ERNEST ET CELESTINE : Entretien exclusif avec le réalisateur Benjamin Renner - Seconde partie
Article Animation du Lundi 17 Decembre 2012

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


ESI vous présente un film d’animation que l’on pourrait classer un peu bêtement comme « dessin animé pour les petits » alors qu’il s’agit en réalité d’un petit miracle de sensibilité et d’humour, qui touche toutes les générations de spectateurs, en évoquant des thèmes universels…

Propos recueillis par Pascal Pinteau

Entretien avec Benjamin Renner

Les poses des personnages sont remarquablement réussies dans les albums d’Ernest et Célestine. Elles sont justes et émouvantes sans jamais tomber dans les clichés du « mignon ». Vous êtes-vous beaucoup référé à ces attitudes des personnages des albums en abordant l’animation de certaines scènes précises ?


Oui. De nombreuses poses sont directement inspirées de celles des livres. Nous avons également tenu à suivre le style de mise en image des albums, qui est très théâtral. On n’y voit jamais de plongées ni de contre-plongées, de gros plans ni d’effets dramatiques. Gabrielle Vincent focalisait tout sur les personnages et leurs poses. Le dynamisme de la mise en scène du film est apporté par les actions des personnages, par leur animation et par la composition des décors. Beaucoup de scènes rendent hommage aux albums, mais aussi aux autres créations de Gabrielle Vincent, car les albums d’Ernest et Célestine ne représentent qu’une petite partie de son œuvre.

Avez-vous utilisé ses dessins évoquant l’univers d’un tribunal dans la scène du double procès à la fin du film ?

Oui, un peu, mais en raison du côté sombre de ces illustrations, ce n’était pas ce qui convenait le mieux au film. En revanche, nous nous sommes beaucoup inspirés de ses dessins de nature. Il y a d’ailleurs une scène que j’avais storyboardée et que nous avons dû couper, dans laquelle Célestine quittait un moment Ernest et partait se promener dans la forêt. Cela était tiré de l’album intitulé JE VOUDRAIS QU’ON M’ECOUTE, dans lequel Gabrielle Vincent avait raconté une fugue qu’elle avait réellement faite quand elle était enfant. Sinon, tous les costumes que porte Célestine une fois qu’elle entre dans la maison d’Ernest sont directement inspirés de ceux des livres. Idem pour les tenues d’Ernest : quand il se déguise en clown et met un nez rouge, c’est un clin d’oeil à l’album ERNEST ET CELESTINE AU CIRQUE.

Vous venez d’expliquer comment vous avez abordé la mise en scène du film, mais aviez-vous certaines références en tête ? Par certains aspects – la grande silhouette protectrice d’Ernest à côté de la petite Célestine, la cohabitation de deux mondes - on songe parfois à MON VOISIN TOTORO de Miyasaki…

Je dois avouer que je suis extrêmement attentif aux films d’animation japonais, autant ceux de Ghibli que ceux des autres studios, et plus largement du cinéma nippon de prises de vues réelles. Tous les Miyasaki ont servi de référence : TOTORO, mais aussi KIKI LA PETITE SORCIERE, car l’héroïne du film est , comme Célestine, un peu perdue au milieu de la ville. J’ai été influencé aussi par L’ETE DE KIKUJIRO de Takeshi Kitano, qui m’a servi de déclic pour appréhender les rapports entre Ernest et Célestine. Le personnage que joue Takeshi Kitano dans ce film est un adulte qui est resté un peu bêta, un peu enfant, et qui se retrouve avec un enfant sur les bras sans trop savoir comment faire pour s’en occuper. Le clin d’œil direct à TOTORO, c’est la scène où Ernest dort dans un dortoir de souriceaux, et où l’un d’entre eux vient vers lui et le chatouille, comme la petite fille quand elle découvre Totoro pour la première fois…J’ajoute que j’ai été également influencé par les films d’animation produits par René Goscinny, LES DOUZE TRAVAUX D’ASTERIX et LA BALLADE DES DALTONS, parce que je les avais beaucoup aimés quand j’étais enfant. Ils m’avaient touché par leur liberté narrative. Il y avait beaucoup de saynètes qui n’entraient pas dans le schéma classique de construction dramatique. Toutes les scènes d’un film d’animation ne doivent pas être forcément des transitions vers un « climax » , une apothéose d’action ou d’intensité dramatique. C’est beau de prendre aussi le temps de rêver. Je crois que nous sommes parvenus à cela dans les petites scènes qui se passent dans la cabane, où l’on voit Ernest et Célestine s’amuser ensemble.

Comment avez-vous travaillé avec Vincent Patar et Stéphane Aubier, les co-réalisateurs du film ? Vous répartissiez-vous certaines tâches comme c’est souvent le cas pendant la réalisation d’un film d’animation ?

