Rencontre avec une légende des studios Disney : l'auteur et compositeur RICHARD M. SHERMAN – Seconde partie
Article Animation du Jeudi 02 Janvier 2020

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Par Jérémie Noyer

ARISTOCHATS (1970)

Après la disparition de Walt Disney et la démission de Bill Peet, vous avez retravaillé avec Wolfgang Reitherman sur Les Aristochats.

Notre contrat avec Disney arrivait à son terme et nous nous apprêtions à gagner l’Angleterre pour travailler sur le film Chitty Chitty Bang Bang, qui est aujourd’hui devenu une comédie musicale. Nous n’avons donc travaillé sur Les Aristochats qu’au tout début de la production. Woolie était à la fois réalisateur et producteur, ce qui fait que, dans un sens, il avait repris le rôle de Walt en plus de la mise en scène. L’une de ses idées de départ était d’ouvrir le film avec une chanson dans le style français qui incarnerait toute l’élégance de ces chats vivant à Paris. Nous avons donc écrit cette chanson, Les Aristochats, que Woolie a beaucoup aimé et il s’est passé une chose amusante. Woolie nous a dit : « cette chanson serait parfaite pour Maurice Chevalier, mais malheureusement, cela fait deux ans qu’il est à la retraite. Dick, si vous pouviez faire une démo en imitant son accent français, vous pourriez la lui envoyer ». C’est ce que nous avons fait en lui demandant s’il serait d’accord pour sortir de sa retraite et la chanter pour nous. Et il l’a fait, en hommage à Walt Disney. Il l’a magnifiquement chantée en français et en anglais. Plus tard, j’ai eu la joie de le renconter et je lui ai dit : « tout le monde au studio est ravi et honoré de votre participation, et je voulais m’excuser pour mon bizarre accent français dans la démo. » Il m’a alors regardé et m’a répondu : « quel accent ? je n’ai entendu aucun accent ! »

Après Les 101 Dalmatiens, vous êtes donc passés des chiens aux chats !

C'était pas mal d'années plus tard. Nous avons commencé à travaillé dessus juste avant que nous quittions le Studio, c'est-à-dire à la fin de 1968. Nous avons écrit pas mal de chansons pour ce film car, vous savez, un film doit trouver sa voie. Un dessin-animé de Disney n'était jamais totalement scénarisé. On réfléchissait à des idées, puis on écrivait des chansons, puis, souvent, elles étaient abandonnées car un personnage était finalement supprimé. Au final, nous n'avions plus que deux chansons et demie dans le film: le générique et Les Gammes et les Arpèges, ce petit numéro dans lequel les chatons travaillent leur piano. Il y avait aussi une ballade, qui a été à peine utilisée, She Never Felt Alone. C'était un air adorable chanté par Madame Bonnefamille, à propos de son attachement pour ses chats. Ils sont sa famille et elle les adore. C'est ce qui explique que Duchesse veuille tant retourner chez elle. Elle est si bonne pour eux. Cette chanson devait être reprise plus tard par Duchesse dans une nouvelle version intitulée We Can't Leave Her Alone. Au final, il n'y a que quelques paroles qui sont prononcées par Eva Gabor/ Duchesse à un certain moment, mais on ne les remarque même pas : « Her days were filled with happy hours and happy things to do, and all because of her. » A la base, c'était une reprise de la chanson de Madame. Une chanson sur les motivations des différents personnages qui s'est perdue dans le processus de création du film. Cela apportait un peu de cœur et j'ai toujours regretté qu'ils l'aient perdue. Mais à cette époque, nous n'étions déjà plus là pour la défendre.



Vous avez dû bien vous amuser avec Maurice Chevalier sur The AristoCats !

Nous avons passé des moments extraordinaires avec lui! Nous avions travaillé avec lui sur différents films Disney et nous nous sommes beaucoup amusés à écrire cette chansons-titre des Aristochats. A ce moment là, on m'a demandé si je pouvais faire ma petite imitation de Chevalier pour la démo, histoire d'attirer son attention et lui donner envie de la chanter, car nous souhaitions qu'il apporte ce côté français et populaire à la fois. J'ai donc fait cette démo et quand je l'ai revu je me suis excusé pour mon accent. Mais lui a répondu: "quel accent?" Bref, nous nous sommes beaucoup amusés sur ce projet. Et ce fut notre contribution aux Aristochats. Ce sont d'autres compositeurs qui ont écrit les autres chansons, Terry Gilkyson et deux autres musiciens.

