Entretien avec Michael Bay, réalisateur de Transformers
Article Cinéma du Vendredi 10 Octobre 2008

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

La promo de Transformers a du être particulièrement éprouvante pour vous, ces dernières semaines...

Je suis épuisé. J’ai voyagé en Corée, en Australie, aux USA, en Espagne, et me voilà en Angleterre... Je ne sais même plus dans quelle zone horaire je me trouve ! Je suis complètement désorienté !

Votre sens des images fortes est bien connu. Vous arrive-t’il de trouver vos idées visuelles indépendamment du script, et de les intégrer ensuite dans le film, ou procédez-vous à l’inverse, en partant du script ?

Je trouve souvent des idées en dehors du script, et j’écris aussi directement les scènes d’action en les insérant dans les scripts. Je me suis rendu compte récemment que dans chacun de mes films, au bout d’une heure, j’insère presque malgré moi des séquences de montage purement visuelles et esthétiques (rires). Dans Pearl Harbour, c’étaient les scènes où l’on voyait les pilotes japonais se préparer à partir et démarrer les moteurs de leurs avions, dans Armaggeddon, c’était le lancement de la navette…Il n’y avait pas encore de script quand j’ai signé mon contrat de réalisation pour Transformers. J’ai donc développé des idées visuelles tout en collaborant avec les deux scénaristes, avec lesquels j’ai une excellente relation.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de participer à ce projet ?

J’avoue que j’ai été plutôt surpris quand j’ai reçu le coup de fil de Steven Spielberg... J’ai pensé que ça allait être un film un peu stupide à propos de jouets.

Dans ce cas, qu’est-ce qui vous a donné envie d’aller au-delà de cette première réaction ?

Ce que m’a dit Steven quand il a ajouté : « Nous n’avons pas d’idée précise pour l’instant, si ce n’est qu’il s’agit d’abord de l’histoire d’un adolescent et de sa première voiture ». Là, je me suis dit qu’il y avait un point de départ intéressant, car avoir sa première voiture, c’est une étape importante qui mène à l’âge adulte. Quelque chose dont on se souvient toute sa vie. Mais concevoir un film à partir de jouets m’inquiétait toujours… Je suis malgré tout allé rencontrer les dirigeants de Hasbro, le fabricant des jouets Transformers, pour en parler, et j’ai vu les images de dessins animés récents affichées sur les murs de la salle de réunion. Et là, je me suis dit que si je parvenais à faire exister ces personnages en leur donnant un côté cool, réaliste, et à la pointe de la technologie, ça ferait un film intéressant. Il y a peu de temps, nous avons fait une projection-test en Arizona. Une femme qui a été interrogée nous a dit qu’elle ne voulait pas voir le film, mais que son mari avait insisté pour qu’elle l’accompagne. Et en fin de compte, elle a aimé Transformers et a dit qu’elle trouvait qu’il réinventait le genre des films de superhéros, ajoutant qu’elle en avait assez de voir des héros avec des costumes et des capes ! J’ai trouvé sa réaction très intéressante.

Oui mais quelle a été vraiment l’idée qui vous a convaincu de consacrer deux ans de votre vie à ce film ?

L’idée de rendre ces robots géants aussi réalistes que possible. Et je crois que nous y sommes parvenus, ce qui représente un progrès technique énorme, au niveau des effets visuels, des techniques numériques et de l’animation de personnages 3D. Vous savez, quand j’avais 15 ans, je travaillais en tant que stagiaire à Lucasfilm, où je classais des dessins et d’autres éléments dans leurs archives. Après la sortie de Pearl Harbour, George Lucas m’a écrit une lettre dans laquelle il me disait « avec ce film, vous avez franchi une nouvelle étape de l’évolution des effets spéciaux ». J’ai été très impressionné par cette lettre et très touché aussi. Je crois que dans Transformers , nous sommes également parvenus à franchir une nouvelle étape, et à représenter des choses qui auraient été impossible s à réaliser il y a un an ou deux ans de cela. L’éclairage de ces scènes est très compliqué. En ce qui me concerne, je pense que les effets spéciaux dépendent principalement de la manière dont l’éclairage des scènes est géré.

Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

Eh bien, cela tient à la manière dont nous percevons le monde. A chaque fois que nous voyons une personne, un objet, une voiture, une rue, un paysage, nous enregistrons cette image dans notre cerveau, ainsi que la manière dont elle est éclairée par un soleil éclatant ou un ciel nuageux. Nous engrangeons ainsi des quantités phénoménales de références visuelles, sans nous en rendre compte. Et c’est la raison pour laquelle nous sommes immédiatement capables de déceler des effets numériques qui ne reconstituent pas bien un éclairage naturel : notre cerveau détecte immédiatement la supercherie. Ce n’est pas une réaction intellectuelle. Au contraire, elle est presque instinctive. On reçoit tout de suite un message qui vous dit « Il y a quelque chose qui cloche ! ». C’est la raison pour laquelle je me débrouille toujours pour rendre l’éclairage le plus naturel possible.

Combien de personnes ont-elles travaillé sur les effets visuels du film ?

Je dirais environ 250 hommes et femmes au pic de la production. Mais au départ, pour préparer le film, nous avions réuni seulement un petit groupe. Ça me rappelle d’ailleurs une anecdote…Quand nous travaillions sur la préparation des personnages à I.L.M., j’avais remarqué un artiste japonais appelé Kaji, qui restait dans un coin et ne disait pas un mot d’anglais. Nous avons travaillé pendant huit mois sur le design des robots. Un jour, nous examinions les travaux en cours dans une salle de réunion où se trouvaient une vingtaine de personnes, et on m’a montré le tout premier essai de rendu 3D du visage d’Optimus Prime. Et je dois dire que c’était complètement raté : son visage semblait tout bouffi, méconnaissable. Il avait perdu toute son allure héroïque. Et tout d’un coup, j’ai vu Kaji bondir de son siège, comme s’il était subitement devenu fou. Il a pointé l’écran du doigt en criant : « Cette chose est une insulte au peuple japonais ! ! ! » (rires). Nous nous sommes tous retournés vers lui, sidérés. Il était tout rouge de colère ! C’est à ce moment-là que nous avons compris qu’il s’était tu depuis le début, mais qu’il réprouvait complètement l’approche qui avait été choisie pour ce personnage. Il était authentiquement scandalisé. Hors de lui ! Après avoir repris son souffle, et s’être calmé un petit peu, il a dit « Je veux m’occuper d’Optimus Prime ! ». Quand quelqu’un est à ce point passionné par un sujet, on serait bien bête de ne pas lui donner sa chance. Il s’est donc attelé au design d’Optimus Prime, et cela a donné d’excellents résultats. Kaji est aussi le génie qui a mis au point les transformations à vue des robots. C’était un élément du film qui lui tenait particulièrement à cœur. Et je peux vous dire que réussir ces plans-là n’est pas un mince exploit. C’est un peu comme animer la manipulation d’un Rubik’s cube ! Kaji y est brillamment parvenu.



Il vous a fallu trouver des talents très particuliers pour réussir ces effets visuels. Comment y êtes-vous parvenu ? Etait-ce de la chance , ou avez-vous passé beaucoup de temps à les chercher ?

Non. En fait, quand nous avons lancé la production des effets spéciaux à I.L.M., on m’a expliqué que Transformers était le film sur lequel tout le monde voulait travailler. Bien plus que sur Pirates des Caraïbes 3, par ex. C’était dû au fait que beaucoup d’artistes d’I.L.M. sont des fans des jouets et de la série animée. Je ne sais pas si vous le savez, mais les robots sont les personnages 3D les plus complexes qui aient jamais été modélisés. Le corps d’Optimus Prime contient plus de 10 000 pièces qui sont articulées et imbriquées et qui bougent en s’entraînant les unes les autres dès qu’il fait le moindre geste. C’est incroyable de voir à quel point ce personnage, et les autres robots sont sophistiqués jusque dans les moindres détails. Dans certains cas, il fallait jusqu’à 36 heures de calcul pour créer une seule image finalisée des robots.

Y-a-t’il eu un moment, pendant ce long processus de développement technique des effets visuels, où vous avez failli perdre patience ?

