Entretien avec Ken Ralston et Jay Redd, co-superviseurs des effets visuels de MEN IN BLACK 3 - Seconde partie
Article Cinéma du Vendredi 08 Juin 2012

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quelles ont été les difficultés liées à la reconstitution du lancement de la fusée Apollo 11 ? Comment avez-vous procédé pour être aussi fidèle que possible au véritable événement de 1969, et quels documents et équipements originaux de la NASA avez-vous utilisés pour créer cette séquence ?

Ken Ralston : Ah, Jay étant notre expert local en astronomie et en histoire de la conquête spatiale, je me dois de lui céder la parole ! (rires)

Jay Redd : C’était une tâche assez complexe, en raison du grand nombre d’images d’archives des missions Apollo qui ont été diffusées partout dans le monde depuis 1969, et que l’on a pu voir dans des milliers de documentaires ou de sujets des journaux télévisés. De plus, la mission Apollo 11 est la plus célèbre de toutes, étant donné qu’il s’agit de celle qui a permis à Neil Armstrong de devenir le premier homme qui a marché sur la lune le 20 juillet 1969. Aux débuts de la préparation de MIB 3, Ken s’est rendu à Cap Carnaveral et a fait des repérages des sites de lancement des fusées et des navettes spatiales. Je m’y suis rendu un peu plus tard avec Barry et d’autres membres de l’équipe pour faire d’autres repérages, et pour bien comprendre comment étaient constitués les différents lieux du site, comme la tour où la presse assistait au décollage, la tour de lancement, la salle de contrôle, etc. J’ai pris des centaines de photos de lieux et je suis monté tout en haut de la tour de lancement qui a servi au décollage des navettes, mais aussi à celui des fusées Saturne V , pendant les missions Apollo des années 60 et du début des années 70. J’ai pris aussi des vues panoramiques du paysage environnant, afin que nous puissions les réinjecter dans nos effets visuels. Nous avons examiné ensuite toutes les images d’archives que la NASA a mises à notre disposition, y compris des images qui n’ont jamais été montrées au grand public. En voyant tout cela, nous nous sommes demandés si la solution ne consisterait pas à utiliser tout bonnement les véritables prises de vues d’époque. Mais même en les « nettoyant » et en lissant le grain de ces images, nous ne serions pas parvenus à obtenir une qualité suffisante pour que nous puissions passer sans problème de nos images tournées en haute résolution à ces documents de résolution moyenne, et souvent imparfaits. Nous avons travaillé avec le département du marketing et de la publicité de la NASA pour effectuer toutes ces recherches, obtenir des images scientifiques restées confidentielles ainsi que de nombreuses informations factuelles sur l’heure du décollage, les conditions météo, le déroulement des étapes de la mission, etc. Et après avoir rassemblé cette énorme quantité de renseignements, nous n’en avons même pas utilisé la moitié, en fin de compte ! (rires) En fait, ce qui compte, c’est de faire en sort que la scène fonctionne dans le cadre du film, et comme vous le verrez, les plans que nous avons reconstitués dans cette scène sont très rapides et ne nécessitaient pas que nous nous lancions dans un reconstitution extrêmement rigoureuse. Ce n’est pas comme si ces plans duraient chacun 30 secondes et pouvaient être observés en détail. Nous avons donc préféré développer des animations des grands nuages de fumée générés par les propulseurs, ainsi que les flammes sortant des réacteurs et les vibrations de la caméra virtuelle, sans oublier les plantes qui s’envolent à ce moment-là. Tout cela représente beaucoup d’effets combinés aux prises de vues qui ont été tournée en fait à New York et non pas en Floride. Cela étant dit, je pense que vous serez convaincu que ces images ont été tournées à Cap Carnaveral quand vous verrez le film.

Ken Ralston : De plus, vous vous rendrez compte en voyant MIB 3 que les événements que nous montrons dans le film n’auraient jamais pu se dérouler pendant le véritable lancement d’Apollo 11 à l’insu des médias, des téléspectateurs et des caméras que la NASA avait disposé un peu partout. Nous trichons donc là aussi avec la réalité historique.

Jay Redd : C’est la difficulté de l’exercice. Dans l’équipe d’Imageworks, il y a beaucoup de fans de l’épopée spatiale qui en connaissent les moindres détails et qui aiment donc que tout soit précis, et je dois dire que je fais partie du lot. Mais MIB 3 est une comédie, et non pas une reconstitution dans la lignée d’APOLLO 13 de Ron Howard. Nous avons préféré miser sur le dynamisme, la drôlerie et l’aspect spectaculaire des images, plutôt que de nous préoccuper d’un détail qui n’est pas tout à fait exact. Si les étoiles ne sont pas placées juste là où elles devraient se trouver sur une bannière, cela n’attriste que les fans pinailleurs comme moi. Et même si je suis allé verser quelques larmes dans mon coin de temps en temps, quand je vois la scène dans le contexte du film, je dois reconnaître qu’elle fonctionne très bien ainsi.

Tout a été reconstitué numériquement, n’est-ce pas ?

Jay Redd : Oui, même si nous avons plaqué les textures, les détails et les couleurs des photos prises en Florides sur nos modélisations et dans les matte numériques des ciels et des paysages. En dehors de cela, la fusée, la rampe de lancement, les nuages, les plantes environnantes et même le sol et le sable ont été modélisés spécialement pour ces plans.

