PROMETHEUS : Entretien excusif avec Charlize Theron (Meredith Vickers)
Article Cinéma du Mercredi 08 Aout 2012

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

La scène dans laquelle Meredith Vickers fait des pompes alors qu’elle vient à peine de sortir de son caisson d’hibernation cryogénique, puis donne sèchement des ordres à l’androïde de bord, est une formidable introduction de votre personnage. Comment a t’elle été créée ?

C’est Ridley qui en a eu idée, et je dois lui rendre hommage pour cela. Au départ, le personnage était déjà intéressant, mais sa première scène me semblait un peu banale. Quand Ridley m’a proposé le rôle, il m’a expliqué que j’aurais la possibilité de donner plus de corps à Meredith en travaillant avec le scénariste Damon Lindeloff. Nous avons donc cherché une manière intéressante de la présenter, sans utiliser des moyens évidents, et en évitant de livrer des informations de manière classique, par des dialogues. Trois jours plus tard, Ridley m’a appelé pour me dire « Ça y est, j’ai trouvé ! Meredith se réveille la première, sort de son caisson avant tous les autres, sans être malade, et fait des pompes. Et quand David arrive, elle lui demande ‘Qui est mort ?’ au cas où il y aurait eu un problème de cryogénisation. » Je lui ai tout de suite répondu « C’est fantastique ! J’ai déjà envie d’en savoir plus sur cette femme ! Elle est tellement brutale ! » (rires) Tout le mérite de cette séquence revient donc à Ridley.

Meredith Vickers est-elle dure à ce point ?

Vous savez, je suis un peu lasse d’entendre les gens qualifier les femmes fortes, qui détiennent des responsabilités, du pouvoir décisionnaire, de « dures ». Chaque personne a une complexité particulière, qu’il s’agisse d’un femme ou d’un homme. La plupart de nos actions ont pour but de masquer ce que nous faisons ou pensons vraiment. C’est dans ce sens que nous avons travaillé pendant la réécriture du rôle de Meredith. Je me demandais pourquoi elle était si froide, si déterminée, si distante. Je pense que tout le monde peut devenir ainsi s’il est forgé par certaines circonstances. Au départ, ce n’était pas complètement clair dans le script, et nous avons travaillé avec Damon et Ridley pour que Meredith ait une personnalité plus étoffée et plus cohérente. En fin de compte, elle se transforme en personnage digne d’un film d’horreur dans le sens où elle est toujours en train de rôder quelque part, d’observer les gens, sans que l’on sache exactement ce qu’elle mijote… Ridley se réjouissait de pouvoir m’utiliser ainsi. Au début de certaines journées de tournage, il me disait avec délectation « Tiens-toi juste dans un coin, et regarde les autres. » Et tout cela a pris un aspect de thriller qui me plaisait beaucoup.

Meredith Vickers est une femme…disons « coriace »(rires)… placée dans une situation très difficile. Comment avez-vous travaillé avec Ridley Scott et Damon Lindeloff pour créer les différentes strates de sa personnalité, et les vulnérabilités qu’elle dissimule ?

Ce n’est qu’une fois que l’on connaît vraiment toutes les motivations d’un personnage que l’on peut construire les différentes manifestations de ses émotions. Si l’on essaie de travailler dans le sens inverse, c’est un peu comme si l’on plaçait la carriole devant les chevaux. Il faut d’abord déterminer l’objectif de cette personne, bien comprendre tout ce qu’il signifie pour elle, puis réfléchir à la manière dont elle pourrait agir pour atteindre ce but. Il faut réfléchir aux dilemmes que cela induit, à la manière dont le personnage va exercer son pouvoir et son influence… Une fois que nous avons établi clairement cela avec Damon, et que Meredith n’était plus seulement la femme d’affaires à bord, représentant la société Weyland, il a été bien plus facile de lui donner de la complexité, et de la rendre vraiment intéressante.

Considérez-vous que le thème de la bible est important dans le film ?

