortir de sa semi-retraite pour participer au projet atypique qui lui est dédié. Price assure avec brio la narration en voix off de ce conte macabre et amusant dans lequel un enfant à l’imagination trop vive, le jeune Vincent Malloy, qui rêve de vivre comme Vincent Price, transpose tous les moments de sa vie quotidienne banale en péripéties dignes d’un conte d’Edgar Allan Poe filmé par Roger Corman. Grâce à son ambiance visuelle très originale, filmée en noir et blanc, imprégnée d’expressionnisme allemand et ponctuée de décors imaginaires aux perspectives savamment disloquées, Vincent se distingue de tout ce qui est produit à l’époque dans le cinéma d’animation américain. C’est un vrai choc visuel et la révélation d’un nouveau grand talent. (Rappelons que Tim Burton confiera à Vincent Price le rôle de l’inventeur dans Edward Aux Mains D’argent en 1990, permettant ainsi à l’acteur de faire une ultime apparition particulièrement poignante sur le grand écran). L’autre point fort du film est l’excellente transposition en volume des graphismes de Tim Burton par Rick Henrichs, décorateur hors pair qui deviendra l’un de ses principaux complices. Le petit film produit par Disney est alors classé parmi les grands, et triomphe dans les événements cinématographiques du monde entier, recevant le prix du public du prestigieux festival international d’animation d’Ottawa. Disney, ravi et quelque peu décontenancé par ce succès, décide de produire le second projet de Burton, intitulé Frankenweenie. Il s’agit cette fois-ci d’un hommage direct aux deux premiers films de la série des Frankenstein réalisés par James Whale pour Universal, Frankenstein (1931) et La fiancée de Frankenstein (1935).



Frankenweenie évoque une fois encore l’enfance du jeune Tim Burton, qui trouvait alors son existence désespérément fade et s’évadait dans des mondes imaginaires nourris par sa passion des films fantastiques. Tout comme le Vincent Malloy de Vincent, le jeune Victor Frankenstein de Frankenweenie est un double de Burton : un adolescent rêveur, sensible, intelligent et solitaire, en décalage complet avec le conformisme ambiant et la culte des gagnants  que célèbre l’American way of life. Mais si le sens de l’humour sombre et sarcastique de Burton est omniprésent dans cette histoire, elle raconte aussi de manière très touchante l’attachement d’un petit garçon pour son chien Sparky, des sentiments forts puisés dans les souvenirs de l’auteur, qui posséda un adorable toutou nommé Pepe. Dans le conte de Burton, quand Sparky est renversé par une voiture et tué, le jeune Victor Frankenstein décide de le ramener à la vie grâce au pouvoir de la science. Frankenweenie est conçu d’emblée comme un long métrage d’animation de marionnettes. Mais depuis un moment, Disney traverse une période sombre, jalonnée de projets initialement audacieux, dont la direction du studio amoindrit les concepts en tentant de les faire entrer de force dans un moule commercial daté. Faute d’être soutenus jusqu’au bout, ces films atypiques sont des déceptions au boxoffice. Après avoir tenté d’imiter le prodigieux succès de Star Wars (1977) avec Le Trou Noir (1979) qui devait être un « 20 000 lieues sous les mers dans l’espace » au ton adulte, traité comme une aventure imprégnée de mystère, Disney se saborde en greffant des robots au look absurdement cartoon, destinés à amuser les enfants, sur cette intrigue sérieuse. Le résultat, pourtant prévisible, est un flop artistique, critique et commercial. Abordant ensuite la Fantasy de manière intelligente et sombre avec l’excellent Dragon du lac de feu (1981), le studio ne sait hélas pas « vendre » ce film d’aventure parfois effrayant au grand public qui n’attend de Disney que des divertissements sucrés et inoffensifs. C’est hélas un nouvel échec, d’autant plus injuste que ce film tout à fait remarquable restera pendant 30 ans l’unique réussite du cinéma américain dans le domaine de la Fantasy avant le succès du Seigneur des Anneaux ! Misant ensuite avec une audace fort louable sur le thème des univers virtuels et sur les premières scènes entièrement réalisées en images de synthèse, les patrons de Mickey n’obtiennent qu’un demi-succès honorable mais financièrement décevant avec Tron (1982). Découragés, les dirigeants du studio ne peuvent plus prendre un nouveau risque financier en donnant le feu vert au projet Frankenweenie tel que Burton l’a imaginé... Le jeune cinéaste est contraint de renoncer non seulement aux marionnettes et à la Stop-Motion, mais aussi au format de long métrage. C’est donc sous la forme d’un court métrage de 29 minutes, tourné en prises de vues réelles avec un budget d’un million de dollars, que la première incarnation de Frankenweenie voit le jour en 1984. Le résultat, pourtant charmant, est encore trop dérangeant pour Disney qui ne sait comment l’exploiter commercialement. Le studio envisage de présenter Frankenweenie en avant-programme de la ressortie en salles de Pinocchio en 1984, mais l’idée est abandonnée après que de jeunes enfants aient pleuré en voyant le court métrage lors de projections-tests. En guise de récompense de ses efforts, Tim Burton est alors remercié « pour avoir dépensé les ressources du studio en produisant des projets qui ne correspondent pas au public familial. » Le talent de Burton ira donc exploser ailleurs, où il sera mieux compris. C’est en voyant Frankenweenie que Paul Rubens, alias Pee Wee Herman, se rend compte que Burton sera capable de transposer son univers comique frapadingue et imprégné de culture populaire au cinéma. Pee Wee permet à Burton de faire ses débuts de réalisateur de long métrage avec Pee Wee’s Big Adventure (1985) au sein des studios Warner, qui le traitent bien.



