Terminator Renaissance : Seconde partie de notre entretien avec Charlie Gibson, superviseur des effets visuels
Article Cinéma du Dimanche 05 Juillet 2015

A l'occasion de la sortie de Terminator : Genisys, retour sur la création des effets visuels de Terminator Renaissance...

C’est le 23 juin 2008, sur le tournage de Terminator Renaissance que ESI a rencontré Charlie Gibson. Déjà récompensé par deux Oscars – pour Babe (1996) et pour Pirates des Caraïbes, jusqu’au bout du monde (2006) – Charlie Gibson devait alors se dédoubler pour superviser les effets visuels du film, tout en réalisant les scènes tournées par la seconde équipe…

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

[Retrouvez la première partie de l'entretien]


Comment avez-vous créé les interactions entre le récolteur géant et les décors réels dans lesquels vous l’intégrez ?

Par le biais d’éléments de décors pré-cassés, que nous faisons s’écrouler au moment précis où il est sensé les frapper ou les écraser. Comme la scène est cadrée en plan large, pour montrer toute la silhouette du robot en action, nous utilisons des effets de compositing relativement simples : des effets atmosphériques, des projections de gravats et de poussières, ce genre de choses. Les mouvements du récolteur sont créés par des animateurs.

Est-ce que le modèle du récolteur est aussi complexe que ceux des personnages de Transformers, avec tous leurs mécanismes qui intéragissent ?

Non, heureusement, il n’est pas composé d’autant de pièces différentes. Nous voulions créer quelque chose de massif et de crédible, sans mécanismes placés là juste pour des raisons esthétiques. Toutes les parties mécaniques du récolteur semblent logiques et fonctionnelles.

Recréer en 3D un T-800 avec toutes ses pièces mécaniques ne doit pas être simple…

C’est vrai. Ce qui est formidable aujourd’hui, c’est que l’on dispose de logiciels d’animation qui sont capables de gérer automatiquement ce que l’on appelle des « animations secondaires ». Pour reprendre le cas de l’animation du T-800, quand l’acteur dont nous allons enregistrer les mouvements va plier le bras, notre logiciel va répercuter ces informations sur le squelette de base du modèle 3D, et ces animations dites « principales » vont déclencher aussitôt les animations « secondaires » comme les mouvements des vérins qui se trouvent au niveau des biceps. Toutes les autres parties des mécanismes vont être entraînées automatiquement par le mouvement de base du bras.

Vous allez aussi animer les « aérostats », les engins de surveillance de Skynet…

Oui. Nous sommes d’ailleurs en train de les modéliser en ce moment. Ce sont des engins volants qui vont se déplacer de manière réaliste, en tenant compte des lois de l’aérodynamique. Nous y tenons beaucoup, par il ne faudrait pas que l’on ait l’impression qu’ils peuvent évoluer comme les vaisseaux de Star Wars. Nous allons donner l’impression que l’on peut sentir le fonctionnement de leurs système de propulsion. C’est très important de mettre en place une « gestuelle » précise pour chacun de ces engins, pour les rendre crédible et plus menaçant lorsqu’ils poursuivent leurs proies sans jamais renoncer.

Des centaines de plans truqués

Combien de plans d’effets visuels devez-vous superviser en tout ?

Pour l’instant, environ 750. C’est un nombre relativement peu élevé pour une production de cette ampleur, mais cela tient à deux raisons : d’abord au fait que McG a tenu à utiliser beaucoup de plans-séquences, ce qui veut dire que les trucages qui auraient été répartis dans deux ou trois plans différents figurent dans un seul, et ensuite, parce que beaucoup d’effets sont réalisés en direct, devant la caméra, grâce aux maquillages, aux personnages animatroniques, aux maquettes et aux effets pyrotechniques. L’approche de McG est très différente de celle qui a été adoptée pour réaliser les Star Wars récents ou la trilogie des Pirates des Caraïbes. Les effets numériques ne sont pas omniprésents.

Pouvez-vous nous donner une idée, même approximative, du budget alloué aux effets visuels ?

