Dans les coulisses de JOHN CARTER : Entretien exclusif avec Sue Rowe, superviseuse des effets visuels au sein de Cinesite - Seconde partie
Article Cinéma du Vendredi 27 Juillet 2012

[Retrouvez la première partie de ce dossier]


A l’occasion de la sortie de JOHN CARTER en DVD & Blu-Ray, ESI vous propose la suite de notre dossier sur cette épatante adaptation d’un des classiques de la littérature de Science-Fiction.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quels sont les autres environnements martiens que Cinesite a créés ?

Nous avons créé ce que nous appelons « les ruines Tharks ». Ce sont les endroits dans lesquels vivent les différentes tribus Tharks. Un décor partiel avait été construit dans le désert de l’Utah, qui représentait une vingtaine de maisons. On n’avait construit que la partie inférieure de chaque bâtisse, qui ne dépassait pas 6 mètres, et nous avons dû rajouter en 3D la partie supérieure, qui faisait 6 mètres de plus. Nous avons également ajouté une centaine de maisons 3D dans le décor réel pour donner l’impression qu’il s’agissait de toute une ville. Je garde un excellent souvenir de ce tournage dans les décors naturels à couper le souffle de l’Utah. Nous y sommes restés pendant 12 semaines et nous avions vraiment l’impression de nous retrouver sur Mars ! La lumière est incroyable là-bas, et le sol est naturellement rouge dans certains endroits. Dans d’autres, il peut être jaune ou gris, ce qui donne aussi l’impression de se trouver sur une autre planète. Le ciel était toujours merveilleusement bleu le matin. Les nuages arrivaient pendant l’après-midi, et chaque jour nous subissions le passage d’une tempête de sable. Pour nous, c’étaient donc des conditions techniques difficiles, mais elles l’étaient aussi au niveau physique, car il fallait survivre à ce tournage ! (rires) Une bonne partie de notre équipement – nos ordinateurs et nos caméras – ont été endommagés par le sable. Pendant les prises de vues, nous réalisions aussi des vues en HDRI, avec un système appelé Spheron, qui nous permettait de prendre des vues sphériques à 360° dans tous les axes en très haute résolution. Chaque image Jpeg obtenue ainsi « pesait » 16 mégaoctets, et nous permettait de reconstituer ensuite très précisément les conditions d’éclairage des décors, une fois rentrés à Londres. C’était très important pour obtenir des rendus hyperréalistes des environnements 3D.

Utilisiez-vous aussi ces prises de vues sphériques pour recréer le ciel dans certains plans ?

Oui, dans certains cas, mais elle servaient principalement à recréer les mêmes sources de lumière et les mêmes ombres dans nos images 3D. De cette manière, quand nous animons un combat à l’épée entre Taylor Kitsch et un personnage 3D, le métal de l’épée du personnage 3D brille exactement comme la vraie épée et a les mêmes reflets.

En dehors de l’ajout d’architectures virtuelles sur de véritables formations rocheuses du désert de l’Utah, avez-vous également ajouté des montagnes et des bâtiments 100% 3D dans les vrais paysages ?

Oui. Bien que les paysages choisis par Andrew aient déjà l’aspect de panoramas d’un autre monde, il nous a demandé d’ajouter des montagnes avec des formes encore plus étranges, et aussi de sculpter des textures dans les vraies formations rocheuses. Dans certains cas, nous avons simplement retiré une partie d’une vraie montagne pour lui donner une allure plus bizarre. Dans la plupart des plans, nous avons utilisé des références photographiques issues de prises de vues que nous avions réalisées à bord d’un hélicoptère. En vol, nous filmions des plans à 360° avec une caméra haute définition Genesis, et nous faisions aussi des photos HD en vue de les utiliser pour réaliser du mapping de textures sur les modélisations des montagnes et des cités Tharks. Nous avons utilisé aussi les techniques de photogrammétrie pour reconstruire ces volumes en 3D dans nos ordinateurs, ce qui me permettait de placer ma caméra virtuelle partout où je le souhaitais dans ces environnements virtuels recréés.

