[Flashback] Entretien exclusif avec Richard Stammers, superviseur des effets visuels de PROMETHEUS - Troisième partie
Article Cinéma du Dimanche 21 Mai 2017

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A l’occasion de la sortie d'Alien Covenant, nous vous proposons de nouveaux entretiens avec les créateurs des effets spéciaux de Prometheus. Voici la suite et la fin de notre passionnante discussion avec Richard Stammers…

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Avez-vous animé en 3D la « cage thoracique » de la combinaison posée sur le fauteuil du space jockey, au moment où on la voit s’ouvrir ?

Oui, nous avons animé l’ouverture de la « cage thoracique » de la combinaison, qui a été intégralement modélisée en 3D. Ridley a voulu utiliser des versions réelles de ces éléments, qui constituaient toujours le point de départ ou la fin d’une de ces animations. Nous avons souvent animé des transitions 3D entre deux éléments réels, filmés en direct.

Vous a t’on demandé de créer des effets autour du personnage de David 8, l’androïde que joue Michael Fassbender ?

Oui, mais très brièvement et dans très peu de plans, dans les dernières séquences du film, afin d’effacer des parties du corps de l’acteur.

Pouvez-vous nous parler des effets « invisibles » que vous avez utilisés dans les scènes d’action, comme les effacements de câbles et d’équipements divers, les acteurs tournés à part sur fond vert, etc ?

Il y a une séquence de tempête très impressionnante dont nous avons tourné la seconde partie, à partir du moment où elle devient encore plus puissante, et soulève des nuées de particules. Cela ne ressemble pas aux scènes habituelles où l’on décrit des tempêtes de sable : le rendu est beaucoup plus impressionnant et violent. Le personnage de Noomi est emporté par une bourrasque. Cette cascade a été réalisée en employant une grande structure sur laquelle étaient fixés les mécanismes des câbles auxquels la doublure de Noomi était suspendue…

Pardon de vous interrompre, mais ce qui est frappant dans ces images, ce sont les pierres et les poussières qui sont soulevées par ces rafales de vent d’une force incroyable. Est-ce que l’idée développée par Ridley Scott est que le sol étant d’origine volcanique, les pierres sont issues de coulées de lave et donc poreuses, et de ce fait plus légères et susceptibles de s’envoler ?

Oui, c’était l’idée. Ridley voulait éviter que la tempête soit uniquement représentée par des nuages de poussière, car cela n’aurait pas été très intéressant à voir en relief. En revanche, ces débris, ces cendres et ces pierres volcaniques noires qui sont charriées par le vent permettent de visualiser la force des rafales, et tout devient beaucoup plus dynamique et spectaculaire. Cela ajoute aussi un élément de suspense, car toutes ces particules viennent percuter le casque de Noomi et le fendillent. Non seulement elle risque d’être emportée à des kilomètres du vaisseau, mais elle risque aussi de s’asphyxier en étant privée d’oxygène. Quand on voit tous ces débris ricocher sur elle, l’effet est saisissant. Cela ressemble à ce qui est charrié par un nuage pyroclastique pendant une éruption volcanique, mais sans l’onde de chaleur qui réduit tout en cendres. La scène a un impact dramatique très fort. Le personnage de Noomi n’est d’ailleurs pas le seul à être emporté par cette tempête monstrueuse. D’autres membres de l’équipage sont aussi balayés, parce que la tempête surprend tout le monde.

Combien de temps le tournage de cette séquence a t’il duré ?

Cette scène a été tournée de nuit pendant une semaine, afin de recréer la perte de lumière qui survient quand on se retrouve au cœur d’une tempête. Il y a tant de particules en suspension dans l’air que la lumière solaire ne parvient plus à passer. Une partie des effets a été réalisée à Pinewood, avec des ventilateurs géants et des projections de particules très légères qui ne pouvaient blesser personne, ainsi qu’avec des effets de câbles permettant de donner l’impression que la doublure cascade de Noomi s’envolait.

Cela signifie que vous avez dû effacer les câbles qui soutenaient la cascadeuse, tout en détourant chacun des débris qui passait devant et derrière les câbles ? Le travail de retouche numérique a du être considérable !

