Randy Newman et les Studios Pixar, une aventure musicale
Article Animation du Lundi 04 Aout 2008

Par Jérémie Noyer. Remerciements à Didier Leprêtre.

Dans le monde de la musique de film, il est des tandems bien connus : Steven Spielberg/John Williams, Sergio Leone /Ennio Morricone ou encore Tim Burton/Danny Elfman. Il en est un autre qui a fait ses preuves en animation, celui formé par John Lasseter et le pianiste, chanteur et compositeur Randy Newman. Pour autant, cette rencontre initiée avec TOY STORY en 1995 pouvait paraître improbable dans la mesure où l’un travaille dans un monde de technologie de pointe et d’images de synthèse tandis que l’autre baigne depuis toujours dans une longue tradition musicale. L’art de Randy Newman plonge en effet ses racines tout aussi bien dans Gershwin ou Cole Porter pour le jazz que dans les musiques de films de son oncle, le grand Alfred Newman (La Conquète de l’Ouest). Or, au-delà des possibilités quasi-infinies de l’animation par ordinateur, il fallait un coeur aux héros numériques de Pixar. Ce sera notamment à la musique d’apporter ce petit supplément d’âme –ou d’humour, selon les cas.

De TOY STORY à CARS (et en attendant TOY STORY 3), retour sur la collaboration de Randy Newman avec les studios Pixar, une aventure à la fois musicale et humaine.


TOY STORY est le premier long-métrage d’animation entièrement réalisé en images de synthèse. Ce type d’animation demande-t-il une approche spécifique ?

L’apparence générale d’un film comme celui-ci est si complexe et si profonde que cela appelle les possibilités d’un grand orchestre. Les créateurs voulaient également que la musique apporte une certaine chaleur à l’image. C’est d’ailleurs encore plus vrai sur TOY STORY que sur les autres Pixar, car la technique n’était pas encore ce qu’elle est aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle ils ne voulaient pas d’une musique synthétique. Sinon, l’approche est très similaire à celle de l’animation traditionnelle.

Vous parlez de musique traditionnelle d’animation. Vos productions pour Disney/Pixar semblent faire majoritairement appel au « Mickey Mousing », dans la mesure où elle semblent accompagner chaque action au plus près, à la manière d’une musique de cartoon...

Je pense que, si vous ne faites pas cela dans un film d’animation, cela n’ira pas. On ne peut pas faire la musique d’un tel film en espérant qu’il fonctionne sans prendre en compte la façon « animée » qu’on les personnages de bouger, la spécificité du mouvement en animation : chaque fois qu’ils tombent, qu’il courent, etc. On doit vraiment accompagner, soutenir le personnage. Dans les films d’action en général, du fait du manque de temps, les compositeurs utilisent souvent des notes longues. Peu de personnes font attention à cela, mais dans un film comme GLADIATOR, j’ai parfois le sentiment que la musique pourrait bouger davantage qu’elle le fait. C’est bien sûr une bonne partition, mais, dans les scènes de bataille, je pense qu’un morceau de bravoure aurait encore renforcé le film et rendu l’action plus efficace.

TOY STORY inaugurait une utilisation des chansons différente de celle des films d’animation traditionnels, plus proches, eux, de la comédie musicale...

Je n’aime pas le vocabulaire harmonique de Broadway. Je ne le comprends pas. Pour moi, c’est comme du mauvais Puccini ! Le vocabulaire harmonique que j’utilise dans mes chansons m’est propre. Je ne saurais dire leur influence ; elles sont vraiment moi. Strange Things est certes emprunté au rock’n roll, mais la ballade I Will Go Sailing No More n’a rien à voir avec une ballade de comédie musicale. Seul TOY STORY faisait référence à une utilisation classique, narrative, de la chanson dans un dessin-animé, et encore, il s’agissait d’une narration intérieure, tout comme la chanson de Jessie dans TOY STORY 2. L’idée était d’exprimer l’intériorité des personnages. Les créateurs du film ne voulaient pas que les personnages chantent. Les gens de Pixar ne m’ont pas demandé une implication dans la narration. Ils m’ont demandé de l’émotion et de l’intériorié, ce que les personnages ressentent.