Je ne peux pas, pour deux raisons : la première, c’est que je n’en ai pas le droit. Et la seconde, c’est que c’est en perpétuelle évolution ! Pendant le tournage, il arrive fréquemment que des plans ne soient pas tournés comme cela avait été prévu initialement. Soit on trouve une solution plus simple qui évite de recourir à des effets 3D, soit le plan est purement et simplement supprimé, soit on tourne un plan complètement différent, qui va nous obliger à créer des effets numériques différents eux aussi. Pendant la préparation des effets spéciaux d’un film, on étudie le script et les storyboards pour établir une liste des trucages à réaliser, et on propose des solutions pour chacun de ces plans. Ce qui permet de définir une enveloppe budgétaire que le studio va valider. Ensuite, pendant le tournage, on travaille à l’intérieur de cette enveloppe, en essayant de ne pas la dépasser. Bien sûr, si le réalisateur demande des choses qui n’avaient pas été prévues à l’origine, on négocie un supplément de budget. C’est le job du producteur des effets spéciaux.

Qu’est-ce qui se passe quand un effet « en direct » ne marche pas comme prévu ? Comment intervenez-vous dans ce cas-là ?

D’abord on le refait dans la foulée, et si ça ne marche toujours pas, j’essaie de voir si on peut essayer de répéter cet effet en dehors du tournage principal, en le filmant sur un fond bleu. Si cela échoue encore, à ce moment-là, on le remplace par un effet 3D.

Vous portez deux casquettes sur ce tournage : vous supervisez les effets visuels et vous êtes aussi le réalisateur de seconde équipe. Pourriez-vous nous décrire une de vos journées-type sur le tournage de Terminator Renaissance ?

Eh bien, quand je dirige la seconde équipe de tournage, je veille à respecter le style visuel établi par McG, et je vérifie aussi tout ce qui touche aux effets visuels qui seront ajoutés par la suite. J’ai la chance d’avoir à mes côtés deux superviseurs qui représentent I.L.M. et The Asylum, qui assistent aux tournages de l’équipe principale. Chaque matin, nous organisons une réunion pour faire le point sur ce qui doit être tourné dans la journée et nous échangeons nos idées pour nous mettre d’accord. Ensuite, je réalise les scènes avec la seconde équipe, tout en étant à la disposition de mes collègues d’I.L.M. et de The Asylum lorsqu’un problème imprévu surgit. En dehors du temps que je passe sur le plateau, j’assiste aussi à beaucoup de réunions de travail en dehors du tournage.

Vous devez certainement parler longuement avec McG des plans que vous tournez en son absence…

Oui, nous en parlons en détail pour que je sache bien ce qu’il souhaite que je fasse. McG est cependant assez spontané dans sa manière de filmer. Même s’il a longuement préparé une scène à l’avance et s’il l’a fait storyboarder et réalisé sous forme d’animatique 3D, il peut très bien la changer à la dernière minute sur le plateau parce qu’il se rend compte que cela marche mieux avec une approche différente. Il y a des choses que l’on ne peut pas imaginer a priori, qui se révèlent seulement une fois que tout est en place, quand les acteurs jouent leurs rôles. C’est la raison pour laquelle il faut toujours être prêt à s’adapter à des modifications.

Est-ce que les séquences animatiques ont été modifiées pendant le tournage ?

Pas celles qui concerne les scènes que je réalise avec la seconde équipe. Je pense que les animatiques que McG n’a pas utilisées n’ont pas été refaites par la suite.

L’évolution des effets 3D

Est-ce que les effets 3D coûtent globalement de moins en moins cher, ou le coût n’a-t’il pas vraiment changé, parce qu’il deviennent de plus en plus sophistiqués ?

Tout dépend de la manière dont vous allez utiliser les effets 3D. Si vous voulez faire aujourd’hui un trucage du niveau de ceux que l’on réalisait il y a dix ans, alors oui, dans ce cas-là, ce serait nettement moins cher que par le passé. On pourrait dire que dans l’ensemble, les prix ont baissé parce que le matériel est devenu plus performant, et nous fait donc gagner du temps de travail, mais dès qu’on se lance dans des séquences très complexes, qui emploient simultanément de nombreux logiciels différents, et qui mêlent animation de personnages, décors hyperréalistes et effets atmosphériques complexes, là, on revient à des prix élevés. Tout simplement parce que cela demande des centaines d’heures de travail humain, accompli par toute une équipe. Il ne faut pas croire que c’est le prix des équipements ou des logiciels qui est la composante majeure d’un budget d’effets visuels : en réalité, c’est le prix de la main d’œuvre.