Version US:


Où puisez-vous votre inspiration quand il s'agit d'écrire une chanson de générique comme cela, qui n'a pas vraiment sa place dans l'histoire ?

C'est un vrai défi. Quand mon frère Robert et moi écrivons une chanson de générique, nous essayons de saisir l'essence du film: le sentiment, le style, l'attitude, le tempo. Nous lisons le scénario ou nous visionnons le film –parfois, il est d'ailleurs à moitié fini seulement- et nous en dégageons une émotion. Pour le public, ce genre de chanson est comme un lever de rideau, une ouverture. On donne un avant-goût de ce qui va suivre sans trop en révéler. C'est là toute la difficulté de cet exercice.

A quel stade de la production du film avez-vous écrit ce générique?

A partir du moment où nous avons connu l'histoire. Nous savions qu'il s'agissait de chats vivant dans une grande maison où ils étaient choyés et gâtés. Nous sommes donc partis de là. Nous nous sommes bien gardés de parler d'Edgar et du kidnapping et nous nous sommes concentrés sur cette vie très particulière que mènent les Aristochats.

Comment s'est passée la création des Gammes et des Arpèges?

Toute personne qui étudie la musique doit en passer par là. Les arpèges sont des accords dont on égraine chaque notre, tandis que les gammes sont les différentes notes de l'instrument. Mais cette chanson parle avant tout de cette maman qui élève et surveille ses petits afin qu'ils excellent dans ce qu'ils font. Et s'ils veulent devenir de bons musiciens, ils doivent apprendre leurs gammes et leurs arpèges. C'est la même chose pour un peintre car il doit savoir tracer des traits précis et mélanger ses couleurs. Le côté amusant de cette chanson, c'est que nous l'avons précisément écrite à partir de gammes et d'arpèges de sorte que les chatons jouent ce qu'ils chantent et chantent ce qu'ils jouent!



Que vouliez-vous exprimer à travers cette chanson ?

Nous voulions souligner le fait que les chatons font bien leurs devoir et apprennent à devenir des chats raffinés et élégants, pas des chats de gouttière! Ce sont des chats qui jouent de la musique et peignent. Il fallait faire passer cette chose incroyable en lui apportant une touche d'élégance. De cette façon, cette chanson participe à la définition de leur personnalité.

Pouvez-vous nous parler d'une des chansons qui ont été supprimées ?

Nous en avions écrit une qui s'appelait Le Jazz Hot. Nous l'adorions, mais ils lui ont préféré Tout le Monde Veut Devenir Un Cat. Ce fut un changement arbitraire. D'autres chansons leur ont été soumises après que nous avons quitté le Studio et ce sont celles là qu'ils ont choisies. Il y a souvent beaucoup de chansons supprimées comme cela dans la création d'un film! Je me souviens que sur Mary Poppins nous avions composé 35 chansons et que seules 14 ont été finalement gardées!

Certaines chansons sont aussi supprimées parce que l'histoire a changé.

Absolument. A un certain moment, il y avait un personnage du nom d'Elvira. C'était la cuisinière. Edgar voulait l'épouser car elle devait également hérité de Madame Bonnefamille. Cela faisait aussi partie de ses plans. Nous avions écrit un duo très amusant, assez fou, mais très vite, ce personnage a été abandonné. Il n'était pas indispensable.

Après avoir écrit vos chansons, que se passe-t-il ?

Chaque chanson recevait son propre arrangement. La supervision de la musique était l'œuvre de George Bruns, un musicien de grand talent. Je me souviens que, dans le case du générique des Aristochats, il est allé en France pour enregistrer Maurice à Paris avec un petit ensemble instrumental, puis il a ajouté de nouveaux instruments à son retour en Californie. Le reste des chansons a été enregistré ici, au Studio.

Les Aristochats est le dernier long métrage d'animation approuvé par Walt Disney avant sa disparition en décembre 1966. Comment était-il à cette époque?

