Logorama : Entretien exclusif avec les réalisateurs Ludovic Houplain et Hervé de Crécy – Seconde partie : le making of
Article 100% SFX du Mardi 27 Avril 2010

Retrouvez la première partie de cet entretien, ainsi que le court-métrage


Une course poursuite effrénée, des animaux sauvages lâchés dans la ville, une prise d’otage qui tourne au drame… Conçu par les artistes du collectif français H5, Logorama est un court-métrage atypique de 17 minutes. Après avoir été présenté au Festival de Cannes 2009, Logorama a fait le buzz sur le net avant de conquérir les Oscars... Arrêtons nous maintenant sur le processus de création de cet incroyable court-métrage

Propos recueillis par Pierre-Eric Salard

Comment vous êtes-vous partagés le travail entre trois réalisateurs ?

Hervé de Crécy : Nous avons tous les trois été investis à chaque étape du processus ; il serait difficile de dire quel est le rôle exact que nous avions dans le processus. Nous avons tous écrit, dessiné, fait de la direction artistique, et réalisé. Évidemment, chacun d'entre nous a été plus ou moins investi dans certaines parties. Ludovic et moi avons beaucoup travaillé l'écriture et le storyboard, François a principalement géré l'animatique 2D, il a énormément pris en charge la partie dialogues / musique / voix aux Etats-Unis, nous avons tous travaillé sur le montage... J'ai aussi mis les mains dans l'animation pour certains personnages d'arrière-plans... La somme de travail ayant été insondable, il y en a eu pour tout le monde, à tous les niveaux... Le processus a été extrêmement long. Logorama est un film atypique, car pour un court-métrage il représente un investissement en temps et en argent considérable. Nous ne pouvions nous consacrer entièrement au film, car sur la durée, nous devions tout simplement gagner notre vie à côté - et en même temps réinjecter de l'argent dans le film !

Ludovic Houplain : L'implication de chacun n'a pas eu la même importance au même moment. Sur huit ans de production, c'est normal. Il faudrait énumérer toute les phases de travail, et les dater à partir d'une chronologie :

2001 : Proposition d'un clip pour Télépopmusic utilisant uniquement des logotypes. Avec une confrontation entre les soviétiques et les américains. Projet refusé par le groupe.

2002 : Proposition de clip pour le Tone. Toujours sur le même principe de logotype. Projet Annulé. Recherches en parallèle avec l'illustrateur Cyril Houplain (M, le Soldat Rose…), avec des logotypes allant des années 20 à 60. Le constat a été que nous ne pouvions pas travailler avec des logotypes anciens : c'était intéressant graphiquement, mais également trop abstrait. A la fin de l'année, après avoir remporté le MTV Award Best European Video avec Royksopp, on nous a proposé le clip de Georges Harrison. Avec Hervé de Crécy, nous avons alors proposé l'idée de ce cyclone dévastant la Louisiane.

2003 : Voyage aux USA, et à Los Angeles. C'est à ce moment là que je me suis dit que si nous voulions faire ce film, nous devrions en faire un court-métrage, et que nous devrions le produire en partie. C'est à partir de là que j'ai commencer à dessiner et écrire l'histoire, rejoint par Hervé.

2004-2005 : Plusieurs périodes de montages avec Sam Danesi (notre monteur attitré depuis quelques années) et Cédric Hervet. C'est à cette époque que le film s'est étendu d'une durée prévue de 2 minutes jusqu'à 17 minutes au final. La production s'est enrichie de Addict Films, notre producteur publicitaire, qui a financé une partie du film, de Autour de Minuit, qui a trouvé des partenaires étatiques (Arcadi, CNC,…). Et un partenaire pour la Post-production  en la personne de Maurice Prost pour Mikros Images Mikros Images, avec qui nous faisons toute la post-production de nos films publicitaires). A l'époque, par contre, nous avions eu un refus de la part de Canal+, trouvant le projet trop risqué juridiquement.

Hervé de Crécy : Disons, pour résumer, qu'il y a eu des étapes successives à travers lesquelles le film s'est véritablement construit. A commencer par la recherche d'un producteur et de financements. Pour lancer réellement le projet, nous avions besoin d'un producteur. Nicolas Schmerkin, de Autour de Minuit, nous avait contacté à la suite de diverses projections de nos films, notamment dans le cadre du festival Nemo. Lorsque nous lui avons parlé de Logorama, il a été intéressé et a commencé à chercher des financements publics. Il a réussi à en obtenir plus qu'espéré, et notamment des aides du CNC (Centre National de la Cinématographie), de L'Arcadi, de la Scam... Nous avons ensuite obtenu des participations de sociétés privées, comme la société de production publicitaire Addict (Stéphane Kooshmanian), et un apport énorme de Mikros Image (Maurice Prost). Mikros nous a appuyé tout au long du projet en nous fournissant son savoir-faire, ses animateurs et ses machines dans leurs locaux de Levallois-Perret. Ils ont pris en charge toute l'animation et ont mis à disposition toutes leurs équipements (salles de montage, d'étalonnage, etc.). Nous avons ensuite obtenu une participation de Canal +, qui nous a aidé à terminer le film et à gérer la version française. Aux Etats-Unis, nous avons reçu un soutien sans failles de la société Little Minx (Rhea Scott), qui nous a permis d'organiser toute la production du son, de la musique et des acteurs (parmi lesquels David Fincher!) à Los Angeles. En tant qu'auteurs, nous trois avons également financé une partie du film, par le biais de la société H5 - qui conservait nos droits d'auteur gagnés sur d'autres travaux pour les réinjecter dans la production.