Oui, je suis effectivement passé par un point où j’en ai eu vraiment assez de voir les robots. Mais c’est une réaction normale. J’ai tellement travaillé avec les animateurs, en visionnant leurs travaux pratiquement tous les jours, et en dialoguant souvent directement avec chacun d’entre eux, que je finissais par croire que je réalisais un film d’animation ! J’ai ressenti aussi cette impression en enregistrant les dialogues des robots avec les comédiens. Dans certains cas, nous avons été obligés de changer l’animation, avec toutes les conséquences que cela peut avoir quand un processus est aussi long et précis que celui-ci. J’étais pratiquement tous les jours en rapport avec les équipes d’I.L.M., grâce à des vidéoconférences qui nous permettaient d’échanger rapidement nos idées. Nous parlions des plans à modifier, des corrections à apporter à l’animation de tel ou tel personnage pour arriver à l’effet que je voulais obtenir, des petits détails a revoir sur les mouvements des yeux ou les expressions de bouche,etc. J’étais un peu lassé de la lourdeur de ce processus, mais ce qui me redonnait à chaque fois de l’énergie, c’étaient les réactions des personnes qui découvraient ce que nous faisions pour la première fois. Steven Spielberg, par exemple, refusait catégoriquement de voir le film avant que j’en arrive à mon premier montage. J’insistais encore et encore, et il déclinait ma proposition à chaque fois. Finalement, à force de lui demander, il a accepté de voir une seule scène, celle de la maison. Et pendant qu’il la regardait, il n’arrêtait pas de me taper sur la cuisse en riant comme une baleine ! Je lui ai demandé « Qu’est-ce qu’il y a ? » et il m’a dit, hilare, « Je n’ai jamais vu des robots faire ça au cinéma ! jamais ! ». Je lui ai dit « Steven, d’accord, mais toi tu as quand même inventé les dinosaures au cinéma…C’est pas mal non plus.. » (rires) Ce sont vraiment les réactions fraîches et spontanées des gens qui découvraient le fruit de notre travail qui me redonnaient de l’énergie pour avancer.

Est-il vrai que vous vous êtes inspirés de véritables personnes pour établir l’aspect et la gestuelle des robots ?

Oui. En ce qui concerne Optimus Prime, nous avons pensé à la gestuelle de Liam Neeson. Michael J. Fox était notre référence pour Bumblebee et Hugo Weawing celle de Megatron...

Est-ce que ces acteurs le savent ?

Euh... non ! (rires) Ça me rappelle un truc très drôle que les animateurs d’I.L.M. se sont amusés à faire en dehors de leurs heures de travail : ils ont recopiés les mouvements de De Niro sur Optimus Prime. Le résultat est hilarant ! (rires)

Pensez-vous que certaines personnes pourront être choquées par l’aspect pro-militaire du film ? On y voit les troupes US basées au Quatar, notamment...

Vous savez, même si le cœur du film est l’histoire de ce garçon qui reçoit sa première voiture, je voulais quand même que les autres enjeux du film dépassent ce cadre-là. Si j’étais le représentant d’une race extraterrestre hostile, je m’attaquerais forcément aux militaires. C’est tout à fait logique. Il leur fallait pénétrer notre système de défense, et s’infiltrer jusqu’au pentagone pour attaquer de manière encore plus efficace.

Donc, il n’y pas de commentaire voulu de votre part sur la situation actuelle, ni sur la guerre en Irak...

Non, pas du tout. Je fais simplement un film de divertissement, et seulement un film ! Il ne faut pas y chercher le moindre message politique.

Est-ce facile de collaborer avec le pentagone, comme vous l’avez fait ? Quelles démarches avez-vous dû accomplir ?

Quand j’ai appelé le pentagone, j’ai vite constaté qu’ils ne collaboraient pas facilement avec les cinéastes, parce qu’ils sont très occupés par des sujets autrement plus importants, comme on peut l’imaginer. Mais le nom de Steven Spielberg est tellement connu qu’il ouvre des portes. Je leur ai dit « C’est un film de Science-Fiction, avec une invasion extraterrestre… » et mon interlocuteur m’a aussitôt répondu « Eh bien vous savez, si des extraterrestres arrivaient pour envahir la terre, nous serions immédiatement en première ligne pour les combattre ! » (rires) Ils n’ont pas voulu savoir s’il y avait un contexte politique dans le film, ou si j’avais l’intention de me moquer du président des Etas-Unis, car ce n’est pas leur job. Leur seul souci était de veiller à ce que chaque personne du pentagone représentée dans le film ait une fonction réaliste, qui corresponde à ce qui existe vraiment.