Six semaines encore avant son décès, personne ne savait qu'il était malade. Il était plein d'énergie à chaque fois que je le voyais –et cela arrivait très souvent. Il s'est beaucoup impliqué dans Le Livre de la Jungle et était présent à toutes les réunions. Il était certainement à son meilleur niveau créatif. Ce n'est qu'après sa disparition que nous avons commencé à écrire les chansons des Aristochats, et il nous manquait déjà beaucoup.

Comment travaillait-il avec vous sur une chanson ?

Il était très descriptif par rapport à ce qu'il voulait et nous l'écoutions avec beaucoup d'attention. Parfois, il fallait lire entre les lignes. Il avait des attentes très élevées et s'il estimait que nous nous étions trompés, il nous renvoyait au piano jusqu'à ce que nous lui présentions ce qu'il souhaitait. C'était une source immense d'inspiration pour nous, mais aussi un patron exigeant!

Vous est-il arrivé de discuter avec lui de ses choix en la matière ?

On ne discutait pas avec Walt Disney. On se remettait tout simplement au travail!

WINNIE L'OURSON (1977)

Un autre projet important concernait Winnie L’Ourson. Comment expliquez-vous le choix de ce sujet par Walt ?

RMS) Walt pensait -et c’était là son génie- que le charme et la fantaisie des histoires de Winnie L’Ourson, qui étaient uniquement connues en Angleterre, pouvaient être universellement appréciées si elles étaient convenablement traitées, à sa manière. Milne avait écrit des ‘Hum’, comme il les appelait, de deux ou trois lignes, et Walt voulait en faire des chansons que tout le monde pourrait chanter et qui permettraient de ressentir l’esprit de Milne. C’est pour cela qu’il a fait appel à nous. Il nous a dit ‘Je voudrais que vous écriviez des chansons comme si Milne était votre parolier.’ Nous avons donc lu ces histoires et les avons adorées. Comme pour MARY POPPINS, nous en avons fait une sélection pour ne faire plus qu’une histoire. Il faut dire que ces films ne devaient pas, au départ, être des courts-métrages. Nous avons commencé à travailler en pensant ‘long-métrage’. Puis un jour nous avons eu une réunion très importante avec Walt. Il nous a dit qu’il voulait introduire ces histoires en Amérique avec beaucoup de soin car elles n’étaient pas connues du grand public, c’est pourquoi il ne voulait ni un long-métrage, ni un cartoon, mais une ‘featurette’. ‘Nous devons intéresser progressivement les gens. Nous pourrons faire une série de courts-métrages puis les monter ensemble afin de faire un long-métrage’. Il nous a dit cela en 1964. Et c’est exactement la façon dont les choses se sont passées. La première featurette, WINNIE THE POOH AND THE HONEY TREE (WINNIE L’OURSON ET L’ARBRE A MIEL) a connu un très grand succès, puis la deuxième WINNIE THE POOH AND THE BLUSTERY DAY (WINNIE L’OURSON DANS LE VENT) en a connu un énorme et a remporté l’Academy Award du meilleur court-métrage, ce qui fut un encouragement considérable pour faire le troisième épisode de la série. Et comme Walt l’avait prédit, en 1977, les trois featurettes furent mises ensemble, avec quelques scènes en plus, dont une nouvelle fin, pour devenir THE MANY ADVENTURES OF WINNIE THE POOH (LES AVENTURES DE WINNIE L’OURSON), qui est devenu un classique Disney. Et aujourd’hui, Winnie l’Ourson est même plus populaire que Mickey ! Incroyable mais vrai ! Nous sommes extrêmement fiers d’y avoir participé car nous adorons Winnie et nous avons adoré travailler sur ce projet. Nous avons aussi participé aux AVENTURES DE TIGROU (THE TIGGER MOVIE) pour lesquelles nous avons écrit de nouvelles chansons qui ont fort bien marché. J’aime beaucoup cette histoire. Vous savez, vous avez juste besoin d’une bonne histoire, avec des personnages qui vous touchent. C’est ce que Walt pensait. Si vous ne touchez pas les gens, ce n’est pas la peine.