Oui, et il a été dédoublé puisque ces effets ont été finalisés en relief. Il a fallu effacer les câbles pour le point de vue de l’œil droit et aussi pour celui de l’œil gauche. C’est le studio Rising Sun qui s’est occupé de cela et ses équipes ont réalisé un travail vraiment formidable. Après avoir effacé les câbles, ils ont aussi créé des éléments supplémentaires. Disons que les effets de plateau nous ont permis d’obtenir 85% des particules soulevées par le vent, et que nous en avons ajouté 15% pour donner encore plus de dynamisme à cette scène. Les roches et les débris créés en 3D ont été placés dans les courts moments où il y avait une baisse de rythme dans les projections de vrais éléments. Cela nous a permis de conserver un tempo très intense et très homogène tout au long de la séquence.

Cette scène a t’elle été tournée en grande partie par la doublure cascade de Noomi Rapace ?

Oui, car certaines actions ne pouvaient être tournées que par une cascadeuse ayant les compétences professionnelles et la résistance physique requise. Mais Noomi et les autres acteurs ont passé eux aussi pas mal de temps suspendus à ces câbles…

Avez-vous utilisé aussi des doublures digitales ?

Ce n’était pas prévu à l’origine, mais nous avons dû en créer pour des plans d’inserts qui auraient été trop compliqués à tourner en direct.

Comment avez-vous enlevé les reflets parasites sur les visières des casques ? Avez-vous retiré les visières pour les remplacer par des versions digitales ?

Nous avons été obligés de procéder ainsi dans certains cas, mais dans la majorité des plans, nous avons été en mesure de tourner directement avec les casques entiers. Il arrivait que les reflets soient trop visibles, notamment quand les acteurs se trouvaient très près de la caméra et des équipes de prises de vues. Mais il pouvait aussi s’agir de reflets trop intenses du ciel, qui masquaient les visages des comédiens, ou de points de lumière trop vifs, provenant des sources d’éclairages. Quand le directeur de la photographie estimait que cela devenait problématique, nous utilisions des demi-casques, dont les visières avaient été retirées, et nous les reconstituions en 3D. Mais encore une fois, dans la plupart des cas, les reflets ne posaient pas trop de problèmes. Il suffisait d’effacer des reflets trop vifs sur les visières, sans avoir à recourir à leur remplacement par des visières virtuelles.

L’auto-éclairage de l’intérieur des casques a dû vous aider à diminuer l’impact des reflets parasites…

Oui, particulièrement dans les scènes qui se passent dans les décors intérieurs dont l’éclairage est peu intense. Cela permet aux éclairages intérieurs des casques de prendre le pas sur les autres et de résoudre la plupart des problèmes. Nous avions pris des mesures en amont pour limiter les recours aux retouches numériques, notamment en disposant des draps noirs tout autour de la caméra, afin de masquer l’équipe technique. Dans certains cas, cependant, il n’y a rien à faire : si vous placez des écrans verts dans un décor, ils se refléteront quoi qu’il arrive dans les visières des casques.

Avec quelles caméras numériques 3-D le film a t’il été tourné ?

Avec des systèmes de prises de vues relief équipés de deux caméras Red Epic. L'une des caractéristiques les plus remarquables de cette caméra est sa compatibilité avec la résolution 5K. Cela veut dire qu’il faudrait placer côte à côte 7 ou 8 images en HD 1080p pour obtenir une image équivalente. Dans cette résolution, la caméra Red Epic peut tourner jusqu’à la vitesse de 120 images par seconde.

Est-ce que cette caméra de très haute résolution vous a permis de tourner avec une quantité d’éclairage limitée, tout en obtenant des images assez lumineuses pour supporter d’être assombries par les lunettes polarisées, pendant le visionnage du film en relief ?

Oui. Notre directeur de la photo, Dariusz Wolski, venait de travailler sur le quatrième volet de PIRATES DES CARAÏBES, et l’expérience qu’il avait acquise pendant ce tournage en relief lui a permis de maîtriser parfaitement le dosage de sources d’éclairage assez ténues, tout en obtenant des images d’excellente qualité et de bonne luminosité. Dariusz aime travailler avec peu de lumière et les résultats qu’il obtient sont étonnants. Ses images sont magnifiques. Je dois dire que j’ai été surpris de voir jusqu’où il pouvait aller dans les ambiances sombres, en utilisant pleinement les ressources de la Red Epic. Sachant que nous perdrions un peu d’intensité pendant le visionnage en relief, il compensait un peu en amont. Il était bien conscient du problème, et comme certains décors, comme la salle avec le visage géant dont vous parliez, sont peints dans des teintes très sombres, il a été très attentif au fait que l’on puisse bien voir tout ce que Ridley souhaitait montrer aux spectateurs.

Les effets visuels ont-ils été créés avec une résolution de 4K ?

