Entretien exclusif avec Louis Leterrier, réalisateur d’INSAISISSABLES – Seconde partie
Article Cinéma du Mardi 10 Septembre 2013

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


ESI revient sur le film de Louis Leterrier, LE succès surprise de cet été 2013.

Propos recueillis par Pascal Pinteau



Vous nous avez parlé du parrainage de David Copperfield et de l’intervention des partenaires de sa société, mais comment les magiciens qui ont servi de consultants directs sur le film vous ont-ils aidés concrètement ? Sont-ils intervenus sur les étapes de l’exécution du hold up ou ont-ils surtout entraînés les acteurs afin qu’ils puissent faire de vrais tours ?

Ils nous ont aidé à concevoir tous les tours de magie, et surtout à les peaufiner pour les rendre « réalistes ». Je leur ai demandé d’être toujours honnêtes avec nous et de nous dire clairement quand une chose imaginée par les scénaristes était irréalisable, de nous dire pourquoi, et de nous proposer des alternatives pour que nous puissions montrer des effets très proches qui soient faisables. La 2ème partie de leurs conseils portaient sur les tours effectués par les acteurs. Ils les ont entraînés à avoir l’air de vrais magiciens. Même si les principes des grands tours de magie sont simples et ont été inventés il y a plusieurs centaines d’années, il faut savoir qu’ils sont constamment améliorés, retravaillés, réinventés par les magiciens actuels, qui sont des sortes d’athlètes qui tentent de battre aujourd’hui avec leurs propres méthodes les records du passé. C’est le même saut en longueur, mais aujourd’hui, on réussit à sauter de plus en plus loin ! Dans leur entraînement, il y a la dextérité des mains, puisque l’un des principes fondateurs de la magie, c’est que la main est plus rapide que l’œil. A force de s’entraîner, les magiciens acquièrent une rapidité de mouvements manuels qui dépassent de très loin les capacités du commun des mortels. C’est ce que signifie le mot « prestidigitateur » : une grande rapidité des doigts. C’était un entraînement difficile pour les acteurs, aussi dur que d’apprendre la boxe ou le violon pour un film…Mais en fin de compte nos consultants leur ont appris à manipuler des cartes ou des balles de Ping Pong comme des pros, et aussi à évoluer sur scène comme le font les vrais magiciens. Car un illusionniste ne bouge ni comme un chanteur de rock ni comme un acteur de théâtre. Il y a des règles, et des manières de guider le regard des spectateurs pour qu’il se pose toujours là où le magicien le souhaite et pas ailleurs. Parmi nos conseillers, il y avait David Kwong, un jeune magicien, brillant théoricien de la magie, qui crée des tours fascinants avec des mots croisés, des pièces de Scrabble… Même s’il ne conçoit pas des grandes illusions comme celles que l’on voit dans le film, c’était très intéressant d’avoir son regard sur le déroulement de nos scènes de magie, et son aval sur la manière de tromper le regard des spectateurs. L’un des principes-clés, c’est « Plus on regarde de près, moins on voit » !

Ce thème de la magie a-t-il engendré des surprises pendant la préparation du film ?

Oui : je me suis rendu compte que tout le monde ou presque avait un magicien dans sa vie ! (rires) J’ai par exemple vu un jour David Blaine débarquer sur le plateau du film parce qu’il est l’un des meilleurs amis de Woody Harrelson. Pour vos lecteurs qui ne le connaîtraient pas, David Blaine a révolutionné la magie depuis une dizaine d’années en faisant des tours spectaculaires dans la rue devant des passants. Il a accompli aussi des exploits fous comme rester près de trois jours dans un bloc de glace creux, à une température de moins 16 degrés, sans rien manger. Il est aussi resté 7 jours dans un cercueil en verre en ne buvant qu’un peu d’eau ! Pendant que le tournage avançant, je me suis rendu compte que presque tous les comédiens connaissaient personnellement les grandes stars de la magie. Mais pour revenir à votre question sur les conseillers, je voulais citer aussi le « mentaliste » et hypnotiseur irlandais Keith Barry, qui emploie des techniques de suggestion extraordinaires. Il nous a énormément aidé à imbriquer différents tours les uns dans les autres pour créer les grandes illusions du film. Et il a aussi aidé les acteurs à avoir confiance en eux pendant qu’ils faisaient leurs numéros. Il faut savoir que la confiance en soi d’un magicien est capitale pendant l’exécution d’un tour. Quand il monte sur scène ou quand il intervient devant un petit groupe de personnes dans une pièce, il faut toujours qu’il se mette dans une position dominante et qu’il mène le jeu de bout en bout. Et cela, on arrive à le réussir seulement si on arrive à analyser et à comprendre en un clin d’oeil le public que l’on a en face de soi. Keith Barry sait le faire, et il a expliqué cela aux acteurs.