Ken Ralston : Je dois préciser qu’une partie de la passerelle qu’empruntent les astronautes, tout en haut de la tour de lancement, avait été reconstituée en studio à New York et filmée devant un fond bleu. Mais les éléments de tournage que nous avons reçus posaient tant de problème que nous avons été contraints d’éliminer cette partie du décor qui n’avait pas été filmée correctement afin de la remplacer par une passerelle numérique. Nous avons été contraints de faire cela sur de nombreux plans, ce qui n’était pas prévu au départ. Mais heureusement, le résultat final est très bon.

Jay Redd : Dans cette scène, il y a aussi beaucoup de plans dans lesquels nous passons de la véritable image d’un acteur à sa doublure numérique sans que l’on puisse se rendre compte de la transition.

A quels documents avez-vous eu accès quand vous avez entamé la reconstitution du state Shea de New York, qui a été détruit en 2009 ?

Ken Ralston : Nous n’avons récupéré que quelques photographies et des plans du stade, et nous nous sommes débrouillés par nous-mêmes pour reconstituer le reste de façon crédible. Nous avons avancé ainsi jusqu'à ce que les dirigeants de la ligue de Baseball s’en mêlent et insistent pour que nous changions certains détails erronés ! Nous pensions pourtant que les plans originaux étaient encore plus beaux sans les détails qu’ils nous ont demandé d’ajouter, mais nous avons suivi leurs instructions. Cependant, il y a beaucoup d’éléments que nous avons embellis dans cette séquence, car elle devait avoir un aspect très onirique et stylisé. Et une fois encore, nous n’avons pas tenté d’être parfaitement réalistes, mais plutôt de créer l’équivalent d’un cartoon réalisé en prises de vues réelles.

Avez-vous été contraints de modifier les plans larges des rues de New York pour leur donner l’aspect qu’elles avaient en 1969 ? Avez-vous eu à effacer de nombreux immeubles et équipements urbains récents, et à en reconstruire d’autres en 3D ?

Ken Ralston : Au début du projet, nous avons craint que cela ne génère énormément de travail, et que nous ne soyons contraints de passer des centaines d’heures à effacer tous les éléments modernes. Mais en réalité, nous avons surtout remplacé des panneaux routiers et des affiches publicitaires, ainsi que certains équipements du mobilier urbain, mais beaucoup moins que nous ne le pensions. Les scènes qui ont été tournées dans les rues qui se trouvent devant le Chrysler building et l’hotel Roosevelt ont été relativement peu modifiées, car elles n’ont pratiquement pas changé depuis 1969 ! La plupart des interventions que nous avons faites sur les rues de New York ont concerné les scènes de poursuites, car nous n’avons pas été satisfaits de la qualité des arrière-plans qui avaient été tournés. Nous avons donc modélisé en 3D des blocs d’immeubles entiers ressemblant à ceux des quartiers de Brooklyn et du Queens, ainsi qu’un camion pour une séquence de crash qui rend très bien. En refaisant tout en 3D, nous avons pu obtenir un bien meilleur rendu des décors et de la lisibilité des scènes.

La séquence de la poursuite en Monocycle est l’une des principales scènes d’action du film. Qu’avez-vous pu tourner avec les véritables monocycles, et quels effets numériques avez-vous ajoutés ?

Ken Ralston : Je crois qu’il n’a pas été possible de tourner beaucoup avec les vrais monocycles…

Jay Redd : Effectivement ! (rires) L’une des caractéristiques de ces engins bizarre est qu’ils sont extrêmement difficiles à conduire. Pour vous en convaincre, il suffit d’aller faire un tour sur YouTube et de visionner les séquence de tests de différents monocycles, qui s’achèvent par des crashs dans bien des cas !

Oui, nous nous en sommes rendu compte en visionnant ces images pour préparer cet entretien ! Vous avez certainement sauvé des vies en les remplaçant par des répliques numériques !

Jay Redd : (rires) Effectivement. Pendant le tournage, les monocycles qui fonctionnaient vraiment étaient stabilisés par quatre grandes roues latérales bien trop visibles à notre goût et donc difficiles à effacer numériquement. Un ingénieur travaillait sur ces machines pour s’assurer qu’elles fonctionneraient correctement, mais soyons francs, quand vous avez plusieurs stars qui pèsent des millions de dollars sur le plateau, nous n’avez pas envie de les voir rouler à toute allure sur une machine qui risque de se renverser ! Nous avons donc fait ajouter un siège plus stable sur l’appareil, puis nous avons effacé les roues latérales, et nous avons retiré la vraie grande roue pour la remplacer par une roue numérique. Nous avons tourné un certain nombre de plans avec cette version du monocycle, et nous avons aussi inséré des versions 100% virtuelles de ces véhicules et de leurs conducteurs – en l’occurrence Josh Brolin et Will Smith - dans d’autres images.

Ken Ralston : Dans cette scène, il y a aussi des versions numériques de Boris et de Griffin installés sur une moto, et fonçant au travers de rues qui sont elles aussi réalisées en 3D. Nous avons employés de nombreux trucs différents dans cette scène.

Avez-vous ajouté aussi des figurants numériques et des voitures virtuelles dans la scène pour donner l’impression que les cascades étaient encore plus dangereuses ?

Jay Redd : Absolument. Nous avons ajouté beaucoup de voitures digitales dans les rues, dont celles que l’on voit lors du crash avec le camion dont Ken parlait. Et nous avons rempli notre reconstitution du Stade Shea avec des dizaines de milliers de figurants et de joueurs de Baseball virtuels…

Ken Ralston : …sans oublier les voitures qui sont garées dans le parking, à l’extérieur du stade !

Jay Redd : Nous avons aussi créé des doublures virtuelles des gardiens de prison que l’on voit au début du film, et qui prennent le relais des cascadeurs à un certain moment de cette séquence. Donc oui, nous avons créé beaucoup de figurants virtuels !

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