THE PRODIGIES : Entretien avec le producteur Aton Soumache – Seconde partie
Article Animation du Dimanche 23 Octobre 2011

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


A l'occasion de la sortie du film en DVD et Blu-ray le 26 octobre, nous poursuivons notre entretien avec le producteur Aton Soumache.



Propos recueillis par Pascal Pinteau

Vous souvenez-vous de certaines réactions précises de Bernard Lentéric quand vous lui avez présenté les designs des personnages et les recherches des décors ?

La disparition de Bernard, c’est le seul regret que j’ai par rapport au film aujourd’hui. C’était un vrai enfant émerveillé par ce projet. Il avait beaucoup aimé RENAISSANCE et les séries que nous avions faites. Il adorait le cinéma, et il avait très envie de voir LA NUIT DES ENFANTS ROIS sur le grand écran. Je lui avais expliqué ce qu’était la technologie Mocap, et il était venu la voir fonctionner sur le plateau. Pour Marc et moi, il était important que Bernard valide toute notre démarche.

Est-ce que vous dépendiez de sa réponse ?

Moralement, oui. Marc et moi avions travaillé un peu en amont avant d’expliquer à Bernard que nous voulions adapter le film en animation. Quand nous lui avons montré des designs de décors, de personnages, il a été immédiatement convaincu que c’était le bon choix. Il était très enthousiaste. Il nous a juste dit des choses comme « Ah tiens, ce personnage, je le voyais plus grand. Elle, je l’imaginais plus sexy.. » Et nous avons tenu compte de toutes ses remarques.

Il le savait puisqu’il était le seul à avoir créé précisément ces personnages dans sa tête…

Exactement. Et pour nous, c’était très émouvant de présenter à un auteur l’image de ses héros. Evidemment, il y a eu des centaines de croquis différents de chaque personnage, cela a été un processus assez long. Nous avons aussi réajusté ensemble l’âge des personnages. Quand nous sommes arrivés à un certain point dans ces graphismes, puis dans l’évolution du scénario, dont il avait lu les différentes étapes, Bernard nous a dit « Bon, maintenant, c’est à vous de jouer et de faire un bon film ! » et il s’est mis en retrait pour nous laisser travailler. Nous étions en pleine production quand Bernard, hélas, a disparu.

L’expérience de RENAISSANCE vous a t’elle beaucoup aidé à produire THE PRODIGIES ?

Oui. Au-delà de la technologie et des progrès que nous avons pu faire grâce à RENAISSANCE, ce film nous a convaincu qu’il fallait miser sur des parti-pris graphiques très forts, qu’il fallait être audacieux. RENAISSANCE nous a incité a aller au bout de nos convictions, et à sortir des carcans classiques de l’animation. Nous avons aussi simplifié l’énergie investie dans le travail, en allant toujours à l’essentiel. Dans l’animation, on a toujours tendance à faire venir le monteur à la fin, tandis que surTHE PRODIGIES, le monteur nous a accompagné pendant toute la création du film.

Vous voulez dire que vous avez déjà commencé à monter la cinématique d’Antoine avec lui ?

Oui. Et tout au long des autres étapes du processus : animatique 2D & dessins 2D, animatique 3D, images en rendu provisoire, etc. Tout cela, c’est du cadrage/montage permanent, et le retour du monteur sur ces choix était extrêmement important.

Avec ce processus de montage, avez vous fait plusieurs versions différentes du film ?

Oui. Comme l’a dit Robert Zemeckis, « Ce qui est génial avec la Mocap, c’est que tout est possible, et ce qui dangereux, c’est que tout est possible. » C’est la raison pour laquelle il faut avoir un metteur en scène qui sait précisément ce qu’il veut. Comme on peut faire des cadrages et des mouvements de caméra à l’infini, passer dans le trou d’une serrure ou filmer les personnages au travers du sol, on risque de se perdre. D’où l’importance d’avoir une cinématique très poussée. Il était logique que l’on travaille différentes versions du film : Antoine a d’abord posé sa mise en scène, puis nous avons pu étudier les problèmes à régler au cas par cas. La grande satisfaction du processus Mocap, c’est que nous pouvions retravailler ces plans sans avoir à repasser par un tournage, puisque nous disposions des enregistrements des données.  S’il manquait un gros plan, nous pouvions le faire. S’il fallait un mouvement de caméra plus rapide ou plus lent pour bien capter la scène, nous pouvions le créer. C’est une souplesse extraordinaire. Dans certains cas, quand nous étions sceptiques, nous avons essayé une mise en scène complètement différente, et nous avons fini par trouver ce qui marchait parfaitement bien.

Est-ce que la version finale du film est un patchwork de scènes issues de ces différentes versions ?