Toy Story
envoyé par Stitsha


On connaît la réticence de Pixar à produire des suites. Et pourtant, vous avez foncé tête baissée dans TOY STORY 2 !

Quand John Lasseter m’a parlé pour la première fois d’une suite à TOY STORY, je n’ai même pas réfléchi tant j’étais persuadé qu’il écrirait et réaliserait un deuxième épisode encore meilleur que le premier ! Et puis, quand Woody est en danger, tous, de M. Patate, Rex, Zig Zag à Randy Newman, nous devons nous mettre en quatre pour venir au secours de notre cowboy !

On vous sent comme en famille !

Complètement ! Et en plus, elle s’agrandit. Il y a Papi Pépite, l’Empereur Zurg et Pil Poil…. Mais j’aime encore plus Jessie. Ce qui est fantastique, c’est que ces héros font partie de notre vie quotidienne dorénavant. En plus d’un travail et d’un divertissement apprécié du public, TOY STORY 2 nous a permis d’avoir une relation je dirais humaine avec des personnages informatiques. Tout était plus étoffé, y compris au niveau des liens entre les personnages. Ce fut très motivant pour écrire la musique.

Comment avez-vous géré le fait que ce soit une suite ?

Musicalement, j’ai suivi ce que John Lasseter a réussi à faire sur le plan scénaristique, à savoir oublier les personnages au profit de l’histoire en général. En ce qui concerne ma partition, j’ai essayé de construire un langage musical plus narratif que le précédent, tout en restant traditionnel. Le plus important était d’atteindre une dynamique musicale afin de ne pas être largué par les éléments forts du film, sa générosité, son humour et ses scènes d’action.

Votre discours musical s’en est diversifié, semble-t-il...

TOY STORY 2 associe davantage de formes musicales que ne l’avait fait le premier film. Quand vous passez de l’illustration d’un western des années 50 comme Western Woody aux aventures interplanétaires et videoludiques de Buzz, vous vous devez de trouver une cohérence orchestrale, certes, mais avant tout dramatique. Cela implique une conjugaison dans les styles et un dénominateur commun qui rassemble le tout. Ici, c’est la malice ! Même dans la séquence Quand Elle M’Aimait Encore, j’ai mis une touche d’ironie dans l’amertume de Jessie...

Quels souvenirs gardez-vous de cette expérience ?

TOY STORY 2 fut difficile, voire éprouvant à certains moments mais, comme les spectateurs, je ressens une telle joie à la vue des aventures de Buzz et Woody que cela valait tous les sacrifices. Et puis, j’ai fait chanter des poupées Barbie, et ça, jamais je n’aurais pensé le faire !

Entre TOY STORY (1995) et TOY STORY 2 (1999), 1001 PATTES (1998) nous révélait les merveilles de l’infiniment petit...

Couleurs, métaphores, transparence... 1001 PATTES regroupe tant de merveilles que la liste serait trop longue à énumérer !

Le choix du swing témoigne bien de l’effervescence laborieuse des fourmis !

La musique symbolise le pouvoir attractif, attachant et vivace que peuvent avoir Tilt et les fourmis en général. J’ai pensé que le swing était approprié pour souligner les aventures de Tilt, les aléas de cette colonie de fourmis, en même temps que leur civilisation.

Cela n’exclut pas la poésie...

Lorsque j’ai vu le film pour la première fois, j’ai tout de suite pensé à Edvard Grieg et à sa musique pour Peer Gynt. Cela faisait très « Au Matin » comme scène. J’ai alors ajouté des contrebasses pour rendre l’ensemble moins enchanteur et « relativiser » le côté travailleur des fourmis.

La séquence du cirque est un bel hommage à Nino Rota !

Absolument ! Avec LA STRADA, HUIT ET DEMI ou LES CLOWNS, Nino Rota a donné ses lettres de noblesse à la musique de cirque. Tous les passages avec Lilipuce évoquent le style de Rota. C’est tout à fait le son que je voulais obtenir dans ces séquences !

Y avait-il des coquilles d’escargots dans l’orchestre ?

Vous, les Français, vous aimez les escargots, n’est-ce pas ? Après les avoir mangés, essayez donc de faire des percussions avec votre fourchette et les coquilles ! Vous obtiendrez la réponse à votre question !

