HOTEL TRANSYLVANIA : Entretien exclusif avec le réalisateur Genndy Tartakowski. Quand un génie des séries animées passe au cinéma - Seconde partie
Article Animation du Vendredi 27 Juillet 2018

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

En 2001, vous avez abandonné les traits de contours noirs et épais du LABORATOIRE DE DEXTER afin de créer un design différent pour la série SAMOURAI JACK : les personnages étaient définis par des formes colorées, sans lignes de de contour…

Effectivement. Après avoir travaillé pendant des années sur LE LABORATOIRE DE DEXTER puis sur POWER PUFF GIRLS, je me suis rendu compte que j’avais fait le tour de ces designs avec de gros traits de contour. J’avais envie de passer à autre chose. Il se trouve qu’avec les nouveaux logiciels de traitement numérique d’encrage et de peinture, on pouvait éliminer les traits de contour, même si c’était encore un peu difficile à faire quand nous nous sommes lancés dans cette approche inédite à l’époque. Je voulais créer des images avec un aspect nouveau, au rendu plus artistique. C’était un pari risqué mais la chaîne Cartoon Network nous a fait confiance et le public a suivi. SAMOURAI JACK a duré deux saisons, et a séduit autant les jeunes téléspectateurs que les adultes amateurs de graphisme.

Quels souvenirs gardez-vous de votre collaboration avec George Lucas sur les deux saisons de la série STAR WARS : CLONE WARS ?

Cela a été une opportunité d’apporter ma contribution à l’univers de STAR WARS. Ayant grandi dans les années 70, j’étais bien évidemment fan des personnages de George Lucas ! Avoir la chance de transposer tout cela dans une série animée, tout en ayant la liberté d’utiliser mon style graphique était une occasion que je ne pouvais pas laisser passer.

Avez-vous collaboré de manière étroite avec George Lucas pour préparer cette série, ou vous a-t-il donné « Carte blanche » et laissé faire ce que vous vouliez ?

George m’a laissé beaucoup de liberté. Vous savez, au départ, ce projet était tout à fait modeste. Il s’agissait d’épisodes courts de 5 minutes, réalisés avec un budget réduit, et très honnêtement, je crois qu’il n’y a pas prêté une grande attention ! Il devait penser que ces petits segments animés qui allaient passer à la télé ne pouvaient guère nuire à STAR WARS, même s’il advenait qu’ils soient complètement ratés ! (rires) Je crois qu’il a été surpris de voir à quel point ils se sont révélés populaires auprès des téléspectateurs et des fans dès le début de la diffusion de la première saison. Je crois qu’il en a été très satisfait. Du coup, quand nous avons commencé à travailler sur la seconde saison, George a été beaucoup plus présent, et m’a donné régulièrement des instructions sur la manière dont il voulait que telle ou telle chose soit faite. Ses indications concernaient surtout l’histoire, car il me laissait réaliser et dessiner les personnages comme je le souhaitais. Il me disait : « Je voudrais que vous intégriez cet adversaire d’Anakin que l’on ne verra que dans l’épisode 3 au cinéma. Il faudrait que l’on montre aussi comment Anakin devient un Jedi» et je notais tout cela, car les évènements décrits dans la série se déroulaient pendant une période de 3 ans, répartie sur 3 saisons, et située entre l’action de L’ATTAQUE DES CLONES et ceux de LA REVANCHE DES SITHS . George s’est impliqué davantage dans cette seconde saison, mais comme il réalisait le troisième épisode de STAR WARS à ce moment-là, il ne pouvait pas non plus passer trop de temps sur la série animée. Du coup, nous n’avons pas eu souvent l’occasion de travailler ensemble, mais j’en garde cependant un bon souvenir.

Vous avez créé SYM-BIONIC TITAN avec Paul Rudish et Bryan Andrews. Pouvez-vous nous parler un peu de cette série de SF et de la manière dont vous avez mélangé l’animation 3D aux images de synthèse ?

J’ai toujours été un grand fan des séries japonaises où l’on voit des robots géants, comme SPECTROMAN et ULTRAMAN, ainsi que des films de monstres de la saga GODZILLA. Quand nous avons abordé SYM-BIONIC TITAN, nous avons eu envie d’employer un style qui n’aurait rien à voir avec ceux du LABORATOIRE DE DEXTER et de SAMOURAI JACK. Nous avions envie d’une approche un peu plus réaliste mais toujours cartoon qui rende hommage aux séries et aux films japonais. Je voulais montrer le robot géant dans tous ses détails, en jouant sur l’échelle, et en utilisant des perspectives intéressantes pour mettre en valeur son gigantisme. Toutes ces choses sont très difficiles à faire en dessin animé dans le cadre d’une production de télévision au budget réduit. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé d’avoir recours à la 3D pour représenter le robot. C’était le meilleur moyen de montrer tous ses détails sous tous les angles. Et c’est de ce choix qu’à découlé le reste du style graphique de cette série.