Comment les plans truqués ont-ils été répartis entre I.L.M. et The Asylum ?

I.L.M. s’occupe plus particulièrement de tout ce qui concerne l’animation des personnages 3D, tandis que The Asylum s’occupe des effets 3D et des effets qui mêlent 2D et 3D. Asylum est une excellente société d’effets visuels. Ils réalisent des composites absolument impeccables. Nous avons énormément fait appel à eux sur les trucages de la trilogie des Pirates de Caraïbes, et même I.L.M. a souvent recours à leurs services pour réaliser leur propres composites. Ils sont excellents. Sur Terminator Renaissance, ils s’occupent des matte paintings numériques, des extensions de décors, des effets filmés sur fond bleu, etc…

Comment vérifiez-vous l’évolution d’un plan étape par étape, alors que vous en gérez plusieurs centaines ?

Dans notre équipe, c’est David, Bill et Victor qui sont chargés de cela. Ce sont les coordinateurs de la production des effets visuels. Ils surveillent l’évolution de tous les plans et restent en contact avec tous ceux qui interviennent sur les différentes étapes de leur réalisation. Chaque plan en cours de réalisation est accessible par la biais d’une base de donnée réservée à la production. Chaque jour, on peut voir ainsi l’évolution du travail et faire des remarques si besoin est.

Des décors réels aux décors virtuels

Avez-vous recours à la télémétrie laser, pendant le tournage, pour enregistrer les vraies dimensions des décors que vous allez ensuite prolonger en 3D ?

Oui. Chaque studio utilise sa propre méthode pour faire cela. Certains vont utiliser un appareil qui mesure simplement la distance qui le sépare d’un endroit précis d’un décor sur lequel on l’a braqué. Quand on fait ainsi plusieurs centaines de relevés de points d’un décor, on obtient une silhouette en 3D en pointillé. C’est rudimentaire, mais généralement suffisant pour prolonger les volumes du décor par des modélisations 3D. D’autres société emploient un scanner-laser qui s’appelle un Lightdar, et dont le faisceau balaie la surface du décor. Ce processus permet d’obtenir une image 3D plus précise. La méthode que je préfère personnellement, c’est la photogramétrie, qui consiste à prendre une multitude de photos d’un décor sous différents axes, puis à utiliser un logiciel et des formules mathématiques qui combine toutes ces perspectives 2D pour former une image 3D photoréaliste.

C’est un système équivalent à celui qu’emploie la NASA pour obtenir des images en relief de la surface d’une planète, en faisant prendre deux séries de photos avec des axes différents à un satellite ?

Oui, c’est le même principe.

Prenez-vous beaucoup de références photographiques des costumes et accessoires qui sont utilisés dans le film ?

Oui, par sécurité, nous prenons des photos haute résolution de tout ce qui est filmé, même si a priori, nous n’aurons pas à nous en servir. Mieux vaut disposer de trop d’informations que d’être coincé dans la réalisation d’un effet parce qu’on ne dispose plus de la bonne référence de forme, de texture ou de couleur d’un élément.

Quelles sont les erreurs que les superviseurs d’effets visuels doivent éviter à tout prix ?

La production d’un film est si coûteuse aujourd’hui – plusieurs centaines de milliers de dollars par journée de tournage – qu’une erreur de préparation qui va ralentir l’équipe pendant une heure, une demi-journée ou une journée va coûter très cher. Nous devons donc nous assurer que nous obtiendrons bien les effets de qualité que nous avons promis de livrer, mais aussi qu’ils seront réalisés vite et bien, sans ralentir le rythme de travail de la production. Evidemment, les choses peuvent changer si le réalisateur part dans de nouvelles direction au cours du tournage, mais là encore, notre rôle est de réagir vite et bien et de proposer les alternatives les plus efficaces et les moins coûteuses. Nous sommes au service du réalisateur et nous ne devons surtout pas le gêner, ni entraver sa liberté de création.

