Entretien exclusif avec Tim Alexander, superviseur VFX de THE LONE RANGER - Seconde partie
Article Cinéma du Dimanche 22 Septembre 2013

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

La scène ou John Reid, après avoir été soigné par Tonto, se réveille au sommet d’une plateforme, tout en haut d’une aiguille rocheuse semble avoir été incroyablement dangereuse à tourner ! Arnie Hammer a-t-il vraiment joué la scène sur place, ou s’agit-il d’un trucage ?

Nous avons ajouté des portions de panorama réalisés en mattes numériques derrière la plateforme, pour donner l’impression qu’elle était placée sur une aiguille rocheuse encore plus haute. Cependant, cette tour a bien été construite et ancrée juste au bord de cet immense rocher pointu, quand nous nous trouvions dans le désert du Mojave. Et Arnie Hammer est bel et bien monté tout en haut de cette tour pour tourner la scène où il se réveille. Il l’a joué plusieurs fois alors que des hélicoptères tournaient autour de lui. C’était assez incroyable de voir la vedette du film accepter de jouer à 300 mètres de hauteur sur ce petit support. Beaucoup d’acteurs auraient laissé un cascadeur le faire à leur place. Arnie était bien sûr attaché à un câble de sécurité. On a aussi installé des plateformes un peu plus basses pour lui permettre de tomber dessus en cas de problème, mais seulement dans les plans plus serrés, qui ne montraient pas toute la tour. Il y a avait souvent des cascadeurs eux aussi attachés juste à l’extérieur du cadre, et dont la mission consistait à surveiller constamment Arnie et à le rattraper au moindre problème.

Comment avez-vous créé les effets autour de la destruction du grand pont de bois et de la chute du train ?

Là encore, il s’agit d’un mélange de techniques. Dans les plans larges, le pont que l’on voit a été réalisé entièrement en 3D, avec des éléments réels que l’on a fait exploser dans ce paysage. Ce que l’on voit au premier plan, c’est à dire le Lone Ranger et Tonto allongés dans le sable, avec le fleuve Colorado à côté d’eux, à été tourné dans le désert du Mojave, et nous avons inséré le pont à l’arrière-plan, et animé sa destruction. Mais quand on passe aux plans plus serrés de l’explosion et de l’écroulement du pont, ceux-là ont été réalisés avec une miniature. Quand je parle de miniature, tout est relatif, car cette maquette de pont mesurait 24 mètres de long et 15 mètres de haut ! Et nous l’avons fait exploser au dessus d’un bassin rempli d’eau pour représenter le Colorado.

Cela fait vraiment plaisir d’entendre un superviseur des effets visuels prononcer à nouveau le mot maquette! On utilise tellement la 3D pour les simulations de destructions, depuis 3 à 4 ans…

Oui. C’était formidable d’avoir recours à une maquette pour cette scène, et je crois que ce mélange de technique nous a permis d’obtenir le résultat que souhaitait Gore, en injectant constamment du réel dans les prises de vues, et en tournant en direct tout ce que l’on pouvait tourner ainsi. L’équipe des effets spéciaux de plateau a aussi amarré des barges dans le fleuve Colorado et les a équipées de lanceurs pneumatiques qui ont catapulté des débris de bois dans l’eau pour simuler la chute des morceaux du pont. Des filets avaient été installés un peu plus bas pour que nous puissions récupérer les débris après avoir tourné ces plans. Ces débris et leurs impacts dans l’eau ont été ajoutés dans les plans composites de l’explosion du pont pour « brouiller encore plus les pistes » entre ce qui avait été réalisé en 3D, ou avec la maquette de pont, ou tourné à taille réelle dans le vrai paysage.

Gore Verbinski vous a-t-il demandé de créer des plans impossibles à tourner seulement en prises de vues réelles ? Si tel est le cas, pouvez-vous nous en décrire un ?

