Entretien exclusif avec les réalisateurs de L’ETRANGE POUVOIR DE NORMAN, le meilleur film d’animation de 2012 ! - Troisième partie
Article Animation du Mercredi 29 Aout 2012

[Retrouvez la précédente partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Un nouveau conte fantastique plein d’esprit(s) !

Après la grande réussite que fut CORALINE, les studios Laika nous présentent un nouveau bijou de l’animation image par image de marionnettes, qui parodie les films d’horreur des années 70 à 90. Les réalisateurs Chris Butler et Sam Fell nous ont longuement parlé de cette comédie réjouissante, qui bénéficie de techniques révolutionnaires. Voici la suite de cet entretien !

Chris, comment le projet a t’il commencé et combien de temps vous a t’il fallu pour développer le concept, écrire l’histoire et la storyboarder ?

Chris Butler : J’ai commencé à y penser il y a une douzaine d’années… En le disant, je me rends compte que cela fait au moins 6 ans que je raconte cela ! (rires) Bref, cela fait longtemps que j’avais envie de voir un film de zombies pour les enfants. J’ai pensé que c’était une excellente idée, et tout le reste est parti de là. Ensuite, cela a évolué et j’ai eu cette envie de mélanger les styles des films d’horreur de John Carpenter et des comédies pour ados de John Hughes. L’ETRANGE POUVOIR DE NORMAN, c’est un mélange de THE FOG et de THE BREAKFAST CLUB ! (rires). J’ai été également influencé par d’autres comédies et par les séries américaines de mon enfance, comme LES GOONIES, SCOOBY-DOO, S.O.S. FANTOMES, POLTERGEIST, et beaucoup de films d’horreur que je n’aurais probablement pas dû regarder quand j’étais tout jeune ! J’ai laissé mûrir cette idée parce qu’elle me plaisait beaucoup, et j’ai continué à travailler dessus au fil des ans. Et puis un jour, pendant que je travaillais sur CORALINE, on m’a demandé si j’avais des idées de film, et comme je disposais d’une trentaine de pages de présentation du projet, et de beaucoup de notes et de croquis rassemblées dans un cahier, je les ai données à Travis Knight, le président des studios Laika, notre big boss, et il les a lues. Il m’a demandé « Où est le reste de l’histoire ? » et j’ai dû me dépêcher de l’écrire, parallèlement à mon travail sur CORALINE. C’est ainsi que le projet a été validé et a vu le jour. Je crois que cela s’est passé il y a 4 ans environ. A partir du feu vert, nous avons passé une année à développer le projet, et la production a duré 3 ans. Nous arrivons tout juste au bout du processus au moment où nous parlons.

Sam Fell : Je suis arrivé au moment où le scénario du projet en était à sa 2ème version. Nous avons commencé à en parler, et c’était un peu difficile d’avancer au départ, parce que Chris avait développé tellement d’idées autour de ce concept qu’il avait largement de quoi faire un film de deux heures, ce qui aurait été beaucoup trop long pour de l’animation. Nous avons passé un peu de temps à restructurer tout cela, puis Chris a écrit une nouvelle version du scénario sur la base de nos conversations… Et nous avons commencé à storyboarder le film en 2010.

Chris Butler : En fait, j’avais déjà commencé à storyboarder des scènes auparavant, en compagnie de 2 collègues qui travaillaient sur CORALINE, afin de tester certaines idées. Mais le véritable travail sur l’histoire et le storyboard n’a débuté qu’à partir du moment où nous avons obtenu le feu vert officiel du studio. J’ai storyboardé quelques scènes moi-même, pour me prouver que j’en étais toujours capable ! (rires)

Sam Fell : Il y a plusieurs de ces premières idées qui figurent encore dans le film. Après le feu vert, il nous a fallu un an pour que tout soit prêt – scénario et storyboard – et que nous puissions lancer la production. Du coup, la phase de préproduction a été très courte. Nous nous sommes jetés à l’eau ! C’était un avantage que l’histoire ait d’ors et déjà un début, un milieu et une fin très solides, ainsi que des personnages bien définis.

Etiez-vous tous les deux des fans de Fantastique et d’Horreur quand vous étiez adolescents ? Quels étaient vos films favoris à cette époque ? Et quels sont les films d’animation image par image qui vous ont le plus influencés quand vous avez commencé à réaliser L’ETRANGE POUVOIR DE NORMAN ?

Sam Fell : Pour moi, en tant qu’animateur, ce sont les films de Ray Harryhausen qui m’ont donné la vocation et qui m’ont incités à faire ce métier. Je les ai vus pendant mon enfance, et la magie de ces créatures et de ces squelettes animés m’avait énormément frappée. Quand nous avons commencé à penser à l’animation de L’ETRANGE POUVOIR DE NORMAN  , nous avons revu beaucoup de films d’horreur des années 80 et 90 avec lesquels nous avions grandi. A cette époque-là, l’animation était l’un des effets spéciaux que l’on utilisait beaucoup, car on ne savait pas encore créer des monstres en images de synthèse. Je me souviens que la fiancée transformée en zombie dans EVIL DEAD 2 était une marionnette animée image par image. Je crois que c’est la raison pour laquelle Chris a toujours imaginé L’ETRANGE POUVOIR DE NORMAN comme un projet réalisé avec des marionnettes animées image par image. C’était le mode d’expression artistique idéal pour cette histoire.

Chris Butler : Oui, je l’ai toujours visualisé ainsi, même au tout début de l’écriture. Sam et moi aimons appliquer l’esthétique des films en prises de vues réelles à l’animation. Je pense que c’est la raison pour laquelle j’ai imaginé aussi une approche narrative identique à celle d’un film avec des acteurs. Et ayant grandi moi aussi en regardant les films de Ray Harryhausen, et en étant fan de monstres, il était tout naturel d’imaginer des zombies animés image par image !