La 3D vous a notamment permis de créer le robot avec une « carapace » translucide qui permet de voir ses mécanismes internes, ce qui aurait été très compliqué à faire en animation 2D…

Oui, cela aurait été long et coûteux, et forcément moins efficace, car un animateur même excellent peine à animer en perspective des formes mécaniques. Il n’y a qu’au Japon qu’on trouve des spécialistes de l’animation dessinée des robots ou des vaisseaux de SF, mais même là-bas, on a désormais recours à la 3D pour les représenter.

HOTEL TRANSYLVANIA est votre premier long-métrage. Comment ce projet a-t-il débuté pour vous ? Quelles différences artistiques et budgétaires il y a-t-il entre le travail de réalisateur de séries d’animation et celui de réalisateur de film ? Et enfin, est-ce que la 3D et le budget accru vous offrent plus de possibilités de vous exprimer en tant que réalisateur ?

A l’origine, j’étais entré en contact avec Sony Animation pour développer avec eux plusieurs de mes concepts de longs-métrages. Mais ce sont des projets qui se développent sur le long terme…Il se trouve qu’au moment où je terminais les derniers épisodes de SYM-BIONIC TITAN, Sony Animation m’a contacté pour me demander si j’accepterais de développer et de réaliser HOTEL TRANSYLVANIA. J’ai aimé le projet dès que j’ai lu le script. Il était très drôle, et l’idée de mettre en scène Dracula était si attirante que j’ai dit oui tout de suite. Au début, je craignais que la 3D ne soit pas forcément compatible avec les formes géométriques asymétriques que j’affectionne, mais j’ai eu la bonne surprise de constater qu’à chaque fois que je lançais un défi graphique aux infographistes, non seulement ils le relevaient, mais allaient au-delà de ce que j’avais demandé, en dépassant mes espérances. Nous avons poussé l’animation pour la rendre beaucoup plus cartoonesque, ce qui m’a permis de transposer le style et la sensibilité graphique de mes séries dans ce premier long-métrage, tout en le réalisant en images de synthèse. Cependant, l’une des choses dont je devais tenir compte dans ma réalisation était le délai de création du film. En télévision, on a l’habitude de travailler vite, et dans la situation où je me suis retrouvé, nous avons travaillé presque aussi vite sur ce film. L’une des premières différences dont je me suis rendu compte, c’est que le poids de responsabilité que l’on porte sur les épaules en tant que réalisateur est totalement différent au cinéma. A la télévision, si un épisode que l’on a réalisé est moins bon qu’un autre, on pourra toujours se rattraper sur le suivant. Au cinéma, vous n’avez droit qu’une seule chance. Et je sais pertinemment que si je loupe HOTEL TRANSYLVANIA, on ne me confiera plus de longs métrages par la suite.

Vous exagérez… Votre carrière est jalonnée de tant de réussites qu’on vous imagine mal être traité comme un pestiféré par les studios !

(rires) Bon, je suis peut-être un peu pessimiste, mais il est certain que les enjeux d’un long métrage sont beaucoup plus importants que ceux d’une série. Vous vous produisez sur une scène d’une toute autre échelle !

Etiez-vous un fan des films de monstres des studios Universal quand vous étiez enfant ?

Oui, mais pourtant, ils me faisaient terriblement peur ! Je faisais des cauchemars dès je voyais un extrait de film de monstres.

Vraiment ?!

Hé oui… Les choses se sont arrangées par la suite, quand j’ai vu ABBOTT ET COSTELLO CONTRE FRANKENSTEIN, parce qu’il s’agissait d’une comédie qui dédramatisait les moments effrayants. Voir ces deux personnages qui avaient peur, et ces gags autour des monstres donnait une impression de sécurité : dans ma tête, c’étaient eux qui étaient menacés et non plus moi ! (rires) Plus tard, j’ai vu tous les classiques d’Universal, DRACULA, FRANKENSTEIN, LE LOUP-GAROU, LA MOMIE, etc, et je les ai beaucoup appréciés, même si mes registres favoris sont l’humour et la SF et non pas les films d’épouvante.

La suite de cet entretien promis à un succès monstre paraîtra bientôt sur ESI !

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