Leur avez-vous demandé s’il existe vraiment une « section sept » top secrète, comme dans le film ?

Non, mais j’aimerais que ce soit le cas ! Je suis sûr qu’ils ont des tas de trucs top secrets en stock, des choses incroyables dont nous n’avons pas la moindre idée...

Pourquoi avez-vous choisi de ne pas montrer le visage du président dans le film ? On ne voit que ses chaussettes au premier plan, lorsqu’il est allongé sur son lit dans la scène qui se passe dans l’avion présidentiel Air Force One...

Oh, montrer des faux présidents au cinéma, ça ne marche jamais... Je pensais que c’était plus drôle de montrer seulement ses chaussettes.

Et c’est sans doute aussi un portrait plus réaliste de George W Bush ! (rires)

Je vois que vous avez apprécié ce gag. Tant mieux.

Lorsque Spielberg vous a proposé ce film, saviez-vous déjà, de par les films qu’il a réalisé de son côté, que vous arriveriez à bien collaborer sur Transformers ?

Il a toujours été une de mes idoles. Et il m’a toujours fait des compliments sur mes films. Il m’a souvent dit « Tu as le meilleur œil de tout Hollywood ! » et « Je t’ai piqué des tas de trucs ! », ce à quoi je réponds que j’ai fait de même de mon côté.

En quoi le rapport de réalisateur à producteur que vous avez avec Spielberg depuis The Island est-il différent de celui que vous avez eu avec Jerry Bruckheimer ?

Avec Steven, je parle davantage en termes visuels. Il est très strict sur le respect du budget prévu, ce qui est une bonne chose. Nous avons fait Transformers pour 145 millions de dollars, tandis que Spider-Man 3 a coûté 300 millions et Pirates des caraïbes 3 plus de 350 millions . Steven sait utiliser au mieux les moyens qui sont à sa disposition. Dans le premier Jurassic Park, il n’y avait qu’une cinquantaine de plans d’effets visuels, c’est tout. Dans la Guerre des mondes, il y en avait 190, et dans Transformers 450, ce qui inclut aussi les scènes où l’on voit les robots parler. On est loin des 1500 ou 2000 plans d’autres films. Steven vous oblige à examiner la manière dont vous voulez raconter visuellement votre histoire, et à réfléchir aux plans truqués qui sont judicieux et indispensables. C’était un exercice très intéressant. Mais il est également arrivé qu’il ait la réaction inverse, et me dise « Ah, j’aurais bien aimé que tu ajoutes ce plan-là », ce à quoi je répondais « On n’a pas les moyens de se l’offrir, Steven ». Et lui d’ajouter « Tant pis, il faut qu’on te donne l’argent pour le faire !» (rires).

Est-ce que les effets numériques vous donnent plus de liberté créative, en tant que réalisateur, ou sont-ils plus contraignants, à cause de la longue post-production qu’ils impliquent ?

Ils sont plus contraignants. Vu de l’extérieur, on peut avoir l’impression qu’un réalisateur tourne son film, et que les effets sont ajoutés dans les prises de vues réelles un peu comme par magie, par une armée de techniciens, mais ce n’est pas comme ça que les choses se passent dans la réalité. C’est un travail qui vous occupe tous les jours. Vous êtes comme un peintre qui doit préparer son tableau, songer à l’avance à tous les éléments qui vont le composer, puis qui doit communiquer cette vision à une équipe de dizaines de personnes. Ensuite, il faut vous assurer que tout avance, et va dans la bonne direction. J’ai communiqué très souvent avec les équipes d’I.L.M. et je me suis même rendu régulièrement sur place pour pouvoir dialoguer avec les artistes, à leur poste de travail. C’est mieux de procéder ainsi, car vous exposez vos idées directement et vous entendez aussi directement les réactions des artistes et leurs suggestions.

Comment avez-vous composé vos images pour intégrer des personnages de taille très différentes, les humains et les robots géants, dans les mêmes cadres ?