A la même époque que les premières featurettes de Winnie L’Ourson, Walt Disney était en train de concevoir son Experimental Prototype Community of Tomorrow (EPCOT). Y-aurait-il un lien entre la société de la Forêt des Rêves Bleus et cette société idéale qu’il était en train d’imaginer ?

Je dois avouer que je n’y ai jamais songé. Ce que je peux dire, c’est qu’il y avait une grande cohérence, une grande unité dans la pensée de Walt, et il doit en effet y avoir un lien direct entre les deux.

Pour WINNIE L’OURSON, le directeur musical fut cette fois Buddy Baker.

C’était quelqu’un de merveilleux. Nous voulions que nos mélodies soient simples, douces et enfantines, et il les a prises comme base de travail et les a serties dans sa musique avec une telle subtilité qu’on ne se rendait pas compte à la première écoute qu’elles étaient là. C’était vraiment quelqu’un de remarquable. Il a écrit toute la musique du film à partir de nos chansons et c’est un merveilleux sentiment que d’assister à cela. C’était quelqu’un d’extrêmement gentil. Sa musique pour WINNIE L’OURSON était exactement comme lui. Il a mis autant d’énergie et de coeur dans l’arrangement de chansons d’autres compositeurs que s’il s’agissait de ses propres mélodies. Avec lui, c’était également un véritable travail d’équipe comme Walt les aimait.

Votre collaboration avec Buddy Baker ne s’est pas limitée au cinéma.

En effet. Nous avons participé à de nombreux projets ensemble comme A Great Big Beautiful Tomorrow pour le Carousel of Progress ou It’s A Small World et il a réalisé les arrangements de l’attraction The Many Adventures of Winnie the Pooh pour le Magic Kingdom de Walt Disney World.



Pourquoi avez-vous décidé de quitter le Studio à l’issue de votre travail sur Les Aristochats ?

Durant les derniers mois que nous avons passés au Studio, nous avons eu un certain nombre de réunions avec Woolie Reitherman et d'autres artistes du département animation qui voulaient que nous leur écrivions des chansons pour certaines séquences, chose que nous avons faite. Puis notre contrat est arrivé à échéance et nous sommes partis. Ils nous ont dit: "merci pour tout. Nous utiliserons ce que nous pourrons." Vous connaissez la suite. En fait, nous sommes partis parce Walt n'était plus là. Il était notre soutien. Lui comprenait ce que nous faisions. Il n'aurait jamais abandonné des chansons comme cette ballade dont je vous parlais. Lui nous laissait toujours carte blanche. Il avait confiance en nous. Il nous disait: "je veux telle chanson pour tel film". C'était tout. Alors que d'autres personnes disaient: "je ne sais pas. Je ne suis pas sûr qu'on ait besoin d'une chanson ici, cela ralentit tout…" La majeure partie des cinéastes craignent les ballades! Ils font tout pour les éviter!

Malgré ces désagréments, vous êtes toujours revenus vers Disney.

Nous avons gardé des contacts très amicaux. Les opportunités ont été nombreuses en dehors de Disney. Nous avons écrit dix films. Tandis que chez Disney à l'époque, il n'y avait plus assez de travail. Nous étions très créatifs et nous ne voulions pas perdre cette énergie. Mais cela ne nous a pas empêchés de faire beaucoup de choses pour les parcs Disney et les films. Sans oublier, bien des années plus tard, Les Aventures de Tigrou.

Qu'est-ce qui vous a motivé pour faire ce film ?

Nous avions écrit toutes les chansons des films originaux de Winnie L'Ourson. Et l'un des cadres de Disney s'est dit que ce serait formidable si les frères Sherman pouvaient revenir et écrire les chansons de ce nouveau film. Ils nous ont donc donné le script et nous avons adoré! C'était une histoire formidable et nous avons tout de suite accepté! C'était comme revenir à la maison! Nous étions partis un certain temps et nous sommes revenus comme si c'était hier. J'adore ce film. Il a beaucoup de cœur. Il est très drôle, mais a beaucoup de cœur. J'aime quand il y a des choses à dire dans un film, des choses qui le rendent spécial, plus qu'un simple divertissement.

Comment avez-vous choisi les films que vous avez faits en dehors de Disney, comme Chitty Chitty Bang Bang ?

