Exclusif : Entretien avec Joe Letteri, superviseur des effets visuels de THE LOVELY BONES - Seconde partie
Article Cinéma du Vendredi 19 Fevrier 2010

Retrouvez la première partie de cet entretien


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau



Comment les équipes de Weta Digital interviennent t’elles pendant le tournage ? On sait que ce qui a été prévu initialement change souvent pendant les prises de vues. Etes-vous toujours présent pour voir comment les choses se passent, et le cas échéant, suggérer tel ou telle approche technique ?

Oui, il y avait toujours une personne de notre équipe présente sur le plateau pour suivre le tournage et superviser la préparation des effets visuels, en collaboration étroite avec le directeur de la photographie Andrew Lesnie. Ils déterminaient ensemble ce qu’il fallait filmer en prise de vue directe, et ce qu’il valait mieux faire en postproduction.

Etant donné que la plupart des scènes de l’au-delà ont été tournées sur fond bleu, aviez-vous fait en amont un travail de prévisualisation pour expliquer aux acteurs ce qu’ils étaient sensés voir, ou aviez-vous simplement apporté les illustrations préparatoires sur le plateau ?

Nous avions préparé les prévisualisations de plusieurs séquences, parce que cette technique permet de réaliser ce que l’on faisait auparavant avec les storyboards, en obtenant un rendu plus fluide et plus facile à suivre par tout le monde, y compris les gens qui ne sont pas habitués à tourner des scènes d’effets spéciaux. Nous avions préparé ainsi la séquence des bateaux en bouteilles, pour choisir l’axe de prise de vues qui s’avérerait le plus efficace.

Quels effets avez-vous employés pour représenter la destruction du kiosque de jardin “avalé” par le sol ?

Bien que ce kiosque ait été construit « en dur », dans un décor entouré d’arbres,  la scène de la destruction proprement dite a été réalisée avec des effets 3D. Ainsi, le kiosque et le sol ont pu être animés exactement comme Peter le souhaitait. Ce qu’il voulait exprimer, c’est que ce kiosque qui est au début un endroit qui réconforte Susie, est détruit par une force extérieure. Cette scène sert encore une fois à illustrer ce qui se passe dans la tête de Susie, et comment elle évolue.

Est-ce que ce film a été une expérience particulière pour vous, à cause de la collaboration artistique encore plus intense que Peter Jackson vous a demandée ?

Oui, c’était vraiment une expérience unique dans ma carrière, en raison de cela. Pour une fois, il ne s’agissait pas seulement de trouver des solutions techniques pour donner vie à des images déjà définies. Il fallait chercher ensemble des solutions pour exprimer des sentiments grâce aux effets visuels. Il a fallu tester des idées, accepter qu’elles soient rejetées parce qu’elles ne produisaient pas le sentiment voulu, et avancer tous ensemble. A chaque fois que nous regardions des scènes du film, il était difficile de ne pas être touché par les situations auxquelles les personnages sont confrontés. C’était un climat très émouvant, et très particulier. Nous n’avons pas eu à créer de nouveaux logiciels, ni à mettre au point des approches techniques innovantes. Tout notre travail était au service de la narration du film et de l’expression des sentiments de Susie.

La scène dans laquelle Susie déplace les montagnes pour créer le paysage dont elle a envie est très belle. Vous-même, vous donnez à un réalisateur le pouvoir surhumain de matérialiser ses visions sur un écran. Comment pensez-vous que la réalisation d’un film va évoluer dans le futur, grâce aux apports des effets visuels ?