C’est effectivement un travail complexe. Pour y parvenir, nous préparons d’abord des animatiques, c’est à dire des animations 3D très schématiques des mouvements des robots. Une petite équipe d’animateurs travaille avec moi dans mes bureaux. Nous avons regardé des films de Kung Fu ensemble pour analyser ces gestes de combat. Ce qui nous aide beaucoup à préparer les cadres dont vous parlez, c’est que nous avons la possibilité de reproduire les effets produits par les différents objectifs que l’on utilise sur un tournage : les longues focales, les courtes focales, les grands angulaires, etc. Ces animatiques nous permettent donc de définir très précisément des cadrages que nous pourrons reproduire avec de vraies caméras, sur le plateau, pendant le tournage. En travaillant en 3D, on peut aussi créer rapidement des objets et des décors dont on établit la taille selon des mesures précises. Nous pouvons positionner la caméra à 2 mètres du sol et filmer un immeuble de 40 mètres de haut. C’est un outil extrêmement précieux, car il permet de prévoir les choses de manière concrète. Et il permet aussi de montrer aux acteurs et au reste de l’équipe ce que nous sommes en train de faire et quel sera le résultat final. Pour un réalisateur comme moi, c’est un moyen de préparer à l’avance des mouvements de caméra compliqués, et de les peaufiner jusqu’au moment où j’en suis satisfait. Il vaut mieux préparer les choses ainsi, avec un petit film d’animation 3D réalisé dans un bureau avec trois personnes, que de perdre du temps sur un plateau où 750 personnes attendent vos instructions.

A l’époque de The Rock et Bad Boys, vous aimiez les films d’action simples, basés sur des histoires de copains. Est-ce que vous penser revenir à ce genre de films ?

Oui, pourquoi pas. J’ai aussi des projets de films à petits budgets, sans effets spéciaux, juste avec des acteurs, des personnages intéressants et de bons dialogues. Après The Island, qui n’avait pas marché aussi bien que nous l’espérions, ce n’était pas le bon timing pour faire un petit film.

Et maintenant, après Transformers, qui sera probablement un énorme succès, est-ce que vous pensez aller dans ce sens ?

Peut-être, oui. Mais j’aime également ces grands films qui prennent beaucoup de temps, et qui vous permettent de collaborer avec des artistes exceptionnels. Ils vous donnent l’impression de tourner au moins trois films normaux en même temps ! Vous passez des mois sur les dessins conceptuels, les décors, la préparation du tournage, le tournage, puis une interminable post-production…Mais en fin de compte, j’adore ça ! Et j’aime aussi me battre avec le studio pour obtenir ce que je veux. Je sais toujours à quel moment m’arrêter pendant les négociations ! (rires) Mais les studios jouent toujours à ce jeu, ils essaient toujours de réduire votre budget.

Dans le montage d’extraits de 20 minutes que vous aviez préparé pour la presse il y a quelques mois, il y avait encore plus de scènes d’humour. Certaines d’entre elles ont disparu du montage final du film. A quoi cela est-il dû ?

Toujours au même problème : on est limité par le temps. On ne peut pas présenter un film trop long aux gens. On est donc obligé de faire des choix et de couper des moments amusants que l’on aimait bien. J’ai dû retirer de bonnes plaisanteries, ainsi qu’un discours très amusant de John Turturro, mais je vous garantis qu’on les retrouvera dans le DVD. Quand un film dépasse les deux heures et quart, les gens se plaignent, et cela nuit au bouche à oreille, qui est très important, comme vous le savez.

Les fans vous ont un peu malmené quand on a révélé que vous alliez réaliser Transformers ? Est-ce que vous en avez été peiné ?

Qu’est-ce que vous voulez y faire ? Les fans ne savaient pas ce que j’avais en tête, et maintenant qu’ils ont vu le film, je les ai surtout entendu dire « Wow ! ». J’ai affronté les menaces de mort comme un homme (rires)…et j’ai lu tout ce qui m’était adressé sur le web : « Va au diable, Bay ! », « Bay, tu vas ruiner ce qui a fait toute ma jeunesse ! », etc, etc. J’ai lu tout ça et l’ai pris en plein visage, mais j’ai continué mon chemin. J’ai aussi entendu ce que les fans disaient. Et même s’ils n’aiment pas les flammes que j’ai ajouté sur Optimus Prime, je persiste à croire que ça lui va très bien ! (rires)



Quelles sont les suggestions des fans dont vous avez tenu compte ?