Pour clarifier les choses pour nos lecteurs, la photogrammétrie, c’est bien ce mélange entre la technique appelée télémétrie - qui consiste à faire de multiples relevés de distance par faisceau laser - et la prise de photos haute définition, qui permet de reconstituer des volumes réels en 3D, puis d’appliquer par dessus l’image HD de ses textures ?

Oui, tout à fait.

Vous êtes intervenus aussi sur les environnements créés par les Thern, qui utilisent une technologie très particulière…

En effet. Les Therns agissent comme les dieux de la planète. Ils aiment jouer en dressant les peuples d’Helium et de Zodanga les uns contre les autres. On les voit agir, notamment dans cet endroit qu’ils appellent le temple Thern. Mais une fois encore, il n’y avait rien de construit à cet endroit-là, en dehors de structures d’accroches pour les fonds verts. La science des Therns est basée sur la Nanotechnologie, la manipulation robotisée de la matière à l’échelle de l’atome. On voit donc dans ces scènes-là quelque chose que l’on n’a jamais vu avant au cinéma, et qui ressemble à une « plante mécanique », une sorte de sumac vénéneux composé de machines minuscules. Je suis très fière des gens de notre équipe qui ont réalisé cet effet, car il est étonnant. C’est un peu comme s’ils avaient réussi à créer une nouvelle couleur ! (rires)

Pouvez-vous nous expliquer quelles sont les extensions de décors que vous avez créées, et nous dire comment elles ont été réalisées, étape par étape, pour être fondues avec les images en prises de vues réelles ?

En dépit de leur grande taille, les décors qui ont été construits en studio ne pouvaient pas représenter toute l’ampleur des environnements de ce récit. Nous savions que nous allions devoir les prolonger par des architectures virtuelles. Nous avons donc réalisé des prises de vues HDRI pendant trois jours dans tous les décors du film, ainsi que des photos HD des textures de chaque élément, du plus petit au plus grand. Nous avons constitué une énorme banque d’images de rideaux, de carrelages, de craquelures ou de surfaces rouillées, afin de pouvoir réutiliser cela dans nos extensions de décors. C’était un travail particulièrement utile pour les extensions 3D de la ville de Zodanga, dont nous allions devoir multiplier la surface réelle du décor par 8. C’est un peu comme si nous avions ajouté 8 blocs d’immeubles à partir d’un seul décor de rues de New York, avec ces intersections de rues formant un quadrillage. En plus de tout cela, il fallait remplacer les ciels, ajouter des drapeaux flottant dans le vent, et les effets de distance atmosphérique et de poussière. C’est cet ensemble de détails qui donne un aspect réaliste à un environnement de ce genre, car il vous aide à croire que des gens vivent bel et bien là. La dernière touche a évidemment consisté à placer des habitants animés dans ces décors virtuels. Il fallait aussi ajouter des distorsions d’images dues aux émanations de chaleur montant du sol. Comme je vous le disais tout à l’heure, l’ironie de la chose, c’est que tout cela a été tourné en Angleterre en plein hiver, par des températures glaciales ! Mais le fait d’avoir expérimenté par moi-même les conditions climatiques du désert de l’Utah a été un formidable avantage. Cela m’a permis d’utiliser au mieux toutes les images de référence que nous avions prises là-bas pour reconstituer l’aspect d’une planète au climat désertique.

Est-il plus compliqué de créer des effets visuels pour le format d’image 2.35 du Cinémascope ?

Oui, nettement plus. Les lentilles créées pour le Cinémascope ont été fabriquées pour la plupart dans les années 50 et 60, à l’époque de grands films comme LAWRENCE D’ARABIE. Chaque lentille possède des caractéristiques différentes qui apparaîtront plus ou moins selon la manière dont vous allez l’utiliser. Nous avions cependant besoin d’être très précis dans la gestion de ces distorsions optiques pour nous assurer que nous pourrions greffer parfaitement des éléments 3D dans ces plans. Pour régler cela en amont, nous avons réalisé des tests avec chacun de ces objectifs cinémascope. Les tests consistaient à filmer un dessin de grille aux mesures très précises, puis à comparer les prises de vues avec l’image originale de la grille, ce qui nous permettait de voir tout de suite où les distorsions se produisaient. Nous devions reconstituer ensuite les distorsions spécifiques de chaque objectif en 3D, afin de les appliquer sur nos images de synthèse. Ce n’est que par ce biais que nous pouvions nous assurer que les images réelles et les éléments 3D raccorderaient aussi bien dans un plan fixe que pendant un mouvement de caméra. Ce fut un gros défi technique à relever, et nous avons dû créer un logiciel dédié pour le résoudre. Cela a nécessité des semaines de travail.