C'est une question de ressenti et de divertissement familial dans lequel vous pouvez agir sur deux niveaux. Ce n'est pas un film pour enfant. C'est un film pour toute la famille. Les adultes en perçoivent un certain niveau et les enfants un autre. C'est une chance de pouvoir travailler sur les deux tableaux et produire des chansons de qualité. Nous voulons que les gens puissent chanter nos chansons et non pas que ces dernières se cantonnent au film. Nos chansons sont écrites de telle sorte qu'elles vous trottent dans la tête. C'est notre signature.



Qu’est-ce que le fait de passer des films en prises de vue réelles aux films d’animation a changé dans votre approche des chansons et dans votre carrière ?

Pour mon frère et moi, il n’y a absolument aucune différence entre le fait d’écrire pour un ours en peluche, un magicien qui peut se transformer en écureuil ou pour une personne réelle interprétant une chanson d’amour. Dans tous les cas, nous écrivons pour un personnage, c’est tout ce qui compte. Ils sont tous aussi réels et nous les traitons tous de la même façon. Une autre caractéristique principale de notre écriture est que nous n’avons jamais cherché à la simplifier quand nous composons pour des enfants. Ils comprennent la signification des mots, ils comprennent toutes les subtilités, et les parents vont comprendre tout cela, mais à un autre niveau. C’est aussi ce qui fait qu’il n’y a pas de différence de ce point de vue entre l’animation et les prises de vue réelles.

L’animation a cependant toujours été le fer de lance de Disney, davantage que les films en prises de vue réelles.

En travaillant pour Walt Disney, vous faisiez partie d’une équipe composée de tous les membres de l’équipe créative qui travaillait aux studios. A cette époque, cela tenait plus de la boutique que d’une grande compagnie. Que l’on nous demande de composer une chanson pour Zorro, pour Merlin l’Enchanteur ou pour une attraction comme The Enchanted Tikki Room ou It’s A Small World, c’était toujours la même chose : nous faisions partie d’une équipe. Personne ne faisait de discrimination entre les départements. Ce n’est que bien des années plus tard que nous avons réalisé que nous avions travaillé avec les Nine Old Men, c’est-à-dire que nous faisions équipe avec neuf des plus grands animateurs de tous les temps. Nous n’avons jamais songé à cela car Walt était celui qui unifiait tout cela. Milt Kahl, John Lounsbery, Ollie Johnston, Frank Thomas : nous étions tous logés à la même enseigne. Nous étions nouveaux dans le domaine de l’animation (« the young kids on the block »), mais nous étions tous traités de la même façon. On ne se disait pas : « eh, je travaille pour le fer de lance de Disney ! ». De la même façon, nous ne songions jamais à la postérité. Jamais je n’aurais imaginé que, 40 ans plus tard, je parlerais toujours de Merlin avec vous ! La seule chose que nous savions, c’était que Walt Disney était un génie absolu, et il le prouvait chaque fois que nous le voyions. Il était incroyable ; c’était le meilleur dans tout ce qu’il entreprenait. Ses employés étaient de très grands artistes, mais il ajoutait un plus à toutes ces oeuvres. C’était là son plus grand talent, sa magie : permettre aux gens de réaliser des choses qu’ils n’auraient jamais pensé pouvoir faire. Et c’est un talent des plus rares…

Comment travailliez-vous avec les Nine Old Men ?

Nous faisions partie d’une équipe et étions heureux de cela. Dans toutes nos chansons, nous avons essayé le plus possible de coller à l’histoire et au concept artistique. La musique doit correspondre à l’apparence du personnage. Cela concerne en particulier la période et l’univers auxquels il appartient. Pour ce faire, nous partions d’esquisses des personnages, parfois d’une séquence, parfois d’un storyboard complet, et on nous disait : « nous pensons que nous pourrions avoir besoin d’une chanson ici » ou quelque chose comme cela. A ce moment là, vous écrivez ce que vous voyez, et cela vient tout naturellement mélodiquement, rythmiquement et harmoniquement. Mais avant tout, cela vient de l’histoire. L’avantage de travailler en si étroite collaboration avec les animateurs et les storymen, c’est de pouvoir voir un maximum de matériel et de pouvoir ainsi avoir une idée la plus précise possible de ce à quoi la scène devrait ressembler bien avant de coucher la moindre note sur le papier. C’est alors que nous réfléchissons et que les premières idées nous viennent à l’esprit, tout d’abord sous forme de lignes mélodiques. Car, pour tous, les chansons sont des entités en trois parties. La première partie, c’est l’idée : de quoi parle la chanson ? A quoi sert-elle ? Qu’est-ce qui peut la rendre originale, spéciale ? Puis viennent les deux autres ingrédients que sont la mélodie et les paroles, chacun étant très important pour la constitution de l’autre.