Ils avaient parfaitement raison de demander que ce soit à nouveau Peter Cullen qui soit la voix d’Optimus Prime. Au départ, je voulais avoir un œil frais et ne pas écarter d’emblée d’autres possibilités de casting vocal, mais en fin de compte, les fans avaient raison. Peter Cullen est excellent.

Considérez-vous que l’internet est devenu un outil utile pour un réalisateur ?

Je n’irais pas jusqu’à dire cela. Je crois que le web est aussi une source de propagation de fausses informations absolument redoutable. Il suffit qu’une personne dise un truc sur son blog pour que ce soit repris par des dizaines de journalistes qui pensent que c’est vrai, et cette fausse information peut alors devenir un truc énorme qui crée un scandale autour du film. Cela peut créer une polémique inutile, et faire perdre du temps à tout le monde pour rien. On vous attribue aussi des propos que vous n’avez jamais tenus, ce qui est toujours agaçant.

Nous avons été étonnés d’apprendre que sur le tournage d’un film qui repose autant sur les effets visuels, et qui est donc préparé très en détail, vous aviez réussi à improviser avec vos acteurs. Comment y parvenez-vous ?

J’adore improviser avec eux. Mais cela n’avait pas lieu pendant les scènes de combats de robots très complexes, pour les raisons de préparation techniques que vous évoquez, mais plutôt pendant des scènes de comédie. Je pense notamment à la scène qui a lieu lorsque les parents du héros déboulent dans sa chambre, sont étonnés par son attitude, et le soupçonnent alors de s’adonner au plaisir solitaire ! Avec les acteurs brillants qui étaient sur le plateau, et notamment celui qui joue le rôle du père, nous avons pu improviser quelques répliques qui ont apparemment beaucoup plu aux spectateurs !

Quels sont les trucs que vous avez utilisés pour rendre les robots sympathiques et vivants ? Ce sont des machines, des assemblages de métal et ce n’est donc pas facile de les humaniser...

Oui, vous avez raison. Nous avons réfléchi longtemps à ce problème. Les fans m’ont reproché de montrer les lèvres des robots, mais sans ces expressions-là, les personnages auraient été totalement dépourvus d’émotions. Nous avons fait des tests, et c’est le résultat que nous avons obtenu. C’était horrible. Il fallait ajouter des choses aux visages : des sourcils, des paupières, etc. Nos artistes ont greffé des pièces métalliques supplémentaires pour créer des mouvements qui évoquent ceux des visages humains. Et ça a très bien marché. Le travail qui a été réalisé sur les bruitages des robots est également très important et très réussi. Il y a un grand nombre de sonorités différentes qui soulignent les animations du moindre mécanisme.

Vous n’avez pas du tout utilisé de capture de mouvements pour animer les combats des robots ?

Non. Nous avons simplement filmé des mouvements de combats de kung fu en vidéo, pour donner des références précises aux animateurs, qui avaient beaucoup de mal à obtenir des résultats convaincants au début. Il leur fallait avoir ces vrais mouvements sous les yeux pour bien comprendre leur dynamique. On ne peut pas tout savoir, même si on est un excellent animateur.

Aviez-vous certaines références de films d’animation japonais en tête, avant de travailler sur les effets visuels de Transformers ?

Oui, mais je serais incapable de vous en citer les titres. J’aime la stylisation de l’animation japonaise. Il y a un artiste dont le nom m’échappe, et qui dessine souvent des personnages hérissés de pointes, qui nous a inspiré pendant la période de développement des robots.

Est-ce que vous développez la plupart de vos projets ou vient-on vous les proposer ?

J’en développe certains et on vient m’en proposer d’autres. Par exemple, il est possible que je participe à un projet de Jerry Bruckheimer (NDLR : Prince of Persia, qui sera en fait réalisé par Mike Newell), mais je n’en suis pas encore sûr. Je développe aussi des jeux vidéo...

Vous avez aussi acquis récemment le studio d’effets visuels Digital Domain. Est-ce parce que vous avez besoin d’un tel outil pour faire aboutir des projets toujours plus spectaculaires ? Au fond, êtes-vous resté un grand enfant ?

Vous savez, faire un film, c’est d’abord créer un divertissement. C’est effectivement renouer avec la notion de jeu d’enfant. Steven Spielberg a lui aussi gardé sa part d’enfance. Et les jeux vidéo s’inspirent aussi beaucoup du cinéma. D’ailleurs, un jeu vidéo récent a quasiment recopié image par image un des plans que j’avais imaginé pour Pearl Harbour. Ça m’a donné envie de m’y frotter moi-même.

