48 à 60 images par seconde : Le format High Frame Rate, prochaine évolution du cinéma ?
Article 100% SFX du Lundi 10 Decembre 2012

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L'histoire du Septième Art est jalonnée d'avancées technologiques. Il y eut la couleur, le son en 1927, le premier long-métrage en couleur (Technicolor trichrome) en 1935, le premier âge d'or du relief dans les années 1950, le format CinemaScope en 1953... Les cinquante années suivantes furent synonymes d'amélioration de la restitution du son (5.1), de perfectionnement des trucages dits traditionnels, puis de l'essor des images de synthèse. Enfin, le nouveau millénaire s'est accompagné de l'enregistrement et de la diffusion numérique, puis du second âge d'or de la stéréoscopie. Or deux des principaux artisans de ces récents bouleversements technologiques préparent une nouvelle évolution ! James Cameron et Peter Jackson souhaitent en effet que leurs prochains films respectifs puissent être présentés en salles à une fréquence d'images beaucoup plus élevée qu'actuellement. Le Hobbit : Un voyage inattendu est d'ailleurs présenté en « High Frame Rate » (HFR) dans certaines salles. Explications.

Par Pierre-Eric Salard

Le vieux standard de l’industrie - 24 images par seconde – pourrait laisser place à une fréquence de 48, voire 60 images par seconde. Rappelons que les débuts du cinéma furent un terreau pour l'expérimentation. Il fallait tout inventer, y compris l'unité de mesure correspondant au nombre d'images enregistrées (par la caméra) et diffusées (par le projecteur) par seconde ! Ainsi les premiers films muets furent souvent projetés à la vitesse de 16 images par seconde. Si la fréquence avait été moins rapide, l'illusion de mouvement aurait été instable. Les pionniers ont rapidement compris que la fluidité de l'image s'améliore avec l'augmentation du nombre d'images diffusées à chaque seconde. Thomas Edison indique en 1912 qu'une cadence de 46 images par seconde est idéale pour l’œil humain. Ce que la technologie ne permettait pas. Ainsi, lorsque l'industrie du cinéma - et ses studios omnipotents - succéda aux inventeurs, des standards techniques furent mis en place, dont la fréquence de 24 images par seconde. L'introduction du cinéma parlant, dans les années 1920, ne permettait plus de tolérer des variations : nos oreilles, elles, sont sensibles aux modifications de la fréquence audio ! Ainsi la cadence des 24 images par seconde devint la norme, associée à la fameuse pellicule 35 mm. Jusqu'à preuve du contraire, personne ne s'en est plaint... ou presque ! Qui n'a jamais remarqué des saccades lors d'un travelling ? La norme actuelle n'est pas une science exacte, mais un choix qui été fait selon plusieurs critères techniques et artistiques. Hollywood s'en est toujours montré satisfait. Des techniciens visionnaires n'ont cependant pas manqué de faire des expérimentations, dont le superviseur des effets spéciaux de 2001, l'odyssée de l'espace – et réalisateur de Silent Running Douglas Trumbull, qui a mis au point le procédé Showscan à la fin des années 1970. A l'aide d'une pellicule 65 mm dont les images étaient projetées à la fréquence de 60 images par seconde, ce système de projection offrait une définition et une netteté jusqu'alors inédite. Le temps d'exposition de chaque image est effectivement 2.5 fois plus court qu'avec la fréquence traditionnelle. Mais le Showscan était en avance sur son temps. A l'instar de Thomas Edison en 1912, Douglas Trumbull se heurte aux limites techniques et financières de l'époque. Les studios n’adhèrent pas à son initiative et le procédé sombre dans l'oubli. Seule une poignée d'attractions et de simulateurs pour parcs à thèmes utilisent cette technologie, dont l'un des pavillons de notre Futuroscope. En 1992, l'Imax HD propose une projection de 48 images par seconde. Mais son coût calme les ardeurs. Là encore, c'est dans les parcs à thèmes que le procédé trouvera preneur – dont l’attraction Soarin' Over California du parc Disney's California Adventure. Jusqu'à présent, les fréquences de 48 et 60 images par seconde ne séduisirent donc que des marchés de niche...



