Les reportages ESI : Tout sur le salon IMATS LONDRES 2013 ! Seconde partie
Article 100% SFX du Mercredi 10 Juillet 2013

[Retrouvez la première partie de ce reportage]


Textes & photos de notre envoyé spécial Jean-Philippe Lomas.

Suite du récit de la deuxième journée du salon…

Nous assistons ensuite à une conférence animée par Jason Reese, représentant de la société Smooth-On, et qui est consacrée à la confection de moules à l'aide de résine époxy. Les produits de cette gamme sont présentés comme une alternative avantageuse au plâtre et aux autres polymères tels que la résine polyester. Jason Reese a beaucoup contribué au développement des produits de la marque destinés à une utilisation pour les effets spéciaux de maquillage et la réalisation d'accessoires pour le cinéma et le théâtre.

Pendant ce temps les élèves sélectionnés pour la première compétition du weekend débutent leurs travaux. Il y a en tout deux compétitions : celui de maquillage beauté / Fantasy le samedi et celui de maquillage effets spéciaux le dimanche. Comme tous les ans les élèves sont sélectionnés sur dossier de manière anonyme. Cette année la France est particulièrement bien représentée avec notamment six élèves de l'école Métamorphoses de Strasbourg. La première compétition a pour thème "Les Eléments". La première place revient à Ya-Sui Tseng, élève à l'école Make-Up Designory (MUD). La française Laetitia Saren de Métamorphoses remporte la seconde place.

La journée doit se conclure par une interview de Joel Harlow (PIRATES DES CARAIBES, STAR TREK). Il est depuis plusieurs années déjà le maquilleur attitré de l'acteur Johnny Depp. Nous-nous rendons donc avec un peu de retard à la scène principale où nous découvrons Michael Key assis seul face à un ordinateur portable. C'est avec déception que nous apprenons que le maquilleur a été retenu à Los Angeles et que son interview se déroulera donc par Skype interposé. Alors que d'habitude ces rencontres avec des personnalités de renom attirent la foule, cet entretien virtuel semble quelque peu dérouter le public. C'est la seconde fois que cette situation se produit à l'IMATS avec Joel Harlow. La fois précédente était à l'occasion de la table ronde consacrée à ALICE AUX PAYS DES MERVEILLES de Tim Burton à l'IMATS de Los Angeles en 2010.

Après la fermeture du salon nous avons rendez-vous pour le traditionnel "Afterglow" qui est cette année organisé à la pizzeria du hall d'exposition. D'habitude ce rendez-vous informel permet de se retrouver autour d'un verre et de dialoguer de manière décontractée avec les personnalités présentes. Bien que la salle soit grande et ait été réservée pour l'occasion par les organisateurs, le lieu ne s'y prête pas vraiment. C'est un peu ce que nous redoutions. Après le repas, en compagnie d'autres habitués, nous sommes assez nombreux à nous retrouver au pub de l'autre coté de la rue pour un Afterglow alternatif improvisé à notre façon.

Troisième journée

Le premier événement majeur de la journée de dimanche est une nouvelle démonstration de Neill Gorton, cette fois-ci assisté par l'italien Roberto Pastore. Ils présentent une technique qu'ils ont mise au point pour réaliser des effets de barbes réalistes. Elle combine des poils collés à la main directement sur le visage du modèle et des pièces en Super Baldiez pré-poilées. Ces pièces forment en quelque sorte des prothèses et permettent un gain de temps à l'application, car seuls les poils qui forment les pourtours visibles de la barbe sont collés individuellement. Comme le Super Baldiez est soluble à l'alcool, une fois collées les prothèses peuvent être "fondue" dans la peau jusqu'à devenir pratiquement invisibles. Bien que le résultat soit étonnamment réaliste, certains spécialistes de l'assistance ne sont pas vraiment convaincus du gain de temps apporté par cette méthode. Aux prothèses en Super Baldiez, ils préfèrent encore la méthode traditionnelle des postiches en tulle, qui ont l'avantage d'être réutilisables plusieurs fois.