Exactement. Mais ce sont principalement les séquences d’action sur lesquelles nous avons essayé plusieurs versions de mise en scène. Il fallait gérer les plans les plus complexes à créer, notamment ceux dans lesquels on montre tout le panorama de New York, car ils nécessitent un temps de rendering très long et sont de ce fait très coûteux. Nous les avons donc employés le plus judicieusement possible. Nous avons aussi utilisé des effets de « Time Warp », autrement dit de manipulation du temps, avec des ralentis qui soulignent l’action et les émotions de nos héros. Mais en animation, si on reproduit cet effet de ralenti sur les mouvements d’un personnage qui dureraient une minute à une vitesse normale, il faut que nous calculions et générions des animations qui représentent l’équivalent de sept minutes d’images. Donc sept minutes de temps de calcul et de rendering, ce qui alourdit considérablement le processus de production. Aujourd’hui, si le film dure 82 minutes, il est le fruit de 120 minutes de rendu d’images, à cause de ces effets de « Time Warp » ! Tout cela, nous l’avons découvert, puis affiné pendant le montage, ce qui était logique avec l’utilisation de la Mocap. Certaines personnes disaient « C’est fou le temps qu’Antoine a mis pour cadrer ses scènes d’action ! » Ce à quoi je répondais « Attendez, n’oubliez pas qu’Antoine a tourné le film en Mocap en 9 semaines seulement ! C’est parfaitement normal qu’il prenne deux mois pour faire le découpage/montage des séquences d’action ! » En tout, il y a eu sept mois de cadrages/montage pendant la production du film, avec des milliers de micro-versions de chaque scène, au fil des ajustements.

Est-ce que vous avez employé des astuces pour recréer un environnement aussi vaste que celui de New York ?

L’astuce principale est surtout basée sur l’approche graphique de Viktor, qui élimine beaucoup de détails inutiles. On reste dans l’essentiel : des effets de coups de pinceaux, des lumières et des ombres très réalistes, des fumées, la vapeur qui sort des bouches des trottoirs… Alors bien sûr, dans les plans larges, il reste beaucoup de choses à montrer, c’est lourd, mais ça l’est beaucoup moins que si nous avions voulu être hyperréalistes, ce qui n’aurait pas eu d’intérêt esthétique.

Comment avez-vous abordé la première scène, où l’on voit Jimbo traverser New York dans sa voiture ?

Ce qui nous a aidé pendant ce long travelling, c’est qu’il y a beaucoup d’immeubles qui se ressemblent à New York. Nous avons pu créer des modèles génériques, avec des milliers de fenêtres, dont nous avons fait plusieurs versions en jouant sur les formats, les couleurs, les surfaces et certains détails. Mais cela ne pouvait marcher que pour les rues « anonymes ». Par contre, quand l’action se déroule à Time Square ou à Central Park, nous avons reproduit fidèlement les architectures des principaux immeubles. L’avantage de la modélisation d’un objet en 3D, c’est qu’il est très facile à reproduire et à multiplier dans les décors : c’est ce que nous avons fait pour les lampadaires, les bouches de métro, les boîtes aux lettres, etc. L’autre aspect de ces scènes, ce sont les milliers de passants dans les rues, ces foules à gérer en animation procédurale, c’est à dire en dotant ces personnages d’une intelligence artificielle très limitée, et d’un vocabulaire d’attitudes et de mouvements qui leur permet de marcher sur les trottoirs de manière assez naturelle. Mais il fallait quand même les surveiller de près pour éviter les accidents et les comportements absurdes. Antoine avait enregistré beaucoup de mouvements de marche différents avec beaucoup d’acteurs, et nous avons fait des copié-collé de ces différentes sessions de Mocap pour animer ces passants au moyen de « boucles d’animation ». Il y a toutes sortes de personnages, des grands, des petits, des gros, des adultes, des ados, des enfants. Il y a aussi des moments pendant lesquels les personnages s’arrêtent, regardent quelque chose et repartent, ou entrent dans une bouche de métro, etc. Le but étant que tout cela semble le plus naturel possible.

Selon vous, pourquoi l’histoire de LA NUIT DES ENFANTS ROIS  a t’elle toujours une forte résonance aujourd’hui, et sans doute plus encore que lors de la parution du roman en 1981 ? 

Ce qui frappe, c’est la manière extrêmement juste dont le roman décrit les sentiments qu’éprouvent les ados, garçons et filles. Leur tentation de violence, leurs frustrations, la sensation d’être incompris et victimes d’injustices profondes. Raconter cette histoire dans un contexte futuriste, New Yorkais, avec une ambiance de thriller, une technique comme la Mocap et avec l’approche graphique que nous avons choisi, c’est vraiment coller au plus près de notre époque, notamment parce que les adolescents sont de plus en plus sollicités par les nouveaux médias, par les nouvelles émissions de télé.

