[Flashback] Irvin Kershner : De L'Empire contre-attaque à RoboCop 2, de la suite dans les idées
Article Cinéma du Jeudi 20 Mai 2021

Si sa filmographie complète est peu connue, ce cinéaste américain, né à Philadelphie, possède à son actif trois suites réussies de grands succès commerciaux. Unique réalisateur à avoir tourné un volet de la franchise James Bond et un épisode de Star Wars (L'Empire contre-attaque, qui fête aujourd'hui son 41ème anniversaire), Irvin Kershner restera surtout dans l'Histoire du cinéma comme étant l'auteur du space opéra le plus enthousiasmant...

Par Pierre-Eric Salard

Né à Phildelphie en 1923, Irvin Kershner – « Kersh » pour les intimes - aura ainsi 56 ans lorsqu'il filme le cinquième épisode de la franchise de George Lucas. Autant dire que sa carrière n'en était pas à ses débuts ! Dès sa prime jeunesse, le futur réalisateur s'avère très attiré par les arts. Il apprend ainsi à composer de la musique et à jouer du violon durant son enfance. Après s'être engagé dans les forces alliées lors de la Second Guerre Mondiale (il sera mécanicien sur les bombardiers B-24), il rejoint la Tyler School of Fine Arts de Philadelphie. Il étudie ensuite la peinture à New York auprès du peintre allemand Hans Hofmann. Celui-ci est à l'origine d'une théorie empirique inspirée par l'impressionnisme et le cubisme, le « Push & Pull », selon laquelle les couleurs s'attirent et se repoussent. Quand on vous disait qu'Irvin Kershner est sensible à toutes les formes d'art... A 25 ans, il déménage à Los Angeles pour étudier le design et la photographie au Art Center of Design et à l'UCLA. Il rejoint ensuite les rangs de l'école de cinéma de l'Université de Californie, l'USC. L'ensemble de ces formations auront un impact indéniable sur ses œuvres cinématographiques à venir...

Alors qu'il suit encore les cours de l'USC, on lui propose un poste de photographe qui l'emmènera en Iran. De fil en aiguille, il se retrouve à réaliser en 1950 des documentaires sur le Moyen Orient puis l'Europe pour le gouvernement américain. A l'aube de ses trente ans, Irvin Kershner supervise une série de documentaires, intitulée Confidential File, où il recrée des faits divers pour les journaux télévisés. En 1958, le légendaire producteur Roger Corman lui offre la possibilité de réaliser son premier film, Stakeout on Dope Street, un drame dont le scénario est écrit par Andrew J. Fenady (Détective comme Bogart). Son talent pour la mise en scène se fait remarquer, et on lui propose coup sur coup deux autres films tournant autant d'horribles crimes : The Young Captives (1959) et Le mal de vivre (1961). Il se voit ensuite confier la réalisation d'un certain nombre d'épisodes pour des séries télévisées – inconnues en France – comme The Rebel et Naked City. Durant les années 1960, il réalise plusieurs films indépendants, dont Face in the Rain (1963), The Luck of Ginger Coffey (avec Robert Shaw dans le rôle principal), et surtout L'homme à la tête fêlée (1966), une comédie mettant en scène un Sean Connery au sommet de sa gloire. Alors qu'il occupe régulièrement un poste de professeur à l'USC, Irvin Kershner aborde les années 1970 avec une certaine renommée au sein de l'industrie cinématographique. En 1970, le drame romantique Loving rencontre un (relatif) succès, ce qui lui ouvre enfin les portes des studios d'Hollywood. Malheureusement, ses deux films suivants, Up the Sandbox (1972) et Les 'S' Pions (1974), ne fonctionnent pas aussi bien auprès des critiques et du public. Il réalise alors une suite à un film historique, La revanche d'un homme nommé cheval (1976). Un certain George Lucas admet que ce second volet est meilleur que le film original... Irvin Kershner renoue avec le succès grâce au téléfilm Raid sur Entebbe (1977), qui bénéficiera d'une sortie en salles en France avant de recevoir le Golden Globe du Meilleur téléfilm ! Le réalisateur sera également nommé pour un Emmy Awards... Son film suivant, le thriller psychologique Les yeux de Laura Mars, dispose d'un joli casting, dont Faye Dunaway, Tommy Lee Jones, Brad Dourif ou encore Raul Julia !



