Entretien exclusif avec Joseph Kosinski, auteur et réalisateur d’OBLIVION - Seconde partie
Article Cinéma du Mardi 14 Mai 2013

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment décririez-vous la civilisation dans laquelle l’histoire se déroule ? Quels sont ses similitudes avec notre monde d’aujourd’hui ?

Comme je vis pratiquement 24h sur 24 dans le monde d’OBLIVION depuis quelques années, j’ai tendance à remarquer souvent des parallèles intéressants avec cette intrigue quand je regarde les informations télévisées. Le film se déroule en 2077, dans 64 ans. Au début de l’histoire, on apprend qu’une guerre contre des envahisseurs extraterrestres, les Scavs, a transformé la terre en champ de ruines inhabitable. Les terriens ont gagné cette guerre, mais la planète a été presque entièrement anéantie, et n’est plus capable de fournir assez de ressources pour nourrir et faire vivre l’humanité. Après avoir étudié toutes les possibilités, les dirigeants de l’époque, toutes nations confondues, ont décidé qu’il fallait abandonner la terre et installer des colonies sur Titan, qui est la plus grande des lunes de Saturne. Cependant, avant de partir, il faut extraire les moindres ressources d’énergie de la terre. Ces opérations de prélèvement de ressources font partie des choses dont s’occupe le personnage principal d’OBLIVION, Jack Harper. Son job consiste à réparer les drones qui quadrillent la terre à la recherche des derniers « Scavs » qui s’y trouvent encore, afin de les éliminer. J’ouvre une parenthèse pour souligner que ce thème des drones automatiques est un sujet brûlant et très controversé en ce moment-même aux USA, car il existe déjà des drones militaires semi-automatiques qui patrouillent dans le ciel de l’Afghanistan et celui de l’Irak. Voilà, fin de la parenthèse…Dans notre film, Jack inspecte les drones défaillants dont la mission principale est de défendre le périmètre des hydro-plateformes qui convertissent l’eau de mer de la terre en énergie issue de la fusion de l’hydrogène. Et il faut que ces machines soient opérationnelles 24h sur 24 au cas où les Scavs tenteraient une opération de sabotage. On sait très peu de choses sur ces derniers survivants ennemis, si ce n’est qu’il ne doit plus en subsister qu’un tout petit nombre, qui se cache probablement dans des repaires souterrains. Mais ils restent dangereux, car ils utilisent des techniques de guérilla qui jouent sur le camouflage et la surprise quand ils remontent à la surface pour passer à l’attaque. Il leur arrive aussi de réussir à endommager suffisamment des drones pour provoquer des crashs. Dans ces cas-là, Jack Harper, que joue Tom Cruise, est alerté par un signal de localisation. Il saute dans un véhicule volant stationné sur la tour du ciel – l’engin s’appelle un « vaisseau-bulle » - et se rend sur les lieux du crash pour réparer le drone et faire en sorte qu’il puisse s’envoler à nouveau le plus vite possible. Le style des combats que vous verrez dans le film s’inspire de ceux qui ont lieu actuellement dans les zones de confits militaires. Les forces de défense occidentales disposent de technologies de plus en plus sophistiquées, et utilisent énormément de prise de vues par satellite, de drones et de robots pour collecter des informations puis passer à l’attaque. Il m’a semblé qu’il était intéressant de faire ce parallèle dans le film.

Quels sont les vrais sujets actuels que vous explorez par le biais de la Science-Fiction dans ce film ? Est-ce que vous teniez à souligner la réaction de la partenaire de Jack, qui panique en étant confrontée à ses découvertes, et qui lui crie à un moment-clé « Je ne veux pas savoir la vérité ! », parce que cette vérité est trop douloureuse, trop déstabilisante à assimiler puis à assumer ?

Oui, c’est exactement cela. Je crois que les grandes histoires de Science-fiction abordent des questions qui concernent notre vie de tous les jours. Bien souvent, ce n’est pas l’intrigue principale de ces récits qui est la plus intéressante, mais le thème sous-jacent qui imprègne tout ce que l’on nous montre. Aujourd’hui, il n’y a que la Science-Fiction qui nous incite à nous poser les questions les plus importantes sur notre existence : Qu’est-ce qui constitue ce que nous sommes ? Pourquoi sommes-nous là ? Quelle est la place et le rôle que nous jouons dans l’infinité de l‘univers ? Que sommes-nous destinés à accomplir ici pendant la durée de notre vie, et plus largement pendant la présence sur terre de l’humanité, jusqu’à l’explosion du soleil dans des centaines de millions d’années ? Quelle est la nature de l’âme humaine ?.. Cela aussi, c’est une vaste question ! Il y a d’ailleurs un côté très romantique de ce thème qui est abordé dans le film… Quand l’amour est-il vrai ? Que signifie le fait d’aimer vraiment quelqu’un ? Ces nombreuses questions fondamentales sur ce qu’est l’humanité constituent les fondations du récit d’OBLIVION. Mais il se trouve que tout cela est « emballé » dans une présentation spectaculaire de film d’aventure et d’action, et dans un contexte de Science-Fiction.