Pouvez-vous nous dire approximativement combien de plans d’effets visuels qui n’étaient pas prévus ont été ajoutés au film après le tournage, parce que certaines choses devaient être corrigées ou parce que certains effets de plateau n’avaient pas fonctionné comme prévu ?

C’est intéressant parce que nous avons participé à deux sessions de tournage supplémentaires après la fin du tournage principal. Elles ont eu lieu en février et en mars 2011. Mais elles n’avaient pas pour but de refaire des choses qui n’auraient pas été filmées correctement la première fois : le but était d’apporter quelques informations supplémentaires à certains moments du film, afin d’améliorer la narration de l’histoire. Andrew venant de l’animation, il avait tout storyboardé et préparé aussi une prévisualisation très poussée de la quasi-totalité du film, en travaillant avec une société américaine Halon. Il ne lui restait donc que très peu de choses à ajouter pour compléter son récit. Nous avons dû tourner une vingtaine de plans supplémentaires, pas plus. Je dois dire que c’est étonnant de revoir les designs originaux de Ryan Church et la previz d’Andrew puis de les comparer aux plans définitifs : le résultat final est remarquablement proche de la vision originale du film, et c’est assez rare pour être souligné.

Pouvez-vous nous parler de la création des scènes avec les grands et et les petits vaisseaux volants ? Quelles références réelles avez-vous employées pour les faire « fonctionner » et bouger ? Comment les batailles ont-elles été mises en scène ?

Il y a deux séries de scènes de batailles aériennes, l’une que nous avons appelée « la bataille d’ouverture » et l’autre « la bataille dans les airs ». Nous avons construit des modèles 3D des vaisseaux de Zodanga et d’Helium qui s’affrontent. La flotte d’Helium est blanche tandis que les vaisseaux Zodanguiens sont brun clair. Ils volent dans les airs en utilisant la lumière solaire. A cet effet, ils sont équipés d’ailes réfléchissantes de plus de 100 mètres de long, qui ressemblent un peu à des panneaux solaires aux formes complexes. Nous avons pu leur donner une surface qui produit des couleurs différentes en fonction de l’axe selon lequel les rayons du soleil les éclairent. Ils passent du pourpre au doré en passant par le vert et le bleu. Une partie de vaisseau avait été construite et placée sur une plateforme hydraulique animée, appelée un gimbal, pendant le tournage. Le décor pouvait s’incliner sur 30° environ, afin que l’on puisse filmer de manière plus réaliste les scènes dans lesquelles les vaisseaux pivotent un peu pour virer de bord. Pour les acteurs et les cascadeurs, ce n’était pas évident de jouer ainsi dans des décors inclinés. Ils étaient souvent secoués sans ménagement, et il arrivait que certains d’entre eux glissent et se heurtent aux éléments de décors. Et pour nous, enregistrer les déplacements de ces décors montés sur le gimbal est devenu un terrible casse-tête, parce qu’il allait falloir raccorder dans le mouvement les extensions de décors en 3D. Notre tracking devait être impeccable pour que les perspectives des décors soient parfaites quand on voyait toute la partie arrière du vaisseau, ou les perspectives du bastingage et des ailes sur les côtés.

En tout, combien d’artistes de Cinesite ont-ils travaillé sur JOHN CARTER et pendant combien de mois ?

Je crois que notre équipe a compté jusqu’à 300 personnes. En ce qui me concerne j’ai passé 2 ans et demi sur ce projet, dont les 6 mois passés sur le tournage. Pour la plupart des membres de Cinesite, cette expérience aura duré entre 1 an et demi et 2 ans.

La suite de notre dossier bientôt sur ESI !

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