Ce n’est pas ce que j’ai ressenti à la lecture du script. Je dirais qu’il s’agit davantage des questions éternelles que l’ensemble de l’humanité, toutes ethnies et toutes religions confondues, se pose sur l’inconnu…Dans le film, il y a d’un côté des personnages qui croient en une volonté supérieure, et d’autres qui sont des savants. Ces deux groupes se demandent comment tout a commencé et qui est à l’origine de l’univers, de la vie. S’il y a un dieu, pourrait-il nous laisser tomber ? Si nous le rencontrions, que voudrions-nous lui dire ? Ce sont des sentiments universels, que chacun éprouve en étant confronté aux mystères du monde, de la vie et de la mort.

Quelles étaient les difficultés de ce rôle ?

En ce qui me concerne, les parties les plus « physiques » d’un rôle ne me gênent pas. En revanche, il est beaucoup plus difficile de se mettre dans un état où vos émotions sont à vif, dans un environnement de cinéma où tout est réuni pour vous distraire, pour de simples raisons techniques, parce qu’il y a beaucoup de monde sur la plateau, parce qu’il faut couper, faire une nouvelle installation et reprendre le moment où on l’a laissé une heure plus tôt…

Comment travaillez-vous pour vous préparer ? Est-ce que le déclic se produit quand vous vous habillez avec la tenue du personnage, par exemple ? Est-ce que vous entriez dans la peau de Meredith à ce moment-là ?

Je travaille très en amont, des mois ou des semaines avant d’arriver sur le plateau. A partir du moment où je donne mon accord pour participer à un projet, je suis obsédée par ce travail à venir. J’entame alors un processus très intime de réflexion personnelle, de dialogue avec moi-même, et je m’isole pour essayer d’explorer le monde du personnage que je vais incarner. Toute cette préparation demande du temps. Si on agit en dilettante et que l’on ne s’en préoccupe que le jour où l’on arrive sur le plateau, je pense que l’on est assuré d’échouer. Une bonne interprétation, c’est 99% de travail et 1% de talent. A chacun sa méthode…Tout cela fait partie des petits secrets des acteurs. Chacun a ses trucs, et en un sens, c’est un peu comme si vous demandiez à un magicien comment il fait surgir un lapin de son chapeau. Je ne suis pas sûre que le public a vraiment envie de le savoir. De même, aucune méthode n’est infaillible. Rien ne me permet d’être certaine à 100% que tout va se passer comme prévu pendant le premier jour de tournage. Ce n’est pas comme s’il suffisait d’appuyer sur un bouton. Réussir à restituer des émotions est un travail bien plus aléatoire que cela. Il faut avoir foi en vous et espérer qu’au bon moment, vous serez en mesure de plonger au plus profond de votre sensibilité pour vivre la scène comme le réalisateur s’attend à vous la voir jouer.

Avez-vous été inspirée par certaines personnes réelles quand vous avez travaillé sur la création de votre performance dans PROMETHEUS ?

Je suis inspirée par énormément de choses. C’est une expérience très abstraite, un peu comme une sorte de collage fait d’éléments hétéroclites. Je peux être atteinte de troubles du comportement quand je suis obsédée par quelque chose. Cela peut aller jusqu’aux T.O.C., les troubles obsessionnels compulsifs. J’essaie de m’en servir dans mon travail. Quand je sais que je dois me préparer pour un nouveau rôle, cela ne sort jamais de mon esprit. Je mène ma vie normalement, mais tout ce que je vois au cours de ma journée, tout ce que je lis dans les magazines, et tout ce que je regarde à la télévision peut m’inspirer, même de la manière la plus bizarre. J’aime l’art, la musique, la lecture, le cinéma, les voyages, regarder les gens, et tout cela est une source permanentes de sensations. Par exemple, si vous voyez un type dans un bar qui se cure le nez, puis qui plonge la main dans un récipient de cacahouètes, c’est un peu dégoûtant, mais cela peut vous inspirer d’une certaine manière. De même, la tenue d’une personne, sa façon de rire, ou un comportement insolite peuvent s’inscrire dans ma mémoire et m’aider à façonner mon interprétation.