L'éternel visionnaire

Séduit par les avancées technologiques permises par la révolution numérique, James Cameron a longtemps incité l'industrie cinématographique à embrasser la stéréoscopie. En 2005, à l'occasion du salon ShoWest, il avait organisé avec George Lucas une conférence qui a énormément influencée le cinéma contemporain. Malgré le port obligatoire d'une paire de lunettes polarisantes, le relief dont il est question s’avère d'une bien meilleure qualité que celui du premier âge d'or des années 1950 (et ses célèbres lunettes anaglyphes). Ce nouveau standard de la 3D repose sur la diffusion de 24 images par seconde pour chaque œil. Peu à peu, les salles s'équipèrent de projecteurs numériques – ce qui est, pour le coup, une véritable révolution ! Mais il aura fallu attendre la sortie d'Avatar, en décembre 2009, pour que la stéréoscopie devienne un phénomène de mode. Les juteuses perspectives financières ne sont pas passées inaperçues auprès des dirigeants et des actionnaires des studios. Avec le résultat mitigé que l'on connaît. Il faut pourtant reconnaître que les films réellement tournés en 3D relief – même si on les compte sur les doigts des mains des Na'vi - ne manquent pas d'intérêt pour les amateurs de grands spectacles ! Mais James Cameron, lui, veut placer la barre encore plus haut... et que les spectateurs ne souffrent plus de migraines ou de nausées ! En février dernier, six ans après la conférence du ShoWest, il organise un colloque sur le thème de l'avenir du cinéma. Les analystes s'attendent à ce que le visionnaire fasse la promotion de la projection numérique en 4K – soit une résolution de 4 096 x 2 160 pixels, là où l'actuel 2K est capable d'afficher en 1920 x 1080p. Mais les propriétaires des salles de cinéma ne sont certainement pas prêt à investir dans de nouveaux équipements ! Le cinéaste canadien annonce finalement qu'il travaille sur une « nouvelle » stéréoscopie, plus agréable à regarder. Sa solution ? Tourner et projeter les films en 48 voire 60 images par seconde ! « Nous avons toujours vécu avec la projection en 24 images par seconde », explique James Cameron. « Cette fréquence induit pourtant un aspect artificiel. Chaque mouvement, même modéré, cause un effet stroboscopique... mis en exergue par la stéréoscopie ! C'est la raison pour laquelle certains spectateurs vivent mal l'expérience de la 3D. En augmentant la fréquence de projection, les mouvements gagnent en fluidité, et on a même l'impression que la résolution des images est plus importante ! Les retransmissions sportives, à la télévision, nous ont précédées. Comment convaincre le public que l'expérience du cinéma est spéciale si la qualité est meilleure sur un écran de télévision de dernière génération ? »



