Entretien exclusif avec Federico D’Alessandro, créateur des storyboards animés d’IRON MAN 3 - Seconde partie
Article Cinéma du Dimanche 29 Septembre 2013
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
Pouvez-vous évoquer ce qui a été le plus difficile à faire dans les scènes d’IRON MAN 3 que vous avez storyboardées ? Revenons un instant à la destruction de la maison de Tony Stark…
Le déroulement des différents évènements de cette scène était décrit de manière assez détaillée dans le script, mais j’ai pu intervenir sur la manière de les montrer afin que les images de l’animatique expriment la même intensité dramatique que les mots du scénario. C’était cela le défi le plus ardu à relever. Quand je me retrouve dans cette situation, je me fie à mon instinct et à ce que j’ai ressenti à la lecture du script pour établir l’ordre des plans et le choix des angles de vue. Je me dis toujours « Si j’étais un fan de comics Marvel de 13 ans assis dans une salle de cinéma, qu’est-ce que j’aurais envie de voir dans cette séquence ? Qu’est-ce que j’aimerais ressentir en la découvrant ? » C’est ainsi que je me lance dans un nouveau travail, en visualisant le film dans la salle de cinéma qui se trouve dans ma tête ! Après, il ne me reste plus qu’à animer ces plans tels qu’ils me sont apparus. Et si tout se passe bien, le résultat final ressemble exactement aux images qui ont surgi quand j’ai lu le script pour la 1ère fois.
Shane Black avait-il décrit toutes les scènes d’action de manière très détaillée dans son script, ou certains moments étaient-ils ouverts à différentes interprétations visuelles ?
Cela variait selon les scènes : on passait de séquences racontées de manière très précise à d’autres qui l’étaient moins. Je pense que Shane a probablement choisi de procéder ainsi, sans figer certaines choses, afin de profiter ultérieurement des suggestions de ses équipes artistiques et techniques.
La séquence finale avec l’arrivée des 41 armures et toutes les actions se déroulant en parallèle avec les soldats extremis, le président captif, Pepper retenue en otage, et le combat entre Tony Stark et Aldrich Killian a du être incroyablement compliquée à représenter sous forme d’animatique… Comment avez-vous commencé à « construire » cette scène ?
C’est effectivement la séquence animatique qui a été la plus difficile à créer, en partie parce que sa structure n’était qu’une ébauche assez fluide dans le scénario quand nous avons commencé à travailler dessus. Le processus d’écriture s’est poursuivi en s’appuyant sur la construction de l’animatique. Nous nous sommes retrouvés dans une pièce, Shane et moi, et nous avons discuté très longuement de ce que nous pourrions faire au cours de cette séquence. Nous avons noté nos idées, testé certains moments de l’action, puis nous avons commencé à les lier les uns aux autres pour voir comment cette succession d’évènements fonctionnait. On faisait ensuite des corrections, des coupes et des inversions de plans pour rendre le récit plus facile à suivre. Malheureusement, après avoir beaucoup avancé sur la scène, il a été décidé qu’elle ne se déroulerait plus à l’endroit initialement prévu - une plateforme de forage pétrolier située en haute mer - mais sur une grue géante installée sur les docks d’un port. Je ne sais pas si la raison de ce changement a été technique ou financière, mais toujours est-il que plusieurs animatiques basés sur le décor de la plateforme pétrolière sont devenus caduques et ont été mis au rebut à la suite de cela. A l’exception de quelques petits moments que l’on a pu sauver, il a fallu tout reprendre à zéro avec Shane, en tenant compte des structures de la grue et des possibilités offertes par ses équipements.
Shane Black était-il toujours ouvert à vos suggestions ? Lui avez-vous soumis des idées d’action ou des gags pour des scènes qui n’étaient pas décrites en détail dans le script ?
Oui, il était tout à fait ouvert à de nouvelles idées, et je dois lui rendre hommage pour cela. Shane est un homme extrêmement brillant, qui a constamment des idées géniales. Mais son talent consiste aussi à juger de manière impartiale toutes les options qu’on lui présente, et à savoir reconnaître la meilleure idée, même si elle ne vient pas de lui. Une fois qu’il a adopté cette idée, il l’incorpore à sa vision du film et la rend cohérente avec le reste. Par exemple, pendant la scène de l’attaque de la maison, j’avais suggéré à Shane qu’Iron Man retire manuellement une fusée de son équipement, la lance en direction d’un des hélicoptères, et tire dessus pour la faire exploser et le détruire…Cela lui a plu, et l’idée a été incorporée aussitôt à l’animatique. De même, au moment où Iron Man est entraîné dans la mer et plaqué sur un fond sablonneux par des blocs de béton, nous nous demandions comment le tirer de là de manière originale : j’ai proposé que Tony télécommande l’un de ses gants autopropulsés, et s’en serve comme d’une main extérieure capable de le tracter et de l’extraire de ces débris…
C’est l’une des excellentes trouvailles du film, bravo.