En réunissant tous les vendredis Marc Missionnier et toute l’équipe, vous avez bénéficié de l’œil « neuf » de Marc, et de son expérience de la prise de vue réelle…

Oui, il faisait toujours des réflexions utiles, sur le jeu des personnages, sur l’ambiance psychologique qui se dégageait d’un dessin. Quelquefois, il nous disait « Attention, là, vous ne racontez pas exactement ce que vous voulez raconter. » ou « Il vous faudrait un gros plan à ce moment-là » et il nous aidait à renforcer l’impact de l’histoire, grâce à son regard, à son recul. Quand on fait un film d’animation, on est à la fois décorateur, maquilleur, coiffeur, accessoiriste, décorateur, monteur, éclairagiste et metteur en scène tous les jours, tout au long de la production. On court le risque de se perdre dans les détails, même si on a une vision globale du projet. Le regard de Marc pendant ce processus était très agréable, car il nous ramenait toujours à l’essentiel.

Quelles ont été les principales évolutions techniques entre RENAISSANCE et LA NUIT DES ENFANTS ROIS  ?

L’amélioration des captures d’expressions faciales et des mouvements fins des yeux, qui rendent les personnages encore plus vivants. Nous avons pu capturer l’animation des mains, avec des points portés sur les doigts pour les gestes en plan large, et des « datagloves » avec des fibres optiques dont on mesure la courbures pour les gestes de mains fins, cadrés en gros plan. Les foules de personnages sont également plus faciles à gérer aujourd’hui, avec les animations procédurales. Tout était plus performant pour les outils de mise en scène.

Qu’est-ce qui reste le plus difficile à faire aujourd’hui encore, quand on anime des personnages 3D en Mocap ?

La capture des expressions fines des visages est toujours compliquée. Mais c’est un des rares désavantages de la Mocap, par rapport aux énormes contraintes d’un tournage en prises de vues réelles.

Comment gérez-vous les moments où un acteur utilise un objet en Mocap ? Utilisez-vous un objet transparent , qui ne cache pas les repères disposés sur son corps et ses mains ?

Oui. Quand un acteur doit s’asseoir sur une chaise, nous utilisons des objets en grillage de fil de fer ou en plastique transparent. Nous avons aussi à gérer le problème des vêtements. Si le personnage porte par exemple un manteau en velours, il faut trouver des matières transparentes qui se comportent comme du vrai velours, qui ait la même dynamique de mouvement. Les costumiers travaillent avec des tulles, avec des gélatines, et avec des tissus lestés de petits plombs pour obtenir les effets souhaités. De même, un comédien qui joue un personnage habillé avec un manteau en velours trempé par la pluie et alourdi doit pouvoir jouer avec un vêtement d’un poids équivalent sur le plateau de Mocap, sinon ses gestes seront faussés et il faudra les retoucher ultérieurement.

Comment avez-vous géré les cascades en Mocap ?

Assez facilement, en fait, parce que cette technique se prête bien à cela. De plus Antoine avait déjà travaillé avec des chorégraphes spécialisés dans ce domaine, et il a pu obtenir des choses formidables avec eux. Quand les personnages se mettent à voler ou à faire des sauts, nous suspendions les acteurs à des filins, mais au-delà, quand les contraintes physiques devenaient trop difficiles à gérer, nous passion à de l’animation pure en key frame.

Quelles sont les plus grandes satisfactions que vous avez éprouvées en produisant ce film ?

M’être associé avec des producteurs de films de prises de vues réelles, avoir trouvé un terrain d’entente et de communication avec eux, et avoir réussi à fabriquer exactement le film que nous avions rêvé de faire. On retrouve vraiment l’univers, l’émotion et les scènes chocs de l’histoire de Bernard Lentéric. Autre grande satisfaction, avoir trouvé un grand talent de mise en scène en la personne d’Antoine Charreyron. Il a fait un travail exceptionnel sur le film, et je pense que ce sera une révélation pour beaucoup de gens. Il y a eu aussi la confirmation des dons formidables de Viktor Antonov, qui s’impose comme un très grand directeur artistique.

Après cet investissement de travail énorme, avez-vous songé à prolonger l’univers du film dans une suite ou sous d’autres formes ?

Je ne sais pas s’il y aura une suite, mais si l’accueil réservé au film est bon, pourquoi pas ? C’est une œuvre à part. Nous avions évoqué le principe d’une suite avec Bernard, et il était très enthousiaste à l’idée d’imaginer un autre épisode. Il en avait même parlé assez précisément avec Mathieu et Alexandre, les scénaristes. D’ailleurs, même si le film a une vraie fin, il y a quand même une partie du récit qui reste ouverte…

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