Le temps de l'innovation

Afin de séduire son public, le réalisateur a tourné plusieurs scènes (dont un combat à l'épée et des couples dansant au ralenti) dans un décor médiéval, à l'aide de caméras numériques Arri Alexa, Red Epic et Phantom. Il n'hésite pas réaliser des mouvements de caméra habituellement problématiques (travellings...) pour une diffusion en relief. Il a filmé et projeté en 3D ces séquences en 24, 48 et 60 images par seconde, afin que chacun puisse comparer les résultats. Autant dire que les deux dernières fréquences ont aisément séduit le public, par leur fluidité et leur absence totale d'un quelconque scintillement ! Adieu les effets stroboscopiques ! « Si voir un film en 3D revient à regarder à travers une fenêtre, alors, à 48 images par seconde, nous avons enlevé la vitre », s'enthousiasme James Cameron. « Bienvenue dans la réalité ! » A 60 images par seconde, les mouvements sont encore plus fluides ; mais le fossé qualitatif n'est pas aussi impressionnant. Le cinéaste n'a d'ailleurs avoué sa préférence pour cette fréquence qu'en septembre dernier. « Si je me suis engagé sur cette voie, c'est pour améliorer la stéréoscopie », explique-t-il. « Mais quelle fréquence devrait être privilégiée ? Mon sentiment est qu'il ne faut en exclure aucune. Il n'existe aucune limite matérielle ; si vous avez un projecteur numérique récent, vous pouvez diffuser les deux fréquences. Si l'industrie s'accorde sur une norme, je m'y plierai. Mais en attendant, je pense filmer Avatar 2 en 60 images par seconde ». Notons que nous parlons bien de soixante images pour chaque œil, le film étant diffusé en 3D relief. Soit en réalité un total de 120 images par seconde ! « C'est une question d'affinités. Mais rien n'interdit aux autres réalisateurs de choisir la fréquence inférieure. La décision leur incombe ». Car il existe une juteuse cerise sur le gâteau : il est inutile de recycle le parc technologique ! Les caméras numériques contemporaines sont capables d'enregistrer 48 et 60 images par seconde (et davantage), et les projecteurs numériques de la dernière génération n'auront besoin que d'une mise à jour logicielle. « Les propriétaires de salles n'auront donc pas besoin de financer l'achat de nouveaux matériels onéreux », précise le réalisateur. Même les allergiques à la 3D gagneront au change. Les projections « traditionnelles », en 2D, tireront bénéfice de ce nouveau standard ; les travellings, notamment, gagneront en fluidité ! James Cameron n'a pas manqué de démontrer qu'il est extrêmement simple de convertir une fréquence de 60 images par seconde afin de pouvoir diffuser un film selon la norme actuelle. En outre, les studios d'effets visuels n'auront pas besoin de faire 2 à 2,5 fois plus de rendu sur les images truquées : un pipeline logiciel permettra de sélectionner les images (celles des plans en mouvement) qui auront besoin d'un rendu plus important ! « Je travaille sur le sujet avec plusieurs studios », précise le cinéaste. « Il va falloir créer de nouvelles infrastructures logicielles. Pour que mon projet soit viable, la majoration financière ne doit pas atteindre 10% du budget habituel. L'industrie n'adhérerait pas à mon projet. Mais je pense qu'il est possible d'atteindre les 1% ». Pour imposer cette nouvelle norme, James Cameron n'a donc plus qu'à convaincre les dirigeants des studios. Avec Avatar 2 et 3 dans sa manche, cela ne devrait pas être compliqué ! Et le réalisateur sait comment séduire les propriétaires des salles. « Avatar 2 sortira pour Noël 2014. Cela vous laisse donc près de quatre ans pour faire une mise-à-jour logicielle et, en améliorant également la luminosité des projections, pouvoir proposer aux spectateurs une expérience en relief parfaite ». Sa société de production, Lightstorm Entertainment, s'est en outre associée au fabricant de projecteurs Christie afin de promouvoir ce projet... et préparer le tournage des suites d'Avatar ! James Cameron dispose également d'alliés de taille : George Lucas, bien sûr, mais aussi Peter Jackson – qui lui a volé la vedette ! « Si le pari de Peter fonctionne, si les spectateurs s'enthousiasment pour le High Frame Rate, alors les suites d'Avatar tireront avantage de cette nouvelle technologie », annonce James Cameron en novembre 2012.



Des hobbits en relief

En effet, ce dernier a décidé de tourner – en relief - les trois volets du Hobbit à la fréquence de 48 images par seconde. Aucun problème : la caméra Red Epic, d'une valeur de 40000 dollars, utilisée sur ce tournage est capable de filmer, en résolution 2K, jusqu’à 225 images par seconde ! « Il est important de comprendre qu'il est nécessaire de filmer ET de projeter en 48 images par seconde ; sinon, prendre une telle décision n'aurait aucun sens ! », explique Peter Jackson. « L'image gagne ainsi en clarté et fluidité. Regarder un film à 24 images par seconde peut sembler satisfaisant, mais il y a toujours du flou entre chaque image, durant les mouvements. A vrai dire, à force de regarder quotidiennement les rushes en relief, l'expérience cinématographique habituelle me paraît désormais un peu primitive (rires) ! L'adoption du standard en 24 images par seconde découlait des impératifs techniques du cinéma parlant. Il s'agit de la vitesse minimum pour une restitution fidèle du son. Les pellicules 35mm coûtent très cher. Doubler la fréquence des images serait revenu à doubler la consommation de pellicule, et donc les coûts ! Nous avons donc utilisé ce standard durant neuf décennies parce que c'était moins onéreux. Mais l'époque a changé. La projection numérique s'est vulgarisée, et de nombreux films sont tournés à l'aide de caméras numériques. Il est donc devenu facile d'augmenter la fréquence d'images. Cette évolution est similaire au remplacement des vinyles par les CD. Certains puristes préféreront l'ancien standard, mais il ne fait aucun doute que la norme va bientôt changer ! » Il nous faudra cependant renouveler intégralement nos équipements pour vivre un jour de telles expériences dans nos salons. La qualité a toujours un prix !