Ils lui confient ensuite les deux films qui feront de lui l’un des réalisateurs les plus importants de sa génération, Beetlejuice (1988) puis Batman (1989), énorme succès commercial et critique…Notons que dès que Tim Burton devient célèbre, Disney trouve de nouvelles qualités à Vincent et à Frankenweenie, et fait fructifier ces courts métrages en cassettes vidéo, en présentant toutefois une version censurée de Frankenweenie ! Les vraies réconciliations entre Burton et Disney ont lieu quelques années plus tard, en 1991. Les studios – qui possèdent légalement tous les projets imaginés par le réalisateur quand il était leur employé salarié – ressortent le traitement de L’étrange Noël de Mr Jack de leurs archives et proposent à Burton de le produire en animation avec un budget conséquent. Alors que le film est réalisé avec talent par Henry Selick, Disney minimise son apport créatif en l’intitulant Tim Burton’s Nightmare before Christmas, une décision qui accable Selick encore aujourd’hui. Cette nouvelle transposition de l’univers Burtonien en Stop Motion devient un film-culte dès sa sortie en 1993, phénomène qui ira en s’amplifiant au fil des ans et donnera lieu à un merchandising abondant au moment de chaque fête d’Halloween.



C’est d’ailleurs à l’occasion de la sortie de ce film en DVD que Disney présentera pour la première fois la version non-censurée de Frankenweenie en vidéo ! Burton poursuit sa carrière ailleurs, puis retrouve le chemin des studios Disney en 2010, en signant une adaptation d’Alice au pays des Merveilles en 3-D Relief dont le traitement numérique plaît plus au public qu’aux critiques. Le studio, lui, est ravi de voir le film dépasser le milliard de recettes au boxoffice mondial, et entame une nouvelle lune de miel idyllique avec Burton. Le producteur Don Hahn (Le Roi Lion, La Belle et la Bête) lui demande alors s’il aimerait toujours faire de Frankenweenie le long métrage d’animation de marionnettes dont il avait rêvé en 1983. Burton répond oui avec enthousiasme, et accepte même de réaliser lui-même le film, à condition qu’il soit tourné en noir et blanc. Il revient à ses croquis originaux et se lance ensuite dans une étonnante résurrection du projet de ses débuts. Le résultat est une parfaite réussite, du pur Tim Burton comme on l’aime. Cet hommage sensible et drôle au cinéma fantastique de l’âge d’or, imprégné de souvenirs d’enfance touchants, est le fruit d’un long travail artistique et technique dont nous sommes heureux de vous présenter les coulisses dans les prochaines parties de ce dossier.

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