Les effets visuels de Jack le chasseur de géants - Seconde partie
Article Cinéma du Jeudi 25 Avril 2013

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Entretien avec Joe Takai, superviseur des effets visuels.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Pouvez-vous nous parler des environnements virtuels et des extensions 3D des vrais décors qui ont été réalisées pour ce film ?

Volontiers. Nous allons déjà créer la majeure partie du réseau de tiges du haricot géant, en la raccordant avec les éléments qui ont été construits dans le champs qui se trouve ici, et avec les sections de tiges qui ont été installées dans les studios. Dans un film en relief, c’est un exercice beaucoup plus compliqué qu’il n’y paraît, parce qu’il ne faut surtout pas se tromper sur les distances quand on ajoute des parties virtuelles sur des décors réels. Si l’on se trompe ne serait-ce qu’un peu dans les mesures de distance entre la caméra et l’élément de décor, cela peut donner un résultat terrible à l’image dès que la caméra bouge : il se crée un décalage dans la profondeur qui donnera un aspect artificiel au composite. Dans les séquences du film qui se déroulent à Gantua ou dans le château du Roi Brahmwell, nous avons des petites sections de décors réels que nous augmentons en synthèse. Nous le ferons aussi avec le plus grand décor construit pour le film, qui représente la cour intérieur du château, autour duquel a été construite en 3D une citadelle fortifiée, avec de hautes murailles, des douves et un pont-levis. Nous allons ajouter aussi beaucoup de figurants numériques dans ces décors, aux côtés des vrais. De même, nous allons animer les doublures digitales des acteurs dans les plans très larges où on les voit escalader les tiges du haricot magique.

Dans quelles autres scènes utilisez-vous les doublures numériques des acteurs ? Dans les interactions avec les géants, probablement…

Oui, mais aussi dans certaines scènes avec les chevaux. Tous les comédiens du film ne sont pas des cavaliers émérites, et nous tournons souvent des plans avec leurs doublures cascades, dont nous remplaçons ensuite les visages par les modélisations 3D de ceux des acteurs. Il y a aussi d’autres plans de chevaux courant au grand galop où nous utilisons à 100% les doublures numériques des comédiens, ainsi que des clones de chevaux. Donc, bien souvent, quand vous verrez l’un des acteurs faire un exploit physique potentiellement dangereux, il ne s’agira pas de lui, mais d’un « agent 3D», comme nous avons coutume d’appeler ces clones réalisés en images de synthèse.

Ajoutez-vous beaucoup de cavaliers virtuels dans les scènes de bataille ?

Oui, beaucoup, notamment dans les plans qui se situent vers la fin du film, au moment du siège de la cité fortifiée, quand les géants l’attaquent.

Comment réglez-vous les interactions fines entre les géants réalisés en 3D et les acteurs, dans les scènes où ils les attrapent, les tiennent dans leurs mains, ou les jettent dans des cages ?

Nous employons le dispositif « Simulcam » développé par James Cameron pour mettre en scène les nombreuses séquences d’Avatar réalisées en Mocap. Pour vos lecteurs qui ne connaîtraient pas bien ce dispositif, il faut préciser qu’il s’agit d’un système qui permet d’enregistrer les mouvements des acteurs sur un plateau de tournage vide ou dans un espace délimité d’un décor réel. Dans cet espace tridimensionnel que l’on appelle « le volume », les acteurs sont cernés par des caméras infrarouges qui captent leurs gestes sous tous les angles en même temps. Le Simulcam permet de « cadrer » les scènes avec une sorte de moniteur portable, qui joue le rôle d’une caméra. Mais sur l’écran de cet appareil, on ne voit pas l’image vidéo du plateau, puisqu’il ne filme rien. Il n’est que la matérialisation d’une caméra virtuelle, que le réalisateur peut manipuler pour créer ses cadres et ses mouvements de caméra au cours de l’action, car le moniteur affiche les images 3D schématiques des personnages que les acteurs présents sur le plateau animent par leurs gestes. Et le système informatique ajoute en temps réel les décors schématiques et les animations préparatoires des géants aux animations produites par les acteurs. Autrement dit, le réalisateur cadre en même temps les acteurs en costumes - ou leurs doublures 3D si c’est nécessaire - et les animations 3D des géants, dont les perspectives changent dès qu’il fait bouger l’écran du moniteur/caméra Simulcam. Cela nous permet d’affiner énormément les interactions entre les humains et les géants dès le stade de la Mocap, puis nous les rendons encore plus précises quand nous passons à l’animation définitive des personnages.

S’agit-il de la toute première fois que l’on utilise le système Simulcam dans des décors extérieurs ?