Votre livre est édité par les imagineers Bruce Gordon et David Mumford. Selon vous, quelles sont les relations entre les musiques que vous avez faites pour le cinéma et celles que vous avez écrites pour les parcs Disney ?

Il n’y a absolument aucune différence ! Nous venons d’ailleurs de réaliser une nouvelle version de One Little Spark pour le pavillon Imagination d’Epcot en Floride. Et c’est exactement la même chose qu’écrire une chanson pour un film ou un téléfilm. Je ne pourrais pas expliquer en détail comment mon frère et moi composons, mais nous nous posons la question de la problématique de la chanson qu’on nous demande. Elle fait alors partie de nous et à un moment la chanson arrive toute seule.

Dans Walt’s Time, faisant référence à la chanson de L’APPRENTIE SORCIERE, vous faites allusion aux années 70 pour Disney comme ‘The age of not believing’. Pensez-vous qu’avec Roy Disney et Michael Eisner, cet âge où l’on ne croit plus à rien est révolu ?

Parfois, la flamme peut pâlir, mais l’étincelle vole à nouveau et de belles choses arrivent. LA BELLE ET LA BÊTE est vraiment un film magnifique. Je suis sûr que Walt en aurait été fier. D’autres films sont également remarquables. Je pense par conséquent que la renaissance a bien eu lieu, seulement, les choses sont différentes. Si Walt Disney était toujours parmi nous, PIXAR ne serait pas PIXAR, mais Disney. Il n’aurait pas demandé à d’autres personnes de faire les choses à sa place, il les aurait faites lui-même. Disney a au moins eu la sagesse de s’allier à PIXAR, avec lesquels ils ont fait du très bon travail, d’un très haut niveau technique et ils essaient à toute force de garder ces standards, ce qui est une très bonne chose.

Quel bilan tirez-vous de vos années Disney ?

C’est toujours un plaisir d’en parler. Pour nous, Disney est quelque chose de très spécial. Tout ce que nous avons fait en dehors de Disney est toujours comparé à ces années. Nous avons eu le privilège de travailler avec un immense génie, le plus remarquable conteur du 20e siècle, dans la lignée d’Esope et des frères Grimm, il n’y a aucun doute là dessus. C’était un Maître. Si nous avons réussi un certain nombre de choses, c’est grâce à Walt. Quand nous avons écrit notre livre Walt’s Time, nous avons voulu que les gens sachent que nous lui devons tant. Nous n’étions que de simples compositeurs de chansons et il nous a propulsés. Mon frère et moi lui devons notre carrière.

Il n’y a plus de staff-songwritters chez Disney. Quel regard portez-vous sur la musique actuelle de la maison de Mickey ?

Beaucoup de musiques sont vraiment excellentes, et beaucoup d’autres non ! Je pense par exemple que la musique d’Alan Menken est extraodinaire. C’est un compositeur de très grand talent. J’aime aussi beaucoup ce qu’a fait Elton John.

En dépit de films comme Il Etait Une Fois, il semble qu'il y ait de moins en moins de création de véritables chansons Disney. Qu'en pensez-vous ?

Tout dépend de l'histoire. Si l'histoire demande des chansons, alors il doit y avoir des chansons. Si elle n'en a pas besoin, alors ce sera du score. J'ai été très flatté il y a peu, lorsque Alan Menken m'a confié qu'il a été très influencé par notre travail à Bob et à moi quand il travaillait dans les Studios Disney. Pour moi, c'est le maître actuel en matière de chansons Disney.

LA PETITE SIRENE est une sorte d’hommage à vos chansons.