Merci ! Elle est le fruit de nombreux échanges entre Shane et moi. Cette liberté et ce crédit qu’on accorde aux collaborateurs est l’une des caractéristiques de la manière de fonctionner des Studios Marvel. Peut importe qui a eu une idée, si elle est bonne, on l’utilise, qu’elle vienne du réalisateur, du scénariste, du superviseur des cascades ou du storyboardeur. Marvel a réussi à créer un environnement de travail souple, ouvert, et au sein duquel la créativité des collaborateurs peut s’épanouir. C’est très valorisant.
Avez-vous créé des storyboards et des animatiques de scènes qui n’ont pas été tournées ou qui ont été coupées ?
Non, à l’exception du changement de décor intervenu dans la scène finale, dont nous avons déjà parlé…Mais je voulais préciser qu’il arrive souvent que des lieux de tournage changent ou que des scènes soient complètement réécrites après que certains animatiques aient été finalisés. Il est assez fréquent de devoir les jeter pour tout refaire, mais on le sait, parce que cela fait partie du job ! C’est arrivé bien des fois pendant la préparation d’AVENGERS, par exemple.
Combien de semaines vous donne-t-on pour créer l’animatique d’une scène de 5 à 7 minutes ?
Tout dépend de la structure de la scène et du nombre d’évènements qui se déroulent pendant ce laps de temps. Mais si je prends l’exemple de l’animatique d’une séquence complexe comme la destruction de la maison de Tony Stark, on me laisse généralement travailler dessus pendant 2 mois, et on procède ensuite à des corrections et des modifications pendant un mois supplémentaire. Pour animer des actions rapides, j’utilise généralement 12 dessins par seconde. Cela fait donc des milliers de dessins à produire en l’espace de 3 mois pour créer une séquence de 7 minutes. Mais une fois que l’on arrive à ce point-là, et que l’animatique est validé, on ne revient plus dessus. En revanche, comme un storyboard est plus ouvert à différentes interprétations, j’ai pu constater qu’il est révisé et modifié beaucoup plus souvent et pendant plus longtemps qu’un animatique…Du coup, et même si cela semble paradoxal, on gagne du temps en préparant un animatique long à animer plutôt qu’un storyboard, car comme le résultat est bien plus précis en termes de mouvements et de timing, tout le monde le comprend, et il y a moins de quiproquos, et de révisions ultérieures. Avec les effets sonores et les musiques temporaires, l’atmosphère et les émotions des scènes sont mieux exprimées par un animatique. L’équipe de production est plus vite rassurée, et l’on passe sereinement à la préparation de la scène suivante.
Vos séquences animatiques servent-elles de référence aux prévisualisations 3D, avant les animations définitives des personnages en images de synthèse ?
Oui, cela arrive souvent, car mes animations sont très détaillées, et une fois qu’elle sont validées par le réalisateur, le département des prévisualisation peut recopier les mouvements des personnages, les cadrages et les mouvements de caméra pour avancer plus vite. Et ensuite, les animateurs s’inspirent aussi de la prévisualisation 3D pour jeter les bases des animations définitives.
Sans gâcher les surprises de ces 2 films, pouvez-vous nous parler un peu de l’atmosphère et du style d’action souhaités par les réalisateurs de THOR, LE MONDE DES TENEBRES et CAPTAIN AMERICA, LE SOLDAT DE L’HIVER, Alan Taylor et les frères Anthony & Joe Russo ?
En ce qui concerne Thor, Alan m’a demandé de donner une grande ampleur aux scènes d’action et de les rendre épiques, dans l’esprit du SEIGNEUR DES ANNEAUX. Avec les pouvoirs cosmiques de Thor et les personnages fantastique de son univers, il y a tant de choses amusantes à faire : le ciel peut se remplir d’éclairs et détruire toute une armée, Thor peut provoquer des ondes de choc phénoménales en frappant le sol avec son marteau, etc…Dans le cas du 2ème épisode de CAPTAIN AMERICA, Joe, et Anthony voulaient que les scènes d’action et les combats soient traités de manière réaliste, en tenant compte du fait que notre héros est un super soldat très bien entraîné. Steve Rogers agit de manière efficace et rapide, sans détour, et se bat souvent au corps à corps. Le traitement visuel est conçu de la même manière, avec des plans très courts et très précis.
Pour conclure, parlons de vos projets personnels. Vous avez écrit et réalisé en 2010 un court métrage d’horreur très réussi intitulé RECOLLECTION…
Merci ! Oui, passer à la réalisation de films d’épouvante est l’un des objectifs de ma carrière… J’ai aussi conçu sous forme d’animatiques les présentations de 2 projets, une histoire intitulée Hunted (Chassé), où il est question d’un bigfoot très dangereux, et une idée de nouveau remake d’Halloween, qui est l’un de mes films-cultes.