Combien de temps la post-production du film va-t’elle durer ?

Nous devrions tout achever en 6 mois.

Avez-vous réalisé de nouvelles séquences animatiques pour tenir compte des changements apportés par McG à certains plans ?

Non, car nous ne disposions pas de suffisamment de temps pour entreprendre cela. Pour créer des animatiques , il faut que le réalisateur soit assez disponible pour donner des indications précises aux animateurs qui vont créer ces images 3D schématiques. Il valait mieux se contenter de storyboards pour avancer plus vite.

Quelles sont les scènes qui ont été repensées et re-storyboardées ?

Les scènes qui se déroulent à la fin ont été conçues différemment. Ainsi que certaines scènes du milieu. Dans certains cas, les décors qui ont étét construits ont changé par rapport à ceux qui étaient prévus lors de la préparation des effets visuels. Cela nous oblige à utiliser d’autres techniques.

Un rendu« caméra à l’épaule »

Quel est le plus grand défi que vous devez relever sur ce film ?

Réussir à intégrer des effets complexes dans des scènes qui sont souvent filmées d’une manière très spontanée, avec une caméra tenue à l’épaule, ou en plans-séquences très longs. Cela complique beaucoup le travail d’intégration.

Comment parvenez-vous à intégrer des personnages en 3D dans une scène qui a été tournée avec beaucoup de fumigène en suspension dans l’air ?

Dans ce cas-là, le truc consiste à placer le personnage dans le décor, puis à ajouter encore plus de fumée au premier plan, mais en 3D ! (rires) C’est l’approche qui fonctionne le mieux. Le tout est d’arriver à imiter en 3D la fumée qui a été filmée sur le plateau. C’est quelquefois difficile, car chaque fumée est un personnage différent : elle va bouger d’une certaine manière et sa texture va être particulière.

Quels sont les trucs que vous avez développés au fil des ans pour bien intégrer de la 3D à un environnement réel ?

La première chose que j’essaie de repérer, c’est un objet ou un élément de décor qui va attirer un peu l’attention, que ce soit un fauteuil placé devant une lampe qui projette une ombre ou une porte de verre qui reflète ce qui se passe dans la scène. C’est cette partie de l’image réelle qui va devenir un des « points d’ancrage » des effets 3D que nous allons ajouter ensuite, car nous ajouterons son ombre portée sur les éléments 3D, ou nous créerons des reflets de ces éléments que nous mêlerons à ceux des objets réels.

Combien de temps allez-vous travailler sur ce film, au total ?

Un peu plus d’un an.

Collaborez-vous aussi avec la société qui réalisera le jeu vidéo du film ?

Oui. Nous avons partagé nos informations, et leur avons envoyés nos designs, afin que le jeu et les autres produits dérivés comme les jouets soient parfaitement « raccord » avec ce que l’on verra dans le film.

Y-a-t’il un autre aspect de votre travail dont vous aimeriez parler ?

Nous allons créer un autre personnage du même type que Markus, un autre cyborg. Par le passé, quand nous avons mêlé des effets de maquillages sur des acteurs et des parties de corps réalisées en 3D, comme dans A.I. et Terminator 3, les procédures étaient longues et complexes. Nous avons mis en place de nouveaux procédés depuis, qui devraient nous permettre d’atteindre un niveau supérieur dans la création de personnages hybrides, mi réels, mi synthétiques. J’ai bon espoir que nous y parvenions dans Terminator Renaissance. Que l’on puisse avoir vraiment l’impression de voir un être composé de plusieurs couches de peau, de muscles et de mécanismes reliées les unes aux autres.

Pensez-vous que dans le futur, on pourra utiliser des personnages 3D qui seront conçus exactement comme des êtres humains réels, avec les mêmes os, les mêmes muscles, les mêmes caractéristiques de peau ?

J’en suis persuadé. Plusieurs compagnies sont en train de travailler sur ce sujet actuellement. Il est possible que nous ayons à reconstituer précisément un visage avec toutes ses caractéristiques pour une des séquences de la fin du film, mais je n’ai pas le droit de vous en parler…

Est-ce que le personnage dont vous allez reconstituer le visage parlera avec un fort accent autrichien ?

(Rires) No comment ! (rires)

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