Exclusif : Entretien avec Louis Leterrier, le réalisateur du CHOC DES TITANS - Troisième partie
Article Cinéma du Jeudi 13 Mai 2010

Retrouvez la précédente partie de cet entretien


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Ce projet bénéficie d’un budget nettement plus important que ceux dont vous aviez disposé sur LE TRANSPORTEUR  et DANNY THE DOG. Est-ce que cela a eu une influence sur votre façon de travailler ?

Oui. Je travaille dans des conditions plus confortables. Vous savez, c’est amusant, parce que si vous avez été sevré de bombons quand vous étiez enfant, le jour où l’on va enfin vous en offrir, vous allez vous en empiffrer et prendre du poids. C’est un peu ce que je vis en ce moment : je n’avais pas les moyens d’utiliser des grues pour tourner mes films précédents. Comme sur celui-là, je peux le faire, j’en utilise donc presque tout le temps ! Même sur un plan d’insert ! (rires) Le premier TRANSPORTEUR  a été réalisé avec un budget de 15 millions de dollars. Tourner LE CHOC DES TITANS me permet de bénéficier d’un budget dix fois plus important, mais la pression est dix fois plus intense. Donc si vous comparez le stress que vous éprouvez quand vous devez vous débrouiller sans le matériel nécessaire pour tourner les plans que vous aviez en tête, à la situation de pression extrême et de confort technique que vous vivez quotidiennement sur un grand film, au bout du compte, cela revient à peu près au même. Sur LE CHOC DES TITANS, je dois dire que je me régale, car chaque jour, je me dis « Wow, c’était vraiment un plan très chouette ! » ou « Je tourne avec Ralph Fiennes et Liam Neeson ! » (rires). Donc je ne me plains pas, loin de là. Et le reste du casting est formidable aussi. Il y a deux choses auxquelles j’ai consacré énormément de temps sur ce film : écrire le script et assembler le casting. Après ce que j’avais fait sur L’INCROYABLE HULK, c’était important pour moi de me concentrer sur cela : un super scénario, et une distribution fantastique. Après, mon travail devient plus facile, et celui du reste de l’équipe aussi. J’aurais pu recourir à de grands mouvements de caméra pour donner de l’ampleur à la confrontation entre Zeus et Hadès que vous venez de voir, mais quand on a la chance de filmer deux des plus grands acteurs du monde sur son plateau, ce n’est pas nécessaire. Il m’a suffi de les cadrer en plans serrés, avec une caméra tenue à la main, parce qu’ils sont extraordinaires, et qu’ils vous captivent dès qu’ils jouent.

Le film raconte une aventure épique, mais la longueur du film sera t’elle épique, elle aussi ?

 (rires) Je n’en sais rien pour l’instant ! Mon but est d’arriver à une durée de 1h45 environ. Personnellement, quand je vais voir un film, j’ai souvent tendance à m’ennuyer au-delà de 1h45. Je commence à avoir des fourmis dans les jambes, et à avoir envie de bouger. Je dois dire aussi que comme je mesure 1m93,  je suis trop grand pour être installé confortablement dans un fauteuil de cinéma. Cela joue donc un peu sur ma perception des choses ! (rires) Mais quoi qu’il en soit, je préfère que les spectateurs aient le sentiment qu’ils auraient voulu en voir un peu plus quand ils sortent de la salle, et qu’ils aient envie de le revoir le film, plutôt que de leur présenter un montage de 2h30 et de risquer qu’ils ne se disent « Pff, ce CHOC DES TITANS, c’était vraiment trop long ! »

Vous aviez coupé beaucoup de scènes de L’INCROYABLE HULK…

Oui. Elles sont d’ailleurs toutes présentées dans les bonus du DVD. Mais vous savez, cela fait partie du processus normal de création d’un film. C’était pareil pour LE TRANSPORTEUR. En raison de la crise économique actuelle, qui impacte forcément LE CHOC DES TITANS, nous avons veillé à ne tourner que des scènes dont nous avions vraiment besoin, et que nous étions sûrs de conserver au montage. Chaque scène filmée était passée auparavant au travers du processus des multiples réécritures du script. Nous savions donc qu’elles étaient toutes absolument  indispensables. La plupart des scènes coupées que vous retrouvez dans les bonus des DVDs y sont pour une bonne raison : elles n’étaient pas vraiment utiles, et compromettaient la bonne fluidité du film.