« J'aime mes premiers films », confie le réalisateur. « Je ne les renie pas. Mais ces œuvres reflétaient les illusions de ma jeunesse. Maintenant, je veux aborder la puissance des émotions et des rêves. Je souhaite faire des films qui continueront à hanter les spectateurs après leur sortie des salles, quelque chose dont ils pourront discuter. Non pour des images spectaculaires dignes des films catastrophes, mais pour les thèmes qui y sont abordées... C'est pour ces raisons que mes réalisateurs fétiches sont Akira Kurasawa et David Lean. J'aime comment ce dernier utilise les décors, ainsi que sa manière de raconter des histoires. Et en ce qui concerne Kurosawa, je reste pantois devant l'imagerie de ses films. L'humanité de ces cinéastes s'infiltre dans leurs œuvres. C'est peut-être à cause d'eux que mes films abordent souvent l'aliénation sociale et les faiblesses de l'Homme... » Le succès d'estime rencontré par Les yeux de Laura Mars, une production du studio Columbia, incite George Lucas à proposer le poste de réalisateur du second volet de sa saga Star Wars à Irvin Kershner, qui fut l'un de ses anciens professeurs à l'école de cinéma de l'USC...

Au service de l'Empire

Mais dans un premier temps, le cinéaste refuse l'offre. « Un Nouvel Espoir a rencontré un succès trop important pour que je puisse réaliser une suite qui soit à la hauteur », estimait-il. « J'ai demandé à George pourquoi il n'a pas choisi un jeune cinéaste à la mode. Je me souviens qu'il m'a répondu : « le second acte est le plus important d'une tragédie, il doit être le meilleur. Or tu sais comment développer les personnages. Avec ton expérience, tu peux faire un bien meilleur film que moi : tu sais tout ce qu'un réalisateur d'Hollywood est supposé savoir, mais tu n'es pas un réalisateur hollywoodien ». J'ai apprécié cette réponse, mais j'ai dit non (rires) ! Je ne voulais pas qu'on me blâme pour avoir ruiné la saga !  » Mais sous la pression de son agent et de George Lucas, Irvin Kershner change d'avis. « J'ai simplement exigé que George me laisse les mains libres. Il a accepté, et n'est d'ailleurs venu que deux ou trois fois nous rendre visite sur le tournage ! Il est à mon sens un excellent producteur, qui respecte profondément ses collaborateurs... George est un cinéaste qui possède une vision. C'est un trait que j'ai rarement vu chez les réalisateurs américains. Un artiste est principalement un observateur du monde qui m'entoure. Mais la majorité de mes collègues ne font que s'observer entre eux. Ils s'arrêtent à la surface des choses. Je ne vois pas le premier Star Wars comme un film de science-fiction. C'est un mythe, un conte de fées. Or les légendes abordent la quête de soi, la loyauté et le fait que les pères veulent détruire leurs fils. J'ai étudié ces choses, leur sens psychologique, pour les intégrer à la relation entre Luke Skywalker et Dark Vador. En fait, j'ai fait pour L'Empire contre-attaque ce que j'ai toujours fait : mettre mes personnages devant des dilemmes risqués, et utiliser tous les outils à ma disposition pour explorer leurs émotions et dramatiser leurs aventures ! Mon travail consistait à faire sorte que les spectateurs s'attachent davantage à la destinée des personnages après les aventures tumultueuses du premier volet. Il me fallait ouvrir le film avec une scène d'action spectaculaire qui servirait d'accumulateur émotionnel : ce fut la bataille de Hoth. Puis je voulais que les choses se calment ; faire monter lentement la tension jusqu'au dénouement. Le film ne se termine pas sur une spectaculaire scène d'action, mais sur un climax émotionnel ! » Si Irvin Kershner se concentre sur le contenu dramatique du film, cela ne l'empêche pas de superviser la création des effets spéciaux. Contrairement à ce qu'on laisse souvent entendre, il n'a jamais été un simple « réalisateur de commande » sur ce film. « Bien sûr, je n'aurais pas pu faire le film sans George et Industrial Light & Magic. Mais ils n'auraient pas pu faire ce film sans moi ». Son insistance pour appuyer sur l'aspect tragique de l'histoire s'est répercutée à tous les niveaux de la production. Lorsque les artistes lui ont montré les premiers dessins conceptuels de Han Solo emprisonné dans un bloc de carbonite, le contrebandier avait l'air d'hiberner. Le réalisateur propose alors que le visage de Solo reflète son désespoir, comme s'il essayait de sortir de sa prison glacée... « C'est ton film », lui avait dit George Lucas. Cette promesse fut tenu : lorsque le film dépassa son budget initial, Irvin Kershner proposa de couper plusieurs séquences. « Ne change rien », lui intima le producteur. « Continue comme si de rien n'était ! » Mais George Lucas ne put s'empêcher de mettre son grain de sel dans le processus de montage... et diminua pas inadvertance la puissance dramatique du film en accélérant son rythme ! Le réalisateur lui fit comprendre que ce film était le second mouvement de la « symphonie Star Wars », et qu'il fallait laisser les acteurs s'exprimer... « L'instinct de cinéaste de George est remarquable », tempère Kershner. « J'ai adoré les embellissements numérique de l'Édition Spéciale du film ! On y découvrait enfin les vues de la Cité des Nuages que j'imaginais en 1980... » Remarquons d'ailleurs que la structure de ce film fut la moins retouchée de toute l'Édition Spéciale la trilogie... Le réalisateur, pourtant, serait prêt à tout changer ! « Certaines portions du film vont trop vite. Maintenant, je referais l'intégralité du film d'une nouvelle manière. Entre-temps, j'ai beaucoup appris sur moi-même. Ma compréhension de l'histoire a quelque peu changé... » Ce film lui a pourtant ouvert les portes du panthéon du Septième Art... ou, tout au moins, lui a permis d'entrer dans l'Histoire !