Nous enchaînons avec une table ronde à laquelle participent Mark Coulier, Nick Dudman, Eve Pearl et Siân Richards. La discussion est menée par Michael Key. Il nous avoue avoir un peu de mal à se mettre en route aujourd'hui, ne s'étant couché que vers 4 heures du matin… Le sujet de la discussion est « Comment faire évoluer et perfectionner le maquillage aujourd'hui ». Les différents intervenants donnent des conseils aux personnes qui débutent dans le métier : la manière de les contacter pour des opportunités de travail ; comment présenter leur travaux ; les qualités nécessaires pour exercer ce métier.

Tous s'accordent sur le fait que trop de personnes qui débutent s'attendent à se voir confier des tâches "nobles" comme le design d'un maquillage au bout de quelques mois de travail seulement, ce qui n’est pas réaliste... Certaines équipes sont très compartimentées et ne permettent pas de facilement passer d'une tâche à un autre. C'est à force de persévérance que l'évolution se fera. Mark Coulier rappelle l'importance d'être constamment enthousiaste dans la tâche qu'on s'est vu confier, et qu'il n'est pas déshonorant d'aller vider les poubelles de l'atelier. Il se souvient avoir vu un sculpteur continuer à travailler à proximité d'une poubelle contenant des déchets en décomposition avancée sans rien faire pour y remédier simplement par ce qu'il considérait que ce n'était pas de sa responsabilité de la vider. Certains débutants, surtout s'ils ont commencé le maquillage ou la sculpture comme hobby, ont du mal à suivre des directives. Il faut se souvenir qu'une fois qu'un design a été validé, il ne vous appartient plus et certaines initiatives sont alors très mal venues. Nick Dudman parle de la manière dont il constitue une équipe. Non sans un certain humour il dit être souvent amené à embaucher des personnes plus talentueuses que lui-même, simplement parce qu'ils seront garant de sa réputation et que c'est la seule manière de procéder pour qu’il puisse leur faire confiance. Il explique qu'il faut trouver le bon équilibre entre hommes et femmes dans une équipe. S'il n'y a que des femmes la situation devient vite explosive, mais simplement en rajoutant quelques hommes tout redevient paisible. De même s'il n'y a que des hommes, quelque soit leur talent, « l'âge mental de l'équipe à tendance à régresser à l'âge de 15 ans et tout le monde commence à trouver que roter et péter sont amusants » ! Ajoutez quelques femmes et tout rentre dans l'ordre. Il commente aussi le fait que certaines productions ont tendance à recruter uniquement les meilleurs, ce qui peut créer d'énormes tensions dans l'équipe à cause des batailles d'egos qui apparaîtront forcément à un moment ou un autre. Pour revenir à la manière de présenter son travail lors d'une recherche d'emploi, ces grands maquilleurs recommandent tous de cibler les portfolios en fonction du poste convoité. En effet quelque soit le talent, ce sera souvent celui qui présentera les travaux les plus proches des besoins actuels du responsable d'équipe qui aura le plus de chances d'être pris. Nick Dudman demande aussi que les personnes qui l'approchent connaissent au moins un petit peu sa carrière. Dans le même esprit, il faut à tout prix bannir les courriers types et faire attention à sa présentation : seuls les très grands artistes peuvent se permettre d'avoir un look de toxicomane échevelé ! Mark Coulier demande à ce que les portfolios qu'on lui présente soient en mesure de l'impressionner. Il faut donc éviter d'y mettre des choses banales ou vues et revues.