Avez-vous été amenée à réfléchir à l’existence de formes de vies extraterrestres pendant le tournage de PROMETHEUS ?

Non, parce que j’ai toujours été convaincu qu’elles existaient ! Scientifiquement et statistiquement, il a été prouvé qu’il est impossible que nous soyons la seule forme de vie intelligente dans l’univers. Je crois qu’il serait particulièrement narcissique de penser le contraire. J’ai toujours été convaincu que c’était plausible.

Etait-ce un rêve d’être dirigée par Ridley Scott ?

Absolument. J’ai eu l’occasion de le rencontrer à plusieurs reprises en Californie, au cours de soirées. Je me souviens que nous étions invités à un dîner quand je lui ai demandé ce qu’il allait faire prochainement. Il m’a parlé du projet, de préquelle d’ALIEN en m’en racontant les grandes lignes, et m’a demandé ce que je m’apprêtais à tourner de mon côté. Je lui ai dit que j’étais sur le point de partir pendant un an en Australie pour tourner FURY ROAD avec George Miller. 6 mois plus tard, le tournage a été décalé d’un an. Et 48 heures après, Ridley m’a contacté. Il m’a dit « Quelqu’un vient de m’apprendre que le tournage de FURY ROAD avait été décalé. Est-ce que cela te dirait de venir jouer dans mon film ? » J’ai littéralement bondi de joie quand il m’a proposé cela. C’était comme une intervention magique, divine, après la déception du décalage de FURY ROAD ! Ridley est le réalisateur de sa génération avec lequel j’ai toujours eu envie de travailler.

Vous devez remercier George Miller tous les jours !

(rires) Oui, je lui dois des remerciements pour les 3 films que j’ai faits cette année, qui ont tous été d’heureux accidents : YOUNG ADULT, PROMETHEUS et BLANCHE NEIGE ET LE CHASSEUR.

Puisque vous venez de parler de FURY ROAD , quel rôle allez-vous jouer dans ce nouveau MAD MAX de George Miller ?

Malheureusement, comme PROMETHEUS, l’histoire de FURY ROAD est tenue secrète. Pendant toute cette année, j’ai vraiment eu l’impression d’être une espionne travaillant pour la CIA, car je ne pouvais absolument rien dire de FURY ROAD et de PROMETHEUS à qui que ce soit, même pas à ma famille ni à mes amis intimes. Tout ce que j’ai le droit de révéler à propos de FURY ROAD , c’est que je joue une guerrière, aux côtés de Tom Hardy, qui incarne MAD MAX.

Quels sont les meilleurs souvenirs que vous garderez de PROMETHEUS ?

Vous avez, je me souviens de ce que Michael Caine m’avait dit pendant le tournage de L’ŒUVRE DE DIEU, LA PART DU DIABLE, quand je lui demandais quels étaient les meilleurs souvenirs de sa longue carrière. Il m’avait répondu « Charlize, chaque expérience nouvelle est formidable parce qu’elle est différente. Une fois que l’on se détache un peu de la manière dont le film va être accueilli par la critique et par le public, et de la carrière commerciale qu’il aura, il faut t’accrocher à ce que tu fais pendant le tournage de ce film-là et te focaliser sur cette expérience. C’est là que se trouve la meilleure récompense de ce métier : profiter de l’instant présent de ce travail. » Il avait raison. A chaque fois, j’apprécie pleinement ce que je vis. J’ai aimé rencontrer les acteurs de PROMETHEUS et travailler avec eux, j’ai aimé être dirigée par Ridley, j’ai même aimé ce que j’ai eu à faire pour patienter pendant les nombreuses heures d’attente entre les différentes prises… Michael Fassbender et moi nous enfermions dans une pièce pour regarder sur YouTube des vidéos de gens faisant des chutes, et même si c’était stupide, nous étions morts de rire. Ce sont ces petits moments qui vous font apprécier cette vie d’acteur qui est proche de celle d’une troupe de cirque. On fait ses bagages, et on se retrouve à chaque fois dans des lieux différents, avec des gens que l’on n’a jamais rencontrés, et vous faites ce que vous avez à faire. C’est une profession formidable qui vous donne de grandes opportunités. La majeure partie de PROMETHEUS a été tournée en Angleterre, dans les studios de Pinewood, et ensuite, nous avons tourné en Islande pendant trois semaines. Découvrir les paysages naturels de ce pays était également un plaisir, même si les scènes que nous y avons tournées étaient assez intenses…