Ludovic Houplain : En 2006, l'ensemble des partenaires étant en place, la production du film a vraiment pu débuter. A ce moment là, François Alaux est arrivé sur le projet. Il y a d'abord eu une période de quasiment un an de recherche de logotypes, tout d'abord chez H5, et ensuite chez Mikros Images. Il a fallu répertorier, trier les logotypes par rubriques (Végétaux, objets usuels, personnages, décors…). Une fois cette sélection effectuée, nous avons commencé à faire d'un côté des planches de décors de références en coupe, puis soit en croquis 3D, soit en simulation illustrator. C'est à cette période que Quentin Brachet, de chez H5 nous a rejoint pour travailler sur les décors et la direction artistique.

Pré-production

Hervé de Crécy : Avant de lancer la production de l'animation chez Mikros Image, nous avons travaillé pendant plus d'un an sur des recherches en tous genres. "Casting" de logos, recherches de références cinématographiques, storyboards, animatiques... Cette étape de pré-production a impliqué déjà de nombreuses personnes, comme Cedric Hervet qui a pris en charge l'animatic 2D sur After Effects avec François Alaux. Nous avons aussi travaillé avec Quentin Brachet - tout au long de la production - sur la mise en place des décors et l'interprétation de tous les personnages du film. C'est à cette époque que Sandrine Demonte a commencé à travailler sur le projet. Au départ chargée de suivre la post-production du film à la suite de Charlotte Camille, elle a été impliquée à tellement de niveaux dans la fabrication du film qu'elle est devenue productrice déléguée. Elle a principalement géré le projet chez Mikros Image, qui a fait toute l'animation du film.

Ludovic Houplain : Toute la supervision du film a été faite par Sandrine Demonte (et on peut l'en remercier, car sans elle, je pense que ce film n'aurait pas vu le jour). A cette époque, nous avons géré le film aléatoirement, suivant les disponibilités de chacun, en fonction des films publicitaires que nous avions en même temps. Parfois c'était François et Hervé, parfois François et moi. C'était vraiment variable, et c'est pour cela qu'il y a tant de dessins différents. Chacun a apposé sa patte sur le projet. Parallèlement, nous avons demandé à un premier dialoguiste, Paul Hahn (manager de Daft Punk), qui était américain, de travailler avec nous sur les dialogues du film. N'étant pas culturellement habitués à l'argot américain, il nous fallait un américain. Nous lui avons fait une liste descriptive de nos intentions, en terme de direction d'acteurs et de sens par rapport aux scènes. Il était essentiel d'avoir des dialogues crus pour contraster avec l'image, qui était très acidulée et publicitaire. Il fallait créer du contraste, et une sorte de violence...

Comment s'est déroulée la collaboration avec Mikros Image ?

Ludovic Houplain : En fait, cela faisait six ans que nous travaillions avec Mikros. Et nous avons partagé notre temps entre Logorama et les projets de clip ou de publicité. Nous passions tellement de temps sur place que nous avions d'ailleurs une pièce H5 chez Mikros ! Il y avait une réelle symbiose dans l'élaboration de nos projets. En fait, la personne indispensable pour faire le lien entre Mikros Images et H5 était Sandrine Demonte (Addict). C'est elle qui nous a « fouetté » pour avancer, nous a bousculé, a tenu l'emploi du temps… Pour des réalisateurs dispersés comme nous, elle était indispensable !

Les années 2007 et 2008 furent une période très dense. Après une première animatique, faites par Mikros, il a falli commencer à répertorier les scènes où nous avions besoin de faire des références de rotoscopie. D'un côté, il y a eu les scènes issues de films, où nous avons directement rotoscopé de véritables acteurs (par exemple la scène de l'hélicoptère de "Black Hawk Down"). Nous nous sommes également filmés, nous les trois réalisateurs, ainsi que Quentin Brachet... et même mon fils Anatole (les jours où il n'avait pas classe !) pour jouer les rôles des enfants (Big Boy, Haribo). Car il est impossible de rotoscoper un adulte comme référence pour jouer des enfants. En fait, depuis le clip de The Child et de Playgroup, je savais que la rotoscopie était la technique idéale pour ce genre de film. C'est relativement réaliste, tout en évitant les travers de la motion-capture (coût, poids des objets…).

