Entretien exclusif avec Marc Missonnier, producteur de THE PRODIGIES : Du roman au film, une aventure de neuf ans – Seconde partie
Article Animation du Vendredi 20 Mai 2011

Retrouvez la première partie de ce dossier


Propos recueillis par Pascal Pinteau

Vous avez donc choisi cette option avant la grande vague des films en relief, qui est arrivée en 2008, avec Voyage au centre de la terre 3-D

Oui. Nous nous sommes lancés avant cela, sans nous douter de l’importance qu’allait prendre le relief par la suite. Je dois dire que c’est Aton, qui est à la pointe de tout ce qui se fait en matière de technologie et d’animation, qui nous a incité à aller dans ce sens. Il a participé à la création d’Attitude Studio, dans lequel nous avons commencé le film, et qui était l’un des rares studios à pouvoir proposer non seulement de la Mocap, mais aussi un rendu des images de synthèse en relief. C’est alors que nous avons engagé Viktor Antonov, un directeur artistique très respecté dans la profession, qui a fait des choses remarquables, et qui a aussi une vraie réflexion, un point de vue très cohérent sur l’utilisation du graphisme. Après avoir lu le scénario et avoir travaillé avec Antoine, Viktor a construit tout un discours sur l’approche artistique du film, qui emprunte au meilleur de la culture graphique européenne, et aussi à des peintres comme Edward Hooper. Viktor s’appuie davantage sur des références de films en prises de vues réelles que sur des longs métrages d’animation. Aux côtés de professionnels de la 3D, Viktor a fait travailler aussi des sculpteurs et des peintres qui ne sont pas les gens que l’on emploie habituellement dans ce domaine du cinéma. Il a construit une vision extrêmement aboutie. Chronologiquement, le développement des personnages a été plus long. Il a démarré après que Viktor et son équipe aient travaillé sur la définition graphique des décors, des accessoires et de l’univers du film.

Ce sont deux dessinateurs vedettes de Marvel, Humberto Ramos et Francisco Herrera, qui ont conçu les designs des personnages…

Oui. Nous avons fait appel à ces deux grands artistes mexicains à ce moment-là, et ils se sont immédiatement passionnés pour le projet. Nous les avons fait venir en France, et ils sont restés un bon moment à travailler sur les personnages. Nous leur avons demandé aussi de faire quelque chose qui ne soit pas totalement dans la ligne de ce qu’ils faisaient aux Etats-Unis. Il fallait trouver une identité graphique propre, différente du style des comics américains, ce qui leur plaisait beaucoup. D’ailleurs, ils avaient décliné plusieurs propositions de travail dans le cinéma d’animation, parce qu’on leur demandait de faire des choses trop classiques. The Prodigies leur permettait de s’adresser à un public de spectateurs ados et adultes nouveau pour eux.

Avant le lancement de la production, comment fonctionnait le binôme que vous formiez avec Aton Soumache ?

Aton suivait de près tout ce qui concernait l’animation et la technique, car c’est lui l’expert dans ce domaine, et nous prenions ensemble, à égalité, toutes les décisions artistiques. D’ailleurs nous avions coutume de nous voir tous les vendredis matin pour faire un point général avec toutes les équipes, avec Antoine, avec les scénaristes, avec Ramos & Hererra. Pendant toute cette phase, avant que la production ne se mette en route, nous avons tout fait ensemble. Je crois que nous nous sommes bien complétés, car venant de la prise de vue réelle, je n’avais pas les mêmes références, les mêmes réflexes, ni les mêmes observations sur ce que je voyais.

A cette étape du développement du film, comment avez-vous trouvé la manière de représenter les scènes de violence ?