On ressent vraiment le plaisir que vous avez dû prendre à écrire cette musique !

C’est du fun à la Randy Newman !

Deux ans plus tard, MONSTRES ET Cie sonnait votre quatrième collaboration avec Disney et Pixar...

Ce fut une très fructueuse collaboration, avec des gens excellents. Pour ce film, j’ai écrit une musique que je n’aurais jamais écrite autrement. Ils vous poussent à élargir vos possibilités, à développer votre technique. J’ai été très heureux de travailler avec eux.

Pouvez-vous nous parler de votre approche des deux héros, Bob et Sulli ?

Comme Woody et Buzz, ils sont amis. C’est le propos de leur chanson. Mais leur démarche est différente. C’est cette démarche qui m’a inspiré, leur façon de traîner les pieds ! Je réagis de façon immédiate à ce que je vois à l’écran. Sulli est un solide gaillard, pas vraiment un personnage très droit, mais plutôt un véritable héros, à n’en pas douter, un héros qui s’engage. J’adore particulièrement cette scène avec les portes à l’intérieur de l’usine. J’ai imaginé cette musique dans le style « muzak », musique d’ambiance ou d’ascenseur typique des années 50. J’aime particulièrement ces personnages, entre la sympathie et la stupidité !

N’oublions pas Bouh !

Au départ, je l’ai traitée comme un monstre car c’est comme cela que les monstres la perçoivent. Dans tous mes films avec Disney et Pixar, j’ai pris les émotions des personnages au sérieux, au premier degré. Tous ces héros sont des adultes, pas des enfants. Bouh est certes une enfant, mais les personnages ont des émotions d’adultes. Ils la considèrent comme une sorte d’extraterrestre, c’est pourquoi j’ai écrit une musique effrayante et dissonante pour elle. On est sensé rire, mais pour les personnages, c’est la terreur ! L’autre thème de Bouh est une sorte de berceuse. Il y a une scène dans laquelle Sulli commence à ressentir quelque chose pour elle alors qu’elle dort dans son lit. Elle commence à lui apparaître différemment.

Quel est le message de MONSTRES ET Cie et le message de votre musique ?

Le message du film est que les apparences n’ont rien à voir avec la véritable personnalité. C’est qui est sympathique chez Bob et Sulli, c’est qu’ils vont dépasser leur peur de l’inconnu (Bouh). C’est un message qui se retrouve forcément dans la musique, mais ce n’est pas son rôle. Parfois, elle peut montrer le véritable sens de l’histoire, mais il s’agit avant tout d’émotion. Il s’agit de rendre le film plus excitant ou plus tendre. C’est un medium philosophique.



Lorsqu’on compare cette musique à celle de vos précédents films d’animation, celle-ci apparaît particulièrement riche et complexe. Considérez-vous votre travail avec Disney/Pixar comme une progression ?

Oui. Je pense que MONSTRES ET Cie est la meilleure musique que j’ai jamais faite, et certainement la meilleure d’un point de vue technique -le contrepoint et l’harmonie. J’ai écrit des chansons pendant longtemps, et cet aspect n’est pas naturel pour moi. Je dois faire attention à chaque note. Ce qui fait que je suis particulièrement fier de ce que j’ai fait sur ce film. C’est vraiment une musique du vingtième siècle.

De MONSTRES ET Cie à CARS (2006), il a fallu attendre cinq ans avant que nous ayons le plaisir de vous retrouver sur un dessin-animé. L'animation vous a-t-elle manquée ?

A vrai dire... pas vraiment! Je crois que j'ai pas mal donné en la matière, et c’est un genre beaucoup difficile à manier, beaucoup plus complexe qu'un film en prises de vue réelles. Pour me décider, il me fallait vraiment quelque chose de nouveau, quelque chose que je n'avais jamais fait auparavant. Avec CARS, j'ai pu expérimenter en matière de musique bluegrass et de fanfare. Le jeu en valait vraiment la chandelle! Et puis, ce film a été beaucoup moins fatigant que les autres dessins-animés que j'ai faits car les personnages n'ont pas de pieds, ce qui fait qu'il y a moins de pas à accompagner, moins de doubles croches, et donc moins de notes !

Quel a été le facteur décisif de votre retour ?