Je crois que oui, car dans Avatar, tout a été enregistré en studio. Nous travaillons avec l’équipe de Giant Studios qui a participé à Avatar. Ils ont développé un système de capture qui fonctionne avec des capteurs optiques placés sur la caméra et avec des appareils disséminés dans le décor qui dialoguent constamment avec la caméra. Ils savent dans quelle position elle se trouve, à quelle vitesse elle bouge et se calent même sur les zooms qui sont utilisés par l’opérateur. Nous pouvons alors ajouter en temps réel les animations des géants sur les prises de vues en cours. L’appareillage peut être installé sur n’importe quelle caméra, qu’elle soit montée sur grue ou sur support steadycam. Comme Bryan a choisi d’utiliser une louma et une grue Technocrane pour tourner la plupart des plans en extérieurs, nous avons ajouté des capteurs – appelés « coders » - sur ces deux grues, afin de lui permettre d’employer le procédé Simulcam en toute liberté. Dès que la grue utilisée bouge, elle génère des données qui nous permettent de la reconstituer dans l’espace virtuel où sont animés les versions schématiques des géants et des prolongations des décors.

Scannez-vous les décors extérieurs ou ceux construits en plateau afin de les reconstituer en synthèse dans le cadre du procédé Simulcam ?

Oui, nous faisons cela avec un laser, comme le font les ingénieurs chargés de procéder à des relevés topologiques d’un lieu. Grâce à la précision du faisceau laser, les mesures de distances sont faites au millimètre près. En réalisant plusieurs centaines de relevés sous différents angles, on obtient assez d’informations pour disposer d’une simulation basique des volumes du vrai décor. Nous pouvons alors construire par dessus des perspectives « sur mesures » qui s’y adapteront comme un gant sur les doigts d’une main.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les décors virtuels du film ?

Même si nous employons le système Simulcam créé pour Avatar, la grande majorité de nos plans d’effets visuels est liée d’une manière ou d’une autre à des éléments tournés en prises de vues réelles. Il n’y a que très peu de moments où l’image est 100% virtuelle, comme cela a pu être le cas dans Avatar, qui était une superbe réussite et qui a permis de franchir de nouvelles frontières dans le domaine des trucages numériques. Dans le film de James Cameron, il n’y avait que 35% des scènes qui comportaient des éléments réels. Le reste était réalisé entièrement en animation, d’après les séances de Mocap avec les acteurs. Dans notre cas, les proportions sont presque inverses : il y a environ 80% de scènes tournées en prises de vues réelles dans lesquelles nous ajoutons des éléments virtuels comme le haricot magique ou les géants. Dans les 20% restants, on trouve les scènes qui se déroulent à Gantua. Dans ces environnements-là, construits à l’échelle des géants, les décors sont tellement immenses que la seule manière de les représenter consistait à recourir à la synthèse. Dans la majorité des séquences du film, quand l’action se déroule dans un donjon, au pied du haricot géant ou dans le grand hall du château de la cité fortifiée, l’essentiel de l’image est un vrai décor que nous amplifions par quelques architectures ou éléments virtuels.

Est-ce que la décision de répartir les portions de décors entre des structures construites en studio et des ajouts virtuels s’est faite dès le design de ces environnements ou en avez-vous discuté après la création des illustrations préparatoires ?

Gavin Bocquet et Bryan Singer ont d’abord défini ensemble quel devait être le style général du film, puis Gavin et son équipe de dessinateurs ont réalisé librement, de leur côté, des centaines d’illustrations préparatoires des décors. Bryan a fait son choix parmi toutes les options qui lui ont été proposées, puis a fait des remarques dont l’équipe de décoration a tenu compte pour réaliser les designs définitifs. C’est en examinant ces designs validés par Bryan au cours d’une réunion préparatoire que nous avons déterminé quelles seraient les parties qui pourraient être soit construites en studio ou soit trouvées telles quelles dans des bâtiments existants en Angleterre, et quelles portions de ces environnements nous serions amenés à réaliser en images de synthèse. Après que l’équipe de décoration ait fait les repérages correspondants et que les lieux de tournage aient été validés, c’est la manière dont Bryan a conçu sa mise en scène, ses angles de vues, et ses mouvements de caméra qui a déterminé la façon dont nous devions traiter les éléments et les personnages virtuels. J’insiste bien sur ce point, car ce sont toujours les effets visuels qui s’adaptent à la mise en scène de Bryan et jamais l’inverse. Bref, pour définir rapidement notre manière de procéder, ce film est beaucoup plus construit sur les prises de vues réelles que d’autres films précédents qui employaient la Mocap.

Quelles sont les sources d’inspiration artistiques qui vous ont servi pendant la création des designs du haricot magique et des personnages des géants ?

Gavin Bocquet, qui est le concepteur artistique des designs des décors et des géants, a convenu avec Bryan Singer que le style visuel gagnerait à être un peu plus adulte que celui des films de contes de fées traditionnels. Il s’est délibérément écarté de ce qui pourrait être trop « mignon » ou cartoonesque. On retrouve cette approche dans les textures réalistes des personnages des géants, et dans le traitement de quelques scènes…

Est-ce que cela signifie que l’on voit les géants dévorer ou tuer certains des protagonistes humains du film ?