Quels sont vos films de Science-Fiction préférés ?

2001, L’ODYSSEE DE L’ESPACE de Kubrick, BLADE RUNNER de Ridley Scott, LA JETEE de Chris Marker… Ce sont ces films-là qui m’ont particulièrement inspiré.

Est-ce que LE SURVIVANT de Boris Sagal, avec Charlton Heston, en fait également partie ?

Oui, absolument. Particulièrement pour la manière dont il explore brillamment cette situation du dernier homme sur terre. La question vertigineuse « Que ferais-je si j’étais le dernier survivant sur terre ? » était remarquablement bien traitée dans ce film et elle était également illustrée par des images d’autant plus fortes qu’elle ne reposaient pas sur des trucages. Je crois que personne n’a oublié les scènes où Charlton Heston traverse en voiture les rues désertes de New York. Cette idée était essentielle quand j’ai commencé à écrire l’histoire d’OBLIVION.

Avez-vous écrit en entier l’histoire de l’attaque des Scavs sur terre, même si tous les détails de ces évènements ne sont pas abordés dans le film ?

Oui, bien sûr, car il fallait que je sache exactement ce qui était sensé se passer avant et après les évènements que décrit le film. C’est encore plus important dans le cas d’une histoire de Science-Fiction, car il faut être en mesure de comprendre parfaitement la logique du monde que vous décrivez. J’ai donc écrit une chronologie très précise, tout en étant bien conscient du danger potentiel que cela représentait, car je ne voulais surtout pas que ce déroulement d’évènements antérieurs ne m’oblige ensuite à aligner les scènes d’explications et à alourdir ainsi la narration du film. C’était l’un des problèmes les plus ardus que nous avons eu à gérer en développant le scénario de TRON L’HERITAGE, et même si nous avons fait de notre mieux pour arriver le plus vite possible à la nouvelle partie de cette histoire, il a quand même fallu passer beaucoup de temps à rappeler ce qui s’était passé dans le film précédent, et à raconter ce qu’étaient devenus ces personnages depuis 25 ans. Etant déjà passé par là, j’ai tenté de faire en sorte que l’univers d’OBLIVION soit présenté de manière très cohérente, mais aussi en prenant garde de ne conserver que les pièces du puzzle qui étaient essentielles à la bonne compréhension de l’histoire, et qui permettaient de faire avancer le récit.

Que pouvez-vous nous dire sur vos 3 personnages principaux ? Commençons par Jack Harper, que joue Tom Cruise. Quel genre d’homme est-il ? En quoi croit-il ? A quel point aime-t-il sa vie quotidienne et son travail avant que des évènements étranges ne se produisent et ne viennent tout chambouler ?

Jack Harper est un homme issu de la classe ouvrière. Il excelle dans son travail de réparateur de drones, et il est, à juste titre, très fier de la qualité de ses prestations et de son efficacité. Il aime ce qu’il fait. Et comme il est très bon dans son domaine, il a également appris à devenir plus rapide que d’autres réparateurs. Il profite donc du temps qu’il lui reste quand il a terminé pour rester quelques heures de plus sur terre, sans que ce soit « officiel ». Quand il le peut, il profite des derniers coins de nature sauvage qui sont restés à peu près intacts, mais il y en a très peu, et on les trouve presque par hasard. Pour lui qui vit dans l’univers high tech et stérile de la « tour du ciel », s’allonger dans l’herbe d’une forêt miraculeusement préservée et regarder le ciel est un plaisir intense. Il en profite tant que c’est possible, car il sait que d’ici peu, il va quitter la terre à jamais pour se rendre sur Titan. Cela, c’est l’aspect bucolique de sa passion pour la terre, mais au-delà de son amour pour la nature, ou plutôt de ce qu’il en reste, il se passionne aussi pour l’histoire et la culture des temps passés. Il a envie de savoir comment les gens vivaient avant sa naissance. Ainsi, quand son travail l’amène près des ruines d’un bâtiment, il devient archéologue amateur dès qu’il a fini de réparer le drone. Au fil de ses voyages, il a ainsi saisi l’occasion d’explorer les vestiges de la grande bibliothèque publique de New York, ou de l’Empire State Building, qui est partiellement enfoui dans le sol. Son sommet est désormais accessible à pied, au niveau du sol d’un grand plateau, et l’une des faces du gratte-ciel émerge d’une falaise. Normalement, Jack n’est pas sensé prendre de tels risques, même s’il fait ces excursions clandestines en étant toujours armé. Mais quand il voit les ruines d’un gigantesque stade de Baseball, il ne peut pas résister à l’envie d’aller y faire un tour, car il ressent une profonde connexion avec ce monde ancien, pour des raisons qu’il ne comprend pas et serait bien incapable d’expliquer. Mais c’est plus fort que lui. Même si c’est interdit, et probablement très risqué, il y va.