J’y suis très sensible. Je pense que cela est dû au fait qu’ils voulaient renouer avec la tradition que nous avions inaugurée alors que Walt était encore parmi nous. Ils voulaient rester dans cette mouvance, avec une narration qui passe pas des chansons que tous le monde peut retenir et reprendre, tout en faisant quelque chose d’original. Au fil des années, j’ai pu faire la connaissance d’Alan Menken. Il est notamment venu à l’une des avant-première de Chitty Chitty Bang Bang à Londres. C’est quelqu’un de très gentil et il m’a dit que ce que Bob et moi avons fait était une source d’inspiration pour lui. C’est un très grand compliment venant de quelqu’un de son niveau !

Que pensez-vous des derniers dessins-animés de Disney, qui proposent une approche très différente des chansons ?

Je pense tout d’abord que, techniquement, ils sont magnifiques. TARZAN était très beau et possédait une bonne histoire. Mais le fait de faire appel à des personnages humains pose des problèmes. A l’époque où nous étions chez Disney, le genre de choses que nous faisions en animation était de faire chanter des éléphants et des ours en peluche. La chanson apporte une crédibilité au personnage animé. Lorsque vous avez un personnage humain comme Tarzan, le problème se pose différemment pour exprimer ses pensées et ses sentiments. Tout ce que je peux dire est que pour LES AVENTURES DE TIGROU, nous sommes restés attachés à l’approche traditionnelle des chansons dans les films Disney et j’ai adoré faire cela !

Deux de vos créations les plus célèbres, Chitty Chitty Bang Bang et Mary Poppins ont été adaptées pour la scène. Comment êtes-vous passé du cinéma à Broadway ?

Une bonne histoire est toujours une bonne histoire. Et une bonne chanson est une bonne chanson. Peu importe pour quel médium. Au moment où la mode a débuté d'adapter des films en comédies musicales, Disney a commencé avec Beauty and the Beast et c'était merveilleux! A partir de ce moment là, des gens se sont dits qu'on pourrait ressusciter Chitty Chitty Bang Bang. Nous avons alors écrit de nouvelles chansons et changé quelques paroles des anciennes afin que tout cela fonctionne sur scène. Un livret formidable a été écrit, même meilleur que le scénario original du film et l'ensemble a donné cette production magnifique !



Pour la comédie musicale de Mary Poppins, c'est un autre duo de compositeurs qui a écrit les nouvelles chansons. Comment cela s'est-il décidé ?

Tout cela parce que Mrs Tavers, la personne qui a été l'histoire originale, voulait que ce soit une équipe totalement anglaise qui y travaille. A partir de là, deux excellents compositeurs anglais, George Stiles et Anthony Drewe, ont fait un travail remarquable et ont ajouté un matériel nouveau à nos chansons, tout en en composant de nouvelles. Le résultat final est merveilleux. Pratiquement toutes nos chansons s'y trouvent et nous adorons ce spectacle !

Ecrit-on différemment pour l'animation et pour la scène ?

Il n'y a absolument aucune différence entre écrire une chanson pour un personnage réel et écrire une chanson pour un personnage animé, qu'il soit un chat ou un ours. Tous sont des personnages vivants et nous les traitons comme tels.



Quel genre de musique écoutez-vous ?

Personnellement, j'adore la musique classique et tout particulièrement Mozart. Mais j'aime aussi Rossini et Beethoven qui sont pas mal dans leur genre! J'aime aussi les chansons de Kern, Porter, Berlin, Gershwin, Rogers… et les magnifiques textes d'Hart et Hammerstein, Porter, Berlin, Frank Loesser et bien d'autres encore. J'adore également le ragtime de Scott Joplin et le Dixieland, en particulier Louis Armstrong.

Vos chansons ne sont pas que des notes et des mots, mais une authentique et profonde émotion. Merci infiniment d'avoir partagé ces souvenirs avec nous!

Merci infiniment à vous. Je suis très touché de vos paroles. Tout ce que nous avons fait et continuons à faire, nous l'avons toujours fait avec le cœur!



Remerciements particuliers à Carole Mumford (Camphor Tree Publishers).

Rappelons que notre ami et collaborateur Jérémie Noyer est l'auteur de des deux passionnants tomes des grands classiques de l’animation - Rencontres avec les artistes Disney !

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