Il y a un plan de ce genre qui débute à côté du train en marche et qui s’achève en gros plan sur le Lone Ranger et Tonto qui se trouvent sur le toit du train. Nous voulions tourner la plus grande partie du plan en prises de vues réelles et finir par ces gros plans des vrais acteurs, et nous nous sommes bien creusés la tête pour trouver comment y parvenir…Comme nous savions que nous nous pouvions pas employer des doublures numériques, nous avons choisi d’immobiliser le train, et de tourner le plan en montant la caméra sur une grue dont la base était accrochée au toit du train. Le mouvement de grue partait du flanc du train puis remontait vers le toit pour finir sur les visages d’Arnie Hammer et de Johnny Depp. Cela permettait d’obtenir un mouvement impeccable et d’arriver exactement au cadrage de nos héros que souhaitait Gore. Ensuite, il nous restait à trouver le moyen de tourner un mouvement de caméra identique pendant que le train roulait , afin de filmer le déplacement du paysage autour du train et des personnages. Nous y sommes parvenus en suspendant la caméra à un câble tendu entre le toit et un support accroché au toit , et déporté vers l’extérieur. Cet équipement qui permet de faire bouger une caméra sur des câbles s’appelle la SpyderCam, et je crois que c’était la toute première fois qu’une production décidait de l’accrocher à un train ! C’était amusant de recourir à cette technique et le résultat a été très satisfaisant. Il a bien sûr fallu embellir le plus final en faisant quelques petites retouches numériques, comme l’insertion de mattes pour rendre les fonds de paysages plus intéressants. Mais encore une fois, la grande majorité de ces images a été réalisée en prises de vues réelles.

Avez-vous ajouté des architectures virtuelles aux décors des baraquements et des tentes de la ville ambulante nommée « Hell on wheels » ?

Non, nous ne sommes pas intervenus sur ce décor-là, qui a été construit en entier.

Le film nous montre des évènements surnaturels au travers des yeux de Tonto, puisque c’est lui le narrateur de l’histoire. Pouvez-vous parler des plans que vous avez créés pour montrer ces phénomènes ?

On voit des animaux réagir de manière étrange à ce qui se passe et faire des choses qu’ils ne font pas habituellement. C’est aussi le cas de Silver, qui devient un vrai personnage dans le film, mais je crois que ce serait dommage d’en dire plus. Les autres manifestations du surnaturel se produisent quand Tonto a une vision parce qu’il touche un objet qui réveille un souvenir ou qui lui permet de voir un événement dramatique auquel l’objet est lié. C’est MPC qui a réalisé le traitement de ces plans, en leur donnant un aspect cauchemardesque.

Les équipes d’ILM sont-elles intervenues pour amplifier l’impact visuel des combats au revolver en ajoutant des flammes au bout des canons des armes, et des impacts de balles sur les décors ? Avez-vous amplifié aussi des destructions ou des explosions qui avaient été réalisées en direct ?

Oui, nous avons ajouté beaucoup de flammes de détonation au bout des canons des armes, mais comme le mot d’ordre de Gore Verbinski était d’utiliser le plus possible les trucages en direct et les prises de vues réelles, je précise que la plupart de ces effets pyrotechniques avaient très bien fonctionné pendant le tournage. Nous sommes intervenus surtout parce qu’il fallait pallier aux problèmes qui se posent quand on filme un évènement hyper rapide à 24 images par seconde. En effet, la flamme engendrée par la détonation d’une cartouche à blanc dure si peu de temps que dans bien des cas, l’obturateur de la caméra est fermé quand elle est la plus visible. Du coup, quand on observe les rushes pendant le tournage, on voit des armes qui produisent des flammes puis qui n’en produisent plus, et ainsi de suite, alors qu’à l’œil nu, on voit ces flammes à chaque fois. C’est l’inconvénient que l’on peut constater quand on ne capte l’action qu’à 1/24ème de seconde. Ce serait différent si nous avions tourné à 48 images par seconde comme c’est le cas pour d’autres films comme LE HOBBIT. Là, on aurait vu toutes les flammes. Le même problème se pose quelque fois avec les impacts sur les acteurs : la charge qui a été placée sous leurs vêtements pour simuler une blessure par balle explose si vite que l’on ne voit pas le trou se former dans le tissu. Il arrive aussi que des projectiles envoyés par un fusil pneumatique pour simuler des impacts sur un mur ou sur un morceau de bois partent dans des directions qui n’étaient pas prévues et cela nous contraint à effacer le projectile rebelle et à ajouter une simulation d’impact sur le décor.

Avez-vous créé des flèches virtuelles et des impacts de balles sur les acteurs ?