Un des moments phare de cette journée est la présentation "Secret of Creature Suits" animée par Karen Spencer et Kate Walshe. Elles sont toutes les deux des piliers de MilleniumFX, l'atelier d'effets spéciaux de Neill Gorton. Sur scène elles sont accompagnées par deux "créature performers" – acteurs en costume – (l'un d'entre eux a incarné une des créatures dans la scène du marché dans HELLBOY II), un marionnettiste et un spécialiste en lentilles de contacts. La présentation commence par un costume d'orang-outan qui a récemment servi pour une production Bollywood, et que MilleniumFX loue également pour des films, des publicités et de l'évènementiel. Il dispose d'une tête animatronique radiocommandée. Les yeux de la créature sont ceux de l'acteur qui l'incarne. Le marionnettiste en fait une démonstration. Ce dernier a fait ses premières armes sur des émissions comme SPITTING IMAGE (l'équivalent britannique des GUIGNOLS DE L'INFO), puis a travaillé pour Jim Henson, pour finalement rejoindre l'équipe de DOCTOR WHO. Le spécialiste en lentilles de contacts montre celles qui ont été conçues pour cette créature. Ce sont des lentilles souples dont l'iris est d'un diamètre légèrement supérieur à celui d'un œil humain. Il explique sommairement les techniques de peinture de ces lentilles. Le costume d'orang-outan, qu’un des acteurs a désormais revêtu, dispose deux paires différentes de bras dépendant des scènes à tourner. Une paire de bras comporte des extensions métalliques et permettent de courir à quatre pattes. L'autre sans extensions, est en fait une paire de gants qui permettent à l'acteur de manipuler des objets. L'angle de prise de vues masquera le fait que les proportions normales de l’animal ne sont pas respectées dans ces plans de manipulation d’objets. Les mains elles-mêmes sont un compromis car la position des doigts d'un véritable orang-outan diffère de manière significative de celle d'une main humaine. La seconde créature présentée a été conçue pour la dernière saison de DOCTOR WHO. Le design est plutôt extrême pour cette émission destinée avant tout aux jeunes téléspectateurs. Tout le monde a d'ailleurs été surpris que la production valide le design tel quel. Il s'agit d'un humanoïde complètement difforme aux membres tordus comme les racines d'un arbre. Ici il n'y a pas de mécanismes animatroniques. Dans les scènes qui nécessitent de faire bouger la tête, un manipulateur peut introduire sa main dedans comme s'il s'agissait d'un gant. Comme le visage de la créature n'est pas du tout dans l'axe de celui de l'acteur, ce dernier voit au travers de petites fentes pratiquées dans le coup du personnage. Régulièrement on doit insuffler de l'air dans les costumes afin de renouveler l'oxygène et éviter que les acteurs n'aient trop chaud. On nous présente d'ailleurs une tenue réfrigérée qui peut être portée sous le costume. La discussion se poursuit sur le métier d'acteur en costume et se termine par une séance de questions / réponses.

A l'issue de cette présentation, nous allons assister à l'annonce des résultats de la compétition de maquillage effets spéciaux, qui cette année a pour thème "Oz". Comme d'habitude chaque compétiteur s'est vu attribuer des prothèses en mousse de latex. Il était possible de compléter le personnage avec des accessoires de son choix : costume, perruque, lentilles de contact, dentier, etc. Bien que ces accessoires puissent influencer le jury, c'est néanmoins le travail de maquillage proprement dit qui est déterminant. Notamment dans le cas de la compétition effets spéciaux, le soin apporté aux raccords entre les prothèses, dont les bords se doivent d'être le plus parfait possible. Le premier prix va à Isabelle Champigny du Vancouver Film School, alors que Daniel Weimer de Métamorphoses remporte le 3ème place. L'école Strasbourgeoise revient cette année encore de l'IMATS couronnée de récompenses !

Flânant de nouveau du côté du Muséum nous croisons la maquilleuse britannique Sheelagh Wells auquel appartient une partie de la collection d'objets rendant hommage la carrière de Stuart Freeborn. A coté de plusieurs masques en plâtre, une fausse tête de Luke Skywalker dans le casque de Dark Vador réalisée pour la séquence sur Dagobah de L'EMPIRE CONTRE ATTAQUE et un masque d'Ewok, on trouve une mallette à maquillage ayant appartenu l'illustre personnage ainsi que quelques albums photo. Nous tournons les pages sur lesquelles on trouve aussi bien des photos retraçant la carrière du maquilleur, des notes manuscrites et des croquis, des plannings pour des films prestigieux… Sheelagh Wells insiste pour tout nous commenter. On sent que certains de ces souvenirs sont aussi les siens. Elle nous tend une petite spatule en bois portant encore des traces d'argile qu'elle n'a jamais osé nettoyer, ainsi que de grosses lentilles de contact sclérales rouges. Sans hésitation elle nous laisse manipuler ces précieux artefacts, mais nous les lui rendons rapidement afin qu'elle les remette en sécurité ! Sheelagh Wells a fait une partie de sa carrière avec Stuart Freeborn, qui était devenu un ami proche. Elle a travaillé aussi bien pour la scène que pour la télévision et le cinéma, dans des registres très variés, de productions historiques à la science fiction. Elle a gagné un BAFTA (équivalent britannique des Oscars) pour sont travail sur la série DOCTOR WHO en 2006, et est une des rares personnes à avoir travaillé à la fois sur la série originale que sur les saisons récentes. Elle a occupé le poste de responsable du département maquillage à la BBC. Nous sommes très touchés de son attention et de nous avoir fait revivre une partie de l'histoire d'une figure légendaire de la profession.