Effectivement, nous avons aujourd’hui le pouvoir de matérialiser pratiquement n’importe quelle idée d’un réalisateur. Il n’y a plus de limites techniques. Le plan auquel vous vous référez est d’autant plus intéressant qu’il s’agit d’une scène que Peter a imaginé très précisément. Ce que vous voyez dans le film correspond exactement à ce qu’il avait imaginé. Quant elle arrive dans l’au-delà, Susie trouve un endroit vide. Elle a besoin de voir des choses autour d’elle pour se réconforter, et c’est ainsi, en créant ces paysages, qu’elle y parvient. Elle ne sait pas vraiment comment créer un monde, alors elle puise dans les images qu’elle a vues dans des films et des magazines pour composer cet environnement, à la manière d’un collage. Elle aime les hautes montagnes et les grands lacs, les ciels bleus, les grandes prairies…Elle veut échapper à tout prix à ce grand vide qui lui fait peur en créant ces paysages rassurants qui lui rappellent des moments de rêverie et de bonheur.

Comment avez-vous créé la scène ou les feuilles de l’arbre prennent vie ? Et comment ont-elles été animées ?

Nous avons développé un logiciel qui permet de simuler les mouvements d’une nuée d’oiseaux. C’est de cette manière que nous avons animé les feuilles, et géré ensuite leur transformation en oiseaux. Cette démarche est similaire à celle que nous employons quand nous devons animer d’immenses foules de personnages, grâce à notre logiciel appelé Massive. Dans cette scène en particulier, comme l’arbre est vu de loin, il fallait que l’on ne puisse pas tout de suite voir s’il s’agissait de feuilles entraînées par un tourbillon de vent ou bien d’oiseaux se déplaçant en groupe.

Quelles ont été les interactions les plus complexes entre les scènes en prises de vues réelles et les images 3D ?

Probablement les scènes finales où l’on voit le paradis émerger et arriver dans les paysages de l’au-delà. Il fallait que nous obtenions un mélange très subtil de ces deux environnements. Nous avons fait beaucoup de recherches avant d’arriver à rendre l’effet que nous avions en tête. Mais pour répondre de manière plus générale à votre question, à chaque fois qu’il fallait intégrer un personnage humain à un décor fantastique, cela demandait toujours beaucoup de travail. Il fallait procéder à beaucoup d’ajustements pour obtenir un résultat qui soit pleinement satisfaisant.

Avez-vous apprécié de pouvoir être impliqué dans ce projet dès sa conception, plutôt que de n’être consulté que juste avant le tournage ?

Oui. C’est bien mieux de travailler avec le réalisateur dès la préparation du film. On comprend parfaitement sa démarche, son cheminement artistique, et l’on est ainsi plus en phase avec lui par la suite, pendant le tournage, quand les choses que l’on avait prévues sur le papier sont confrontés à la réalité, et aux situations qui surgissent en travaillant avec les comédiens. Les scènes changent, le montage est modifié, de nouvelles idées surgissent… En connaissant le projet depuis le début, on est à même de s’adapter et de comprendre les motivations du réalisateur, et ses souhaits. De ce fait, les idées que l’on présente sont plus précises et mieux adaptées, et cela fait gagner un temps fou. Dans un film comme The Lovely Bones, il y a des trous énormes jusqu’au moment où l’on place les effets visuels. Il est difficile d’assembler un premier montage, et de juger ce que donne une première continuité sans ces séquences truquées. Il est donc très important de permettre au réalisateur de disposer au plus vite d’effets provisoires qu’il pourra insérer dans son pré - montage, afin qu’il puisse juger comment ces scènes s’intègrent à son récit. Il faut que les séquences  truquées soient en harmonie avec ce qui précède, et à l’inverse, que les prises de vues réelles se fondent bien dans les parties du film que nous créons.

Vous avez disposé de délais de préproduction assez confortables sur ce film. Est-ce que cela a changé un peu votre manière de travailler ?

Non, pas vraiment. Nous n’avons pas considéré que le temps qui nous était imparti allait nous permettre de nous relaxer, ni que ce travail allait être facile. Nous avons toujours le réflexe de régler un maximum de choses en amont parce que nous savons que les derniers mois de la post-production d’un film sont toujours horriblement chargés. Plus vous vous avancez au départ, mieux vous vous portez à la fin ! Ce que nous avions à faire était tellement particulier que nous nous sommes focalisés sur ce projet dès le premier jour.

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