Viktor a eu une idée très forte et très originale, qui est celle d’avoir trois niveaux de représentation graphique. Il y a deux points de vue dans le film. Celui d’un adulte, Jimbo, qui comprend les enfants parce qu’il dispose des mêmes pouvoirs qu’eux et aussi parce qu’il était dans le même état d’esprit quant il avait leur âge. Il a donc une certaine empathie pour les enfants rois. D’ailleurs, à certains moments du film, on se demande s’il ne va pas basculer du côté des enfants, où même s’il n’est pas partie prenante de leurs actes. L’autre point de vue, c’est celui des enfants rois. Pour réussir à entrer dans leur peau, et pour faire comprendre au spectateur le moment où ils passent d’un état normal à un moment de grande angoisse, de stress ou de colère, nous déformons l’aspect visuel des scènes. Plus ils ressentent cela, plus les décors s’estompent et plus les adultes deviennent des monstres hideux qui les agressent. Ce qui nous permet alors de montrer ce qui se passe tout en nous extrayant du réalisme. Je crois que l’on a jamais vu cette idée poussée à une telle intensité au cinéma. Cette option nous permet aussi de passer du point de vue déformé du ressenti des enfants à la vision normale et réaliste des adultes, pendant la même scène. Cela donne un impact extrêmement fort à ces séquences, et permet d’amplifier encore le processus d’identification du spectateur avec les enfants rois. Ce pic d’intensité et de déformation correspond à ce que nous avons appelé le niveau trois dans notre code. Le niveau un correspondant à la réalité objective, le deux à un état déjà décalé ou le monde s’estompe, et le trois à celui où les adultes deviennent des créatures de cauchemar. Je crois qu’en tout, il n’y a que deux minutes de niveau trois dans le film, mais elles devraient être très impressionnantes.

J’imagine que vous avez tiré parti des possibilités que vous offre le relief dans ces scènes…

Oui, d’autant plus que la caméra virevolte dans tous les sens pendant ces moments-là.

Votre travail a consisté à produire deux tournages pour un film : les enregistrements en Mocap, puis la réalisation du film d’animation…

Oui, et d’ailleurs, j’avais un point de vue un peu différent sur la manière de tourner en Mocap. Comme on enregistre les mouvements d’acteurs qui portent des tenues munies de capteurs, afin d’utiliser ces données pour animer des personnages 3D, par le passé, on avait souvent tendance à considérer que l’on pouvait prendre le même acteur pour jouer plusieurs rôles, et à se dire que l’on pourrait toujours corriger les choses plus tard, pendant la post-production. On pouvait tomber alors dans le piège qui consistait à choisir des acteurs simplement parce qu’ils bougeaient bien. L’histoire se passant à New York, j’ai tenu à ce que l’on fasse un vrai casting d’acteurs américains, et j’ai fait appel à l’une des plus grandes directrices de casting aux USA, Avy Kaufman. Elle est basée à New York et travaillé par exemple sur Le sixième sens. Avy a fait un casting d’enfants, parce que je voulais que les acteurs aient l’âge des personnages, et un casting d’adultes. Nous avons fait des essais avec eux comme on le fait pour n’importe quel film en prises de vues réelles. J’ai envoyé Antoine à New York pour les rencontrer et pour travailler avec Avy. Les essais qu’il a filmé avec les comédiens nous ont permis d’être sûrs, comme le dit si bien Aton, « de combiner le meilleur du « live » avec le meilleur de l’animation. »

Comment s’est passé l’enregistrement des dialogues ?

Pendant les sessions de Mocap, où nous enregistrions les mouvements des lèvres et les expressions faciales. Il fallait procéder en deux temps, enregistrement des mouvements corporels d’abord, puis enregistrement des expressions du visages, car ces dernières demandent une très grande précision. Ce sont bien les mouvements des lèvres des comédiens qui sont utilisés, ainsi que leurs voix. C’est justement parce que nous tournions en deux temps – la mocap corporelle a été faite au Luxembourg alors que la mocap faciale a été faite en Belgique - qu’il nous fallait travailler avec des comédiens expérimentés. Auparavant, on enregistrait la mocap corporelle sans enregistrer le son. J’ai dit à Antoine qu’il fallait absolument qu’il les dirige sur le plateau en portant un casque, pour entendre au plus près leur manière de jouer. C’était essentiel pour qu’Antoine puisse être totalement impliqué dans la direction de ces comédiens, dans l’immense espace du plateau de Mocap.

Comment avez-vous réagi en étant confronté au processus de l’animation ?

Je me suis rendu compte à quel point c’était un travail lent, laborieux, méticuleux, réalisé couche après couche, mais j’ai apprécié que l’on maîtrise ainsi chaque étape de la création du projet. Au final, chaque image correspond exactement à ce que nous avons voulu faire. Du début jusqu’à la fin, il y a eu zéro concession artistique. Cela a été une bataille de tous les instants, mais The Prodigies est exactement le film que nous voulions faire. Je crois que l’on va au cinéma pour voir des choses que l’on n’a pas vu ailleurs, que l’on n’a pas vu avant, et je sais que ce film-là ne ressemble à aucun autre.

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