Oui. Nous avons tourné une scène où le personnage de Wick se fait écraser par un géant. C’est un moment de violence assez graphique, plutôt surprenant dans le contexte général du film. Les géants sont très dangereux quand ils attaquent : ils arrachent des arbres du sol, y mettent le feu , puis les projettent sur leurs adversaires. Ils lancent aussi d’énormes blocs de roche. Grâce au procédé simulcam, nous pouvons placer les cascadeurs et les acteurs dans le décor afin qu’ils se trouvent exactement là où les géants en 3D vont poser leurs pieds. Idem pour les points d’impact des projectiles comme les arbres en feu ou les rochers. Avec la prévisualisation, nous sommes en mesure de régler bien plus aisément que nous ne l’aurions fait il y a quelques années toutes les interactions assez horribles qui décrivent comment les soldats se font estourbir par les géants ! (rires)

Est-ce à dire que vous employez beaucoup moins d’effets spéciaux de plateau qu’avant ? Moins d’effets pyrotechniques, par exemple ?

Peut-être un peu moins, mais nous avons toujours besoin des effets de plateau pour « ancrer » les plans dans la réalité. Les plans dans lesquels on voit les géants lancer les arbres enflammés sur le château, par-dessus les remparts, ont bien été tournés avec des effets pyrotechniques, des flammes, des projections de terre pour simuler les impacts des chutes d’arbres, et les effets numériques des animations des arbres en feu ont été ajoutés à tout cela. Comme les arbres sont lancés de très loin, nous étions obligés de les simuler en images de synthèse pendant toute leur trajectoire. Mais il y avait plusieurs « vrais » arbres en feu dans le décor de la cour de la citadelle fortifiée autour du château.

On imagine que vous ne pouvez pas aller trop loin dans les scènes horrifiques, car vous risqueriez alors que le film soit interdit aux moins de 13 ans…

Oui, nous devons faire attention à la manière dont nous montrons le sang. Moins il y en a, mieux c’est. Mais on peut aussi contourner le problème en changeant la couleur du sang ! Si l’on voit un liquide verdâtre ou bleuâtre sortir des entrailles d’une créature, ce n’est pas considéré comme du sang, et cela ne pose donc aucun problème. C’est la raison pour laquelle les géants ne saignent pas en rouge dans le film !

Pouvez-vous nous dire combien de plans d’effets visuels avec des trucages numériques complexes il y aura en tout dans le film, quand vous serez arrivé à l’issue de la post-production ?

Ce que je peux vous dire, c’est qu’au moment où nous parlons (cet entretien a été réalisé le 31 mai 2011, NDLR) le nombre de plans truqués qui a été prévu tourne autour de 500. Mais je pense que cela va augmenter assez rapidement. C’est assez naturel, car ce n’est que pendant un tournage que l’on se rend compte que l’on a besoin de décrire telle action plus en détail, ou qu’un effet réalisé devant la caméra est moins spectaculaire que prévu et a besoin d’être amplifié visuellement…Il peut s’agir aussi de mesures de sécurité supplémentaires autour d’une cascade qui devait être filmée « en direct » à l’origine…

Vous devez probablement ajouter aussi des « effets invisibles » qui n’étaient pas prévus initialement…

Effectivement. Quand on tourne avec autant de cavaliers, il faut installer des barrières afin d’empêcher les chevaux d’aller dans des endroits où se trouvent des équipements techniques qui pourraient les blesser. Nous avons donc la charge d’effacer numériquement ces barrières des images. Et comme pendant pratiquement tous les tournages, il n’est pas rare que l’on cadre accidentellement un projecteur, la perche d’un micro ou même la seconde caméra qui filme la scène. Tout cela aussi doit être gommé.

Pourriez-vous citer les différents studios d’effets visuels qui contribuent au film et dont vous supervisez le travail ?

Volontiers. Parmi les principaux prestataires et par ordre d’importance de contribution, il y a Digital Domain, qui est basé à Venice, en Californie, MPC, dont les studios se trouvent à Vancouver et à Londres, et plusieurs autres compagnies dont certaines se trouvent en Inde.

Quelle est la partie la plus difficile de la création des effets de Jack le Chasseur de Géants ?

Sans hésitation, je dirai qu’il s’agit de donner vie aux personnages des géants. Notre but est de les faire exister en tant que créatures crédibles, qui pensent, respirent, ont des émotions, et non pas de les réduire à des apparitions monstrueuses. Nous sommes aidés en cela par la qualité de l’interprétation des acteurs qui jouent les géants, et tout particulièrement par Bill Nighy, qui a une grande expérience de cette technique de Mocap, car il a joué le rôle de Davey Jones dans Pirates des Caraïbes 2 et 3. Mais après, il faut prendre cette performance et l’adapter au physique d’un colosse de près de 8 mètres qui pèse plusieurs tonnes ! Tout cela nécessite un travail très subtil de la part des animateurs qui transposent les données recueillies via la Mocap, et complètent l’animation du personnage. Bill Nighy joue le rôle du général Fallon, le chef des géants, qui est doté de deux têtes : il y a la tête principale, puis une seconde tête plus petite, aux traits différents, qui est incarnée par John Kassir. Fallon a de ce fait une double personnalité avec laquelle nous jouons beaucoup dans le film.

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