Oui. C’est le studio MPC qui s’est chargé de ce travail, car il y avait des centaines et des centaines de flèches à simuler dans certaines scènes. Mais il y a plusieurs façons de tourner un plan avec une personne qui est blessée par une flèche. Soit l’acteur fait semblant d’être touché et nous ajoutons la flèche d’un bout à l’autre dans le plan, soit on fixe une flèche sur un support caché sous les vêtements de l’acteur, et il tourne le début de la scène comme si de rien n’était, puis tombe. Dans ce cas-là, notre job consiste à effacer la flèche au début, puis à animer le moment où elle se plante à la place de la vraie flèche. Généralement, si c’est un plan très serré, il vaut mieux tourner le plan avec la vraie flèche déjà fichée dans le personnage. Mais nous prenons ces décision au cas par cas, pendant le tournage.

Avez-vous créé des extensions de décors pour le saloon et le décor de la mine d’argent ?

Oui, le décor de la mine d’argent a été agrandi par MPC, en dépit du fait qu’il était déjà imposant. L’ouverture de la caverne devait mesurer environ 15 mètres de haut et le décor de la mine qui se trouvait au-delà mesurait environ 30 mètres de long. Cela nous a permis de tourner beaucoup de plans en prises de vues réelles, sans extensions 3D. Revanche dès que l’on doit montrer l’autre axe du tunnel ou que l’on utilise des contre-plongées, là on doit avoir recours à des extensions 3D des parois rocheuses. En dehors de ce décor-là, la plupart des environnements 3D ont été ajoutés autour du train, afin de le montrer où Gore souhaitait qu’il se trouve, et dans les conditions d’éclairage correspondant au déroulement de l’histoire. En préparant THE LONE RANGER, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait relativement peu de voies de chemin de fer rapides sur lesquelles nous allions pouvoir tourner. Et encore moins de voies où on allait nous laisser placer notre propre train. C’était tellement complexe à gérer que dans la plupart des cas, la solution la plus simple consistait à aller filmer le paysage qui nous intéressait sans le train, puis à replacer ce paysage autour du train. Nous avons également rajouté des voies parallèles et des trains 3D là où nous ne pouvions tourner qu’avec une seule voie.

En dépit du fait que le film ait été tournés dans les paysages naturels de Monument Valley, dans le désert du Mojave et dans de nombreux autres sites, avez-vous modifié certaines parties de ces environnements pour les adapter aux besoins de l’histoire ?

Oui, exactement. Toutes les images servent à raconter l’histoire et quand les paysages réels ne convenaient pas tout à fait, nous les filmions ainsi du mieux que nous le pouvions, puis nous convenions avec Gore de la manière dont nous allions les modifier un peu en 3D par la suite, pour qu’ils correspondent exactement à ce dont il avait besoin. Il arrivait aussi que l’action était filmée au premier plan soit superbe, mais que le ciel et le paysage derrière semblent un peu mornes.

Combien d’artistes d’ILM ont-ils travaillé sur le film, et pendant combien de mois ? Nous avons eu une période de préparation assez courte pour réaliser les modèles 3D des 3 trains complets que l’on voit dans le film. Comme vous l’imaginez, il y a des tonnes de détails à modéliser sur des locomotives et des wagons. Nous avons employé de 15 à 20 personnes pendant 6 mois pour faire cela, et la post-production du film a débuté en octobre 2012, a duré 8 mois, et a occupé 250 personnes dans nos locaux de San Francisco et dans ceux qui avaient été installés provisoirement à Vancouver.

Pour conclure, comment avez-vous créé la scène complètement délirante dans laquelle le Lone Ranger et son cheval Silver traversent les wagons d’un train…

Cette scène a été très amusante à faire. En réalité, comme vous vous en doutez certainement, les vrais wagons étaient trop petits pour qu’un cavalier et son cheval puissent galoper dedans. L’équipe de John Frazier a donc construit une version agrandie d’un wagon, plus haute et plus large, et dotée aussi d’une sorte de tranchée à l’intérieur de laquelle le cheval pouvait courir. Il y avait aussi des rampes à chaque bout pour qu’il puisse en sortir, faire le tour du wagon et entrer à nouveau au galop. Et comme c’est très bien fait, on ne se rend pas compte que les wagons ont un aspect légèrement différent dans ces plans-là. Les fenêtres ont été agrandies aussi et les rideaux diminués, afin que l’on puisse bien voir le Lone Ranger et Silver au travers, dans les plans de l’extérieur du wagon. Nous avons aussi ajoutés du verre dans ces plans de fusillade, car il y a beaucoup de verre qui est sensé voler pendant que l’on tire sur notre héros, et bien sûr, il est virtuel, car il était hors de question de faire exploser des fausses vitres à côté du cheval.

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