Exclusif : Visite du tournage de LA PLANETE DES SINGES, LES ORIGINES - Entretien avec Andy Serkis & Terry Notary, première partie
Article Cinéma du Jeudi 11 Aout 2011
Rencontre avec les stars de cette préquelle très attendue de LA PLANETE DES SINGES, placée sous le signe du réalisme et de la réflexion sur la destruction de la nature par l’homme…
Vancouver, Canada, 16 août 2010. Une équipe de cinéma de plus de cent personnes s’active sur le campus de l’agence Aérospatiale de Colombie britannique : celle de LA PLANETE DES SINGES, LES ORIGINES. Entourée de caméras, une voiture conduite par James Franco s’arrête à quelques mètres de nous. Assise sur le siège passager, la ravissante Freida Pinto, découverte dans SLUMDOG MILLIONNAIRE de Danny Boyle semble très concentrée. Sur le siège arrière, nous reconnaissons Andy Serkis, habillé d’un justaucorps gris de capture de mouvements, le visage constellé de petits points de repères. Le jeune savant incarné par Franco explique alors au chimpanzé Caesar que son destin est intimement lié aux bâtiments devant lesquels ils se trouvent… Le réalisateur Rypert Wyatt crie « Cut » et la scène est rejouée deux fois de plus, sans Andy Serkis : une prise est faite avec une sphère chromée placée dans la voiture, qui permet de déterminer les emplacements de toutes les sources lumineuses autour des comédiens, tandis que la troisième prise est filmée avec l’arrière de la voiture complètement vide. C’est sur cette troisième prise que Weta rajoutera l’image 3D hyperréaliste du singe Caesar, magistralement interprété par Andy Serkis. Au fil des prises, en observant le comédien, nous oublions que nous regardons un homme pour ne plus voir que le singe…Nous arrivons au moment de la pause, l’occasion de rencontrer les deux acteurs principaux qui donnent vie aux chimpanzés principaux, ainsi qu’à plusieurs orang outangs et gorilles du film : Andy Serkis et Terry Notary…
Entretien avec Andy Serkis & Terry Notary
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
Andy, est-ce que le travail que vous aviez accompli en jouant le rôle de KING KONG est très différent de celui que vous faites sur ce film ?
Andy Serkis : Oui, c’est une interprétation totalement différente, car dans KING KONG, je jouais un gorille sauvage de près de 7 mètres qui est le maître de Skull Island, tandis que Caesar est un chimpanzé élevé par des humains comme un enfant, qui communique avec eux, et qui dispose d’une intelligence égale à celle d’un homme. Terry Notary, qui est à nos côtés, travaille avec tous les acteurs qui jouent des rôles de singes, et a commencé à les entraîner plusieurs mois avant le début du tournage. La production du film a fait appel à moi assez peu de temps avant de commencer à filmer, justement parce que l’on a tendance à croire que mon expérience de KONG était une bonne préparation pour LA PLANETE DES SINGES, LES ORIGINES. En réalité, les gorilles, les chimpanzés et les orangs outants bougent de manière extrêmement différentes les uns des autres, et ont aussi des personnalités bien distinctes. Pour être franc, c’est comme si j’étais reparti de zéro, pour apprendre une nouvelle approche.