Oui. Dès le début, nous nous étions mis d’accord sur le fait de travailler ensemble sur le storyboard et le découpage, et que Vincent et Stéphane allaient s’occuper de l’enregistrement des voix. J’allais m’occuper de mon côté de la création graphique du film, et il était convenu que Vincent et Stéphane interviendraient à la fin, sur les bruitages, le mixage son, la musique. Par la suite, nous avons beaucoup travaillé sur le découpage, en se lisant le script et en échangeant des idées, ce qui nous a permis de voir que nous étions tout à fait d’accord sur les intentions et sur l’humour que nous voulions mettre dans le film. Notre prédécoupage, c’était comme si nous réécrivions le film en dessins. Ce n’était pas encore de la mise en scène à ce stade, mais de la réécriture, pour bien identifier les problèmes qui allaient se poser : les scènes trop longues, trop courtes, etc. Une fois que le vrai storyboard a été achevé, les interventions de Vincent et Stéphane ont été moins fréquentes, principalement en raison de la distance entre la Belgique et Paris. En fin de compte, ils sont très peu intervenus sur le travail des voix, par manque de disponibilité. Mais je leur envoyais régulièrement des images pour qu’ils voient l’avancement des dessins, des décors. Et leur réaction était toujours de nous encourager à avancer dans cette voie. Comme prévu, ils sont intervenus au final, sur la phase de son et de bruitage.

Avez-vous retravaillé certains passages du script avec Daniel Pennac ? Est-il intervenu ensuite, pendant le découpage et la préparation des scènes ?

Oui. Nous avons travaillé à plusieurs reprises ensemble, au cours de sessions où nous lui expliquions les passages qui nous posaient des petits problèmes, afin qu’il puisse nous suggérer des solutions narratives. Il a été quelquefois nécessaire que nous procédions à des changements de notre côté, pour respecter notre logique dans le film. Je pense par exemple à la description très explicative du système de récupération et de tri des souris, qui allaient chercher à manger chez les ours, et ramenaient aussi des bouts de tissus, du papier, etc. On voyait les souris déposer tout cela dans une salle de tri, sur des tapis roulants, et nous ne savions pas comment placer cette scène dans la narration sans nous éloigner de la description directe de la vie de Célestine dans ce monde. En dessinant le film, nous nous sommes rendus compte que dans certains cas, la transposition en dessins n’avait pas le même rythme que ce que Daniel nous avait lu, car il nous avait narré son script lui-même, comme un conteur, quant nous allions chez lui. C’étaient des moments extraordinaires… Ces modifications sont inévitables pendant la phase d’adaptation et Daniel l’a bien compris et nous a constamment encouragé. Je lui suis extrêmement reconnaissant d’avoir laissé son scénario entre les mains de quelqu’un qui sortait d’une école, de m’avoir accordé un telle confiance, et de m’avoir soutenu dans les moments de doute.

Comment le film a t’il été préparé, techniquement ? Avez-vous fait un montage préparatoire de storyboards filmés, remplacés peu à peu par les scènes rough, puis les animations complètes ?

Sortant de l’école, je n’avais que la méthode qui m’avait servi à préparer mes courts-métrages : un prédécoupage très rapide sur papier, un document que Vincent et Stéphane étaient pratiquement les seuls à pouvoir déchiffrer en dehors de moi, mais que je ne pouvais pas présenter aux producteurs ni à l’équipe technique. Travaillant sur ordinateur, avec le logiciel Flash, je ne dessine pas de vignettes sur papier pour les filmer ensuite. Je dessine directement le rythme du film sur ordi. Et je commence même à placer quelques petites poses-clé d’animation. Pas des dessins « mis au propre », mais des intentions déjà assez précises des personnages. Les décors sont placés dans leurs proportions et leurs cadrages, parce que j’ai besoin que ce travail soit le plus poussé possible, une fois le storyboard fini, afin de passer directement au travail sur l’animation et les décors. Cela me permet de poser les rails en sachant que le train n’aura plus qu’à les suivre. Je me suis inspiré des vignettes du studio Ghibli, qui sont très précises dans leur description des actions des personnages, et montrent des esquisses des décors. Ce storyboard / animatique a servi ensuite aux animateurs pendant la production du film.

Quelles ont été les scènes les plus difficiles à réaliser et pourquoi ?

Sans hésiter celle de la rencontre entre Ernest et Célestine. Notamment à cause d’un problème tout simple : si Célestine gardait la taille qu’elle a dans les livres, elle devenait trop grosse pour qu’Ernest puisse n’en faire qu’une bouchée ! (rires) En y réfléchissant bien, nous n’avons pas réussi à trouver une taille unique qui fonctionne tout au long du film. Nous avons donc décidé de la faire grandir tout au long du récit: elle est petite quand elle est encore une souris, puis elle prend peu à peu une taille d’enfant quand elle acquiert ce statut d’enfant auprès d’Ernest.