Comment avez-vous conçu les créatures du film ? Quelle est la touche personnelle que vous avez apportée dans ces séquences ?

Je les ai filmée de la même manière que je filme les autres scènes : la caméra est toujours en mouvement, elle réagit sur le vif, quitte à ce que les déplacements soient brutaux. Je n’ai pas conçu les cadres en fonction de la position des créatures, pour mettre en valeur les effets visuels. J’ai tourné comme si je me retrouvais au cœur de l’action, et que j’assistais de manière imprévue au combat entre nos héros et les créatures, en essayant de capter ce qui se passe. Je voulais que les spectateurs se retrouvent dans la bataille, et non pas qu’ils y assistent de l’extérieur. Quand les humains combattent les scorpions géants, on ne les voit pas en plan très large, ce qui aurait permis de cadrer entièrement les scorpions. Je préfère rester avec les personnages, et ne montrer que ce qui est dans leur champ de vision. Quitte à ne cadrer que l’extrémité de la queue de l’animal qui se lève, et son dard qui s’abat ensuite sur le sol. C’est bien mieux de se retrouver au milieu du combat. Je crois qu’une fois que l’on a établi son style de tournage, il ne faut pas en changer dans les scènes d’effets visuels. Certains grands réalisateurs peuvent changer de style de mise en scène lorsqu’ils ont une dizaine de films à leur actif. Moi, tout ce que je peux revendiquer, c’est d’avoir fait L’INCROYABLE HULK, donc, je m’en tiens à ce que je sais rendre efficace, et à la manière de filmer que j’apprécie quand je vais voir un film au cinéma. J’essaie aussi de tourner des plans assez longs, parce que je n’aime pas les films ultra découpés, avec un plan toutes les demi secondes.

Le combat contre Medusa était le clou du premier film…

Oui, en effet !

…il va donc falloir que vous alliez plus loin dans cette nouvelle version…

Il va déjà falloir que nous nous hissions à ce niveau, ce qui n’est pas évident ! (rires)

Comment avez-vous conçu cette scène ?

En fait, c’est la première séquence que nous avons tournée, quand Sam Worthington est arrivé. Nous l’avons filmée pendant une semaine. C’était effectivement la meilleure scène du film original. Elle était pleine de suspense, très mystérieuse, très dramatique. J’ai tenté de faire de même et de rendre hommage à la manière dont Ray Harryhausen l’avait conçue : moins vous en voyez, mieux cela marche. Dans notre film, vous ne voyez pas Medusa souvent, mais quand vous la voyez, vous n’êtes pas déçu : elle a un aspect différent, très excitant, et elle bouge plus vite que la gorgone de 1981. C’est l’une des possibilité que nous offrait la 3D d’aujourd’hui : l’animer de manière plus dynamique, et la faire évoluer sur plusieurs niveaux de son repaire, dans ce décor du temple qui était énorme, très impressionnant. En arrivant sur le plateau, tout le monde comprenait instantanément quel genre de film nous étions en train de tourner : le décor de temple était incliné, on pouvait y évoluer sur plusieurs étages, il y avait des flammes, des nuages de vapeur. C’était étonnant à voir. En l’observant, plusieurs des membres de l’équipe m’ont dit « L’été va être long ! » Ils savaient tout de suite que les combats du film allaient être complexes à filmer, mais très spectaculaires à l’image.

Cela signifie que vous allez utiliser cette inclinaison du décor pour que Medusa s’agrippe aux parois et aux colonnes et se déplace dans tous les sens ?

