JOHN CARTER : Entretien exclusif avec le réalisateur Andrew Stanton - Seconde partie
Article Cinéma du Jeudi 19 Avril 2012

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Que vous a t’il fallu apprendre techniquement pour vous préparer, avant de commencer à travailler avec des caméras 35mm, des grues, des dollies, et de nombreux effets spéciaux réalisés en direct ?

J’ai estimé que je n’aurai jamais le temps matériel d’apprendre tout cela avant d’entamer la préparation puis la réalisation du film. J’ai donc décidé de m’entourer d’experts qui savaient déjà comment tout cela fonctionnait et qui viendraient me solliciter uniquement à propos de la narration de l’histoire et non pas sur la manière dont ces équipements devraient fonctionner. Cela fait 20 ans que je travaille au sein de Pixar, et j’ignore toujours comment certaines des machines que nous utilisons fonctionnent ! (rires) Mon souci, c’est de me demander « Comment allons-nous parvenir à créer telle image sur le grand écran ? Ou l’ambiance de ce moment précis ?» Voilà les responsabilités que je savais que je pouvais assumer en dirigeant une équipe pendant un tournage en prises de vues réelles. Bien sûr, je me suis lancé dans ce projet avec la ferme intention d’apprendre le plus de choses possibles pendant la réalisation du film. Plus j’en sais sur les différents savoir-faire des gens avec lesquels je travaille, plus je suis en mesure de prendre des décisions judicieuses pour le projet. Cela étant dit, mon approche a été la même que celle que j’ai chez Pixar : je ne voulais pas en savoir trop sur les limites techniques des uns et des autres, parce que votre job de réalisateur consiste quelquefois à demander l’impossible. Et si tout ce passe bien, le défi que vous avez lancé à vos équipes va les inciter à se dépasser en réalisant des choses dont elles ne se croyaient même pas capables. L’une des meilleures sensations que l’on puisse éprouver pendant un tel projet est celle que l’on vit quant on crée quelque chose que l’on n’a jamais vu auparavant au cinéma, ou que l’on n’a jamais ressenti d’une telle manière. Demander aux gens des choses un peu folles, un peu naïves, ou même être un peu ignorant est en réalité utile. Bien sûr, il faut se servir de cela de manière responsable, afin de ne pas mettre vos équipes dans des situations dangereuses, ni les conduire dans des impasses qui nuiraient au bon déroulement de la production du film. Pendant le tournage, j’expliquais ce dont j’avais besoin et je me débrouillais pour comprendre le travail de chacun juste assez pour être en mesure de voir si nous pourrions faire ce que je j’avais demandé dans le temps prévu, par rapport à notre plan de travail. J’avoue que je n’ai pas cherché à mesurer à chaque fois les difficultés engendrées par mes demandes ! (rires) Je me contentais de dire « Ce serait tellement formidable si nous pouvions faire cela. »

Comment avez-vous préparé les grandes séquences d’action du film, étape par étape ? Avez-vous tenté de les concevoir chacune comme une sorte de mini-film en trois actes ?

Je n’ai pas conçu ces scènes ainsi, comme des mini-histoires. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise façon de concevoir les choses, mais un des inconvénients de cette formule, c’est qu’elle peut vous inciter à rendre certains moments plus longs qu’ils ne devraient l’être. C’est toujours un peu dangereux de créer des moments si différents du reste de l’intrigue qu’ils peuvent être perçus comme des parties indépendantes. L’une des choses les plus importantes que j’ai apprise il y a très longtemps, et je crois que c’est le grand scénariste David Mamet qui l’a exprimé ainsi, c’est que « Chaque scène d’un film est comme un des clous de la charpente d’une maison. C’est l’addition de toutes ces scènes qui créent la maison. » Ce qui me préoccupe quand je conçois une scène, ce sont les questions suivantes : « Ai-je fait avancer l’intrigue entre le début et la fin de cette séquence ? » « Est-ce que les changements qui sont intervenus vont faire évoluer le personnage dans sa trajectoire personnelle ? » Si rien n’a vraiment changé à la fin d’une scène, cela signifie que quelque chose ne fonctionne pas… Il y avait un point auquel je tenais tout particulièrement en abordant ce projet, c’était la manière d’agencer les séquences d’action. En effet, le livre A PRINCESS OF MARS ayant d’abord été publié dans un magazine sous la forme d’épisodes à suivre, il y a profusion de combats et de scènes d’action dans chaque chapitre de ce premier tome, comme s’il s’agissait d’un mini-film avec un début, un milieu et une fin. En préparant le film, j’ai pensé qu’il valait mieux s’en tenir à trois ou quatre morceaux de bravoure, ayant chacun une importance incontestable et une signification bien précise. Il fallait aussi qu’ils soient très différents les uns des autres. Au moment de les concevoir, nous avons veillé à ce qu’ils soient absolument indispensables au film, et qu’ils serviraient à faire progresser l’intrigue. Il ne fallait pas que le récit s’interrompe, juste pour vous divertir avec une scène d’action. C’était l’un des aspects les plus importants de notre travail pendant l’écriture du scénario.

Vous êtes-vous servi pendant le tournage des effigies des Tharks qui avaient été fabriquées grandeur nature par Legacy Effects, afin de vous servir de ces références visuelles ?