Tout simplement le fait que John Lasseter me l’ait demandé. Je n’ai eu que des bonnes expériences avec lui, et avec les gens de Pixar en général. J’ai fait cinq films avec eux, et ce fut un immense plaisir car ils étaient tous excellents. Cinq grands films d’affilée, c’est rarissime. C’est la raison pour laquelle je retravaillerai toujours avec John Lasseter. Certes, il faut que le projet soit intéressant sur le plan musical, mais la personne qui le dirige est capitale. Je suis prêt à faire tout ce qu’un réalisateur me demandera de faire si tant est que nous sommes sur la même longueur d’onde sur le plan humain.

À la première écoute de l'album, la première impression n'a rien à voir avec le monde de l'automobile. Au contraire, votre partition témoigne d'une grande humanité...

Je suis ravi que vous ayez remarqué cet aspect. Au-delà des images, c'est une histoire humaine qui nous est racontée. Il ne s'agit finalement ni de mécanique, ni de machines. Le film raconte l'aventure de quelqu'un qui vient d'un monde qui vit à cent à l'heure, obsédé par la célébrité, et qui découvre un monde totalement contraire, marqué par la lenteur. Chacun de ces héros a une personnalité très marquée, tout comme des humains dans un film en prises de vue réelles. Les situations qu'ils rencontrent sont aussi très réalistes et très humaines. Ce n'est dont pas nécessairement les personnages eux-mêmes qui m'inspirent, mais plus largement ces situations dans lesquelles ils se retrouvent impliqués. Ma réponse est déterminée par ce que je vois, et de ce point de vue, je ne m’intéresse pas tant à la personnalité d’un personnage en particulier qu’à l’interaction entre ces personnalités.

C'est cette opposition entre la ville et la campagne qui semble avoir structuré votre partition toute entière...

En effet. Le pendant musical à cette opposition visuelle et narrative était inévitable. Vous avez d'un côté la vitesse et le tape-à-l'œil avec la guitare électrique et des cuivres puissants, et de l'autre un univers sonore qui tourne autour de la guitare acoustique. Il fallait que ce choc des cultures vous saute aux oreilles. C’est de là que naît la force émotionnelle du film.

La morale du film est que « l’important n’est pas où tu arrives, mais comment tu y arrives ». Qu’en pensez-vous ?

Je suis tout à fait d’accord avec cette philosophie en ce qui concerne le travail. Vous vous levez le matin et déjà vous vous sentez mal en pensant à tout le boulot qui vous attend. Vous croyez que vous n’avez pas d’inspiration et que vous allez attendre toute la journée que ça se passe…Et puis soudain, arrive la lumière, une surprise, l’inspiration. Et peu importe comment les choses évolueront, le meilleur moment du processus de création d’une musique, c’est celui-ci. C’est quelque chose que j’ai appris au cours du temps. Cela ne change rien au fait que j’ai toujours une sainte horreur du travail (rires) ! Et pourtant composer, résoudre des problèmes reste ce qui me plaît dans le métier. Une chose encore : songez un instant que CARS est un film familial, donc un film destiné notamment aux enfants et que le propos de ce film est de dire : prenez votre temps, faites-vous plaisir, c’est là que vous toucherez à l’essentiel. C’est une philosophie très sophistiquée, très adulte et très ambitieuse. Je suis très curieux de voir ce que cela donne auprès des enfants. Je pense que la plupart d’entre eux n’y voient qu’un film amusant. Mais il n’en reste pas moins que le film possède un véritable contenu, incarné notamment par le personnage de Mater. C’est à la fois l’un des plus drôles jamais créés par Pixar, mais aussi celui qui incarne toutes ces valeurs.

Randy Newman : rat des villes ou rat des champs ?

Je préfère de beaucoup lorsque les choses vont doucement. J’ai toujours apprécié les lieux un peu reculés et isolés comme Radiator Springs. J’aime la pêche, les rivières et les forêts. Je ne supporte plus Los Angeles. Je préfère me retirer, à l’écart, pour profiter de choses simples.

Quel type de voiture possédez-vous actuellement ?

J’ai une BWV. Mais plus que la marque, je dois avouer que j’apprécie beaucoup le fait que ce soit une voiture hybride… pour le silence absolu du moteur ! L’idéal pour un musicien !



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