JOHN CARTER : Entretien exclusif avec Jim Morris, producteur – Seconde partie
Article Cinéma du Vendredi 06 Juillet 2012

A l'occasion de la sortie de John Carter en DVD, Blu-ray et Blu-ray 3D, le 11 juillet, nous vous proposons un entretien avec le producteur Jim Morris...

[Retrouvez la première partie de cet entretien]



John Carter en Disney Blu-ray et DVD [VF|HD] par Lyricis


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quand vous avez commencé à étudier les approches techniques de JOHN CARTER, quelles sont les options que vous avez envisagées, mais que vous n’avez finalement pas retenues ? Une effigie animatronique de Woola ? Des maquillages pour les Tharks ?

Je crois que nous avons considéré dès le départ que les créatures du film devaient être réalisées en images de synthèse, pour différentes raisons. Non seulement pour la qualité et l’aspect final du trucage, mais aussi pour offrir le plus de flexibilité et d’approches différentes au moment du tournage. Nous avons cependant étudié différents moyens d’accomplir cela. Pendant un moment, il a été envisagé de recourir à une capture de performance complète, en enregistrant les mouvements des acteurs juchés sur des échasses pour leur donner la taille des Tharks. Bien sûr, cela n’aurait pas résolu le problème de la seconde paire de bras, qu’il aurait fallu ajouter et animer par la suite, mais au moins, nous aurions pu obtenir immédiatement des données d’animation basiques. Après avoir fait des tests, nous avons constaté qu’il y aurait tant de choses à compléter de toutes manières, étant donné que l’acteur ne pourrait pas faire lui-même les gestes des 4 bras, que nous étions partis sur une fausse piste. Il valait mieux que nous nous enregistrions surtout les performances vocales et les expressions faciales des acteurs, afin de servir de base au futur travail des animateurs, car leur gestuelle n’allait être utilisée que très partiellement, en raison des différences de morphologie entre un humain et un Thark. Parallèlement à cela, nous avons décidé de recourir à un peu d’animatronique pour nous aider à réaliser un effet très précis : l’animation des selles sur lesquelles les acteurs sont assis quand ils sont sensés chevaucher des thoats. Nous avons commencé par animer les thoats en 3D dès le début de la production, juste après que leur design ait été validé, afin de disposer de cycles de marche, de trot et de grand galop. Ensuite, nous avons demandé à notre équipe chargée des effets spéciaux de plateau de construire ce que nous avons appelé « des plateformes thoats ». Il s’agit de supports articulés et équipés de vérins, qui soutiennent une selle et un bout de dos de thoat, le tout étant monté sur des roues et motorisé pour pouvoir se déplacer. Certains supports étaient animés par une centrale pneumatique, ce qui créait des restrictions pendant l’enregistrement du son, en raison du bruit d’échappement d’air. D’autres supports étaient moins bruyants parce qu’ils étaient alimentés par une pompe hydraulique embarquée. Ces « plateformes thoats » fonctionnaient comme des simulateurs de vol montés sur des karts à moteur, et pouvaient rouler assez vite. Nous avons transféré les données des cycles d’animation de marche, trot et galop des thoats dans les ordinateurs des plateformes, et elles étaient alors en mesure de se déplacer tout en faisant bouger la selle et le comédien assis dessus, comme si le thoat en 3D était physiquement présent dans le décor, en plein désert de l’Utah. C’était assez étonnant de voir Taylor Kitsch, Lynn Collins et Willem Dafoe chevaucher ces montures animatroniques pour se déplacer dans ces vastes étendues ! Bien sûr, l’avantage du système, c’est que comme ces mouvements sont tirés des animations des thoats 3D, cela permettait ensuite d’effacer numériquement les plateformes pour caler les créatures en images de synthèse sous les acteurs. Et les mouvements des thoats 3D et des acteurs étaient alors parfaitement synchrones. Cette approche était un excellent exemple d’utilisation hybride d’animatronique et d’animation de créatures en 3D.

Comment avez-vous aidé Andrew à passer de l’animation à la direction d’un film tourné en prises de vues réelles, au niveau technique ? A t’il suivi une formation express pour apprendre à travailler avec des caméras 35mm, des grues et des dollies, et pour savoir comment utiliser des trucages réalisés en direct, sur le plateau ?