Non. Nous les avons créés dans une résolution légèrement supérieure à 2K. Le tournage en relief a été fait avec les caméras placées côte à côte en position parallèle, et les effets de convergence 3-D sont affinés ultérieurement, en postproduction. Certes, la résolution de la Red Epic est de 5K, mais nous savions que l’exploitation finale du film serait faite en 2K. Pour ne rien vous cacher, d’autres options ont été envisagées, mais c’est finalement cette résolution de 2K qui a été choisie. Il a fallu être réaliste et tenir compte du côté pratique et financier du travail à accomplir. Si nous avions travaillé à une résolution de 4K ou de 5K, nous ne serions pas parvenus à livrer à temps tous les effets visuels en relief que nous devions produire. Nous avons fait des tests pour déterminer quelle serait la résolution idéale pour convenir à tous les studios auxquels nous allions confier des effets à réaliser, et nous avons déterminé qu’en travaillant à un peu de plus de 2K, nous bénéficions ainsi d’un peu de marge d’image supplémentaire à droite et à gauche du cadre, ce qui nous convenait bien, étant donné que nous tournions en relief, avec les objectifs en position parallèle. Avec ce format plus large, nous n’avons pas rogné les bords extérieurs des images destinées à l’œil droit et à l’œil gauche, quels que soient les décalages dus aux effets de profondeur ou de jaillissement.

Quels ont été pour vous les défis les plus complexes à relever, en tant que superviseur des effets visuels d’une aussi grosse production ?

Pour être honnête, c’est la quantité des plans à livrer ! (rires) Il y a des effets visuels dans la moitié des plans de PROMETHEUS, et pendant chaque journée de tournage, nous avons « préparé le terrain » pour les trucages numériques qu’il allait falloir ajouter. Durant la production du film, il n’y a eu qu’un seul jour pendant lequel ma présence sur le plateau n’était pas nécessaire, parce que tout était tourné en direct. Et quand il n’y avait pas d’effets numériques prévus, il fallait souvent que je sois là au cas où il faudrait y recourir pour corriger ou amplifier des choses que l’on allait filmer ! (rires) Mon implication a donc été assez intense. Malgré la préparation minutieuse de chaque plan en amont, certains problèmes ont surgi pendant que Ridley tournait le film. Quand un réalisateur arrive sur un plateau et découvre le décor fini et les acteurs dans leurs costumes, il y a toujours des petites choses imprévues qui se révèlent. Heureusement, nous avions prévu le temps nécessaire pour faire face aux imprévus ! Mon rôle consistait à être constamment disponible pour répondre aux besoins de Ridley, scène par scène, et pour m’adapter à ses demandes. Le nombre de plans a toujours été, de mon point de vue, le défi principal à relever. Le travail de préparation méticuleux des séquences les plus complexes nous a permis de les tourner et de les finaliser dans les délais fixés, en obtenant exactement les résultats souhaités. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les séquences finalisées telles que vous les verrez dans le film sont quasiment identiques aux prévisualisations des scènes en 3D schématique que nous avions préparées avec Ridley.

Avez-vous ajouté beaucoup d’effets visuels non prévus après la fin du tournage, afin d’améliorer certains effets tournés en direct ?

J’aurais du mal à vous donner un nombre précis de plans, mais nos interventions ont ressemblé à ce que l’on fait pratiquement toujours sur un film, quel qu’il soit : il s’agit de petites corrections, de projecteurs ou de micros que l’on doit effacer du cadre, etc. Parmi les plans d’effets visuels sur lesquels il a fallu intervenir, il y a des cas où nous avons dû effacer des repères au sol qui n’étaient plus utiles parce qu’une partie du trucage avait été annulée entre-temps.

Y a t’il un plan qui s’est avéré bien plus difficile à tourner que prévu ?

Techniquement, certains plans se sont avérés un peu plus complexes à filmer que prévu, mais pas au point que nous ne puissions pas arriver à obtenir le résultat escompté. Ce sont généralement les plans qui reposent le plus sur la créativité du réalisateur au travail sur le plateau, pendant la tournage, qui sont susceptibles d’évoluer et de devenir plus compliqués. En revanche des plans comme ceux des manœuvres du vaisseau dans l’espace ou de son atterrissage ont été tellement balisés en amont que nous n’avons pas de surprises en les réalisant. Ce qui est beaucoup plus difficile à finaliser, ce sont les plans qui reposent sur des éléments subjectifs. Même si Ridley a une idée très précise de ce qu’il veut obtenir, il peut avoir du mal à orchestrer les éléments qui ont été préparés pour créer précisément l’image ou la sensation qu’il a en tête. Les plans et les atmosphères dont je parle concernent les éléments les plus mystérieux du film, que l’on découvre dans le dernier tiers de l’histoire…

Avez-vous créé des doublures numériques de plusieurs acteurs ? Et aussi des space jockeys ?