Oui. C’était l’une de leurs fonctions : les filmer dans les décors réels, notamment pendant le tournage dans le désert de l’Utah, afin de donner des références visuelles précises aux équipes qui allaient animer les Tharks en 3D. C’est la raison pour laquelle ces effigies devaient être hyperréalistes, et Legacy a fait un superbe travail en ce sens. C’était également utile pour les acteurs, car ils ont pu voir ces personnages de grande taille « en vrai ». Cela les a aidés à visualiser l’aspect final des Tharks pendant le tournage des scènes avec les acteurs qui portaient des échasses et des caméras montées sur un casque pour les incarner.

Quels sont les éléments du film que vous avez passé le plus de temps à développer avant qu’ils vous semblent totalement aboutis ? L’aspect des créatures martiennes ? Leur animation ? Les paysages martiens ? Le style et l’architecture de chaque culture de Mars ?

(Andrew Stanton réfléchit quelques secondes) Non. Je pense qu’il s’agit du montage. Mais en fait tous les travaux que j’ai fait pour le film forment un processus continu pour moi. J’ai un peu de mal à situer dans le temps à quel moment telle recherche a débuté et quant elle a été finalisée. J’ai toujours été le scénariste de mes films et je m’implique beaucoup dans le montage…j’interviens donc depuis les premières idées jetées sur le papier jusqu’à la fin de la postproduction ! Et je considère que la partie essentielle de mon travail n’est pas achevée avant le dernier jour du montage. Je n’ai même pas conscience de la transition entre les différentes tâches que je dois accomplir. Au début j’utilise du papier et des mots, puis je parle à des gens sur le plateau, à des animateurs pendant la postproduction et enfin à un monteur…mais la conversation reste la même tout au long du chemin. Il faut que j’explique ce qu’est le film, ce qui est important et ce qui ne l’est pas, comment on va gérer les « arcs » de l’histoire, ce que l’on va essayer de raconter, comment les personnages évoluent… Cela n’arrête jamais ! Voilà le voyage que j’ai entrepris en réalisant ce film. Il n’y a aucune partie de ce travail qui me semble plus importante que les autres. C’est une continuité. Depuis plusieurs années, la question qui m’obsède est « Qu’est-ce qui constitue notre histoire, et comment puis-je la raconter de la meilleure manière possible ? »

Qu’avez-vous suggéré à Michael Giacchino a propos de la musique du film ? Comment avez-vous établi le ton musical des différentes séquences, et les thèmes de John Carter et Dejah Thoris ?

Je crois que je lui ai dit d’emblée que je voulais des sonorités exotiques et ethniques, afin d’illustrer le fait que l’action se déroule sur un autre monde, tout en procurant un sentiment de grande aventure épique. Pour moi, c’est ce qui ressort du livre A PRINCESS OF MARS, et de tous les volumes suivants de la saga de John Carter. Quand je repense à ces histoires, je visualise immédiatement des hommes qui se battent à l’épée, et qui se précipitent pour sauver des gens en péril. Mais il fallait aussi que ce monde d’aventures soit réaliste, et que l’on puisse croire que ces différentes cultures de Mars existent bel et bien depuis des temps immémoriaux, tout comme l’Egypte et la Grèce antiques, les Mayas ou les samouraïs du Japon féodal. Je voulais combiner ces deux influences dans la musique et Michael a atteint immédiatement le centre de la cible ! Nous nous étions parfaitement compris. Michael et moi avons le même âge et avons grandi en voyant les mêmes films. Consciemment et inconsciemment, nous avons été influencés par les mêmes choses. La plupart du temps, j’avais l’impression que Michael était médium, et qu’il créait des musiques qui correspondaient exactement à ce que j’avais dans la tête, avant même que je lui en aie parlé ! C’était incroyable. Je peux vous dire que j’étais aux anges le jour de l’enregistrement de la bande sonore du film, avec un grand orchestre.

Quelles ont été les scènes les plus difficiles à réaliser, les plans les plus durs à tourner et pourquoi ?

Je dirais que les séquences les plus dures à diriger sont celles dans lesquelles interviennent beaucoup d’effets visuels, surtout quand on travaille devant un fond vert, sans repères sur lesquels on peut s’appuyer. Pour cette raison, la scène du combat dans l’arène contre les grands singes blancs a été particulièrement ardue, ainsi que la séquence finale qui se déroule à Helium et dans le grand palais des lumières. Tout devait être préparé dans les moindres détails parce que le tournage et la post-production de ce type de trucages est extrêmement coûteux. Une fois que cette planification, puis la prévisualisation en 3D schématique ont été faites, il faut découper tout cela comme un puzzle et tourner une par une toutes les pièces qui se combinent pour former le puzzle. Dans la plupart des cas, vous n’avez pas la possibilité de tourner ne serait-ce qu’un petit moment en continuité, en raison de la logistique technique qui est mobilisée. C’est très dur de garder tous ces détails en tête, et tout aussi complexe pour les acteurs de se souvenir où ils en sont émotionnellement, petit bout de scène par petit bout de scène. Ce n’est pas aussi agréable à filmer qu’une scène que l’on peut tourner en continu, et pendant laquelle on a aussi le loisir d’improviser.

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