Oui, absolument. Vous connaissez les dessins de M.C. Escher ? Ces décors conçus comme des illusions d’optique, dans lesquels le haut et le bas d’un immeuble se mêlent, et où l’œil se perd ? Eh bien toute la scène est conçue comme cela. Le bas devient le haut et vice-versa. Pour Medusa, se déplacer ainsi est facile, mais pour les humains qui l’affrontent, ou qui tentent de fuir son regard, c’est compliqué et dangereux.

Allez-vous animer Medusa en ayant recours à la capture de mouvements ?

Oui, car c’est Natalia Vodionova, qui est une actrice et top modèle russe aux grands yeux, et au regard d’enfant, qui lui prête son visage. Même si vous ne connaissez pas son nom, vous connaissez son image, car elle est très célèbre. Son regard me faisait penser aussi aux yeux de certains serpents. Du coup, nous avons décidé d’utiliser la performance capture, pour animer une reconstitution 3D de son visage. Nous n’avons enregistré que ses expressions. Les mouvements du corps de la gorgone, eux, seront animés en « key frame », par des animateurs, tout simplement parce qu’aucun humain ne pourrait faire les mouvements que fait Medusa. Au début, nous avons envisagé puis étudié différentes idées pour trouver un moyen de la faire évoluer réellement sur le plateau, avec des supports, des plateformes mobiles, etc, mais c’était tellement compliqué que nous avons dû y renoncer. En fin de compte, cela n’aurait pas été réaliste. On aurait senti que c’était une actrice que l’on déplaçait dans un décor grâce à une machinerie, mais qui ne bougeait pas par ses propres moyens. Réaliser une capture de performance et fusionner le visage de Natalia avec le modèle 3D de Medusa était la seule approche viable, efficace et qui permettait d’obtenir un rendu hyperréaliste.

Stressez-vous un peu quand vous songez à l’ampleur des travaux de post-production que vous allez devoir superviser, une fois que le tournage sera terminé ?

Oui et non, parce que je tourne le film tout en travaillant déjà sur la post-production ! En réalité, je ne suis pas stressé : je suis épuisé parce que je fais les deux choses en même temps ! (rires) Le film va sortir le 26 mars 2010 (Cet entretien a été réalisé en juin 2009, NDLR, avant que la date de sortie ne soit décalée au 7 avril.). Compte tenu des délais assez courts que nous avions pour faire le film, la post-production a été intégrée à la préparation, puis au tournage. Pour ne rien vous cacher, la semaine dernière encore, j’écrivais le script pendant la nuit, je tournais le film pendant la journée et je travaillais sur le montage le soir. C’était un rythme assez intense, mais ça me va très bien. Je pourrais être paresseux et dire « Non non, on fera tout ça plus tard. » Mais si je travaillais comme cela, la qualité des effets visuels et de l’ensemble de la production en souffrirait. Ça ne va durer que pendant six mois de ma vie, donc je m’en remettrai !

Les progrès techniques vont certainement vous permettre de rendre Pégase plus spectaculaire et fantastique qu’il ne l’était dans le film original…

Nous allons effectivement bénéficier de ces avancées, mais aussi d’un coup de pouce de la nature, car nous avons trouvé un cheval vraiment extraordinaire pour incarner Pégase. C’est un Frison à la robe noire (Les Frisons sont des chevaux originaires des Pays Bas, NDLR), qui a beaucoup de noblesse, de fierté et d’élégance. Il est magnifique. Comme nous n’avons pas encore commencé à tourner les scènes avec Pégase, je vais avoir du mal à vous en dire davantage, mais en tous cas, nous avons soigné aussi le casting de ce rôle-là ! (rires) Ce cheval a une personnalité exceptionnelle.