Le salon s'achève par une interview de Neill Gorton par Michael Key. Une première : sur la table qui les sépare les habituelles bouteilles d'eau ont été remplacées par des verres de bière ! Le maquilleur revient sur sa carrière ; la création de ses deux sociétés. Il fait remarquer que son école ne forme pas à proprement parler des maquilleurs, mais enseigne les techniques qui rentrent dans la créations des effets spéciaux de maquillage, ce qui est un peu différent. Il parle de sa toute récente expérience en tant que réalisateur sur le court métrage MOTHER DIED, où il a bien fallu qu'il délègue la conception des effets à ses collaborateurs. La manière dont sa profession lui a permis de voyager au travers le monde et de rencontrer des personnalités inouïes (il cite notamment Lady Gaga). Il explique les raisons pour lesquelles il travaille principalement pour la télévision et en quoi les conditions de travail sont tellement plus agréables en Angleterre qu'aux Etats Unis. A la télévision il a le sentiment d'être d'avantage écouté par la production et que son avis à plus de poids dans les décisions que ce ne serait le cas au cinéma. Une série télévisée britannique comporte environ moitié moins d'épisodes qu'une série américaine, mais pour des temps de production à peu près équivalents. Il y a donc la possibilité de faire les choses plus à fond sans que ce ne soit constamment la course. A la question "Que vous reste t'il à accomplir ?", après un moment de réflexion il répond qu'il a déjà réalisé tout ce dont il pouvait rêver, et qu'il souhaite maintenant continuer à prendre du plaisir dans ce qu'il fait. Pour lui l'incursion dans le monde de la réalisation n'est pas un tournant dans sa carrière : il « continuera à coller des "trucs" (sic) sur le visage des gens aussi longtemps qu'il le pourra ». Il explique comment sa société a récemment investi dans la création de créatures génériques, comme l'orang-outan dont nous avons parlé précédemment ainsi qu’un gorille qui est exposé au Muséum. Ils sont loués à des productions qui n'ont ni le budget ni les délais nécessaires à la création de créatures sur mesure. Après une brève séance de questions / réponses l'interview est interrompu par une annonce que le salon est maintenant fermé. On pourra juste regretter que cette interview, comme d'ailleurs toutes les autres de ce weekend, n'ait pas été illustrée comme cela se fait d'ordinaire par une bande démo. Michael Key se tourne vers nous et nous remercie d'être venus aussi nombreux.

A l'issue de cette dernière journée nous-nous dirigeons directement au pub, mais contrairement aux années précédentes, où les discussions continuaient de bon train jusqu'à des heures avancées, de nombreuses personnes repartent directement sans trop trainer. Ces trois journées sont passées à une vitesse folle tellement il y avait de choses à voir et de gens à rencontrer ! Mais nous sommes bien obligés de constater qu'il y avait beaucoup d'absents en comparaison des années précédentes. Peut-être que la période de juin est-elle moins favorable par rapport au début de l'année. Cet IMATS manquait sérieusement de grandes personnalités du métier. L'absence de Joel Harlow et la très grande discrétion de Kazuhiro Tsuji n'ont fait qu'accentuer cette impression. L'essentiel des personnalités présentes cette année, comme Nick Dudman, Mark Coulier, Cliff Wallace et Neill Gorton, sont des habitués que nous retrouvons de toute manière chaque année. Mais ne boudons pas notre plaisir et donnons-nous rendez-vous l'année prochaine !

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