Oui, quelques-unes interviennent pendant certaines cascades, comme celle de la tempête dont nous parlions précédemment, mais nous avons créé aussi des animations que je qualifierais de « particulières » pour certains personnages, et qui ne concernaient pas des cascades. Il y a aussi des moments du film pendant lesquels nous voyons les membres de l’équipage du Prometheus comme s’ils marchaient sur un sol transparent, en contre-plongée extrême, et nous les avons réalisés en 3D et raccordés avec les prises de vues réelles en fin de plan. Nous avons créé aussi des doublures numériques d’autres personnages pour des séquences où ils apparaissent en gros plan, et doivent avoir un rendu photoréaliste.

Avez-vous scanné les acteurs en 3D pour réaliser ces doublures numériques ?

Oui. J’en reviens à ce que je vous expliquais au départ à propos du désir de Ridley d’avoir toujours quelque chose de tangible devant la caméra : dans certains cas, ces personnages qui ont été créés « en vrai » devaient être remplacés non pas parce que leur performance ne convenait pas, mais parce qu’il fallait créer certaines animations particulières que l’on ne pouvait pas obtenir en direct. Dans tous les cas, nous avions toujours un personnage réel devant nous. Il y a aussi un plan dans lequel un des personnages est entièrement reconstitué en 3D, ce qui a été un défi très intéressant pour nous.

Avez-vous employé des éléments miniatures dans certains plans ?

Non. La seule chose qui s’en rapproche, ce sont des explosions miniatures avec du feu et des projections de nuages de poussière qui ont été tournées devant un fond vert, pour servir d’éléments additionnels. Ces effets ont été ajoutés aux effets pyrotechniques grandeur nature réalisés par l’équipe des effets spéciaux de plateau.

Pourriez-vous nous dire approximativement combien d’infographistes et d’animateurs ont travaillé sur PROMETHEUS, et pendant combien de temps ?

Eh bien, nous avons travaillé avec 10 studios différents et je pense qu’en additionnant toutes les équipes de ces studios qui travaillaient sur PROMETHEUS, on arrive à un total approximatif de 600 personnes. MPC s’est chargé d’un quart des effets visuels, Weta en Nouvelle-Zélande et Fuel en Australie se sont chargés ensemble d’un autre quart, et le reste du travail a été distribué aux studios restants, de plus petites tailles, qui étaient situés un peu partout dans le monde. Ce n’était pas évident d’arriver à collaborer en même temps avec des studios répartis sur toute la planète, compte tenu des différents fuseaux horaires…

Cela devait vous laisser à peine quelques heures pour dormir chaque jour !

Nous tentions de prendre un peu de repos, mais effectivement, il n’y avait jamais assez d’heures dans une journée pour dialoguer avec tous nos interlocuteurs, qui travaillaient littéralement 24h sur 24 autour du globe. En raison des différences de zones horaires, le lundi de Nouvelle-Zélande commence pendant notre dimanche en Angleterre. Pendant toute la semaine, il n’y avait que 8 heures dans la journée de samedi où tout restait calme, sans emails ni messages urgents ! (rires) Et après, tout recommençait ! Heureusement, nous disposions d’une excellente équipe de production des effets visuels qui a réussi à coordonner tout cela et qui m’a énormément aidé à superviser l’ensemble de ce travail. Je lui suis très reconnaissant de son soutien !

Combien de plans d’effets visuels y a t’il dans le film ?

1400 en tout, de longueur très variable.

Avec le recul, quels sont les plans et les séquences dont vous êtes le plus satisfait ?

Je trouve que le crash du vaisseau étranger est une séquence formidable. C’est un moment d’action absolument exceptionnel, dont le rythme coupe le souffle. Il y a tant de séquences du film qu’il faudrait citer….Le travail réalisé par MPC sur le crash et celui de Weta sur l’ingénieur sacrificiel et d’autres créatures est vraiment fantastique.

En tous cas, félicitations pour votre travail. Il est très rare de voir un film dans lequel tous les plans d’effets visuels sont magnifiques, et c’est le cas de PROMETHEUS…

Merci beaucoup. Cela fait plaisir à entendre car toutes les équipes qui sont intervenues sur le film ont travaillé très dur pour parvenir à ce résultat, et pour se hisser au niveau de la vision artistique de Ridley.

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