Hervé de Crécy : Pour la production de l'animation chez Mikros, nous avions une équipe très complète et extrêmement douée, qui s'étoffait jour après jour. Sous la direction de Mickaël Nauzin, l'animation s'est faite sur une durée de plus de deux ans, impliquant un nombre d'infographistes de plus en plus élevé. Le processus d'animation s'est fait en plusieurs étapes:

- Un premier layout 3D a été faite sur la base de l'animatique 2D ;
- Après nos passes (multiples) de corrections, nous avons compilé des références pour l'animation des personnages et des caméras. C'étaient soit des extraits de vrais blockbusters hollywoodiens, soit des films que nous avions tournés nous-mêmes. Nous nous mettions en scènes, en jouant Mr Pringle ou Ronald McDonald, pour qu'ensuite les animateurs aient de vraies références de mouvement correspondant précisément à nos scènes ;
- Avec toutes ces séquences, nous avons monté le film avec Samuel Danesi.

Ensuite, c'est toute la magie du travail des animateurs que de donner vie à des logos imprimés. Bien sûr le travail de rendu a été long et fastidieux, car il fallait que chaque logotype conserve son aspect imprimé tout en évoluant dans un univers en 3D. Des techniques particulières de gestion des contours ont d'ailleurs été développées chez Mikros - entre autres, car ils ont même développé des outils de simulation de trafic autoroutier pour toutes les scènes aériennes !).

Ludovic Houplain : En fait, on peut décomposer le processus de création d'un plan :

1.  A partir du montage, faire un animatic ;
2.  A partir de l'animatic, définir les logotypes par plan, et faire des planches de décors ;
3.  Filmer pour la rotoscopie des références, en plus des références de Blockbuster, se trouvant déjà dans le montage ;
4.  Modéliser les décors, et les logotypes en 3D ;
5.  Placer les caméras en fonction de l'animatic, et voir si l'on peut mieux faire ;
6.  Remontage ;
7.  Animation des personnages, véhicules ;
8.  Rendering ;
9.  Retake Rendering ;
10.Etalonnage ;
11.Son et sound design. 

Post-production

Hervé de Crécy : Une partie du film que nous ne pouvions pas négliger, c'était le son. Le film se passe à Los Angeles, il fallait que le son évoque la ville autant que l'image. Et nous ne voulions surtout pas de dialogues qui sonnent faux pour des spectateurs américains. C'est là que nous avons été grandement aidés par notre productrice à Los Angeles, Rhea Scott (Little Minx), qui nous a permis de mettre en place toute la production de la musique (composée par Human Worldwide), l'écriture des dialogues (originellement de Paul Hahn, repris par Greg Pruss) et l'enregistrement des voix (notamment celles de David Fincher, Joel Mickaely, Matt Winston, Bob Stevenson, Andrew Kevin Walker, Aja Evans), et notamment grâce à l'aide de notre agent Elia Infascelli. Et pour les musiques contextuelles du film - celles utilisée au début (Dean Martin) et à la fin (the Ink Spots), nous avons bénéficié des conseils judicieux de Bryan Ray Turcotte.

Ludovic Houplain : A partir de l'été 2008, il y a eu une partie son, à laquelle ni Hervé, ni moi n'avons participé (pour cause de naissances). François Alaux et Quentin Brachet sont partis aux USA enregistrer les voix à Los Angeles. Un travail qu'ils ont effectué avec un réel talent (avec des guests stars comme David Fincher !). Pendant ce temps, la production du film continuait à Paris chez Mikros, et nous commencions à voir les rendering du film, sur les plans ou il n'y avait pas de personnage (scène aérienne, zoo, plans larges). En effet, nous devions attendre d'avoir l'enregistrement des voix (et les références filmées). En janvier 2009, nous sommes allés tous les trois à Los Angeles afin de travailler chez Human Worldwide, pour faire la bande son du film. Ensuite, François est resté deux semaines de plus pour achever la synchronisation du son. Pendant ce temps, à Paris, nous achevions les détails de chaque plan, le "fine tuning". Nous tirions une image fixe de chaque plan, pour reprendre les rendus, rajouter les logos qui manquaient, finir et nettoyer les tracés de contour, sur after effect, en 2D. Un vrai travail de finition ! Hervé de Crécy était beaucoup concentré sur les tracés 2D, alors que moi, je travaillais sur la composition finale des plans (pour voir s'ils étaient assez bien composés au cadre). Ce qui est dommage, c'est que certains plans de fin ont été sacrifiés, et sont ainsi un peu vide par rapport à ce qu'ils auraient dû être. Mais le timing pour fournir les copies à Cannes était très précis. Une fois le film terminé, nous avons présenté à nouveau le film à Canal+, via l'entremise de Ara Aprikian, le directeur des programmes, pour qui nous venions de faire l'habillage de l'émission + Clair. Cela a débloqué la situation, et nous a permis de finir la partie son du film, et plus particulièrement la version française. 

Hervé de Crécy : Bref, énormément de personnes ont travaillé sur ce film, j'en oublie certainement, mais je tiens ici à tous les remercier profondément de cet investissement sans faille, ensemble ils ont tous rendu ce film possible...

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