Vous devez avoir passé beaucoup de temps, l’un comme l’autre, à observer des chimpanzés afin de vous préparer à les interpréter…
Terry Notary : Oui, notamment des documentaires consacrés à ces animaux qui sont sortis en DVD. Nous les avons regardés attentivement, puis nous avons placé des écrans diffusant ces images dans « le volume » (La salle où sont captés et enregistrés les mouvements des acteurs pendant leurs répétitions, NDLR.) afin d’essayer de reproduire le plus fidèlement possible ces mouvements et ces attitudes. A force d’observer ces scènes prises sur le vif, on finit par remarquer les petites nuances, les subtilités que l’on ne voit pas d’emblée. Je crois que ce sont justement ces petits détails pointus qui vont donner tout son impact aux scènes du film où apparaîtront les singes. Imiter des sauts ou des postures banales est relativement facile, mais dès que l’on veut exprimer les sentiments d’un chimpanzé, il faut s’inspirer des nuances de la réalité, qui se manifestent de bien des manières : la posture, la façon dont l’animal modifie son centre d’équilibre, ses mouvements faciaux. Comme le disait Andy, tout cela change complètement quant on passe d’un orang outang à un chimpanzé puis à un gorille…
Andy Serkis : …Et au-delà de cela, on ne se contente pas seulement d’imiter un orang outang, un chimpanzé ou un gorille le plus fidèlement possible : on crée aussi un personnage distinct, un individu. On le travaille en songeant à l’histoire, à son caractère, car les personnages d’animaux sont décrits avec une grande intégrité dans le script. Ce ne sont pas de pâles copies d’être humains, ni des caricatures condescendantes, mais de vrais animaux. Aucune espèce n’a le beau rôle, entre les hommes et les singes. Je crois que c’est ce qui nous particulièrement captivé, Terry et moi, quand nous avons lu le script pour la première fois. Les sentiments des animaux y sont formidablement bien décrits, avec une profondeur et une richesse surprenantes, et cette histoire est aussi un commentaire extrêmement pertinent sur la manière dont l’homme endommage la nature. On sent bien que ce scénario a été écrit avec de la sincérité et du coeur. Et que les sentiments y jouent un rôle capital. C’est ce qui nous motive pendant que nous travaillons avec ces costumes de capture de mouvements. Il ne s’agit pas seulement de capture de gestes, mais de capture d’émotions. Tout ce travail consiste à créer des personnages d’animaux réalistes et attachants, dont on suit l’odyssée. Au début du récit, nous découvrons Caesar alors qu’il n’a que trois ans. C’est un petit chimpanzé heureux, qui vit comme un enfant choyé dans une famille humaine, puis les choses changent, sa vie bascule quand il quitte ce foyer et se retrouve dans un environnement quasi-carcéral, en cage, parmi des animaux malheureux. Tous ces animaux ont un vécu que nous exprimons par notre interprétation.
Quand nous vous avons vu tout à l’heure vous préparer à tourner, en « recalibrant » la manière dont le système de capture percevait les repères sur vos costumes. Vous vous teniez dans « le volume », et nous pouvions voir des images 3D provisoires des singes. C’était surprenant d’observer comment vos bras aux proportions humaines, donc forcément beaucoup plus courts que des bras de singes, étaient automatiquement allongés en 3D par le système, sans que vous ayez besoin de vous servir de mini-béquilles prolongeant vos membres…
Terry Notary : Oui. Weta a mis cela au point, car nous ne pouvons pas nous servir tout le temps de nos prolongateurs de bras quand nous jouons. Nous les utilisons surtout quand le personnage de singe marche ou court en s’appuyant sur ses bras. Nous nous sommes entraînés pendant des semaines pour obtenir une démarche naturelle avec ces accessoires, et croyez-moi, au bout de plusieurs jours de pratiques, on se retrouve avec des crampes terribles, car cette posture n’est pas du tout adaptée à un corps humain ! (rires) En revanche, quand nous tournons d’autres scènes, notamment des moments où nous utilisons nos mains pour saisir quelque chose, le système de Weta prend la relève et rallonge automatiquement nos bras en 3D, pour que l’anatomie du personnage soit conforme à la réalité. Le singe créé en Mocap fonctionne et bouge parfaitement. Les animateurs de Weta auront simplement à réajuster un peu sa position dans l’image pour pouvoir simuler les interactions entre les bras et les mains du singe 3D et l’environnement réel des décors dans lesquels nous tournons ces scènes. Au départ, je dois dire que nous nous demandions un peu comment tout cela allait fonctionner, puisque c’est l’une des premières fois que l’on tourne de manière aussi intensive avec un système Mocap dans des décors réels. Mais le dispositif marche remarquablement bien et est suffisamment « flexible » pour s’adapter à toutes les situations de tournage.
Avez-vous eu envie de regarder les films de la saga originale de LA PLANETE DES SINGES, pour étudier les caractères des personnages ?
Andy Serkis : C’est davantage la mythologie de cette saga dans laquelle nous avons eu envie de nous replonger en voyant ces films. Cela nous a permis de mieux situer la manière dont cette préquelle s’inscrit dans cet univers, comment notre histoire pose les bases de ce qui aboutira sous la forme des autres épisodes de la série. Il y a des noms de personnages et des références dans notre script qui établissent des liens avec les films précédents. J’ai vu aussi dans les suppléments du Blu-Ray du premier film un formidable documentaire qui retrace toute la genèse de la saga, et qui décrit en détail sa mythologie, depuis le roman original de Pierre Boulle, en passant par les différentes versions du script du premier épisode, jusqu’à son tournage, puis son incroyable succès, prolongé par quatre suites au cinéma. C’était important pour nous tous d’avoir un sens de la continuité de tout cela. Quand nous avons lu le script de ce film, il était évident que la Fox tenait beaucoup à cette franchise de LA PLANETE DES SINGES, et qu’elle avait trouvé, grâce à cette histoire, un moyen extrêmement astucieux de créer un nouvel épisode et de le conclure en établissant un lien avec les films que nous connaissons. Bien sûr, ce que nous faisons est très différent de l’approche précédente, puisque les singes ne sont pas des bipèdes habillés qui parlent comme des humains, mais le commentaire sur la société humaine et ses dérives est pourtant bien là !