Comment avez-vous travaillé avec Lambert Wilson sur son interprétation d’Ernest ?

J’étais assez impressionné parce que je ne savais pas encore diriger un acteur, mais j’étais heureusement aidé par un directeur de plateau. La toute première séance de travail a été un peu difficile pour Lambert, parce que nous ne pouvions lui montrer qu’un animatique, qui est un document de travail assez difficile à déchiffrer pour quelqu’un qui ne vient pas du milieu de l’animation. C’était déstabilisant pour lui. Il fallait lui expliquer à chaque fois ce qui se passait, et comme il est très exigeant, il faisait beaucoup d’efforts pour arriver malgré tout au meilleur résultat possible. Cette première session a servi d’enregistrement / maquette, qui nous a permis de déterminer les intentions des voix, mais nous avions prévu de lui demander de réenregistrer tout le film une fois que l’animation serait finie, afin qu’il s’approprie complètement le rôle.

Comment Lambert Wilson a t’il trouvé cette voix, qui exprime si bien le côté enfantin, gourmand, un peu irascible et ronchon du personnage ?

Au début, nous avions du mal à imaginer la voix d’Ernest, car les grosses voix « classiques » d’ours ne correspondaient pas au côté très dynamique du personnage dans le film. Lambert a trouvé le rôle très naturellement. Il est capable de jouer des rôles dans des registres incroyablement variés, comme il l’a prouvé dans DES HOMMES ET DES DIEUX ou la saga MATRIX, et comme il le prouve une fois de plus dans ERNEST ET CELESTINE. J’ai été étonné de le voir bouger autant pendant l’enregistrement de la voix : il jouait pleinement le personnage. Quand Ernest tombait, il faisait mine de tomber, quand il mangeait des bombons, il faisait mine de manger. Il y a eu un petit temps d’adaptation pour affiner la voix dans les moments de tendresse, car il fallait lui donner un côté un peu plus maladroit. Mais Lambert l’a vite trouvée.

Comment avez-vous travaillé avec Vincent Courtois, qui a composé la musique originale du film ?

Vincent est à la fois un compositeur de talent et un grand violoncelliste, très connu pour ses expériences musicales. Il crée des sons très personnels. Je trouvais que son profil correspondait merveilleusement à celui d’Ernest, qui est lui aussi musicien, et qui joue du violon et d’autres instruments, comme Vincent ! Je recherchais une personnalité musicale très forte, qui ne s’efface pas devant les intentions du réalisateur. Nous nous sommes vus plusieurs fois et je lui ai montré les scènes du film en cours d’animation, en lui disant ce qu’il ne fallait pas faire à certains endroits pour telle raison, ou en lui indiquant les scènes où je ne voulais pas de musique, mais seulement des bruitages, et il a développé ensuite les thèmes musicaux du film. Vincent est extrêmement sympathique et notre collaboration s’est déroulée de la manière la plus plaisante qui soit.

Quels sont les membres du « noyau dur » de votre équipe dont vous voudriez citer le travail ?

Eh bien en plus de Patrick Imbert, le chef animateur, il y a Seï Riondet, une artiste qui a fait toute l’adaptation et la création graphique des personnages, Marisa Musi et Zyk, c’est un couple de chefs décorateurs qui se font appeler Zazyk. Ils se sont occupés de tous les décors. Marisa est la seconde personne que j’ai rencontrée au début de mon travail sur le film. Je me présente en tant que réalisateur et directeur artistique, mais autour de moi, il y a avait toute une équipe d’artistes qui ont su concrétiser mes intentions et réaliser le film avec moi. Marisa a eu une énorme part dans notre décision de faire les décors à l’aquarelle, car c’est elle qui m’a présenté un décor au traitement absolument parfait, où l’on sentait bien que les choses n’avaient pas été créés sur un ordinateur….

Vous voulez dire que les décors ont vraiment été réalisés à l’aquarelle sur du vrai papier ?

Oui. L’encrage des décors a été fait sur papier, avec du brou de noix, et les couleurs ont été peintes à l’aquarelle. C’est une technique un peu particulière, dans la mesure où cette étape de coloration à l’aquarelle a été un peu retouchée sur Photoshop, pour lui apporter un peu plus de profondeur.

Avec le recul, quel est votre regard sur le film ?

Je n’ai pas encore assez de recul car j’ai passé pratiquement tout mon temps sur le film depuis quatre ans. Mais il m’arrive parfois de pouvoir brièvement m’en extraire pour regarder des images comme si ce n’était pas moi qui l’avait réalisé, et alors, il me semble que l’intention du départ a bien été préservée, et que ce film entraîne bien le spectateur dans la sensibilité de l’enfance.

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