Notons que les séances du Hobbit en High Frame Rate ont déplu à un partie des spectateurs. Notre rédacteur en chef revient sur le sujet dans sa critique du film.

Les curieux peuvent à présente découvrir une liste des salles diffusant Le Hobbit : Un voyage inattendu en HFR, mise en place par Tolkiendrim !



Peter Jackson revient sur les avantages du format HFR 3D

Pourquoi avez-vous utilisé le format High Frame Rate (HFR) pour tourner la trilogie du Hobbit ?

Nous vivons à l’ère numérique et les progrès sont rapides. De nouvelles technologies apparaissent constamment pour rehausser et enrichir l’expérience cinéma. Tourner un long-métrage grand public au format HFR n’est possible que depuis un an ou deux, alors même que nous vivons à une époque où le divertissement se vit de plus en plus à la maison. Si j’ai commencé à tourner cette trilogie en HFR, c’est que je voulais que les spectateurs redécouvrent à quel point un film peut être immersif quand on le voit en salle.

Pouvez-vous retracer l’historique des vitesses de projection et pourquoi pensez-vous que le temps est venu de les augmenter dans les salles ?

À l’époque du muet, on tournait avec des caméras à manivelle, pour un rythme allant de 16 à 18 images par seconde (frames per second, ou fps). Quand le son est apparu, en 1927, il a fallu que l’industrie convienne d’une vitesse constante pour les caméras à moteur. La pellicule 35 mm était très chère : il fallait donc que cette fréquence soit la plus basse possible. Or les premières bandes-son optiques exigeaient un minimum de vitesse pour obtenir une bonne restitution. On a donc opté pour 24 images par seconde, ce qui est devenu la norme de l’industrie pendant 80 ans. Les cinémas du monde entier se sont dotés de projecteurs mécaniques pouvant projeter  24 images par seconde. Mais cette vitesse de 24 fps, qui reposait sur un choix commercial — une qualité de base au plus bas coût — entraîne une série d’artefacts visuels : effet stroboscopique, scintillement et flou cinétique. À l’ère du numérique, il n’y a plus aucune raison de s’en tenir au 24 fps. La solution de 1927 n’était qu’un compromis. La science nous apprend que l’œil humain peut distinguer jusqu’à 55 images à la seconde environ. Tourner à 48 fps crée donc un rendu beaucoup plus fidèle à la réalité. En réduisant le flou cinétique de chaque image, on améliore la netteté, ce qui donne l’impression d’un film tourné en 65 mm ou en IMAX. L’un des principaux avantages, c’est que votre œil voit deux fois plus d’images à la seconde et que vous êtes remarquablement plongé dans l’action. L’expérience de la 3D devient nettement plus plaisante et vos yeux se fatiguent beaucoup moins. Car si la 3D est désagréable pour certains spectateurs, c’est dû en grande partie au fait que chaque œil doit absorber une quantité d’effets stroboscopiques, de flou et de scintillement. Tout ceci est pratiquement éliminé avec le HFR 3D.

Quel souvenir gardez-vous de ce tournage avec la technologie HFR ?

Je trouve ce format formidable. En tant que réalisateur, mon but est de plonger le spectateur dans mes films. Je veux que le public décolle de son siège et se retrouve propulsé au cœur de l’aventure. C’est ce type d’expérience que j’espère pouvoir offrir aux cinéphiles, quel que soit le format qu’ils choisiront dans leur salle. Et même si, personnellement, je préfère voir Le Hobbit : un voyage inattendu en HFR 3D, je peux vous assurer que tous les formats vous fourniront une expérience incroyable en vous plongeant au cœur de l’action. Le format HFR 3D est « différent » : l’effet ne ressemble pas à ce qu’on a l’habitude de voir, tout comme les premiers CD présentaient un son très différent du vinyle. Nous vivons à une époque où le septième art est en concurrence avec l’iPad et le home cinéma. Je pense qu’il est essentiel que les réalisateurs se servent des technologies actuelles pour améliorer le caractère spectaculaire et immersif que l’on attend de leurs films. C’est vraiment le moment ou jamais de retrouver le chemin des salles obscures.

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