Comment avez-vous choisi les acteurs ? Et comment se sont passées vos retrouvailles avec Morgan Freeman après DANNY THE DOG ?

Avec Morgan Freeman, c’étaient vraiment de très belles retrouvailles. Même si nous n’avions tourné que 3 semaines ensemble sur DANNY THE DOG, nous nous étions très bien entendus. Et ce film est tellement étrange qu’il est resté dans les annales et que beaucoup de gens l’aiment. Morgan m’a dit que quand les jeunes cinéphiles lui parlaient des films dans lesquels ils l’avaient préférés, ils citaient les BATMAN de Christopher Nolan, LES EVADES de Frank Darabont, et DANNY THE DOG ! J’étais évidemment très flatté…Je ne connaissais pas encore Michael Caine, et même si on se doute bien qu’un tel acteur doit avoir des choses extraordinaires à raconter, on est quand même épaté de constater à quel point c’est un homme incroyable quand on le rencontre. Il a tellement d’expérience, tellement d’humour, de sagesse, de joie de vivre, et d’amour de son métier que c’est un bonheur de travailler avec lui. Une fois qu’il arrive sur le plateau, il n’en bouge plus. Il faisait même ses propres cascades ! On lui mettait des menottes aux chevilles, il courait avec, tombait, etc. A 79 ans au moment du tournage, c’est quand même hallucinant !.. Mark Ruffalo et moi nous connaissions un peu, car nous nous étions rencontrés pendant la préparation de L’INCROYABLE HULK, et comme j’adorais cet acteur, j’aurais beaucoup aimé qu’il devienne mon docteur Banner/Hulk. Mais à l’époque, cela ne s’était pas fait, parce que les Studios Marvel pensaient qu’il n’était pas le personnage, ce qui arrive très souvent…

C’est étonnant non seulement parce que Mark Ruffalo est devenu le docteur Banner actuel, mais aussi parce que la même chose s’est produite avec Don Cheadle, qui avait été recalé pour le rôle de James Rhodes dans le 1er IRON MAN au profit de Terrence Howard, et qui l’a obtenu pour les épisodes suivants…

Oui, ce genre de choses se produit souvent à Hollywood, et ce n’est d’ailleurs pas un problème en soi, car j’ai apprécié ma collaboration avec Edward Norton. Mark et moi étions restés en contact car nous avions sympathisé. J’ai eu beaucoup de chance sur INSAISISSABLES, car bien souvent quand on imagine son casting idéal, on a plusieurs options pour chaque rôle et on se retrouve quelquefois avec le 2ème ou le 3ème choix pour des raisons de disponibilités… Mais là, énormément d’acteurs étaient nos premiers choix : Mark Ruffalo, Jesse Eisenberg, Morgan Freeman… Woody Harrelson n’était pas dans ma liste en dépit de mon admiration pour son travail, parce que je n’imaginais même pas qu’il accepterait le rôle ! Et pourtant, il a dit oui ! J’avais beaucoup aimé Isla Fisher dans la comédie SERIAL NOCEURS et quand je l’ai rencontrée, ll était évident que le rôle de la magicienne était pour elle. J’avais vu Dave Franco dans plusieurs sketches du site comique FUNNY OR DIE, qui est très populaire aux USA, et j’avais aimé son énergie et son sens du timing. Il est différent de son frère aîné, James Franco, dont le talent s’exprime dans un autre registre. On avait besoin d’un jeune type qui se fait berner par les magiciens, et il est parfait dans ce rôle. Et pour parler de nos compatriotes, je dois dire que j’ai assez peu travaillé avec des acteurs français depuis mes débuts, en dehors de François Berléand dans LE TRANSPORTEUR…Du coup, je les connais peu. Mais quand j’ai rencontré Mélanie, et j’ai aimé son implication dans des tas de projets qu’elle défend ardemment. Elle ressemblait beaucoup au personnage du film, qui est une femme à la fois pragmatique et sensible à la beauté de croire à la magie, même si on connaît le fonctionnement des tours. Et José Garcia, c’est grâce à Mélanie que je l’ai rencontré. José a lu et aimé le script, et c’est la raison pour laquelle il a accepté de tenir un petit rôle, assez court dans le film, mais toutefois très important…José a épaté toute le monde. Morgan Freeman se déplaçait et venait sur le plateau spécialement pour le voir jouer ! Toute l’équipe américaine le découvrait et ils l’ont trouvé extraordinaire.