Avez-vous injecté beaucoup de votre propre enfance dans cette histoire et dans l’univers visuel du film ?

Chris Butler : J’ai mis une bonne partie de mon enfance dans le personnage de Norman. Mais j’hésite un peu à le dire, car mes parents n’étaient pas du tout comme ceux de notre héros ! (rires) Pour être plus précis, je dirais que beaucoup de choses sont tirées de l’observation de situations de la vie réelle, aussi bien au niveau de l’écriture que de la conception visuelle du film. Nous essayons de travailler ainsi, Sam et moi, pour nous assurer que tout ce que l’on verra « sonnera juste », aussi bien au niveau des designs des objets et des accessoires que du comportement physique des personnages.

Sam Fell : De nombreux films d’animation image par image sont sortis ces derniers temps, et nous avions envie d’explorer de nouvelles manières d’aborder artistiquement cette technique. Nous avons passé du temps à y réfléchir en sortant un peu, et en allant voir ce qui se passait dans le monde extérieur et dans le cinéma en prises de vues réelles. Nous voulions nous frotter à la réalité, puis réussir à la styliser et à la miniaturiser. Je crois que c’est la raison pour laquelle l’univers de L’ETRANGE POUVOIR DE NORMAN est détaillé à ce point : nous voulions entraîner les spectateurs dans un univers crédible, visuellement aussi riche que peut l’être le monde réel.

Chris Butler : Nous décrivons les mésaventures d’un ado qui possède le pouvoir de voir les fantômes et de discuter avec eux. Par contraste, cet aspect fantastique fonctionne beaucoup mieux si l’univers « normal » est montré de manière réaliste.

Le style graphique du film est fantastique. Comment a t’il été développé ? Quel type de design cherchiez-vous ?

Sam Fell : Cette démarche a débuté en réfléchissant à la conception visuelle des personnages. Chris a travaillé avec une dessinatrice qui s’appelle Heidi Smith, et qui a un style graphique très particulier, vraiment original, qui ne ressemblait à rien de ce que l’on avait vu auparavant dans des films d’animation. Quand on voit les films de marionnettes sortis récemment, on se rend compte qu’il y a des points communs dans leurs designs de personnages : ils sont souvent inspirés de l’esthétique des dessins animés des années 50, et restent dans un cadre relativement classique du cinéma d’animation. Quand Heidi Smith a surgi et nous a montré son travail, nous avons été séduit par le fait qu’il se distingue de tout le reste. Elle a une manière très ironique d’observer et de redessiner le monde, en utilisant beaucoup l’asymétrie, et des formes très atypiques pour des personnages. Je dirais qu’il y a une sorte de « beauté laide » dans tout ce qu’elle dessine.

Chris Butler : Et ses caricatures sont extrêmement justes. Elle a un sens de l’observation redoutable ! Cela correspondait bien au contexte du film, qui se déroule dans une petite ville tombée dans une phase de décrépitude depuis une bonne quinzaine d’années. Nous avons envie que cette atmosphère se retrouve dans le design global du film. Comme vous le disiez précédemment, cet environnement n’a rien du portrait au pastel d’une communauté idéale, avec de jolies maisons entourées de petites clôtures blanches. Il s’agit d’une banlieue américaine qui a encore des aspects charmants, mais dont les belles années sont passées depuis longtemps.

Sam Fell : Nous voulions rendre hommage à ces lieux-là. A début de notre collaboration, nous avons cherché des sources de références visuelles qui nous plairaient à tous les deux, et nous avons convenu que le travail du photographe William Eggleston correspondait exactement à ce que nous avions en tête.

Chris Butler : Eggleston est un photographe américain qui prend des photos de choses auxquelles on ne prête aucune attention habituellement, mais qui ont une signification très forte quand on prend le temps de les regarder.

Sam Fell : Nous avons beaucoup aimé sa manière de s’intéresser à des environnements humbles, en mettant une personne ou un objet particulièrement en valeur…

Chris Butler : Notre chef décorateur Nelson Lowry a un talent fantastique. Et il comprend parfaitement ce qu’il faut concevoir pour que cela marche dans un film d’animation. Nous nous sommes rendus avec lui et d’autres artistes dans le Massachusetts, la région où notre film se déroule, et nous avons pris des milliers et des milliers de photos là-bas, afin d’avoir toutes les références nécessaires. Notre objectif était de trouver un design avec des lignes dynamiques et nerveuses, qui montre que cet environnement est très mal entretenu ou laissé à l’abandon. Nous avons travaillé aussi avec Ross Stewart, le directeur artistique du film BRENDAN ET LE SECRET DE KELLS…

Un dessin animé « celtique » aux superbes designs…

Chris Butler : Oui. Nous avons eu la chance de pouvoir travailler avec lui. Ross est venu ici à Portland, et il a complété cette formidable équipe chargée du design du film, qui a parfaitement compris ce que nous voulions faire. Ils ont atteint le centre de la cible ! De plus, ils ont réussi à faire un travail si harmonieux qu’à aucun moment on n’a le sentiment qu’une personne a conçu tel élément, tandis qu’un autre artiste s’est occupé d’un autre décor ou d’un autre personnage. Tout fait partie du même univers cohérent et réel.

Sam Fell : Il était important que ce soit Heidi Smith qui crée les designs de tous les personnages, des protagonistes de premier plan jusqu’aux « figurants ».

Chris Butler : Dans une scène, nous montrons un raton laveur tout aplati parce qu’il a été écrasé par une voiture. Eh bien Heidi l’a dessiné aussi, même s’il n’est pas important.

La suite de cet entretien apparaîtra prochainement de manière paranormale sur ESI !

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