Quels sont les avantages d’un tournage en Mocap par rapport à un tournage avec des acteurs maquillés en singes et portant des costumes ?
Terry Notary : Eh bien outre le fait que la synthèse permet de reconstituer parfaitement l’anatomie des singes, ce qui est impossible quand on met un homme dans un costume de chimpanzé, par exemple, la Mocap nous permet aussi de revenir sur la scène qui a été tournée, et de modifier certaines postures en post-production. Nous pouvons aussi amplifier des attitudes, changer le rythme des mouvements, les accélérer ou les ralentir. C’est très important de bénéficier de tout cela, car nous devons raconter l’histoire de nos personnages de singes sans dialogues. Il est donc essentiel de réussir à exprimer tout ce qu’ils ressentent, et de faire en sorte que cela paraisse spontané et naturel aux spectateurs quant ils verront les images finalisées du film. Une grande partie du projet repose sur l’interprétation des singes, qui sont des personnages aussi importants que les protagonistes humains.
Andy, vous êtes un témoin privilégié de l’évolution des techniques de capture de mouvement. Pourriez-vous nous parler de cette nouvelle étape que constitue ce film ?
Andy Serkis : Comme le disait Terry, nous en sommes arrivés maintenant à un point où nous avons repoussé les limites techniques si loin que nous ne sommes plus obligés de tourner dans un studio dédié à la Mocap, mais que nous pouvons jouer en Mocap dans n’importe quel décor, en réalisant des enregistrements de mouvements et d’expressions très subtils. C’est un progrès énorme. Les singes apparaissent dans 60 à 70% des scènes du film, et toutes ces scènes ont été tournées dans de vrais décors, souvent aux côtés des acteurs qui jouent les rôles des humains. Pour nous qui incarnons les singes, c’est un avantage extraordinaire, car au lieu de nous retrouver dans l’environnement vide et abstrait d’un plateau de Mocap, nous sommes au cœur de l’action, dans les vrais décors. Nous pouvons toucher les vrais accessoires et nous en servir, et nous pouvons jouer avec James Franco et les autres acteurs en temps réel. C’est formidable, et cela va se sentir dans notre interprétation des singes. Je considère que c’est un exemple parfait d’utilisation de Mocap, qui permet pleinement à l’acteur de donner vie au personnage. Dans certains films d’animation récents qui montraient des personnages humains réalistes en 3D, on faisait fausse route, à mon avis. A quoi bon cloner un acteur humain en humain 3D ? Cela n’apporte rien, si ce n’est un résultat pas très convaincant. Pour revenir aux progrès effectués en l’espace de dix ans, je me souviens que quand j’avais commencé à travailler sur le personnage de Gollum, nous nous étions installés dans un vieil abri métallique assez petit, où nous avions disposé six ou huit caméras de capture. Je ne pouvais pas bouger au-delà d’une zone de trois mètres carrés, sinon mes mouvements n’étaient plus enregistrés, et le dispositif prototype tombait tout le temps en panne. Il a été perfectionné rapidement, et ensuite, au moment de la préparation de KING KONG, nous sommes passés à la capture des expressions faciales. Et aujourd’hui, on peut tout capter, dans n’importe quel vrai décor.
Quelles sont les améliorations que vous aimeriez voir apportées à la Mocap dans le futur ?
Andy Serkis : Je pense que les équipements que l’on doit installer sur et autour de la caméra principale pour filmer des acteurs jouant des rôles en Mocap dans de vrais décors vont devenir de moins en moins encombrants, et de plus en plus discrets et faciles à utiliser. D’ici deux ou trois ans, ce dispositif va être considérablement allégé.
La suite de cet entretien sera publiée prochainement sur ESI !
Retrouver également nos précédents entretiens avec Andy Serkis à propos de Coeur d'encre et des Aventures de Tintin, ainsi que notre dossier « Du Mocap à la Performance capture - La petite histoire des personnages 3D ».