Des regrets

Le cinéaste réalise ensuite une autre suite d'une franchise à succès. Ou presque, puisqu'il s'agit d'un James Bond non officiel, Jamais plus Jamais, à cause d'une sombre histoire de droits qui ne sera résolue qu'en 1997. La réalisation de ce remake de l'excellent Opération Tonnerre (1965) fut d'abord proposée à Peter Hunt (Au Service Secret de sa Majesté) et Richard Donner. Un Sean Connery vieillissant y retrouve pour le septième et dernière fois le rôle qui l'a propulsé sur le devant de la scène. Sorti peu après Octopussy, en 1983, Jamais plus Jamais rencontre un joli succès mais ne tient pas la comparaison avec Opération Tonnerre.

Au cours des années suivantes, Irvin Kershner tourne un épisode d'une série de Steven Spielberg, Histoires fantastiques (1986), fait ses premiers pas devant la caméra dans La dernière tentation du Christ (1988) de Martin Scorsese et réalise un téléfilm pour la chaîne HBO, Travelling Man (1989). En 1990, il se lance dans la réalisation de son ultime film, RoboCop 2. « J'avais vu deux fois le premier film », racontait-il. « Je n'ai plus voulu le voir. Je sentais que ce dont je me souvenais me suffisait. Je voulais faire un film différent, que le personnage aille émotionnellement plus loin que la première fois. Heureusement, j'avais une grande liberté - même si je ne disposais que de douze mois de production (rires) ! Le scénario ne me satisfaisant pas, j'ai pu le réécrire. En un an, j'ai fait les repérages, le casting, le storyboard, le tournage, tout en supervisant les effets spéciaux ! Or j'ai respecté le planning et le budget ! Ce fut harassant, mais pas autant que l'Empire contre-attaque (rires). Le film possède deux niveaux de lecture : l'un pour les adultes, l'autre pour les enfants. RoboCop 2 est mon meilleur film de commande ».



Irvin Kershner ne réalisera ensuite qu'un épisode de la série SeaQuest DSV, produite par Steven Spielberg, en 1993. S'il apparaît brièvement dans un film de Steven Seagal, Terrain miné, le cinéaste a pris une retraite bien méritée - non sans regrets. « Ma carrière est un désastre », déclarait-il. « Après l' Empire contre-attaque, j'ai fait deux gros films 'alimentaires'. Mais ceux-ci n'étaient pas 'mes' films. Je rêvais de réaliser un film sur le dernier grand amour de Puccini, mais je n'en ai jamais eu l'occasion. Et puis je suis devenu trop vieux ». S'il a occasionnellement participé à des rétrospectives Star Wars et à des festivals (il fut en 2007 le Président du jury du Fantastic'Arts de Gérardmer), gageons que ce trentième anniversaire de L'Empire contre-attaque lui a prouvé que sa carrière n'a laissé personne indifférent... Il s'est finalement éteint peu après, le samedi 27 novembre 2010.

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