Sam Worthington nous disait qu’il avait déjà beaucoup souffert en tournant sur une plateforme mécanique les scènes destinées à être truquées, et au cours desquelles il chevauche Pégase…

 (Rires) Oui, je crois que Sam et les animaux ne font pas forcément bon ménage ! (Rires) Pendant que nous préparions la scène du combat contre les scorpions géants, je me souviens qu’il me disait « Si moi, Sam Worthington, j’étais attaqué par un scorpion géant, je lui donnerais des coups de poings ! » (rires)  Ce à quoi je répondais «  Bien sûr, Sam, faisons comme ça dans le film ! Excellente idée ! » (rires)

Qu’est-ce qui vous a convaincu que Sam était l’acteur idéal pour incarner Persée ?

Le fait de le rencontrer. Je ne le connaissais pas avant. Quelqu’un m’avait recommandé de voir SOMERSAULT  à cause de Sam. Il avait été très bon pendant le casting, mais à ce moment-là, il n’était encore qu’une option parmi d’autres. Mais tout à changé quand je l’ai rencontré. Je lui ai immédiatement dit que je le trouvais très intéressant. J’ai senti en lui les qualités idéales pour tenir le rôle principal. Dans notre version, Persée est un peu comme Mad Max, il se lance dans une aventure épique pour se venger. J’ai tout de suite dit à Sam « Tu es Mad Max ! » (rires) Nous aurions pu créer le rôle autour d’un acteur avec une personnalité complètement différente,  mais quand vous vous trouvez en face que quelqu’un qui est déjà un héros dans la vraie vie, vous savez que vous avez trouvé ce que vous cherchiez. Dans la vie de tous les jours, Sam est déjà comme ça : il a du charisme, de l’humour, de l’énergie à revendre. On sent qu’il est courageux. Instinctivement, les gens ont envie d’être amis avec lui et de le suivre. Cela rendait d’ailleurs ma tâche bien plus aisée, car tous les autres acteurs ont vite sympathisé avec lui. C’est très agréable de tourner avec Sam. Il est toujours prêt à faire ce que vous lui demandez de faire, toujours partant pour tenter une nouvelle approche d’une scène. Il est encore assez jeune et assez frais pour être prêt à prendre des risques. Il n’a pas peur de tourner des choses qui pourraient détonner avec son image de marque, comme certaines stars. Même si ce que l’on veut faire est très audacieux, il est le premier à dire « Allons-y ! Faisons-le ! »

Quelle est la cible que vous voulez atteindre avec ce film ?

Vous, moi, les enfants, les ados, les personnes âgées, tout le monde ! C’est un film d’aventures mythologiques traité sérieusement, mais qui sera très divertissant. Il y aura de l’émotion, des sentiments que nous éprouvons tous. J’essaie toujours de penser au public féminin. Vous nous trouverez pas dans le film des clichés misogynes autour de la princesse Andromeda, par exemple. J’aime que les personnages de femmes de mes films puissent intéresser les spectatrices. Je pense aussi au professeur qui s’adresse à une classe d’élèves de 7 ou 8 ans et leur dit « Aujourd’hui, nous allons étudier la mythologie grecque. Je sais que cela peut vous paraître ennuyeux, mais nous allons regarder ce DVD du CHOC DES TITANS que j’ai téléchargé gratuitement sur internet ! » (rires) Non, je plaisante ! J’espère bien que ce sera l’occasion d’une sortie au cinéma ! Mais sérieusement, je crois qu’un film comme le nôtre peut aussi avoir une vertu pédagogique et présenter la mythologie de manière dynamique et passionnante aux enfants. C’est ainsi que je me suis intéressé à ces histoires, grâce au CHOC DES TITANS original, et à JASON ET LES ARGONAUTES. Les enfants d’aujourd’hui, parce qu’ils s’intéressent à TRANSFORMERS et à ce genre de films saturés d’effets visuels 3D, risquent de s’ennuyer s’ils voient LE CHOC DES TITANS original, dans lequel il y avait quelques problèmes de rythme. Mais j’espère qu’ils seront intéressés par notre version, et qu’ils aimeront les surprises que nous leur réservons…

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