Est-ce que le règlement de ses employeurs est très strict sur ce point ?

Oui, absolument. On sait qu’il est très dangereux de se poser sur la surface, et qu’il vaut mieux y rester le moins longtemps possible, pour éviter une embuscade des Scavs. Dans la plupart des cas connus, on les a vus se manifester pendant la nuit, mais il leur arrive quand même de sortir des cachettes sombres de leurs abris souterrains, et d’attaquer en pleine journée.

Au début du film, Jack est-il toujours considéré comme un « employé modèle » ou ses activités ont-elles été remarquées ?

Au début, tout va bien. Il a mis au point une routine efficace pour faire son job tout en se laissant du temps pour rechercher de nouveaux objets et documents du passé pour enrichir sa collection. Il a accumulé tout un bric à brac de choses ramenées de la surface : des livres, des bibelots destinés aux touristes de jadis, une vieille casquette de baseball avec le logo brodé de l’équipe des Yankees de New York… C’est d’ailleurs une casquette qu’il porte quand il part en mission. Tous ces objets sans valeur sont ses trésors, ils le fascinent. Même s’il n’a pas le droit de faire autre chose que son job lors de ses séjours en surface, il ne peut pas s’en empêcher, car il y a quelque chose qui l’émeut profondément dans les vestiges de cette planète, et même s’il sait qu’il va devoir partir dans 2 semaines, il a un mal de chien à lui dire au revoir, ou plutôt adieu.

Comment cette difficulté à quitter la terre joue-t-elle dans la trajectoire émotionnelle de Jack, au cours de cette histoire ?

Eh bien pour commencer, cela le met dans une position très délicate vis à vis de Victoria, sa compagne et partenaire professionnelle qui séjourne avec lui dans la « tour du ciel » depuis les 5 dernières années. Le travail de cette jeune femme consiste à communiquer constamment avec les autorités et à les tenir au courant des activités de réparation de drones que mène Jack. Contrairement à son compagnon, Victoria compte les jours qui restent avant le départ vers Titan. Elle a hâte de partir. Victoria est une très bonne professionnelle, efficace et dévouée, qui permet à ce duo de bien fonctionner. Mais elle ne ressent aucun besoin d’en savoir plus sur la terre. Elle n’a aucune affinité avec ce passé qui lui fait peur et qui n’évoque en elle que les images sinistres de la guerre, avec son cortège de morts et de ruines. C’est un peu comme si elle était contrainte de rester au-dessus d’un terrible charnier. Plus vite elle partira pour coloniser Titan et entamer une nouvelle vie loin de tout cela, mieux cela vaudra. En bonne employée, elle travaillera jusqu’à la dernière seconde du dernier jour de sa mission de 5 ans, mais après, ce sera un immense soulagement de rejoindre le reste de l’humanité, et de tourner les talons sans jeter le moindre coup d’œil derrière elle. Victoria et Jack vivent en couple et elle imagine depuis longtemps déjà ce que pourra être leur nouvelle vie commune sur Titan. Elle a tellement hâte de quitter la terre que l’attirance que Jack éprouve pour les vestiges de cette planète morte l’inquiète beaucoup. C’est une brèche dans leur relation, et un sujet de disputes, car ils ne peuvent pas s’entendre sur ce point. Quand ils commencent à parler de cela, ils se rendent compte que leurs aspirations ne sont pas exactement les mêmes. Et ce malaise qui s’installe est très difficile à vivre, surtout quand deux êtres doivent cohabiter dans un espace agréable, mais malgré tout limité. De ce fait, les escapades de Jack sur terre sont aussi une bouffée d’air pour lui. Elles lui permettent d’échapper à l’atmosphère tendue qui règne parfois dans son couple.

Victoria, reste-t-elle constamment dans l’espace clos de cette maison dans le ciel ?

Oui. En dehors de ses communications avec Jack quand il part travailler, ses seuls liens avec l’extérieur sont ses communications avec le centre de contrôle, pour les comptes rendus de missions.

De ce fait, Victoria est-elle plus proche de la « pensée officielle » que Jack qui part sur place voir les choses par lui-même ?

Exactement. Et cela contribue aussi à accentuer les différences de points de vue entre eux.

La fin de cet entretien sera révélée prochainement sur ESI !

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