C’est un acteur d’une générosité folle, qui excelle dans tous les registres…

Oui ! Comme certains de nos acteurs n’avaient pas de scènes à jouer avec José, ils sont venus le voir car le bouche à oreille sur ses performances s’est répandu comme une traînée de poudre. Nous pleurions tous de rire en regardant José jouer. Nous avions 3 cadreurs qui filmaient la scène sous différents angles, et quand je les voyais retirer leur œil du viseur, il y avait des larmes qui coulaient !

Quelles ont été les séquences d’action les plus difficiles à filmer ?

Je dirai que c’est atteindre la simplicité qui est le plus difficile dans un film où l’on montre des tours de magie que l’on explique ensuite. L’une des séquences les plus complexes se passe au début du film, et c’est l’explication d’un effet de « force », c’est à dire la manière dont on force le public à choisir une carte prévue à l’avance dans le jeu. C’est une technique qui marche bien quand on la voit en direct devant soi, mais en retranscrire le fonctionnement au cinéma à 24 images par seconde est extrêmement complexe. Il a fallu trouver des moyens d’y parvenir, tout en réalisant vraiment le tour. Bien sûr, il y a aussi des effets visuels dans le film, qui sont d’ailleurs réalisés par ILM. Il y a une scène où l’on voit des piranhas tomber sur Isla Fisher et commencer à l’attaquer, et là, il n’était pas possible de se passer de trucages ! Soit nous tournions avec de vrais piranhas et une fausse actrice, soit c’était l’inverse, et j’ai choisi la seconde option ! (rires) L’une des difficultés que l’on découvre quand on filme de la magie, c’est qu’il faut être vigilant jusqu’au bout de la chaîne de traitement des images pour s’assurer qu’on ne révèle pas un truc par mégarde. Nous avons tourné en 35mm, puis il y a eu un transfert numérique en format 2.35 pour l’exploitation en salles et en 16/9ème pour les futures éditions DVD et Blu Ray, et j’ai vérifié chaque étape des formats et des cadres. Par exemple, dans la version cinéma, pour éviter que l’on remarque un élément qui assure le fonctionnement du tour, il m’est arrivé d’ajouter des effets de flashs sur les bords droits ou gauche du cadre, afin de détourner l’attention du public. Mais quand le film est recadré en 16/9ème pour les éditions vidéo, on ne voit plus le flash, car le cadre original est coupé des deux côtés… Du coup, il fallait réintervenir pour détourner autrement le regard des spectateurs. Après avoir réalisé INSAISISSABLES, j’en sais un peu plus sur la magie, même si je suis probablement le pire magicien amateur au monde. Mais en me plongeant dans cet univers et ses coulisses, je suis devenu encore plus admiratif du travail accompli par les magiciens. Ils ont un talent fou et s’entraînent très durement pour réussir à la perfection des exploits qui ne durent qu’une fraction de seconde, et qui assurent la réussite de leurs tours.

Avez-vous coupé certaines scènes du film, que l’on verra sur les futures éditions DVD et Blu-Ray ? Comment allez-vous intervenir sur les contenus ? Allez-vous enregistrer un commentaire ?

Nous avons fait d’emblée une version un peu plus longue du film pour la sortie vidéo, avec des scènes supplémentaires, un peu différentes, avec d’autres musiques, etc. Il y a 9 minutes en plus dans cette version, mais 16 minutes en tout de contenus différents puisque j’ai remplacé des scènes par d’autres variantes. Les gens pourront choisir la version qu’ils voudront voir car les deux seront présentes sur le disque. Et en plus de cela, on pourra voir environ 30 minutes de scènes coupées dans les bonus.

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