Ma première réaction par rapport à cela a été d’engager les meilleurs professionnels pour entourer Andy et l’aider à matérialiser sa vision. Pendant les longs mois de préparation du film, nous avons eu le temps de lui présenter le matériel que nous allions employer, afin qu’il se familiarise avec. Au bout du compte, il s’en est très bien sorti. Il a absorbé autant d’informations qu’il le pouvait, sans que cela n’interfère avec son but principal, qui était de porter sa vision le plus exactement possible à l’écran. L’essentiel était qu’il puisse être là pour diriger les acteurs et obtenir d’eux les performances idéales que nous espérions. Une fois arrivé sur le plateau, Andrew donnait à tout le monde l’impression qu’il avait tourné des films en prises de vues réelles depuis de longues années. Il aime tellement le cinéma qu’il s’était préparé à cela depuis toujours. Je ne l’ai jamais vu hésiter et se demander ce qu’il allait faire ensuite, comme cela arrive à tant de réalisateurs. Bien sûr, il était assisté par des gens qui étaient à sa disposition quand il avait besoin d’un conseil précis, mais il s’était remarquablement bien préparé en amont. Andrew ne s’est jamais contenté de rester assis devant les moniteurs, bien à l’abri dans les tentes climatisées de ce que nous surnommions le « village vidéo ». Il restait tout le temps avec les acteurs, juste à côté des caméras. C’était un travail différent de ce qu’il avait fait avant en dirigeant des films d’animation 3D, mais sa passion du cinéma est telle qu’il était prêt à passer du virtuel à un vrai tournage avec des comédiens, tout en préservant sa vision. Andrew s’est révélé être un étudiant remarquablement doué, qui apprenait vite. Et de mon côté, j’ai été heureux de pouvoir l’aider à franchir ce cap, comme j’ai pu le faire par le passé en travaillant avec des réalisateurs qui n’avaient pas beaucoup d’expérience dans le domaine des effets visuels.

Quels ont été d’emblée les défis les plus ardus à relever sur ce projet ?

La mise au point du processus de tournage des scènes avec les Tharks, car c’était un point essentiel du film. Il fallait que l’on soit persuadé que Taylor était bel et bien entouré de martiens de 2,50m dotés de 4 bras, sinon toute la crédibilité de l’histoire s’effondrait.

Comment Andrew Stanton vous a t’il décrit sa vision de JOHN CARTER et quelles idées lui avez-vous suggérées en tant que producteur ?

Son souci principal était de donner un aspect photoréaliste aux effets visuels. Andrew ne voulait pas seulement que les textures et l’éclairage des personnages et des décors 3D soient parfaits : il voulait aussi que nous les montrions exactement comme si nous avions posé nos caméras sur la planète Mars imaginée par Edgar Rice Burroughs, et capté l’action « sur le vif ». L’une des premières images préparatoires qu’il avait aimées montrait un vaisseau martien atterrissant pendant une tempête de sable : on ne voyait plus que la silhouette très estompée de l’engin. Cette illustration avait été réalisée en s’inspirant d’une photo d’un hélicoptère se posant dans le désert irakien, et soulevant ainsi beaucoup de poussière et de sable. Ce type de visuel est typique de ce qu’il faut faire pour coller à la réalité. Il faut d’abord s’inspirer de photos et de prises de vues réelles pour partir sur une bonne base, puis créer les visions imaginaires requises pour le film. L’erreur à ne pas commettre aurait été de montrer un vaisseau tout propre et étincelant, et net jusque dans ses moindres détails, se posant dans le désert de l’Utah. Là, la 3D aurait pu sembler artificielle. Par contre, si on recrée toutes les conditions des prises de vues dans ce type de paysage, jusqu’aux distorsions optiques dues à la chaleur qui émane du sol, alors là, on atteint le but espéré. L’expérience que j’ai acquise à ILM m’a permis de parler de tout cela avec Andrew, puis avec les différentes compagnies anglaises qui ont créé les effets visuels de JOHN CARTER, comme Double Negative et Cinesite.

Est-il particulièrement difficile de filmer des scènes d’effets visuels dans le désert de l’Utah ? Pouvez-vous nous parler des problèmes logistiques engendrés par la chaleur, le froid, et les tempêtes de sable ?

Au niveau logistique, il est relativement facile de s’adapter à la chaleur et au froid : on prévoit des tentes et des lieux climatisés pour que tout le monde puisse se réconforter entre les prises. Dans le désert, il faut distribuer des dizaines de milliers de bouteilles d’eau pour que tout le monde puisse s’hydrater constamment. Si je me souviens bien, l’équipe consommait plsu de 1400 litres d’eau par jour. Nous avions également prévu des milliers de flacons d’écran anti-UV ! (rires) Il y a différents équipements qui permettent de protéger l’équipement technique et les caméras des températures extrêmes. En revanche, ce qui est beaucoup plus contraignant, c’est le sable soulevé par les vents du désert. Il se glisse partout, et peut endommager gravement les objectifs et les mécanismes internes des caméras 35mm. C’est encore pire quand on est confronté à des tempêtes de sable, comme cela nous est arrivé très régulièrement. Là, on sait qu’il y a de grands risques de dégâts, malgré les précautions prises.