Vous auriez presque pu louer une maison près des studios de Pinewood, puisque BLANCHE NEIGE ET LE CHASSEUR a également été tourné là, juste après PROMETHEUS…

Oui ! Le plus étrange, c’est que quand nous achevions le tournage de PROMETHEUS, les plateaux que nous quittions étaient progressivement récupérés par la production de BLANCHE NEIGE ET LE CHASSEUR ! Il y a eu un moment où j’ai dû me dire « Calme-toi » parce qu’ils étaient en train de démolir mon merveilleux vaisseau spatial pour construire mon château ! (rires) C’était vraiment incroyable de se retrouver dans une telle situation. Je ne crois pas que beaucoup d’acteurs aient eu l’occasion de vivre cela.

Pouvez-vous revenir sur les relations entre votre personnage et les autres protagonistes principaux de PROMETHEUS comme Elizabeth Shaw et David 8 ?

David fait partie de la compagnie Weyland, à tous les sens du terme, puisqu’il a été conçu et fabriqué par elle. On pourrait dire qu’il représente Weyland en tant que produit-phare, tout comme l’Iphone ou l’Ipad représentent Apple. Avec Elizabeth Shaw, les relations sont assez tendues, parce que je ne lui facilite pas forcément les choses… Meredith Vickers a la manie de vouloir tout contrôler, tout diriger. Quand Peter Weyland dit en parlant d’Elizabeth Shaw et de Charlie Holloway « Ce sont eux qui vont diriger la mission. », Meredith ne le prend pas bien, car elle a été formée pour diriger. Elle essaie donc de reprendre rapidement la main, et le contrôle des opérations. Elle s’appuie autant que possible sur le règlement administratif pour entraver les actions de Shaw et d’Holloway, et avoir ainsi le dernier mot. Au début, on croit que c’est une déformation professionnelle qui la pousse à agir ainsi, l’habitude de se poser en manager d’une équipe, puis on découvre à la fin du film qu’elle a des motivations beaucoup plus personnelles. Et on comprend mieux pourquoi les rapports entre Meredith et Shaw ont été plutôt tumultueux : l’enjeu du voyage touche personnellement Meredith.

Est-ce que le fait de jouer en compagnie de tout un groupe d’acteurs permet de faire retomber un peu la pression que vous ressentez en tant qu’actrice incarnant l’un des personnages principaux du film ?

Je crois que même quand on joue un des rôles principaux, on ne peut pas penser de cette manière, et espérer se reposer sur les autres acteurs, car cela brouille ce que vous avez prévu de faire en construisant votre personnage de votre côté. Il ne faut pas que vous sortiez des rails que vous avez posés si vous voulez contribuer à raconter l’histoire comme elle doit être contée. Et si vous commencez à penser à des choses que vous n’avez aucun moyen de contrôler, comme la manière dont vos collègues vont jouer, vous pouvez vous perdre, dévier de votre voie. Cela étant dit, je suis ravie de fréquenter des acteurs et de travailler avec eux comme au sein d’une troupe. Nous avions un excellent metteur en scène et nous nous risquions donc pas de nous perdre en route. Il y avait une énergie particulière qui se dégageait de cette équipe et qui me poussait à aller de l’avant, qui me donnait de la force. Et tout le monde a été formidable, je dois le dire.

Le personnage de Peter Weyland est l’un des principaux liens entre ALIEN et PROMETHEUS…

Oui, c’est l’un des brins d’ADN d’ALIEN qui se trouvent dans PROMETHEUS, comme Ridley a coutume de le dire. Les vrais fans comprennent tous ces liens entre les deux films, sans que cela gène le grand public.

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