Avez-vous été flatté par cet « hommage » ou plutôt agacé d’avoir été pillé ?

J’étais furieux, parce que c’était une décalque complète, faite sans aucune imagination. C’était du vol pur et simple ! Chacun peut s’inspirer du travail artistique des autres, mais pas recopier à ce point !

Allez-vous demander aux équipes de Digital Domain de développer des films entièrement réalisés en 3D ?

Pour l’instant, ils travaillent sur le nouveau film de David Fincher, pour lequel ils créent un personnage 3D à partir de Brad Pitt. J’ai vu quelques essais et c’est stupéfiant.

De quel projet s’agit-il ?

Il s’agit d’une histoire dans laquelle on construit un être humain entièrement digital (NDLR : The Case of Benjamin Button).

Aimeriez-vous réaliser des films d’animation ?

Je n’aimerais pas faire que ce Bob Zemeckis fait avec des comédiens filmés en performance capture, pour animer des personnages 3D, parce que ce processus me rendrait fou ! Je n’aurais pas la patience de réaliser tout un film comme ça. Je préfère travailler avec des gens sur un vrai plateau, diriger des acteurs et filmer de vraies choses devant ma caméra. Je crois que je n’irai pas plus loin que les jeux vidéo dans le registre de l’animation. Nous développons aussi de nouveaux logiciels adaptés aux moteurs de jeux vidéo, pour obtenir des effets visuels avec des rendus plus réalistes. Nous avons été un des premiers studios à aller dans ce sens.

Aimeriez-vous développer des films interactifs ?

C’est déjà un peu ce que vous ressentez quand vous jouez avec un très bon jeu vidéo. Le joueur est déjà un peu projeté dans un film.

Oui, mais pensez-vous que la popularité toujours plus grande des jeux vidéo provoquera l’apparition de salles dans lesquelles on pourra expérimenter des aventures interactives sur écran géant ?

Peut-être, mais je serai bien incapable de le prédire !

Comment pensez-vous que l’évolution des effets spéciaux va influencer l’évolution du cinéma lui-même ?

Nous sommes arrivés à un point où il est devenu possible de concevoir à peu près n’importe quelle image et de la rendre réaliste. De ce fait, les auteurs et les réalisateurs ont désormais la liberté d’imaginer tout ce qu’ils veulent. Les effets numériques ont en ce moment sur le cinéma l’effet qu’a eu l’apparition des premières pellicules ultra sensibles dans les années 70, qui permettaient de filmer dans des décors réels, avec l’éclairage disponible sur place.

Avez-vous une idée précise de votre réputation en tant que réalisateur ? Certaines personnes vous ont décrit comme un général, et pas comme quelqu’un qui accueille chaleureusement ses acteurs sur le plateau chaque matin...

Vous savez, dans la vie privée, je suis plutôt quelqu’un de détendu et d’agréable, mais sur un plateau, j’ai une responsabilité énorme. Je filme très vite et je travaille depuis quinze ans avec les mêmes personnes, qui me connaissent bien et qui sont aussi rapides que moi. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons pu tourner ce film pour 145 millions de dollars et pas 350. Travailler 12 heures par jour ne me fait pas peur. Certaines personnes de mon équipe font quelquefois des journées de 16 ou 17 heures sans se plaindre. Nous travaillons tous très dur. Et sur un plateau, je me comporte un peu comme un assistant réalisateur, qui veille à ce que tout avance vite, à ce que l’on positionne la caméra pour le plan suivant pendant qu’un plan se tourne. C’est ma façon de fonctionner. Mon cerveau se met sur un mode « réalisation » et j’avance vite, comme en pilotage automatique. Je suis totalement focalisé sur ce que je fais. Mais malgré mon côté « Boulot, boulot », les acteurs reviennent travailler avec moi. Je ne dois donc pas être aussi horrible que ça ! (rires)

Est-ce que vous lisez les critiques de vos films ?

Non, parce que je sais que quoi qu’il arrive, je me fais descendre dans 90% des cas, même quand le public aime beaucoup le film. Donc, je me dis « A quoi bon ? ».

[Preview : Transformers 2 - Revenge of the Fallen]


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