A présent que vous avez acquis l’expérience de la production de cette première aventure de John Carter, que feriez-vous différemment sur la suite du film, si celle-ci est validée par Disney ? Utiliseriez-vous le même procédé pour tourner les scènes avec les Tharks, par exemple ? Les acteurs porteraient-ils à nouveau des échasses et un système de capture du regard et des expressions faciales ?

Andrew et moi pensons que nous adopterions probablement les mêmes solutions, car elles ont été validées par les résultats que nous avons obtenus pendant le tournage et la postproduction de ce premier épisode. De même, nous utiliserions à nouveau des paysages réels pour représenter Mars, afin « d’ancrer » les effets visuels dans des environnements authentiques. Mais nous restons évidemment ouverts à l’utilisation de techniques qui pourraient apparaître dans les prochains mois ou les prochaines années.

Quels sont vos meilleurs souvenirs du tournage de JOHN CARTER et quelle est la scène du film que vous préférez ?

J’ai beaucoup aimé me retrouver sur le plateau en général, mais tout particulièrement quand nous nous tournions dans les magnifiques paysages de l’Utah. Je garde un souvenir émerveillé de l’endroit où nous avons tourné la scène pendant laquelle John affronte une horde de Warhoons : il s’agit d’une plaine immense, magnifique, qui était le fond d’une mer intérieure, il y a des centaines de millions d’années. Et il se trouve que cette scène avec les Warhoons est aussi l’une de celles que je préfère dans le film, car elle montre que John est prêt à sacrifier sa vie pour sauver Dejah, et qu’en combattant pour lui laisser le temps de s’enfuir, il prend une revanche sur sa vie passée, et sur une souffrance qui le taraudera jusqu’à la fin de ses jours : la mort de son épouse et de sa fille pendant la guerre de sécession. Il se sent coupable de n’avoir pas été là pour les protéger. Cet aspect dramatique est très bien rendu, et je trouve qu’Andrew a eu une autre excellente idée : montrer que Woola refuse d’abandonner son maître pendant ce combat qui semble perdu d’avance, et vient se battre à ses côtés. En fait, Woola devient presque l’illustration des sentiments intimes de Carter : il ne se soumettra pas, et se battra jusqu’au bout. J’aime beaucoup la manière dont Andrew a réussi à mêler ces différents éléments de l’histoire pour les présenter si efficacement. C’est un moment cathartique, où toutes les émotions de Carter atteignent un point culminant et explosent. Je pense que les spectateurs ressentiront cela et éprouveront de l’empathie pour John.

Avez-vous le sentiment qu’en cas de succès, Disney serait partant pour adapter chacun des 11 romans de la série JOHN CARTER au cinéma ? Seriez-vous partants, Andrew et vous-même, à contribuer au développement de toute la saga ?

Je ne peux pas répondre à la place de la direction de Disney, mais je peux vous dire qu’Andrew aime tellement l’univers de John Carter qu’il serait probablement volontaire pour suivre l’adaptation de l’intégralité de la saga au cinéma, même s’il n’en dirigeait pas lui-même tous les films. Réaliser un grand film comme JOHN CARTER est une tâche difficile, épuisante, de très longue haleine, mais en dépit de cela, Andrew n’a pas hésité à développer les bases du script d’un second épisode pendant la postproduction du premier, avant même de savoir si cette suite serait approuvée par la direction du studio ! Je pense que cela en dit long sur sa passion pour JOHN CARTER, et sur sa volonté de s’impliquer dans la suite de la saga. Et pour ma part, je serais heureux de continuer à travailler avec lui sur de prochains épisodes.

Dernière question : avez-vous déjà évoqué avec les dirigeants de Walt Disney Imagineering la perspective d’adapter le film en attractions destinées aux parcs à thème de la société ?

Oui, absolument ! Nous sommes en discussion constante avec eux depuis le début du projet. Nous leur avons communiqué tous les éléments qui concernent le film, et ils ont commencé à assembler des idées et à réfléchir sérieusement aux différentes possibilités d’adaptation du film en attractions.

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